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Les modalités d’accès au groupe professionnel des enseignants pour les jeunes issus des immigrations : la recherche de Charles et Legendre (2006)
Ces deux sociologues de l’éducation considèrent que pour mieux situer le groupe professionnel des enseignants au sein de l’espace social depuis la création des IUFM en 1991, il est nécessaire de tenir compte de l’évolution du système éducatif français, de l’état du marché du travail et de sa structuration. En effet, au cours des vingt dernières années, notre système éducatif a connu de profondes transformations au niveau de l’enseignement supérieur dont les effectifs ont très fortement augmenté à partir de 1985. Par ailleurs, l’élévation très importante du taux d’activité féminine sur le marché de l’emploi constitue l’élément marquant des dernières trente-cinq années. Cet accroissement de l’activité féminine, s’est produit parallèlement à l’installation d’un chômage de masse endémique et au développement d’un salariat pauvre qui affecte une partie non négligeable de la population active, notamment les femmes.
Les transformations récentes du système éducatif français
La création des IUFM en 1991 a impliqué de facto l’homogénéisation des titres scolaires pour prétendre enseigner dans le primaire ou le secondaire. Elle a correspondu à un état du système de l’enseignement supérieur très rapidement en mesure de produire suffisamment de candidats potentiels autorisés à passer les concours du professorat des écoles et du professorat du secondaire. Cette augmentation du nombre des diplômés de l’enseignement supérieur est une conséquence directe de la politique menée par les différents gouvernements français à partir de 1985. Sous l’influence conjuguée d’une demande sociale de plus en plus pressante liée au fort taux de chômage affectant les moins de 25 ans, notamment les moins qualifiés, et d’une politique volontariste, les seconds cycles des lycées se sont alors ouverts, ainsi que les universités. Au cours de la période 1985-1995, le nombre de bacheliers généraux a augmenté très fortement. En 2000, c’est 62 % d’une génération qui obtient le diplôme du baccalauréat (tous types confondus) contre 26,4 % en 1980 et 33 % en 1985. Parallèlement à l’augmentation du nombre de bacheliers généraux et dans un même mouvement, le nombre des étudiants crût très fortement au cours de cette même période (+ de 66 % entre 1985 et 1992). Le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur augmenta quant à lui dans une moindre proportion (+ 36,5 % de sorties au niveau II et I entre 1985 et 1992).
L’attrait des femmes pour les professions de l’enseignement
Un des traits marquants du groupe professionnel des enseignants réside dans sa forte féminisation. En France, cette féminisation a été retardée par des mesures discriminatoires favorisant le recrutement des hommes. Ainsi, malgré une très forte demande féminine, le concours d’entrée à l’École normale n’est devenu mixte qu’en 1985 dans tous les départements. L’analyse de l’évolution du nombre de candidates présentées aux concours de l’École normale entre 1955 et 1990, montre que la demande féminine a caractérisé en permanence cette profession et qu’elle a été freinée par la non mixité des concours permettant d’y accéder. Par la suite, le taux de féminisation des lauréats au concours de l’IUFM ne sera jamais inférieur à 82 %.
Une profession bien située sur le marché de l’emploi en général et féminin en particulier
Si la forte demande féminine pour le groupe professionnel des enseignants, notamment pour le primaire, est constatée, il reste cependant à expliquer pourquoi ce groupe professionnel est tellement prisé par les femmes en mesure de postuler.
Pour tenter de comprendre la valeur que peut revêtir l’accès au groupe professionnel des enseignants chez une jeune femme en voie d’insertion professionnelle, la prise en compte de l’origine sociale du père, si elle permet bien de situer en partie le milieu social dans lequel elle a grandi n’est pas suffisante. Les deux sociologues montrent qu’ « il est nécessaire d’une part de prendre en compte le type de profession ou l’absence de profession de la mère des futures enseignantes et, d’autre part de situer ces professions éventuelles à l’intérieur de la structure des emplois occupés par les femmes. C’est cette mise en relation qui permet de comprendre en partie pourquoi la profession enseignante occupe très souvent une position valorisée et enviée chez les femmes en général et chez celles qui ont rejoint ce groupe professionnel » (Charles et Legendre, 2006, p.43). Compte tenu de la division sexuelle du travail et de ses effets sur la structure de l’emploi féminin, la position occupée par les professions enseignantes à l’intérieur de l’espace social indique qu’elles sont parmi les mieux situées. En effet, tant en termes de salaires que de sécurité de l’emploi en cette période de chômage endémique, de segmentation du marché du travail ou encore d’opportunités pour concilier éventuellement vie familiale et vie professionnelle, « l’accès au professorat offre objectivement plus d’avantages que les autres professions fortement féminisées (comme celle d’infirmière, d’assistante sociale, de cadre intermédiaire du secteur public, d’employée) (…) pour une jeune femme désirant s’insérer dans la vie active salariée après des études supérieures et soucieuse de rentabiliser son diplôme, la profession enseignante apparaît comme l’une des plus attractives et des plus probables. » (Charles et Legendre, op. cité, p.43).
Les 120 professeurs des écoles stagiaires issus des immigrations de l’enquête de Charles et Legendre (2006) représentent 1/5e de la promotion de deuxième année à l’IUFM de Créteil en 2003-2004. Parmi ceux-ci, on compte 94 femmes. 70 % ont leurs 2 parents immigrés et 30 % un seul, la majorité des parents est originaire de pays d’Europe du sud et du Maghreb. L’analyse de la structure des professions occupées par les mères des futures enseignantes (voir tableau 1, page suivante) montre des clivages importants selon l’ « origine ». Ainsi les mères des futures professeures des écoles issues des immigrations appartiennent massivement aux fractions inférieures des classes moyennes (40,4 % d’entre elles sont employées ou occupent un emploi de personnels de service direct aux particuliers). 11,7 % d’entre elles sont ouvrières, et elles sont sous représentées dans les classes supérieures et les fractions supérieures des classes moyennes (7,5 %). La distribution des emplois occupés par les mères des futures professeures des écoles d’« origine française » diffère sensiblement. Tout d’abord, 17,7 % d’entre elles sont des enseignantes et elles sont moins de 2 % à occuper un emploi d’ouvrier. Elles sont 39,1 % à appartenir aux classes supérieures et aux fractions supérieures des classes moyennes.
Dès lors, en tenant compte, d’une part de la division sexuelle du travail, de la structure des emplois féminins et du développement du travail salarié pour les femmes dans notre société (Maruani, 2003, pp. 33-53) et, d’autre part, des situations professionnelles « dévalorisées » (2) ou de la dépendance économique qui caractérise un nombre important de mères des futures professeures des écoles, l’accès à cette profession constitue pour une majorité d’entre elles une promotion sociale. On peut évaluer que cet accès constitue pratiquement pour deux futures enseignantes d’ « origine française » sur trois (60,9 %) une promotion sociale relative (cette évaluation comprend les mères au foyer, celles qui ont un emploi d’ouvrière, d’employée, de personnel de service ou de commerçante/artisane). Pour les futures enseignantes issues des immigrations, ce taux est nettement plus élevé, puisqu’il atteint 92,5 %.
Un accès au groupe professionnel des enseignants caractérisé par une double mutation
L’évolution morphologique du groupe professionnel des enseignants du primaire se caractérise par une double mutation au cours des quarante dernières années : on a ainsi assisté, à sa féminisation, d’une part, et à sa « dépopularisation » d’autre part (Charles et Legendre, 2006, p.53).
Ce processus amorcé au milieu des années 60 s’est traduit par une arrivée de plus en plus importante dans la profession d’instituteur de jeunes femmes issues des classes moyennes et supérieures (voir tableau 2, page suivante). Cette arrivée s’est faite au détriment des personnes issues des milieux populaires qui caractérisaient antérieurement le recrutement de cette profession. Ce phénomène est allé en s’amplifiant avec l’élévation du niveau de recrutement des enseignants du primaire, la réussite et la durée des études supérieures étant toujours très liées à l’origine sociale.
On constate donc aujourd’hui une véritable discontinuité au niveau de l’origine sociale des accédants au professorat des écoles par rapport à une période antérieure, cette profession n’est plus à même d’offrir autant de promotion sociale. Cela est dû, d’une part, à l’élévation du niveau de recrutement (entre 1977 et 1991, on est passé d’un recrutement à la fin de la 3è à l’exigence d’une licence, et depuis 2010, d’un master 2), et d’autre part, au fait que, sur un marché de l’emploi très tendu, cette profession est désormais prisée par les femmes en général, notamment celles issues de certaines fractions des classes supérieures et des fractions supérieures des classes moyennes. Pour les enseignants issus des immigrations, les résultats de l’enquête de Charles et Legendre permettent de constater qu’ils sont massivement issus des milieux populaires, 65 % ont un père ouvrier (11,1% pour ceux d’ »origine française »).
Les deux chercheurs ont tenté d’appréhender quels étaient les facteurs susceptibles d’expliquer « comment des personnes dont l’univers familial et social est globalement très éloigné de celui du groupe professionnel des enseignants vont être poussées à s’y orienter » (p. 69).
Les déterminants sociaux d’une mobilité improbable
Selon ces deux sociologues, trois facteurs, qui peuvent se combiner entre eux, ont une influence particulièrement déterminante pour s’orienter vers la profession d’enseignant:
le développement, via sa famille et l’école, d’un « rapport positif vis-à-vis de l’institution scolaire » en général ;
l’appartenance en majorité à une famille où au moins un des parents est salarié du secteur public (« socialisation primaire spécifique ») et pour une fraction importante d’entre eux, l’appartenance à une famille d’enseignants ;
avoir connu (en dehors du cercle familial) une « socialisation anticipatrice » (3) au métier d’enseignant par le biais d’activités para-éducatives.
La première de ces conditions pour accéder au professorat est la réussite scolaire. Or, dans les milieux populaires, et malgré la massification de l’enseignement secondaire, elle ne va toujours pas de soi. Pour obtenir un baccalauréat général, les futurs enseignants issus des immigrations ont été éduqués dans un environnement familial où les parents, malgré la faiblesse de leur capital scolaire, ont prodigué encouragements et soutien tout au long de la scolarité.
En sociologie, ce concept, emprunté à Merton (2001), peut être défini comme le processus par lequel un individu apprend et intériorise les valeurs d’un groupe de référence auquel il désire appartenir.
Ce soutien moral est souvent allé de pair avec une éducation relativement stricte, aussi bien pour les garçons que pour les filles. En outre les filles, ont été incitées par leur famille à rompre avec le modèle de la femme au foyer incarné très souvent par leur mère. Chez les futurs enseignants issus des immigrations, et contrairement à leurs pairs d’ « origine française », la familiarisation avec la fonction publique et avec l’univers des enseignants s’effectue beaucoup plus rarement par le biais des emplois occupés par leurs parents, ces derniers étant très rarement enseignants ou salariés du secteur public. La socialisation primaire spécifique est donc peu intervenue chez les futurs enseignants issus des immigrations dans la construction de leur trajectoire d’insertion professionnelle, contrairement à leurs collègues d’ « origine française ».
En fait, pour comprendre pourquoi une très forte majorité des enseignants issus des immigrations de l’enquête a bénéficié d’une mobilité sociale, il faut envisager les deux autres facteurs explicatifs : le rapport positif à l’école et la socialisation anticipatrice.
Les indices d’une forte mobilisation parentale pour la réussite scolaire des enfants
La réussite scolaire et sociale des enseignants issus des immigrations a été favorisée par l’appartenance à des familles fortement mobilisées autour du projet scolaire de leur(s) enfant(s) : tout un faisceau d’indices tend à montrer que les parents ont été ici très attentifs à leur scolarité. Les encouragements, le type d’éducation dispensé, les aides diversifiées sont autant d’éléments qui, en s’additionnant, s’apparentent fort à des stratégies scolaires favorisant la réussite. On trouve d’ailleurs, quelle que soit leur origine, un certain rapport positif à l’école chez les futurs enseignants de l’enquête, rapport positif qui renvoie à une scolarité globalement valorisée autant par l’univers scolaire que par leur famille.
La bonne réussite scolaire des enseignants issus des immigrations et de leur fratrie
Au moment de l’enquête de Charles et Legendre, l’accès au CRPE était conditionné par l’obtention d’une licence et avant cela du baccalauréat. Les lauréats de ce concours sont titulaires dans leur grande majorité de baccalauréats généraux et l’on sait par ailleurs qu’une majorité des enfants d’ouvriers est orientée vers les baccalauréats technologiques et professionnels. Les futurs enseignants issus des immigrations appartiennent donc à la minorité d’élèves d’origine ouvrière qui a pu obtenir un baccalauréat général. En cela, ils apparaissent bien comme des « rescapés » d’une sélection sociale et scolaire (Cacouault et Oeuvrard, 2000). Un autre indice de la mobilisation scolaire parentale est la réussite scolaire de toute la fratrie et pas seulement de celui qui est devenu enseignant. Autrement dit, ces derniers appartiennent à des familles au sein desquelles la réussite scolaire n’est pas un phénomène isolé. Une forte proportion des frères et sœurs des enseignants issus des immigrations de l’enquête étaient bacheliers et scolarisés dans le supérieur ou étaient déjà diplômés de l’enseignement supérieur (cf. aussi Zéroulou, 1988 ; Santelli, 2001).
La mobilisation des parents dans le projet scolaire de tous leurs enfants, qui se traduit pour ces derniers par l’acquisition effective d’un capital scolaire élevé (bac et diplôme du supérieur), s’exprime d’abord par une attitude, un rapport positif des parents vis-à-vis de la chose scolaire.
De forts encouragements parentaux à poursuivre des études, mais moins d’aides reçues au cours de leur scolarité que leurs pairs d’ « origine française »
L’école est identifiée par la majorité des parents des futurs enseignants issus des immigrations comme l’instance incontournable de l’insertion sociale et professionnelle de leurs enfants. Elle a joué un rôle essentiel dans le démenti apporté par ces jeunes aux verdicts scolaires encore fréquemment associés à leur appartenance de classe. L’intensité du soutien moral des parents peut être appréhendée à travers les réponses à une question sur l’éventuel encouragement prodigué par les parents durant la scolarité. La majorité des étudiants des deux origines ont été fortement encouragés dans leur scolarité par au moins un de leurs parents. Cependant, les futurs enseignants issus des immigrations sont plus nombreux que ceux d’ « origine française » à avoir été soutenus fortement dans leur scolarité par leurs deux parents. Compte tenu de l’origine sociale des enseignants issus des immigrations et du faible capital scolaire de leurs parents en général, ils sont pratiquement 40% à n’avoir jamais été aidés pour faire leurs devoirs et apprendre leurs leçons par leurs parents (13,2% pour les enseignants d’ « origine française »). Quand ils ont pu recevoir une aide, cette dernière a rarement excédé le primaire.
Une fréquentation très modérée des établissements classés ZEP
Une des spécificités de la scolarité des futurs enseignants issus des immigrations de l’enquête de Charles et Legendre (2006) est d’avoir modérément fréquenté des établissements classés en ZEP. Ainsi, sur l’ensemble des élèves étrangers de la région Ile de France scolarisés au collège en 2002/03, 44,3% (4) d’entre eux l’était en ZEP, contre seulement 24% chez les enseignants issus des immigrations (2 parents immigrés), soit presque deux fois moins. Ce taux est relativement proche de celui constaté pour les élèves d’ « origine française », qui est de 21,7%.
Les futurs enseignants issus des immigrations semblent donc avoir fréquenté beaucoup moins souvent qu’ils n’étaient susceptibles de le faire, des établissements caractérisés par une surreprésentation des élèves en difficultés scolaires issus des milieux populaires.
Pour les deux sociologues, tout se passe comme s’il fallait que les trajectoires des enseignants issus des immigrations « se rapprochent le plus possible de la trajectoire modale des élèves français d’une part, pour qu’ils aient la chance d’avoir « une scolarité normale » qui leur permette de poursuivre des études dans le supérieur, et d’autre part, pour que leurs espérances subjectives de mobilité sociale via l’école puissent être renforcées à travers la fréquentation d’élèves dont la majorité appartient aux classes moyennes/supérieures et non plus aux milieux populaires ». En plus de la mobilisation parentale dans le projet scolaire de leurs enfants, l’effet d’entraînement (…) que peut impulser la fréquentation de pairs issus en majorité de milieux sociaux plus aisés ne doit pas être sous-estimé dans la confortation ou la transformation des aspirations scolaires initiales » (Charles et Legendre, 2006, p.84).
La mobilité sociale des filles est privilégiée
Quelle a été l’attitude des parents issus des immigrations vis-à-vis de l’insertion professionnelle de leur enfant devenu enseignant, notamment de leur fille ? La pertinence de cette question est d’autant plus grande que le lien entre le titre scolaire et l’emploi potentiel est fort. En effet, la perception de la famille (père/mère) vis-à-vis du rôle de la femme (mère au foyer versus salariée et mère de famille en même temps, etc.) détermine en partie le type de soutien parental accordé aux filles. Dans les familles des enseignants issus des immigrations, le modèle éducatif (à défaut de pouvoir être effectif) qui a prévalu pour les filles est celui du cumul des rôles (avoir un travail salarié et être mère de famille), cette vision est partagée par les deux parents. En effet, seulement un quart des mères des enseignantes d’ « origine française » étaient mères au foyer au moment des dix ans de leurs filles alors que cette fréquence était de 41 % pour les enseignantes issues des immigrations. Une fraction importante des enseignantes issues des immigrations a donc été éduquée dans un environnement familial marqué par l’ « inactivité » professionnelle de la mère ou par l’interruption durable de son activité pour éduquer les enfants. Cependant, malgré cette situation, les parents ont encouragé leur fille à rompre avec le rôle antérieur assigné à la femme au sein de la cellule familiale. Les très forts encouragements prodigués par les parents pour que leur fille réussisse dans ses études indiquent que ces derniers avaient bien compris « le rôle essentiel joué aujourd’hui par l’institution scolaire dans son émancipation et sa mobilité sociale à venir» (p. 86).
Une éducation plutôt stricte caractérisée par un climat religieux prégnant
Très souvent, et contrairement aux enseignants d’ « origine française », cette réussite scolaire et sociale s’est opérée dans des familles au sein desquelles prévalait une éducation plutôt stricte. Qu’en est-il de la place de la religion dans l’entourage familial des futurs enseignants et pour eux-mêmes? Quand les deux parents sont émigrés, 81,4% d’entre eux entretiennent un rapport positif avec la religion (49,3% des parents issus du Maghreb sont tous les deux pratiquants, 11,1% pour ceux issus d’Europe du Sud, 8,6% pour ceux d’ « origine française »). Quand leurs deux parents sont issus du Maghreb, 84,5% des futurs enseignants sont croyants et 45,5% sont pratiquants (respectivement, 38% et 6,5% pour les futurs enseignants d’ »origine française »). La prégnance du sentiment religieux chez ces futurs enseignants laisse supposer que cette dimension culturelle et religieuse, en se transmettant d’une génération à l’autre, a bien joué une place importante dans leur processus de socialisation.
Dès lors, pour Charles et Legendre (2006), l’une des manières les plus efficaces de soutenir la scolarité de leurs enfants, et le projet de mobilité sociale sous-jacent, a consisté à inculquer des règles de vie, une éducation morale et religieuse très contrôlée et très présente, ce qui a probablement été un des éléments structurants dans l’éducation des futurs enseignants issus des immigrations. La réussite scolaire a été d’abord rendue possible grâce à un fort contrôle des parents sur la manière d’être, les fréquentations et les sorties des enfants. De même, la grande attention portée à la scolarité, à son suivi (obligation de travailler le soir, contrôle des devoirs, de l’assiduité à l’école, vérification des résultats scolaires), les récompenses et punitions accordées selon les résultats obtenus ont sans doute contribué à inscrire très tôt les futurs enseignants dans une dynamique de travail. Sur ce point, les analyses d’Hassini (1997) ont montré comment les filles de parents maghrébins retournent à leur avantage, au niveau de leur scolarisation, les contraintes d’une éducation traditionnelle/stricte reçue à la maison. Grâce à leur éducation familiale, elles seraient mieux à même de se conformer aux règles et aux contraintes scolaires qu’elles intègreraient et supporteraient plus facilement que les garçons. Pour les parents qui ont un faible capital scolaire, dispenser à la maison une éducation relativement stricte et disciplinée à son enfant constitue le meilleur moyen de le pré-socialiser à l’univers scolaire, à ses règles, sa discipline et ses contraintes.
L’importance déterminante des socialisations anticipatrices dans les trajectoires d’insertion professionnelle des enseignants issus des immigrations
La détermination du choix du métier d’enseignant s’est faite précocement pour la moitié des futurs enseignants, ceux-ci pensaient devenir enseignants avant l’obtention du baccalauréat (quelle que soit leur origine). L’attraction des individus pour les métiers de l’enseignement est liée à la manière dont leur scolarité s’est déroulée et à l’image qu’ils se sont faite du métier d’enseignant à travers la fréquentation de leurs professeurs. Avant leur accès à l’IUFM, une très forte majorité de ces jeunes entretenaient un rapport globalement positif avec leur scolarité et le corps enseignant. En fait, il est peu probable que des personnes marquées négativement par leurs enseignants et leur scolarité aient pu être attirées par ce métier. Dès lors, en les rapprochant de l’univers social des enseignants, la socialisation anticipatrice des jeunes diplômés issus des immigrations occupe une place déterminante dans le processus d’orientation vers ce groupe professionnel. Cette socialisation a pu se réaliser à travers des activités para-éducatives qui impliquent l’encadrement d’enfants ou d’adolescents par des jeunes lycéens ou des étudiants.
On peut rassembler ces activités para-éducatives en deux groupes : le premier groupe comprend essentiellement des activités d’animateur dans un centre aéré ou une colonie de vacances, dans une association sportive, musicale ou artistique. En exerçant cette fonction d’animateur et d’ « éducateur », les futurs enseignants ont été en contact avec des enfants/adolescents. Ces expériences ont pu susciter ou conforter leur désir de travailler avec et auprès des jeunes puis, de devenir enseignants. Par ailleurs, au cours de leur travail, ils ont eu l’occasion de nouer des contacts et de sympathiser avec des adultes dont une partie était enseignants. Certains d’entre eux, au travers de discussions informelles, ont pu les inciter à devenir enseignant ; le second groupe comprend des activités qui, jusqu’il y a peu, étaient essentiellement gérées par l’État et l’institution scolaire. Il s’agit des emplois de surveillant dans les établissements de l’enseignement secondaire et d’aide-éducateur dans le primaire. Ces deux activités se caractérisent par le fait qu’elles mettent directement ceux qui les exercent à la fois en contact avec des enfants ou des adolescents et avec l’univers professionnel des enseignants. Ainsi, ces personnes sont amenées à côtoyer dans un même lieu, leur futur public et leurs futurs collègues. Pour ceux qui ne sont pas issus d’une famille d’enseignants, c’est l’occasion d’une immersion dans le monde de l’Éducation nationale, génératrice d’une forme de socialisation anticipatrice au métier d’enseignant et au monde de l’éducation.
Une très grande majorité de futurs professeurs des écoles (75 %, quelle que soit l’origine) a exercé des activités para-éducatives avant d’entrer dans l’Éducation nationale. Cette propension encadrer des activités avec des jeunes témoigne en quelque sorte de leur engagement précoce pour s’occuper des enfants. Cela a sans doute contribué à construire et renforcer ce sentiment de « vocation » évoqué très souvent par les enquêtés pour définir leur projet professionnel.
Parmi les professeurs des écoles issus des immigrations, pratiquement quatre sur dix (39 %) ont été salariés de l’État (surveillant (17 %) ou aide-éducateur (22 %)) avant d’intégrer l’Éducation nationale. Si ce taux est plus faible chez les professeurs des écoles d’ « origine française » (28 %), il demeure important. Les politiques publiques sont ainsi un vecteur de mobilité sociale. L’engagement de l’État, sous différentes formes, offre d’une part aux étudiants issus des milieux populaires et/ou des immigrations la possibilité de se rapprocher de l’univers des enseignants. D’autre part, il leur permet de financer leurs études universitaires, et de préparer un concours de l’enseignement. Depuis plusieurs années, l’État modifie et réduit l’intensité de ce type de politique. On peut se demander quel sera l’impact de ces modifications sur le processus de mobilité sociale et d’intégration constaté ici.
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Table des matières
INTRODUCTION
Première partie : Revue de la littérature empirique et théorique
Chapitre 1 : Devenir professeur des écoles : modalités d’accès au groupe professionnel des enseignants pour les jeunes issus des immigrations
1.1. L’accès au professorat des écoles en France
1.2. Les modalités d’accès au groupe professionnel des enseignants pour les jeunes issus des immigrations : la recherche de Charles et Legendre (2006)
1.2.1. Les déterminants sociaux d’une mobilité improbable
1.3. Les représentations à l’égard du métier de professeur des écoles chez les futurs enseignants issus de l’immigration maghrébine : la recherche de Jean-Loui
1.3.1. Motivation à exercer le métier de professeur des écoles
1.3.2. Typologie des futurs professeurs des écoles issus des immigrations maghrébines
1.4. L’accès au métier d’enseignant pour les jeunes issus des immigrations : une approche différenciée entre la France et la Grande-Bretagne
Chapitre 2 : Les jeunes issus des immigrations et de milieux populaires en réussite scolaire : le rôle des dynamiques identitaires, familiales et des contextes de scolarisation
2.1. Profils éducatifs familiaux (types de familles, styles éducatifs, pratiques éducatives)
2.1.1. Les typologies de modèles familiaux et de styles éducatifs
2.1.2. La prise en compte des particularités culturelles
2.2. L’accompagnement familial à la scolarité des jeunes
2.2.1. Les pratiques parentales d’accompagnement à la scolarité
2.2.2. Socialisation familiale et réussite scolaire des jeunes de milieux populaires : les approches centrées sur la signification des pratiques
2.2.2.1. L’approche en termes de mobilisation ou de surinvestissement familial
2.2.2.2. Le rapport au savoir et à l’école des jeunes des familles populaires : l’approche socioconstructiviste de Charlot, Bautier et Rochex (1992)
2.2.2.3. Vers une approche systémique des réussites atypiques en milieux populaires
2.3. Influence des caractéristiques du contexte de scolarisation sur l’expérience scolaire
2.3.1. L’impact de la composition sociale du contexte de scolarisation sur les résultats des élèves
2.3.2. Tonalité sociale des établissements, représentations et pratiques des enseignants
2.3.3. L’impact de la composition sociale du contexte de scolarisation sur les interactions entre pairs et les projets d’avenir des jeunes
2.3.4. L’enquête de Duru-Bellat, Danner, Landrier et Piquée (2004)
2.4. La dimension ethnique de l’expérience scolaire
2.4.1. Un constat global et des approches globalisantes
2.4.2. Dynamiques familiales et scolaires et dimension ethnique
2.4.2.1. La mobilisation des familles immigrées sur le projet scolaire des jeunes
2.4.3. L’approche par les (inter)actions scolaires : les effets de la variable ethnique
2.4.3.1. Les représentations, les stéréotypes et la connivence avec le public
2.4.3.2. Dynamique scolaire, ethnicité et effets sur l’identité des jeunes
2.4.3.3. Stratégies identitaires et valorisation de soi : perspective socioconstructiviste
2.4.3.4. La discrimination mobilisée comme une ressource pour la construction identitaire : effet différentiel de « l’origine » dans le rapport à l’école et au t
Chapitre 3 : Intentions d’avenir et construction du parcours professionnel : théories et travaux de recherche en psychologie de l’orientation
3.1. Approches du développement des préférences et projets professionnels
3.1.1. La formation des intentions d’avenir, un processus développemental, cognitif et contextuel
3.1.2. La théorie psychosociale de l’identité d’Erikson : une conception dialectique et dynamique
3.1.3. Les stades et les tâches développementales de la carrière, les rôles de la vie
3.1.4. Une carte cognitive universelle des professions, la circonscription et le compromis
3.1.5. Le modèle de l’émergence des préférences professionnelles de Huteau
3.2. Approches du développement de carrière
3.2.1. L’approche contextuelle développementale du développement de carrière de Vondracek, Lerner et Schlulenberg (1986)
3.2.2. Le modèle dit du Système des Activités (Curie et Hajjar, 1987; Curie et Dupuy, 1994; Baubion-Broye et Hajjar, 1998)
3.2.3. Modèle « Se faire soi » de Jean Guichard (2000, 2001, 2004, 2005, 2008)
3.3. Les parcours professionnels des minorités raciales et ethniques
3.3.1. Les insuffisances des théories du développement de carrière pour une application dans une perspective multiculturelle
3.3.2. Quelques outils conceptuels utilisés dans la recherche sur les parcours professionnels et la construction identitaire des minorités ethnico-raciales
3.3.2.1. Le regard de la psychologie interculturelle
3.3.2.2. Conflits et négociations identitaires du self dialogique
3.3.2.3. L’identité culturelle des jeunes issus des immigrations
3.3.3. L’influence de la race et de l’ethnicité sur le développement de carrière : quelques données empiriques
3.4. Le rôle des relations interpersonnelles dans le développement de carrière : données empiriques en psychologie de l’orientation
Deuxième partie : Aspects méthodologiques et Résultats de la recherche
Chapitre 4 : Aspects méthodologiques de la recherche
4.1. Problématique et hypothèses
4.2. Dispositif de recherche
4.2.1. Le choix d’une méthodologie qualitative : l’entretien de recherche
4.2.2. Statut épistémologique de la production discursive
4.2.3. De la pratique de l’entretien à l’analyse de contenu
4.2.4. Présentation générale de la population d’enquête
Chapitre 5 : Parcours et représentations du métier de jeunes professeurs des écoles en Aquitaine : les résultats de l’enquête
5.1. Les caractéristiques des professeurs des écoles de la population d’enquête
5.1.1. Les professeurs des écoles d’« origine française »
5.1.2. Les professeurs des écoles issus des immigrations
5.2. Les représentations professionnelles des professeurs des écoles de l’enquête
5.2.1. Professeur des écoles : un métier relationnel
5.2.2. Place accordée à la profession dans la vie des enseignants
5.2.3. Identité professionnelle de professeur des écoles : deux grandes tendances
Chapitre 6 : Construction des identités professionnelles des professeurs des écoles issus des immigrations
6.1. Résultats de l’analyse de contenu des entretiens des professeurs des écoles issus des immigrations : la construction des identités professionnelles
6.1.1. Domaine : rôle de la famille
6.1.2. Domaine : rôle d’autres autrui significatifs
6.1.3. Domaine : rôle des conditions socioculturelles
6.1.4. Domaine : rôle du Soi
6.1.5. Quelques comparaisons entre les deux groupes d’enseignants
6.2. Présentations de cas
6.2.1. Le cas de Mounia (cf. annexe p. 1-24)
6.2.2. Le cas de Meriem (cf. annexe p. 25-38)
CONCLUSION
Références bibliographiques
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