Les kératines

Les kératines 

Les kératines dans le cancer

Intérêt diagnostique et pronostique des kératines

L’adénocarcinome est un cancer épithélial provenant du tissu glandulaire et il constitue la majorité des tumeurs malignes pouvant survenir dans différents organes. Il représente aussi la variété tumorale la plus difficile à rattacher à son site d’origine, car ces tumeurs affichent un aspect indifférencié. La capacité à identifier l’origine de l’adénocarcinome et ses métastases est donc essentielle pour l’élaboration d’une stratégie thérapeutique appropriée. L’utilisation des kératines en tant que marqueur diagnostique est devenue un outil indispensable, particulièrement dans les cas plus complexes pour lesquels les examens cliniques, radiologiques et endoscopiques ne permettent pas l’identification du cancer primitif. La plupart des adénocarcinomes expriment les kératines K8, K18 et K19, tandis que les K7 et K20 sont exprimées de façon variable (Moll et al. 2008) (Figure 1.20). La K20 est typique du tractus gastrointestinal, offrant ainsi aux anticorps dirigés contre la K20 une valeur prédictive acceptable pour différencier par exemple un adénocarcinome primaire mucineux ovarien de métastases ovariennes provenant d’un cancer colorectal (Hemandez et al. 2005; Shin et al. 2010).En plus de leur rôle bien établi en tant que marqueurs de diagnostic dans le cancer, les kératines sont également des indicateurs pronostiques dans une variété de tumeurs épithéliales malignes (Tableau 1.1). Par exemple, une expression diminuée de K8 et K20 dans le cancer colorectal est indicatif d’une agressivité tumorale élevée et d’une diminution de la survie des patients (Knosel et al. 2006). De plus, l’expression persistante du fragment de K18 (Asp397) dans le sérum de patients ayant subi l’ablation d’une tumeur colorectale est associée avec un risque de récidive dans les 3 ans (Ausch et al. 2009). I?es niveaux élevés de ce fragment avant le traitement du cancer du poumon suggèrent également une survie plus courte des patients (Uluk:aya et al. 2007). De même,chez les patients ayant un cholangiocarcinome intrahépatique, un taux sérique élevé du fragment de K19 augmente le risque de récidive et diminue le taux de survie (Uenishi et al. 2008). L’expression de la K20 par les cellules tumorales pancréatiques, des KI0 et K19 dans les carcinomes hépatocellulaires et de la K17 dans les tumeurs du sein, de l’ovaire et de l’estomac indiquent un mauvais pronostic (van de Rijn et al. 2002; Matros et al. 2006; Schmitz-Winnenthal et al. 2006; Yang et al. 2008; Ide et al. 2012; Wang et al. 2013). L’expression de kératines par les cellules tumorales disséminées dans la moelle osseuse de patients atteints de cancer de la prostate est un facteur de risque pour le développement de métastases (Weckermann et al. 2009). La détection de K19 dans les cellules tumorales circulantes (CTC) de patientes atteintes d’un cancer du sein est associée à un risque plus élevé de récidive, dû à la chimiorésistance du cancer (Xenidis et al. 2009). Inversement, les analyses d’expression génique ont indiqué que la K18 est souvent diminuée dans le cancer du sein métastatique (Hedenfalk et al. 2001; Zajchowski et al. 2001) et est en corrélation avec un stade tumoral avancé, la présence de micrométastases osseuses et un taux de survie très faible (Woelfle et al. 2003; Woelfle et al. 2004). En effet, la présence de K8 et K18 ubiquitinées et dégradées dans les cellules cancéreuses du sein détermine l’agressivité de la tumeur (Iwaya et al. 2003).

 Le rôle des kératines dans la tumorigénèse

Le rôle émergent des kératines dans la physiologie des cellules normales et dans le pronostic de certains cancers nous autorise à penser qu’elles peuvent être directement impliquées dans la tumorigénèse épithéliale. Bien que la plupart des souris transgéniques ou déficientes en kératines ne démontrent aucun phénotype tumoral apparent, l’absence de K8 chez les souris FVBIN provoque une hyperplasie colorectale (Baribault et al. 1994) et accélère l’apparition de tumeurs mammaires induite par l’oncogène MMTV-PyMT (Baribault et al. 1997). À l’inverse, l’expression ectopique de la K8 dans la peau des souris provoque une hyperplasie épidermique et favorise la progression maligne de tumeurs bénignes (Casanova et al. 2004). Dans le but de comprendre le rôle moléculaire des kératines dans la tumorigénèse et la progression cancéreuse, plusieurs études ont tenté de caractériser leur fonction dans le potentiel invasif in vitro des cellules cancéreuses et dans la formation des métastases in vivo. Les premières études à ce sujet ont montré que la surexpression des K8/18 dans des fibroblastes de souris et des cellules de mélanome humain augmente l’invasion de ces cellules à travers un mélange gélatineux de protéines de la matrice extracellulaire, le Matrigel (Chu et al. 1993; Chu et al. 1996). Inversement, la surexpression de K8 ou K18 dans des cellules de cancer du sein métastatique MDA-MB-231 (Buhler et al. 2005) et MDA-MB-435 (lyer et al. 2013) entraîne une réduction dramatique du potentiel invasif et métastatique .
La réexpression de la K8 par les cellules cancéreuses du sein bloque la formation de tumeur et de métastases chez la souris. Tumeurs mammaires (A) et métastases aux poumons (B) chez la souris nue suite à l’injection orthotopique de cellules cancéreuses du sein MDA-MB-435 contrôle (K8Vc) ou exprimant la K8 (K8CI) (Iyer et al. 2013).
La divergence des effets de l’expression ectopique des K8/18 a soulevé l’hypothèse selon laquelle l’expression anormale des kératines, en regard du type d’épithélium et du stade de différenciation, favorise l’agressivité du cancer et son potentiel métastatique, alors que la réexpression des kératines présentes dans le tissu d’origine de la tumeur ralentit la progression du cancer (Vaidya et al. 2007).
Les kératines maintiennent l’intégrité épithéliale en partie grâce à leur interaction avec les desmosomes et les hémidesmosomes (Kouklis et al. 1994; Green et al. 2007).
Par cette interaction, les kératines empêchent le remodelage des jonctions intercellulaires qui est nécessaire à la motilité des cellules. En effet, l’absence de la K8 modifie la distribution des desmosomes au niveau de la membrane des hépatocytes de souris (Toivola et al. 2001; Loranger et al. 2006), des kératinocytes de souris (Seltmann et al. 2012), de l’épithélium embryonnaire de souris (Vijayaraj et al. 2009) et de cellules épithéliales humaines cancéreuses (MCF-7, HeLa et Panc-l) (Long et al. 2006). Par conséquent, les cellules cancéreuses humaines déficientes en K8 migretit plus rapidement (Long et al. 2006). Outre l’absence des kératines elles-mêmes, la réorganisation péri-nucléaire du réseau de filaments de K8/18 facilite aussi la motilité et l’élasticité cellulaires (Beil et al. 2003). Cette réorganisation résulte généralement de modifications post-traductionnelles au niveau des K8/18, particulièrement de la phosphorylation de la sérine 431 de la K8 (Busch et al. 2012).
Le rôle protecteur des kératines contre l’apoptose des cellules épithéliales peut s’avérer un obstacle dans un contexte de chimiothérapie. En effet, la surexpression des K8/18 confère une résistance des fibroblastes à de nombreuses drogues telles que la mitoxantrone, la doxorubicine et la vincristine (Bauman et al. 1994; Anderson et al. 1996). La sensibilité au cisplatine des cancers du col de l’utérus (Sullivan et al. 2010) et du nasopharynx (Wang et al. 2008) peut être favorisée suite à l’inhibition de l’expression des K8/18 par les cellules tumorales. Il a été suggéré que la
chimiorésistance induite par la K8 implique son rôle dans l’adhésion des cellules à la MEC (Liu et al. 2008).

La signalisation intracellulaire oncogénique régulée par Akt

La famille de sérine-thréonine kinases Akt, aussi appelées protéine kinases B (PKB), joue un rôle central dans l’homéostasie cellulaire en régulant le métabolisme du glucos~, la croissance cellulaire et la synthèse des protéines, la survie des cellules et leur capacité migratoire. En tant que médiateur central de nombreuses voies de signalisation favorisant la prolifération cellulaire, Akt constitue un proto-oncogène redoutable (Altomare et al. 2005). Cette famille de kinases regroupe trois protéines très similaires en séquence, mais qui sont codées par des gènes distincts: AktlIPKBa, Akt2IPKB~ et Akt3IPKBy, situés respectivement sur les chromosomes 14, 19 et 1 (Hanada et al. 2004)
L’activation des différents isoformes d’Alet nécessite d’abord la liaison d’un récepteur à activité tyrosine kinase (RTK) avec son ligand (incluant IGF-l, EGF et l’insuline), ce qui permet la dimérisation du RTK et le déclenchement de son activité de kinase. L’auto-phosphorylation du RTK crée un site de fixation pour la phosphatidylinositol 3-kinase (PI3K), une enzyme qui transfère un phosphate de l’ATP sur le carbone 3′ de l’inositol des phosphatidylinositides membranaires (ptdIns). La génération des PtdIns3P, Ptdlns (3,4) P2 et Ptdlns (3,4,5) P3 (pIP3) permet le recrutement membranaire de protéines possédant des domaines spécifiques, tel que le domaine PH (pour plecstrin homology) présent dans la séquence d’Akt. C’est à la membrane plasmique que se produit l’activation d’Akt, suite à sa phosphorylation sur un résidu thréonine du domaine catalytique (Thr308 pour Aktl, Thr309 pour Akt2 et Thr305 pour Akt3) par la kinase PDKI (Alessi et al. 1997) et sur un résidu sérine du domaine C-terminal (Ser473 pour Aktl, Ser474 pour Akt2 et Ser472 pour Akt3) à la fois par auto-phosphorylation et par l’action d’autres kinases telles que mTORC2, ILK et
PKC (Lynch et al. 1999; Persad et al. 2001; Partovian et al. 2004; Sarbassov et al. 2005). Akt est ensuite relocalisé, par un mécanisme inconnu, dans différents compartiments intracellulaires où ses substrats sont situés. La production de PIP3 et l’activation d’Akt sont inhibés par la phosphatase PTEN.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
RESUME
LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1 La progression tumorale
1.1.1 La chimiorésistance
1.1.2 La formation des métastases
1.2 La transitionépithéliale-mésenchymateuse dans la progression tumorale
1.3 Le cytosquelette de filaments intermédiaires
1.3.1 Les kératines de l’épithélium
1. 3 .1.1 L’expression des kératines est spécifique au type d’épithélium et à son stade de différenciation
1.3.1.2 Les kératines préservent l’intégrité physique de la cellule
1.3.1.3 Le rôle des kératines dans l’homéostasie cellulaire
1.3.2 Les kératines dans le cancer
1.3.2.1 Intérêt diagnostique et pronostique des kératines .
1.3.2.2 Le rôle des kératines dans la tumorigénèse
1.4 La signalisation intracellulaire oncogénique régulée par Akt
1.4.1 L’activité spécifique des isqformes d’Akt dans les tumeurs
1.4.2 Le rôle des isoformes d’Akt dans la croissance tumorale
1.4.3 Le rôle des isoformes d’Akt dans la chimiorésistance
1.4.4 Le rôle des isoformes d’Akt dans la migration cellulaire
1.4.4.1 Akt1 favorise le potentiel invasif
1.4.4.2 Akt2 facilite aussi la motilité cellulaire
1.4.4.3 Les isoformes d’Akt peuvent jouer des rôles opposés dans la progression tumorale
1.4.4.4 Le cytosquelette de filaments intermédiaires influence la localisation d’ Akt
1.5 Problématique et objectifs de recherche
CHAPITRE II AKT ISOFORMS REGULATE INTERMEDIATE FILAMENT PROTEIN LEVELS IN EPITHELIAL CARCINOMA CELLS
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and methods
Celllines and reagents .
Transfection with short hairpin RNAs (shRNAs) and plasmids
Western blots and qRT-PCR
Immunofluorescence
Statistical analyses
Results
Aktl and Akt2 isoforms differentially-regulates IF proteins levels in epithelial carcinoma cells
Akt2 isoforms induces a reorganization of cytoplasmic IFs network in epithelial carcinoma cells
IFs are up-regulated by TGF-bl and insulin in PI3K-dependent manner in epithelial carcinoma cells
Discussion
Acknowledgements
References
CHAPITRE III KERATIN 8 AND 18 LOSS IN EPITHELIAL CANCER CELLS INCREASES COLECTIVE CELL MIGRATION AND CISPLATIN SENSITIVITY THROUGH CLAUDIN1 UP-REGULATION
Résumé
Abstract
Introduction
Experimental procedures
Cell culture, transfection and reagents
Subcellular fractionation
Immunoblotting and immunoprecipitation
Immunofluorescence
Wound-healing assay
Matrigel invasion assay
PI3K assay
Conventional RT-PCR
Quantitative real-time RT-PCR
Chromatin immunoprecipitation (ChIP) assay
Luciferase reporter assay
Determination of apoptosis level
Statistical analysis
Results
Keratin 8 and 18 knockdown increases epithelial cancer cell motility and invasion without modulating EMT markers
Keratin 8 and 18 knockdown improves PI3K1Akt activation in epithelial cancer cells
Keratin 8 and 18 knockdown increases NF-KB transcriptional activity through PI3K pathway
Keratin 8 and 18 knockdown increases expression of the tight junction protein claudinl through NF-KB transcriptional activity
Claudinl is involved in cell motility and invasion of K8/18-deficient cells
Claudinl increases PI3K activity and phosphorylated Akt localization at the plasma membrane in K8/18-knockdown cells
Claudinl modulates invasiveness of K8/18-knockdown cells by increasing NF-KB-induced MMP2 and MMP9 expression
K8/18 knockdown increases cisplatin sensitivity
Discussion
Acknowledgements
References
CHAPITRE IV CONCLUSION ET PERSPECTIVES
4.1 L’agrégation péri-nucléaire ou l’absence complète de kératines induit un h ‘ typ’ ‘f t h » ‘bl 115 P eno e mvaSI e c IffilosenSI e
4.2 Les kératines répriment le potentiel invasif en préservant les niveaux d’expression et la localisation membranaire de la claudine-1
4.3 Les kératines participent à la spécificité fonctionnelle des isoformes d’Alet
4.4 Les cellules épithéliales cancéreuses peuvent devenir invasives suite à la perte des K8/18 sans subir une EMT
4.5 Le maintien ou la réexpression des kératines: une stratégie thérapeutique pour empêcher la progression tumorale
REFERENCES BIBLIOGRAPIDQUES
ANNEXE A FUNCTIONAL SPECIFICITY OF AKT ISOFORMS IN CANCER PROGRESSION
ANNEXEB SIMPLE EPITHELIAL KERATINS K8 AND K18 : FROM STRUCTURAL TO REGULATORY PROTEIN

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