GIOVANNI ROSSI ET SES PREMIERS PROJETS DE VIE COMMUNAUTAIRE EN ITALIE
Les premiers pas du militant
Giovanni Rossi, fils d’un avocat pisan, est né le 11 janvier 1856. Il poursuit ses études à Pise et à Pérouse et obtient le diplôme de médecin-chirurgien vétérinaire en 1875 . La même année, il exerce à Montescudaio, entre Cecina et Volterra, où sa famille possède des biens. Dans cette commune de 1800 habitants où « les idées collectivistes sont par la grande majorité des gens connues et acceptées », il crée en 1877 un parti socialiste, section de l’Internationale , dont il est membre depuis 1873. À partir d’avril 1877, après les événements du Matese, Rossi, comme tout internationaliste, est surveillé par la police italienne . Il collabore « activement à tous les journaux anarchistes de la province de Pise ». Dans le journal Il Lavoro, il écrit un article sur le collectivisme , où il reprend à son compte les positions de Bakounine. Cet article de Rossi reflète la tendance bakouniniste de l’anarchisme italien dans les années 70. En effet, Bakounine se déclarait collectiviste et s’opposait au communisme autoritaire de la tendance marxiste de la Première Internationale. Au congrès de Berne en 1868, il s’exprimait en ces termes : Je déteste le communisme, parce qu’il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d’humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l’État, parce qu’il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l’État, tandis que moi je veux l’abolition de l’État – l’extirpation radicale de ce principe de l’autorité et de la tutelle de l’État, qui, sous le prétexte de moraliser et de civiliser les hommes, les a jusqu’à ce jour asservis, opprimés, exploités et dépravés. Je veux l’organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voulant l’abolition de l’État, je veux l’abolition de la propriété individuelle héréditaire, qui n’est qu’une institution de l’État, une conséquence même du principe de l’État. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste .
Dans la communauté socialiste imaginaire que Rossi décrit dans son premier roman, Un comune socialista, c’est un système collectiviste anarchiste qui est appliqué.
Un comune socialista
Le premier manuscrit de cet ouvrage date de 1875 . Le roman est publié une première fois à Milan en 1878 par le journal socialiste d’Enrico Bignami, La Plebe . Dans l’introduction, Rossi, qui écrit sous le pseudonyme de Cardias, s’adresse aux bourgeois pour leur expliquer ce qu’est le socialisme. Sa définition tient en quelques énoncés : « anarchie dans les relations sociales ; amour et rien d’autre qu’amour dans la famille ; propriété collective des capitaux ; distribution gratuite des produits dans l’organisation économique ; négation de Dieu dans la religion . » Il raconte ensuite la rencontre de Cardias (c’est aussi le nom d’un des personnages du roman), dans un lieu imaginaire de la côte tyrrhénienne appelé Poggio al Mare, avec le personnage de Cecilia, qui est à l’origine du nom de la colonie qui verra le jour au Brésil en 1890. Cecilia, que Cardias finira par épouser, est la sœur d’Alessandro De Bardi, riche propriétaire ami de Cardias, dont les terres sont cultivées par des paysans vivant à l’état de misère. Avec l’aide de la jeune fille, qui a les mêmes idéaux socialistes que lui, et avec l’accord du frère propriétaire, Cardias prend la décision de réorganiser la propriété selon les principes du socialisme.
Dans la deuxième partie, Cardias raconte les premiers pas de la communauté vers le socialisme, les difficultés rencontrées, et décrit l’organisation sur les bases du collectivisme anarchiste : tous les biens de production sont mis en commun, mais chacun bénéficie individuellement du fruit de son travail. Dix ans après le début de l’expérience, un ami de Cardias visite Poggio al Mare. À travers ce nouveau personnage, c’est le lecteur que Rossi veut convaincre de l’efficacité du système collectiviste anarchiste qui s’est instauré dans sa commune imaginaire. En effet, tout est performance. Les résultats formidables de l’agriculture et de l’élevage sont dus à l’organisation rationnelle du travail, à l’utilisation scientifique des meilleurs produits, et des plus modernes, à la joie dans laquelle s’effectue tout travail :
– Dans cette salle j’entends chanter allègrement, qu’est-ce que c’est ? [demande le visiteur]
– C’est l’Association des laitières qui travaille .
Les crémières sont heureuses, tout le monde est vêtu simplement et élégamment, le visiteur trouve les ouvriers « bons, bien élevés, intelligents ». L’un de ces ouvriers, inspiré par la locomotive du train qui les conduit de leur lieu de travail à Poggio al Mare, déclame, « avec sentiment, ce dont, à première vue, on ne l’aurait pas cru capable », quelques vers de Carducci. Cecilia apporte une touche féminine, tendre et délicate à l’ensemble. On n’imagine pas cadre plus idyllique.
Lo Sperimentale
Rossi fait paraître cinq numéros de Lo Sperimentale, sans périodicité régulière . Comme son nom l’indique, Lo Sperimentale est entièrement consacré à la propagande en faveur des colonies socialistes expérimentales. Giovanni Rossi trouve insuffisante l’hospitalité que lui réservent les périodiques anarchistes et socialistes car la nouvelle voie qu’il propose de suivre dans la lutte sociale, la voix qu’il veut faire entendre n’y ont pas droit de cité :
Il nous a semblé que dans la presse socialiste il y avait une place vacante ; et il nous a semblé également que nous étions capables de l’occuper. C’est la raison pour laquelle nous publions Lo Sperimentale .
Cette place vide, Rossi veut l’utiliser pour convaincre ceux qui pensent que la société future devrait être organisée sur les bases de la « propriété et de la liberté pour tous» (le communisme anarchiste selon une formule de Rossi) mais qui sont persuadés qu’il s’agit d’un rêve impossible à réaliser. Pour les convaincre qu’on peut mettre ce rêve en pratique, Rossi veut donner non plus des idées mais des faits :
Et puisque le parti et la presse socialistes présentent peu de faits démontrant la possibilité de réaliser rapidement nos séduisantes théories, voilà la place vacante que nous nous proposons d’occuper .
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Table des matières
Introduction
PREMIÈRE PARTIE LA PREMIÈRE MANIFESTATION DE L’ANARCHISME ITALIEN AU BRÉSIL : LA COLONIE CECILIA 1890-1894
CHAPITRE I.1 GIOVANNI ROSSI ET SES PREMIERS PROJETS DE VIE COMMUNAUTAIRE EN ITALIE
I.1.1 Les premiers pas du militant
I.1.2 Un comune socialista
I.1.3 Premières polémiques
I.1.4 Lo Sperimentale
I.1.5 Cittadella
CHAPITRE I.2 LA CECILIA
I.2.1 Où Giovanni Rossi réussira-t-il à implanter sa colonie ?
I.2.2 Avril 1890-décembre 1890
I.2.3 Le voyage de Rossi en Italie, nouvelles polémiques
I.2.4 La place de Giovanni Rossi dans le socialisme italien
I.2.5 Un comune socialista, cinquième édition
I.2.6 Janvier 1891-juin 1891
I.2.7 Juin 1891-octobre 1891
I.2.8 Novembre 1891-octobre 1892
I.2.9 Novembre 1892-mai 1893
I.2.10 Un épisode d’amour à la colonie Cecilia
I.2.11 L’épisode de la « Révolution Fédéraliste »
I.2.12 Avril 1894 : la fin de la Cecilia
CHAPITRE I.3 BILAN
I.3.1 Bilan scientifique
I.3.2 Bilan politique
I.3.3 Bilan financier
I.3.4 La Cecilia et ses effets sur l’idéologie de Giovanni Rossi
I.3.5 Il Paraná nel secolo XX
I.3.6 Les dernières années de Rossi au Brésil. Le retour en Italie
I.3.7 Cecilia et l’empereur ou comment en finir avec les légendes
I.3.8 La Cecilia et ses rapports avec le mouvement ouvrier brésilien
I.3.9 La Cecilia, une anecdote de la grande émigration
DEUXIÈME PARTIE UN NOYAU ANARCHISTE S’INSTALLE A SÃO PAULO 1890-1903
CHAPITRE II.1 SOUS LE SIGNE DE LA RÉPRESSION
II.1.1 Primo Maggio 1892
II.1.2 Gli Schiavi Bianchi
II.1.3 L’arrestation de Galileo Botti
II.1.4 Les revers de la répression : l’épisode des expulsés de São Paulo mars 1893
II.1.5 L’Asino Umano
II.1.6 L’arrestation d’avril 1894 et le rôle des autorités italiennes
II.1.7 Nouveau journal, nouvelles arrestations
II.1.8 L’Operaio
II.1.9 La Birichina
CHAPITRE II.2 NOUVEAU DÉPART
II.2.1 Il Risveglio marque la reprise du mouvement après la répression
II.2.2 Premières dissensions sur la question de l’organisation
II.2.3 XX settembre 1898 : heurts entre les anarchistes et la colonie italienne
II.2.4 Le 1er mai 1899
II.2.5 Après Il Risveglio
II.2.6 L’arrestation de Gigi Damiani
II.2.7 La Canaglia
CHAPITRE II.3 DES ANARCHISTES ITALIENS PLUS INTERNATIONALISTES QUE JAMAIS
II.3.1 Palestra Social
II.3.2 La grève des verriers français, la question de l’organisation et les démêlés avec les socialistes
II.3.3 La Terza Roma
II.3.4 Les retombées de l’affaire Gaetano Bresci au Brésil / Un anniversario Rivendicazione
II.3.5 Le complot de 1902
II.3.6 L’affaire Augusto Donati / La Gogna
II.3.7 Germinal et O Amigo do Povo
II.3.8 Organisateurs contre antiorganisateurs
II.3.9 Les numéros uniques de l’année 1903
TROISIÈME PARTIE LA BATTAGLIA UN RECORD DE LONGÉVITÉ POUR L’ANARCHISME ITALIEN À SÃO PAULO 1904-1913
CHAPITRE III.1 LE CONTACT SE CRÉE AVEC LES ITALIENS DE L’INTÉRIEUR DE L’ÉTAT DE SÃO PAULO
III.1.1 Présentation de La Battaglia et de son fondateur
III.1.2 Les autres rédacteurs de La Battaglia
III.1.3 Les tournées de propagande et le succès de La Battaglia dans l’État de São Paulo
III.1.4 Dénonciation des conditions de travail dans les fazendas
III.1.5 La campagne contre l’immigration
CHAPITRE III.2 L’ORGANISATION
III.2.1 Le Congrès Ouvrier de Rio d’avril 1906
III.2.2 Les grèves de 1906
III.2.3 Il Libertario
III.2.4 Interrogatoires de Ristori, Cerchiai et Sorelli
III.2.5 La grève de mai 1907
III.2.6 Les grèves de 1911 et 1912
III.2.7 L’autre forme d’organisation : les cercles anarchistes
III.2.8 Les autres moyens de propagande
CHAPITRE III.3 LES AUTRES THÈMES DE CAMPAGNE. LA FIN DE LA BATTAGLIA
III.3.1 L’Idalina
III.3.2 La guerre de Libye
III.3.3 La Barricata
III.3.4 La grève des fazendas
III.3.5 La Barricata/Germinal !
III.3.6 La langue dans les journaux
QUATRIÈME PARTIE LES ANARCHISTES ITALIENS DE SÃO PAULO FACE À LA CRISE MONDIALE 1913-1920
CHAPITRE IV.1 UNE NOUVELLE PAGE DANS L’HISTOIRE DE L’ANARCHISME AU BRÉSIL
IV.1.1 La Propaganda Libertaria
IV.1.2 Guerra sociale Le journal et la guerre capitaliste
IV.1.3 Guerra Sociale et la question de l’organisation
IV.1.4 La création de l’Alliance anarchiste
IV.1.5 L’apathie politique des émigrés
CHAPITRE IV.2 LA GRÈVE DE 1917 UNE CONSÉQUENCE
DE LA GUERRE EUROPÉENNE
IV.2.1 Les prémices de la guerre sociale
IV.2.2 La grève de juillet
IV.2.3 Après la grève
IV.2.4 La femme et les anarchistes italiens de São Paulo
CHAPITRE IV.3 LA FIN D’UNE ÉPOQUE
IV.3.1 Les journaux anarchistes italiens et la réalité brésilienne
IV.3.2 Le problème du financement des journaux
IV.3.4 La fin d’une époque
IV.3.5 A Plebe quotidien
IV.3.6 Les événements d’octobre 1919
IV.3.7 Les expulsions de 1919
IV.3.8 Après 1920
Conclusion
Bibliothèques, archives et centres de documentation où s’est effectuée la recherche
Sources
Bibliographie
Table des illustrations
Index des noms de personnes
Annexes
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