Les jeux d’acteurs au niveau des débats télévisés 

PAR : NGONO Simon

L’espace public et les médias au Cameroun

L’histoire de tout pays est marquée par des moments, des étapes, des soubresauts divers.
Ceux-ci peuvent affecter le rapport entre les citoyens et l’Etat, mais également participer à la construction, au fil du temps, de son caractère dynamique. C’est à travers ce dernier que l’on peut lire et mieux comprendre l’histoire d’un pays. Cependant, la lecture des événements actuels ne saurait se faire en occultant la réalité antérieure. Dans cette première partie de notre mémoire, il sera question de situer dans le temps le début des débats télévisés au Cameroun, leur évolution d’une chaîne à une autre et comment ils se sont positionnés en fait comme un espace public au Cameroun. Cela se fera à travers une lecture évolutive de l’offre de débats télévisés dans ce pays. Avant cela, il semble important de remonter et de revisiter un tout petit peu l’histoire du pays. Question de fixer les fondements de l’espace public et des médias au Cameroun.

Les fondements et l’évolution de l’espace public et des médias au Cameroun

Au Cameroun comme dans bon nombre de pays africains (Bénin, Côte d’Ivoire, etc.), la situation de l’espace public et celle des médias sont étroitement liées aux conjonctures sociopolitiques qui ont traversé ces pays. Elles permettent également d’apprécier le processus de mutations subies à la faveur des faits et événements qui marquent l’histoire d’un pays. Dans un contexte de mondialisation, les événements produits à l’international peuvent aussi avoir des répercussions sur le plan interne d’un autre pays. C’est le cas, par exemple, de la chute du mur de Berlin en 1989 en Allemagne, qui semble avoir eu des incidences au Cameroun et dans d’autres pays africains. Quoi qu’il en soit, il apparaît que le Cameroun a toujours vécu au rythme des moments de « fermeture » caractérisés par une oppression de libertés publiques d’une part et des moments « d’ouverture », un peu favorable à la jouissance desdites libertés, d’autre part. L’intérêt de ce chapitre tient à la consubstantialité entre l’espace public, les médias et la généalogie de l’Etat au Cameroun. Pour plus de clarté dans notre propos, il convient de recouper les périodes sur un espace de temps bien visible. La première statue sur les pratiques autoritaires et de contrôle de l’espace public et des médias sous le premier Président de la République du Cameroun, Amadou Ahidjo (1960-1982). La deuxième aborde la relative liberté consacrée aux Camerounais par Paul Biya dès son accession au pouvoir, en 1982 jusqu’en 1990 et la dernière s’intéresse aux mutations sociopolitiques et médiatiques opérées pendant les années 90 au Cameroun.

1960-1982 : L’espace public et les médias sous Ahidjo

La décennie 1960 a été marquée par l’accession de la plupart des pays africains aux indépendances. Elle a coïncidé aussi avec la fin de nombreuses décennies d’occupation coloniale. Au lendemain de cette période, les Etats africains sont désormais appelés à gérer eux-mêmes leurs propres pays. Il s’agit autrement de se prendre en charge et de répondre aux préoccupations conjoncturelles. En fait, les chefs d’Etat africains se servent de l’argument du retard qui serait causé par la colonisation pour orienter leur politique vers l’idée de développement.
Indépendant depuis 1960, le Cameroun s’inscrit dans cette dynamique axée vers l’idée de développement. Ahidjo qui accède au pouvoir en fait tout un leitmotiv. Au cœur de son action politique aussi, se greffent deux autres notions, à savoir : la nation et l’Etat. En fait, le premier président estime que la construction d’un Etat post-indépendant passe à la fois par le développement et la consolidation de la nation (axée sur l’idée de l’unité nationale). Son champ d’action va donc se résumer aux notions : développement, nation, Etat. Parlant de « triangle magique » , Daniel Bourmaud , enseignant de science politique à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en France, fait observer qu’il n’est nullement question de démocratie. Dès lors, l’absence de ce concept comme boussole devant orienter l’action politique, permet une meilleure compréhension de la façon donc le pays sera géré. Ainsi dans sa gestion du pays, Ahidjo commence par consolider son pouvoir. Il devient le centre de gravité du pays, du moment où tout vient de lui (nomination, obtention de carrières politiques, par exemple). Ce qui lui permet d’avoir une emprise sur toutes les sphères de la vie de nation.
Dans ce contexte, l’espace public, lieu d’expression et de formulation de l’opinion en public, se trouve placé sous contrôle. Ainsi, il instaure l’état d’urgence, en recourant à un régime d’exception alors que le pays ne faisait l’objet d’aucune menace. En guise d’exemples, ce régime se traduit par la soumission de la circulation des personnes et des biens, à des mesures restrictives et éventuellement à l’autorisation administrative pour tout citoyen devant mener une action en public . Par exemple, pour voyager, le citoyen devait d’abord solliciter l’autorisation de l’autorité compétence (Sous-Préfet, Préfet). Ceci au nom de la préservation de l’ordre public et du maintien de la paix. En effet, le propre des régimes autoritaires consiste souvent à brandir l’argument de la menace sur la paix sociale et sur l’ordre public pour justifier la restriction de la jouissance de libertés publiques. Pour Ahidjo, il semble inconcevable que l’espace public soit occupé par quelques acteurs que ce soit. Pourtant, la Constitution du pays garantissait toutes les formes de libertés aux citoyens (citons en exemple, la liberté de circulation des citoyens surtoute l’étendue du territoire national). Il prit le soin de contrôler les libertés des citoyens, y compris celles qui pouvaient s’exercer sur l’espace public, en prenant certaines décisions sur le plan juridique. C’est le cas de l’ordonnance de 1962 portant répression de la subversion qui participait de cette technologie restrictive de libertés au Cameroun. L’article y relatif disposait que : « Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, po rté atteinte au respect dû aux autorités publiques ou incité à la haine contre le Gouverneme nt de la République fédérale ou les Etats fédérés ou participé à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de la République […] ou encouragé cette subversion ser a puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 200.000 francs à 2 mill ions de francs ».

Ce qui précède montre que dans l’esprit du « père de la nation » , personne ne devait s’engager à défier l’autorité de l’Etat. Il y a lieu de dire ici que toute critique à l’égard du pouvoir était quasi-impossible, puisque assimilée, du coup, à la subversion. Les moyens de répression mentionnés dans cette ordonnance se réfèrent aux modes d’actions (manifestation, contestation, par exemple) que certains acteurs pouvaient engager à l’égard du pouvoir en place, étaient purement proscrits sinon soldés par des poursuites et des condamnations.

Comme le souligne Séverin Cécile Abega, anthropologue camerounais et professeur à l’université Catholique d’Afrique Centrale décédé le 24 mars 2008 : « Les premières personnes poursuivies et condamnées sont les leaders politiques : André Marie Mbida, ancien Premier ministre et chef du gouvernement du Parti des démocrates camerounais (PDC) en 1962, Charles René Guy Okala, ancien ministre des Affaires étrangères et chef du Parti socialiste camerounais (PSC), Mayi Matip, président du groupe parlementaire de l’Upc [Union des Population du Cameroun]».

1982-1990 : Les prémisses d’une « ouverture » en faveur des libertés

Le 6 novembre 1982, Paul Biya devient le deuxième président de la République du Cameroun, à la suite de la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, dont une frange de l’opinion camerounaise garde le souvenir d’un « autocrate abject » . Son accession au pouvoir suscite de ce fait de l’espoir auprès de la population.
Il est donc question de changer le pays pour Paul Biya qui voue que « rien ne sera plus comme avant » . D’emblée, c’est dans ses discours qu’il donne les lignes d’orientation de sa politique et sa volonté de faire table rase avec le passé. Ainsi, la nouvelle société qu’il promet de bâtir reposera, dit-il, sur trois piliers : « rigueur dans la gestion économique, moralisation des comportements et décongestion de l’Etat » . Cet élan d’ « ouverture » , s’accompagne aussi par le souci d’accorder  plus de libertés à ses compatriotes. C’est ainsi qu’il se présente à eux comme l’homme du « Renouveau ». L’expression « Renouveau » ici traduit la volonté du président Biya de rompre avec le passif de son prédécesseur, de rénover à partir de ce qui existait déjà. Comme le reconnaît dans son ouvrage Samuel Eboua, ancien ministre du premier président, « le Renouveau suppose l’existence de quelque chose qu’on veut rénover du fait qu’il n’est pas possible de rénover le néant ».

De ce fait, Paul Biya publie en 1987 un essai dans lequel il énonce les grandes lignes de ses projets politiques à venir pour le Cameroun. Car si, « la politique est l’art du possible. Si l’on veut agir, il faut d’abord se fixer des objectifs » , reconnaît-il. Les objectifs ainsi fixés tournent autour de tout ce qui a trait à la démocratie : ses principes, ses valeurs et l’instauration d’un Etat de droit. Car, pour Biya, il est question d’entrer dans l’histoire comme celui qui a apporté la démocratie au Cameroun. D’après lui, « la démocratie est une valeur sociale incontestable en tant qu’elle permet la lib ération optimale de l’imagination et toutes les potentialités que recèlent les différentes composantes de la société » . Elle suppose aussi la participation de tous dans la gestion du pays, de même qu’elle repose sur des valeurs telles que la liberté, l’égalité, gage d’un Etat qui se veut démocratique. Il défend donc l’idée d’une démocratie participative, c’est-à-dire celle qui associe l’ensemble des citoyens à la gestion des affaires publiques. Il émet par conséquent l’idée selon laquelle, le « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, de tous par tous e t pour tous, la démocratie est un régime sociopolitique où les relations entre les hommes sont réglées conformément au principe du respect de leur liberté et de leur égalité ».

La liberté prend donc son essor ici dans la « possibilité de poser des actes quotidiens » , sans être inquiété ou intimidé par le pouvoir. Elle s’accompagne tout aussi de la liberté d’entreprendre, de créer des activités économiques sous le contrôle de l’Etat . Il s’agit ici de toute la philosophie qui sous-tend l’ouvrage Pour le libéralisme communautaire de Paul Biya.
A cette époque certains auteurs se montrent dubitatifs par rapport à cet essai politique, malgré les avancées qu’il semblait présenter sur le plan des libertés. C’est le cas de l’écrivain Mongo Beti. Critique sans réserve des deux régimes (celuid’Ahidjo et de Biya), c’est depuis son exil en France qu’il exprime son doute à l’égard de ce discours libéral du président Paul Biya. Au de-là du doute, il souhaite tout de même que cet essai contribue « à l’avènement rapide de la démocratie et à l’instauration définitive du plural isme ».

L’offre de débats télévisés au Cameroun

L’avènement des débats à la télévision est étroitement lié à l’histoire du Cameroun. Une histoire marquée par les mouvements sociopolitiques que le pays a connus dans la décennie 90 et qui ont sans doute ouverts les vannes de la prise de parole dans les médias en vue de l’expression des idées de différents acteurs. En effet, cette mutation semble avoir marquée la fin d’une époque : celle du monopole et de la confiscation de la parole par le pouvoir étatique.
En reprenant Umberto Eco , cette période se rapporte à la « paléo-télévision». A contrario, la nouvelle page qui a été ouverte, fait référence à la période dite de la « néo-télévision » toujours selon Eco. Elle se caractérise par la fin du processus de monopole étatique sur le champ médiatique.
Au-delà de la démonopolisation du champ médiatique par l’Etat au Cameroun, nous pouvons dire que cette nouvelle ère a eu deux conséquences : l’éclosion des chaînes de télévision et la concurrence entre celles-ci. Il faut dire que cette éclosion, au fil du temps, a conduit à des changements notoires, notamment sur le plan de l’offre de programmes. Sur ce plan, le pays est parti de la liberté de parole, qui s’est d’abord déployée lors des revendications populaires, à la manifestation de la liberté de parole dans les médias, à travers les débats.

De nos jours, l’organisation des débats semble constituer une formule de plus en plus prisée au Cameroun, si l’on s’en tient à leur multiplication dans les médias audiovisuels. Comment ce genre télévisuel a t-il émergé au Cameroun ? Quelle est son offre actuelle dans le champ médiatique camerounais ? Comment cette offre de débats télévisés contribue t-elle à structurer l’espace public au Cameroun ? Avant d’apporter des réponses à ces préoccupations, il convient tout d’abord de se pencher sur la définition du débat comme genre télévisuel.

Le débat télévisé : définition d’un genre télévisuel

Très répandue dans la société, la notion de genre semble pourtant complexe à définir. Cette complexité peut être liée au fait que la définition du genre renvoie très souvent à un éventail de signifiés, variant selon une discipline, un domaine spécifique ou une pratique sociale particulière. Ainsi, il y a question de parler de genre en linguistique (il sera question du genre littéraire), en journalisme ou dans les médias, pour ne prendre que ces deux cas. Dans le domaine médiatique, cette notion semble varier selon la nature du média et les pratiques de production propres inhérentes au média. Il faudrait à ce sujet distinguer les genres journalistiques (qui sont liés à l’écriture, à la forme, à la tonalité, etc.), des genres télévisuels, qui eux sont fortement liés par à l’organisation, aux objectifs et aux formats des émissions télévisées.
Ce propos liminaire témoigne en fait de la complexité à définir cette notion qui n’est pas de nos jours l’apanage d’un domaine ou d’une discipline scientifique. Sans entrer dans le fondement de cette notion de genre qui remonterait à l’Antiquité avec des auteurs comme Aristote, il s’agit ici de se limiter à la définition qui correspondrait à notre objet d’étude. Il n’est pas question ici d’épuiser toutes les études et ainsi que les oppositions entre auteurs au sujet de la définition du genre. C’est pourquoi nous retiendrons juste quelques travaux d’auteurs.

Notre propos consiste tout d’abord à dire que le genre se réfère à un ensemble disposant des caractères communs et qui fondent sa spécificité par rapport à d’autres. Il s’agit d’une composante ou d’un ensemble constitué d’un certain nombre de particularité qui font sa singularité. Le genre dispose des éléments qui permettent d’établir une différence entre une ou plusieurs composantes. Ainsi dit, la taxonomie est donc au cœur de la définition de la notion du genre, et ce, quelque soit les qualificatifs qu’on peut lui adjoindre. Cela suppose que pour parler de genre, il faut se baser sur des traits distinctifs, sur des caractéristiques propres à un objet, à une entité, sur des éléments de classification, etc. Patrick Charaudeau , linguiste et responsable du Centre d’Analyse du Discours (CAD), précise tout d’abord qu’il existe des genres différents. Cette précision tient au chevauchement de cette notion par rapport à diverses disciplines. Il souligne, à cet effet, qu’« un genre est constitué par l’ensemble des caractéristiques d’un objet qui en fait une classe d’appartenance » . Le genre repose sur l’idée d’un objet aux caractéristiques communes. C’est tout élément qui fait partie d’une classe d’appartenance d’un objet. Parlant des médias audiovisuels, nous distinguons plusieurs genres : le journal télévisé, le reportage, l’entretien, le débat, le talk-show, le magazine, les jeux télévisés, etc. Cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité des genres télévisuels qui existent. Par définition, le débat télévisé désigneune discussion portant sur un thème autour duquel des individus sont appelés à s’exprimer.

Le débat télévisé peut être fondé sur le dialogue (échange entre deux ou plusieurs individus) ; son discours est souvent argumentatif du fait que chaque individu est animé par la volonté d’imposer son point de vue, en recourant à des postures discursives dont la finalité peut être liée au fait de persuader ou de convaincre son interlocuteur ou le public. Il convient de relever que certains genres cités présentent des similitudes et/ou sont parfois proches l’un de l’autre. C’est le cas du débat, de l’entretien et du talk-show. C’est ce lien de proximité qui rend davantage complexe la définition du genre télévisuel. Un autre élément rend difficile la définition du débat télévisé, c’est celui relatif à la nature, ou le type de débat télévisé. Dans ce cas, nous distinguons par exemple, les débats télévisés lors des campagnes (qui opposent les candidats), les débats télévisés ordinaires, c’est-à-dire ceux qui de la grille de programme et ne dépendent pas forcement d’une situation spécifique comme la campagne électorale. C’est la définition du dernier type de débat télévisé qui nous intéresse ici. Ceci dans la mesure où elle semble proche d’autres genres, à l’instar du talk-show, comme nous l’avons déjà évoqué. Dans La parole confisquée , Patrick Charaudeau et Rodolphe Ghiglione semblent avoir proposés une définition assez intéressante et précise du débat comme genre télévisuel. Ceci en opérant une distinction et les enjeux médiatiques sur lesquels reposent le débat télévisé et le talk-show. Pour ce faire, les deux auteurs se proposent de prendre en compte les composantes du dispositif verbal (thématique, mode d’échange, la finalité de celui-ci) et celles du dispositif visuel (à savoir : la visibilité, les axes de vision et la séquentialisation) . Ils proposent aussi de définir les deux concepts, à savoir le débat et le talk-show, en fonction de leurs finalités.

Les premiers débats à la télévision nationale camerounaise

L’organisation de débats télévisés au Cameroun ne date pas d’aujourd’hui. Elle remonte tout au moins dans les années 1990. Celles-ci correspondent en effet à ce qu’on a appelé les « années de braise », puisque marquées par des manifestations socio-politiques de grande envergure dans les grandes villes du Cameroun. En fait, on peut relever que le désordre qui a eu cours en cette période n’a pas été que négatif comme le prétendent les positions conflictualistes de certains auteurs. Comme le relève George Simmel , le conflit peut permettre de mesurer le rapport de force entre divers acteurs. Allant dans le même sens, François Bayart estime que le désordre des années 1990 au Cameroun a montré l’intérêt que les populations avaient à l’égard de la vie de la nation. Il peut aussi faire bouger les lignes, ou l’ordre ancien qui prévaut dans un pays. De toutes les façons, il y a lieu d’avancer l’idée selon laquelle le désordre peut être à l’origine d’un certain nombre de bouleversements et de mutations, notamment sur le plan politique. Nous pensons que ce fut le cas pour le Cameroun.
Car toutes les manifestations de 1990, à notre avis, auraient conduit à la désacralisation de la parole et de son usage à tout vent par divers acteurs qui ont commencé à envahir l’espace public. Elles ont aussi marqué le début des échanges contradictoires entre leaders de l’opposition, membres de la société civile et hommes du pouvoir.
En effet, c’est d’abord dans les rues de Douala et de Yaoundé notamment, qu’on a pu noter les prémisses du débat contradictoire. L’agitation sociale qu’on a pu remarquer ça et là a consisté à la bataille pour le changement social. Dans le contexte de désordre qui prévalait, les débats ont commencé à porter tout de même sur l’opportunité d’instaurer un État de droit et le retour au multipartisme. Face à un régime qui a du mal à accéder aux revendications des opposants et leaders de la société civile, les revendications de toutes sortes vont se généraliser dans les autres villes du pays. Le débat politique qui se déroule oppose deux camps. D’un côté, les « pro » et de l’autre, le camp des « anti» multipartisme et conférence nationale. Au delà de l’affrontement entre les deux camps et la répression étatique, il y a eu comme une prise de conscience chez les pouvoirs publics. Celle-ci se traduit par la volonté d’engager des débats sur toutes ces revendications. Ainsi la tripartite qui est organisée à cet effet réunie autour d’une même table divers acteurs socio-politiques (opposants au régime, membres de la société civile, hommes d’église, représentants du pouvoir). L’objectif ici est de faire des propositions communes pour l’instauration du multipartisme.

La légitimité, un phénomène au cœur des débats télévisés

Ce chapitre part d’un constat ; le débat télévisé constitue un lieu qui mobilise divers acteurs.
Leurs différences peuvent se situer du point de vue de leur statut, c’est-à-dire de la position qu’ils occupent dans la société, de leur profession, etc. En tant que lieu où vont se confronter les positions de chacun des acteurs, le débat télévisé constitue un enjeu pour ceux qui y participent mais aussi pour l’opinion publique. Ainsi, il peut être au centre de divers enjeux, à l’instar de celui de légitimité. Ce dernier peut dépendre de plusieurs aspects dont nous évoquerons dans la deuxième section de ce chapitre.
Mais déjà dans la première, nous entendons définir cette notion souvent difficile à saisir et à cerner. Pour ce faire, nous la définirons de façon générale (dans ses aspects juridiques, politiques, médiatiques, etc.) avant de convoquer les travaux de certains auteurs portant sur la question. Il s’agira entre autres de Max Weber, quia posé les bases de la discussion de cette notion par l’intermédiaire de sa typologie de légitimité. Les travaux de Pierre Bourdieu seront également convoqués dans cette section. Tout comme ceux développés par Patrick Charaudeau sur la question.
L’intérêt de cette section se situe dans notre volonté à vouloir démontrer qu’un des enjeux du débat télévisé tient à la légitimité. Ce d’autant plus qu’il y aurait un lien entre la légitimité et la participation à un débat télévisé.

La définition de la légitimité

La légitimité est accordée à un acteur – de l’espace public – en guise de reconnaissance. Cette notion de légitimité revêt plusieurs significations selon les domaines.
En politique par exemple, un élu tire sa légitimité des suffrages de son électorat (l’électorat est à prendre ici dans son sens large). C’est en fait l’ensemble des voix lui sont accordé par les électeurs qui lui donnent la possibilité non seulement de remporter les élections mais aussi d’assurer et d’assumer pleinement ou non ses missions. Si nous nous situons dans ce cas, il y a lieu de dire que la légitimité est accordée par les citoyens, par l’intermédiaire des élections.
Cette reconnaissance est l’aboutissement d’un processus axé sur un certain nombre d’actions (parmi lesquelles l’image même du candidat, son programme, ses campagnes électorales, etc.). Ici, l’homme politique dans ce cas, obtient sa légitimité du vote des électeurs.
Il convient de préciser ici que ce principe équivaut à un régime démocratique représentatif. Si la définition d’un tel régime est souvent diversement appréciée, nous la limitons à notre niveau, dans le sens où les règles et principes du jeu électoral sont acceptés et puis respectés par tous les acteurs impliqués dans le processus électoral. Dans le cas contraire, la légitimité qui peut sortir à l’issue d’une élection organisée dans ces conditions serait « imposée ». Or, la légitimité, dans le sens de Patrick Charaudeau comme nous allons le voir un peu plus loin, n’est pas liée à une contrainte quelconque, c’est-à-dire que parler de légitimité ce n’est pas contraindre. Elle s’acquière plutôt auprès d’autres acteurs. Autrement dit, elle résulterait de l’appréciation que la majorité d’acteur peut faire sur un individu. Cela pourra dépendre d’un certain nombre d’éléments parmi lesquels les valeurs mêmes de l’acteur qui bénéficie de l’appréciation.

En fait, la légitimité s’impose comme une forme de reconnaissance en « faveur de ». Elle est comme un « faire-valoir » que les individus confèrent à un autre dans la société. Pour finir avec cet aspect en relation avec la légitimité au niveau politique, il semble nécessaire d’établir une différence entre légitimité et légalité. Deux notions qui méritent une certaine clarification parce qu’elles sont souvent au centre de nombreuses confusions. La légitimité comme nous l’avons déjà montré constitue un ensemble de reconnaissance que les individus confèrent à un autre. Pour ce qui est de la légalité, nous pensons qu’elle fait référence à la loi, au principe juridique alors que la légitimité est d’ordre sociologique. En d’autres termes, cette dernière dépend des individus et même de la société.

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Table des matières

Résumé 
Introduction générale 
Partie 1 : L’espace public et les médias au Cameroun 
Chapitre 1 : Les fondements et l’évolution de l’espace public et des médias au Cameroun
1.1. 1960-1982 : L’espace public et les médias sous Ahidjo
1.2. 1982-1990 : Les prémisses d’une « ouverture » en faveur des libertés au Cameroun
1.3. 1990- … : L’ « ouverture » plus marquée de l’espacepublic et des médias
Chapitre 2 : L’offre des débats télévisés au Cameroun 
2.1. La définition du débat comme genre télévisuel
2.2. Les premiers débats à la télévision nationale Camerounaise
2.3. L’avènement des chaînes de télévisions privéeset l’explosion des débats
Partie 2 : Le débat télévisé et ses enjeux
Chapitre 3 : La légitimité, un phénomène au cœur des débats télévisés 
3.1. La définition de la légitimité
3.2. La légitimité, un enjeu de participation au débat télévisé ?
Chapitre 4 : Le débat télévisé et la construction de la réalité 
4.1. La définition de la réalité
4.2. La construction de la réalité dans les débats télévisés
Partie 3 : Les jeux d’acteurs et cadre réglementaire des débats télévisés au Cameroun 
Chapitre 5 : Les jeux d’acteurs au niveau des débats télévisés 
5.1. Le rapport d’interdépendance entre divers acteurs
5.1.1. Les journalistes en quête d’acteurs populaires
5.1.2. Les « pressions » des acteurs concernant lesjournalistes
5.2. Un jeu relativement équilibré entre journalistes et invités
5.2.1. Le statu quo entre journalistes et acteurs sociaux
5.2.2. Le débat télévisé sous l’emprise du jeu mercatique ?
5.3. Des discours critiques des journalistes sur les dérives de leurs confrères
5.3.1. Une vision positive des pratiques et de la chaîne
5.3.2. Une vision générale critique
Chapitre 6 : Le Conseil national de la Communication (Cnc), un acteur de régulation au Cameroun 
6.1. Le contexte de naissance du Cnc
6.2. Les missions de l’organe de régulation
6.3. Le bilan mitigé de l’organe de régulation au Cameroun
Conclusion générale 
Bibliographie
Annexes 

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