Faire apprendre les élèves, c’est évidemment avant tout savoir quoi faire apprendre et cibler ce qui est essentiel pour les élèves d’intégrer et de connaître à un instant T. Ceci en fonction de leurs ressources, caractéristiques et besoins afin de transformer efficacement leurs pratiques corporelles. C’est également savoir comment rendre accessible ces savoirs en opérant une transposition didactique de ces derniers. Enfin, c’est aussi inévitablement favoriser l’engagement des élèves dans ces apprentissages. En effet, l’enseignant ne peut apprendre à la place de l’élève, l’apprentissage se réalise en action, en faisant. Autrement dit cela revient à confirmer qu’« Apprendre, c’est investir [ou faire en sorte d’investir] du désir dans un objet de savoir » (Meirieu, 1998). L’enseignant, du fait de ses interventions auprès des élèves joue inévitablement un rôle en tant qu’adulte responsable, en tant qu’enseignant, dans le « déclenchement », la « direction », l’« intensité » et la « persistance » de cet engagement (Vallerand & Thill, 1993). Visioli & Ria (2010) confirment ceci : « Il existe un « effet enseignant », ou autrement dit, au moins dans une certaine mesure, l’enseignant fait la différence » (Crahay & Lafontaine, 1994, repris par Visioli & Ria, 2010, p. 3). Plus précisément, c’est l’engagement des filles et l’engagement des garçons en contexte mixte qui nous intéressent : au regard des écarts de notes existant encore entre les garçons et les filles au baccalauréat d’Education Physique et Sportive (EPS), il semble que tous les élèves n’ont pas le même niveau d’engagement dans les apprentissages et/ou le même accès à ces derniers.
Positionnement du problème
La mixité est encore un sujet sensible aujourd’hui à l’école, elle peine à être bénéfique dans les classes regroupant des élèves de même âge. Elle semble constituer un frein aux ambitions inclusives des derniers programmes pour le collège (BO n°11 du 26/11/2015) et pour le lycée (BO n°1 du 22/01/2019). Autrement dit, elle entraîne de nombreuses dérives, c’est-à-dire qu’elle semble entrainer le désengagement de certains élèves, du fait de leur sexe ou de leur genre, d’une inadéquation entre les valeurs possédées par certains élèves et les valeurs transmises. Si aujourd’hui, nous pouvons estimer que l’étape de la prise de conscience est dépassée, nous sommes actuellement dans la recherche des solutions concrètes permettant de faire vivre les mêmes expériences aux garçons et aux filles, c’est-à-dire de favoriser un engagement en commun et aussi riche pour les filles et les garçons ensemble.
Les stéréotypes de genre et de sexe à l’école en EPS : les filles désavantagées par un curriculum masculiniste dominant et inaccessible ?
« Chaque individu naît mâle ou femelle mais devient fille ou garçon par le biais de processus socioculturels » (Verscheure et al., 2014, p. 136). Derrière ces processus socioculturels se cachent des mécanismes de socialisation, c’est-à-dire d’intériorisation de valeurs, de normes, de représentations, de façons de faire, de rôles, etc. qui sont attachés à un sexe particulier et à un genre particulier. En effet, les corps des adolescents que nous retrouvons en EPS ont été modelés par différentes sphères de socialisation et donc par différents stéréotypes, et ce depuis l’enfance (Vigneron, 2006). Nous pouvons distinguer différentes sphères de socialisation : la sphère familiale, la sphère associative, la sphère scolaire, les réseaux sociaux, les relations amicales, amoureuses, etc. Vigneron (2006) a ajouté que les socialisations genrées sont également à distinguer selon une variable sociale : « Chaque groupe se distingue par des usages particuliers, eux mêmes spécifiques à chacun des sexes » (Vigneron, 2006, p. 113). L’impact et les conséquences de ces socialisations ne sont donc pas à ignorer quand il s’agit d’intervenir auprès d’élèves filles et garçons en EPS.
Nous n’avons pas la prétention de faire ici la genèse de ces stéréotypes transmis et intériorisés par les individus au sein de ces sphères de socialisation, mais nous voulons les identifier car ils existent bel et bien, et négliger leur présence serait contre-productif. Cette caractérisation des traits féminins et masculins est caricaturale mais ce sont des tendances qui se manifestent couramment dans le quotidien et qui reviennent constamment dans les différentes publications scientifiques et professionnelles sur le sujet. Recherche de vitesse, acceptation du risque, mentalité de vainqueur, manque d’empathie pour les garçons, recherche de sociabilité et de coopération pour les filles (Bréau, Lentillon-Kaestner & Hauw, 2017) ; espace intime et activités d’intérieurs pour les filles, exploration de l’espace et activités démiurgiques pour les garçons (Beaudelot & Establet, 2006) ; puissance pour les garçons, précision pour les filles en volleyball (Verscheure et al., 2014) ; sollicitation de l’engagement des garçons et ménagement des filles (Vigneron, 2006). Bien entendu, ces portraits sexuels sont à nuancer : « Les femmes et les hommes peuvent être plus ou moins en accord avec les attributs, les valeurs, les normes, les stéréotypes attachés à leur propre sexe » (Couchot Schiex, 2007, p. 152). En d’autres termes, chacun se construit une identité de genre : « L’identité de genre permet d’aller au-delà des contraintes sociales et d’accéder à une composition personnelle des attributs de féminité et de masculinité sans être enfermé dans des normes » (Hurtig & Pichevin, 1986, repris par CouchotSchiex, 2007, p. 152). En définitive, à l’adolescence, moment où les stéréotypes sont très prégnants (Verscheure et al., 2014), il s’érige des modèles de corps normés féminins et masculins qui vont pleinement imprégner les représentations des élèves, et s’exprimer en EPS, discipline où le corps est mis en jeu concrètement. Ces modèles sont connus et/ou imprègnent également les pensées et représentations des enseignants : ce qui joue potentiellement une influence sur leur attitude face aux élèves, garçons et filles.
Ainsi, nous retrouvons ces stéréotypes genrés à l’école, notamment et particulièrement en EPS. Bréau et Lentillon-Kaestner (2017) sont même allés jusqu’à dire que « l’EPS est souvent considérée comme une arène pour la production du genre, un lieu de construction des différences et des inégalités entre les sexes » (Bramham, 2003, repris par Bréau & LentillonKaestner, 2017, p. 5). En effet, les stéréotypes, intériorisés et faisant partie de chacun de nous, s’expriment inconsciemment dans les diverses situations que nous traversons. Plus généralement, la profession des enseignants d’EPS est confrontée à la présence de nombreux stéréotypes au point où certains auteurs en arrivent à la conclusion suivante : ils ont noté la présence d’un curriculum caché qui prend la forme d’un « sexisme caché » (Bréau et al., 2017) en défaveur des filles. Ce curriculum caché se dévoile quand on s’intéresse aux supports d’enseignement choisis : ce sont des activités sportives déjà largement connotées masculines pour la plupart d’entre elles (cf. Annexe n°10), et aux modalités de pratique dans ces APSA : nous nous rendons compte qu’une « hyper-masculinité » est à l’œuvre (Bréau & Lentillon-Kaestner, 2017).
L’influence des interventions de l’enseignant sur le comportement des élèves et leur engagement dans une activité d’apprentissage
Si l’école et l’EPS peuvent être considérées comme « une arène pour la production du genre, un lieu de construction des différences et des inégalités entre les sexes » (Bramham, 2003, repris par Bréau & Lentillon-Kaestner, 2017, p. 5), il s’agit également d’un environnement au sein duquel agit l’enseignant, un adulte responsable en charge de l’éducation de chacun des élèves (postulat d’éducabilité). Pour envisager cette éducation qui vise à former les élèves, il faut pour l’enseignant prévoir ce que les élèves vont apprendre et comment ils vont l’apprendre, c’est-à-dire planifier le « Quoi enseigner » (Boizumault & Cogérino, 2012, b, p. 76). Mais il faut aussi, comme l’ont souligné Boizumault & Cogérino (2012, b, p. 76), que le « Comment enseigner » fasse « l’objet d’une réflexion ». Les auteures ont effectivement rapporté que « Les attentes des élèves ne sont pas liées systématiquement au savoir à acquérir mais aussi au besoin d’exister, d’augmenter son estime de soi, de se faire plaisir, (…) La communication interpersonnelle doit donc être abordée sous l’angle relationnel et interactionnel » (2012, b, p. 76), et non pas seulement sous l’angle de la transmission de savoirs ou de contenus d’enseignement. En d’autres termes, l’enseignant, étant donné sa présence devant, aux côtés et proche des élèves, tisse inévitablement des relations avec ces derniers, et la nature ainsi que la dynamique de ces relations influencent leur comportement et leur engagement dans les activités d’apprentissages proposées. Il n’y a qu’à constater par exemple les résultats de recherche obtenus et rapportés par Petiot & Saury (2020 ; 2021). D’une part, l’enseignant, à travers différents usages du temps, parvient à stimuler l’engagement des élèves en les pressant afin de limiter les pertes de temps et en dynamisant leur activité (Petiot & Saury, 2021). D’autre part, l’enseignant, en utilisant des métaphores dans ses discours, parvient également à faciliter l’engagement des élèves dans les activités d’apprentissage proposées en rendant plus accessible la signification et la fonctionnalité de ces apprentissages (Petiot & Saury, 2020). Ces deux résultats, très concrets, corroborent donc l’idée selon laquelle l’enseignant peut avoir, à travers ses interventions, une influence sur l’engagement des élèves dans une activité d’apprentissage. Ce qui fait de ces interventions, comme l’ont confirmé Cibelli & Renevey (2017, p. 27), un véritable « outil important que le professeur dispose pour influencer l’engagement et la participation des élèves ».
Ces interventions sont également d’une importance capitale car, pour rappel, l’enseignant ne peut apprendre à la place des élèves : « Enseigner est une activité qui vise à susciter une autre activité » (Reboul, 1990). Barriere-Boizumault & Cogérino ont même relaté un commentaire assez significatif de ce constat de la part d’un enseignant lors d’entretiens : « Les élèves sont le reflet du prof, un prof bruyant, amène des élèves bruyants » (Barriere-Boizumault & Cogérino, 2012, a, p. 8). En résumé, et pour entériner le fait que les interventions de l’enseignant ont inévitablement un impact sur l’engagement des élèves dans une activité d’apprentissage, nous voulons rapporter les propos de Meyre (2013) relatant lui même la réflexion de Rolland Viau (2002) : « les enseignants doivent continuer à se préoccuper de la motivation de leurs élèves car ils sont de plus en plus les seuls modèles que les enfants et les adolescents peuvent observer en train d’apprendre et d’aimer l’apprentissage » (Meyre, 2013, p. 79).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Positionnement du problème
1.2 Définitions de quelques concepts clefs
1.3 Motifs et intérêts de la recherche menée
1.4 Revue de littérature
1.4.1 Les stéréotypes de genre et de sexe à l’école en EPS : les filles désavantagées par un curriculum masculiniste dominant et inaccessible ?
1.4.2 L’influence des interventions de l’enseignant sur le comportement des élèves et leur engagement dans une activité d’apprentissage
1.4.3 Des interventions diverses et variées de l’enseignant
1.4.4 Des enseignants tous différents
1.4.5 Des principes efficaces pour engager les élèves dans une activité d’apprentissage
1.4.6 Les enseignants et les élèves jouent un rôle non négligeable dans la reproduction des stéréotypes
1.4.7 Autres considérations : deux idées hostiles ?
1.4.8 Vers des interventions expertes prenant en compte le contexte et les émotions pour engager les filles et les garçons
2 Cadre théorique & objet de la recherche
2.1 Une étude menée dans la perspective du courant de recherche de l’action située : cours d’action et cours d’expérience
2.1.1 Quatre présupposés fondamentaux définissant l’approche de l’action située
2.1.2 Le cours d’action et le cours d’expérience pour mener l’investigation
2.2 Objet de la recherche
3 Méthode
3.1 Terrain d’étude : participants et contextes d’enseignement
3.2 Observatoire de l’activité mis en œuvre
3.2.1 Outils de recueil des matériaux de recherche utilisés
3.2.2 Procédures de recueil des matériaux de recherche utilisées
3.3 Traitement des données et procédures d’analyse
3.3.1 Caractérisation d’un point de vue en 3ème personne
3.3.2 Caractérisation d’un point de vue en 1ère personne
3.3.3 Confrontation des points de vue en 3ème personne et 1ère personne
4 Résultats
4.1 Remarques générales préalables
4.2 L’enseignante n°1 : Julia
4.2.1 Caractérisation des interventions de l’enseignante en 3ème personne
4.2.1.1 Caractérisation générale des interventions
4.2.1.2 Caractérisation des interventions adressées distinctement aux filles et aux garçons
4.2.1.3 Estimation de l’influence de ces interventions produites par l’enseignante Julia sur l’engagement des filles et des garçons
4.2.2 Caractérisation des interventions de l’enseignante en 1ère personne
4.2.2.1 Modes d’intervention de l’enseignante pour engager l’ensemble des élèves
4.2.2.2 Place et considération des filles et des garçons dans les modes d’intervention de l’enseignante visant à engager ces derniers
4.2.3 Synthèse : résumé des points de vue en 3ème et 1ère personnes et comparaison de ces points de vue
4.3 L’enseignant n°2 : Alexandre
4.3.1 Caractérisation des interventions de l’enseignant en 3ème personne
4.3.1.1 Caractérisation générale des interventions
4.3.1.2 Caractérisation des interventions adressées distinctement aux filles et aux garçons
4.3.1.3 Estimation de l’influence de ces interventions produites par l’enseignant Alexandre sur l’engagement des filles et des garçons
4.3.2 Caractérisation des interventions de l’enseignant en 1ère personne
4.3.2.1 Modes d’intervention de l’enseignant pour engager l’ensemble des élèves
4.3.2.2 Place et considération des filles et des garçons dans les modes d’intervention de l’enseignant visant à engager ces derniers
4.3.3 Synthèse : résumé des points de vue en 3ème et 1ère personnes et comparaison de ces points de vue
4.4 Synthèse générale des résultats
5 Discussion
5.1 Apports théoriques des résultats identifiés
5.1.1 Informer les élèves : un type d’intervention majoritaire favorisant indirectement l’engagement des filles et des garçons
5.1.2 Positiver et améliorer la confiance en soi des élèves : une clef pour assurer un engagement commun des filles et des garçons ?
5.1.3 Être empathique et exigeant : deux conditions qui peuvent cohabiter ?
5.1.4 Identité de l’enseignant, émotions et contexte d’enseignement : est-ce que tous les enseignants sont disposés à intervenir pour favoriser un engagement des filles et des garçons de même qualité ?
5.1.5 Conscient et spectateur des représentations et stéréotypes sexués dans les comportements et propos des élèves : que peut véritablement faire l’enseignant à travers ses interventions ?
5.2 Limites de la recherche menée & perspectives
5.3 Apports personnels de la recherche
6 Conclusion