Les interprétations traditionnelles du chômage

Les interprétations traditionnelles du chômage

L’accroissement du nombre d’individus sans activité et la persistance de la pauvreté durant la révolution industrielle ont fait apparaitre les ébauches explicatives du chômage. Le débat sur la nature du chômage oppose traditionnellement deux approches : la première considère que les contraintes d’offre (rigidité du salaire réel, rentabilité du capital insuffisante) sont à l’origine du chômage, et la seconde estime que le chômage résulterait plutôt d’une insuffisance de la demande. Il est ici proposé une présentation succincte des premières tentatives d’explication du phénomène.

Les classiques et l’impossibilité de chômage

De position globalement libérale , les classiques estiment que les mécanismes et interactions économiques obéissent à un processus naturel de régulation des marchés dans lequel l’offre et la demande jouent le rôle de régulateurs de prix. Pour les classiques le fondement de la valeur est le travail puisqu’il contribue à l’enrichissement de la nation. Sa rémunération s’établit à un niveau naturel minimum qui assure la subsistance à l’ouvrier et à sa famille. Smith (1776, 64) précise qu’« il faut de toute nécessité qu’un homme vive de son travail, et que ce salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances ; autrement, il serait impossible de travailler et d’élever une famille ». Les économistes classiques n’excluent toutefois pas la possibilité de fluctuation du prix du travail (le salaire) par le rapport de l’offre et de la demande mais il ne peut exister de surnombre de main-d’œuvre dans un système qui obéit à un mécanisme de régulation naturelle de l’activité économique. Le marché du travail est ainsi parfait et rationnel ; il se réajuste de lui-même. L’approche malthusienne du chômage considère quant à elle que la régulation du marché du travail s’effectue par l’élimination physique des travailleurs les plus pauvres (Malthus, 1820, cité dans Arhab, 2010). Dans le même cadre de réflexion libérale, Say (1803) développe la loi des débouchés selon laquelle « l’offre crée sa propre demande » et non l’inverse. La demande s’ajuste à l’offre et la possibilité d’un déséquilibre provoqué par une insuffisance de la demande ne peut se concevoir dans la mesure où l’offre d’un produit assure un débouché à d’autres produits. Ce postulat sera le fondement de l’analyse néo-classique.

Marx et l’armée industrielle de réserve 

Tout comme les classiques, Marx considère le travail comme essence de la valeur, celle-ci se détermine par le temps de travail socialement nécessaire à sa reproduction (Marx, 1847 ; 1867). Le travail est selon l’auteur le principal élément de croissance des capitalistes industriels. Son raisonnement récuse toutefois l’idée du salaire naturel développée par les classiques et fait remarquer que la rémunération de la force de travail est dictée par une logique de maximisation du profit à travers des forces productives. Le prix du travail est réduit par la classe dominante (la bourgeoisie) à un niveau minimum qui permettra au dominé (l’ouvrier) et à sa famille d’assurer sa stricte subsistance, ce qui conduit à la dégradation des conditions de travail des prolétaires et au développement de la précarité. Tout au long de ce processus d’accumulation de capital s’entretient une vile exploitation du prolétaire par l’extorsion d’une partie de son travail, soit la plus-value (i.e. la différence entre la valeur d’usage de la force de travail et sa valeur d’échange) que celui-ci crée. Le rapport entre la part non rémunérée (surtravail) et celle qui l’est (force de travail) mesure le degré d’exploitation. Le syllogisme marxien du prolétariat à travers cette notion d’exploitation se distingue de la pensée classique bien qu’il y soit souvent associé. Le postulat marxien soutient que la baisse du salaire au minimum vital admis par les économistes classiques n’évite guère l’apparition du chômage ; il affirme l’existence d’un excédent de main-d’œuvre par rapport aux besoins des capitalises, nommé surpopulation relative ou armée industrielle de réserve qui, lorsque les affaires sont prospères, sont enrôlés immédiatement dans l’armée active (Marx, 1867, 154). Le chômage serait ainsi un phénomène qui disparaitrait avec la fin du capitalisme puisqu’il ne représente que la conséquence de l’accumulation de capital et du progrès industriel : « accumulation du capital signifie donc accroissement du prolétariat » (Marx, 1867, 141).

Les néoclassiques et la théorie du chômage volontaire

La valeur d’un produit dans l’approche néoclassique réside dans sa valeur d’usage plutôt que sa valeur d’échange qui prévaut, comme nous l’avons déjà souligné, chez les économistes classiques. L’utilité et la rareté sont ainsi à l’origine des choses. Le travail représente de ce fait un bien comme tout autre bien échangeable (marchandise ou service) sur un marché nommé marché du travail, un lieu fictif de confrontation entre l’offre et la demande de travail qui aboutit à la formation d’un équilibre. Celui-ci repose sur les cinq conditions d’une concurrence pure et parfaite : atomicité, homogénéité, libre accès, transparence et mobilité. Dans le modèle néoclassique, le comportement des agents économiques (offreurs et demandeurs de travail) s’apparente à celui de l’Homo œconomicus , cet individu rationnel est maximisateur effectuant ses choix uniquement sur la base du calcul intéressé. Par conséquent, l’offre de travail émanant des ménages obéit à un arbitrage entre le travail et les loisirs dans le but de maximiser leur satisfaction. Quant à la demande de travail provenant des entreprises, elle est déterminée par les stratégies de maximisation de leurs profits en recherchant la combinaison optimale de facteurs de production (travail et capital). La théorie néo-classique formalise ainsi la loi de l’offre et de la demande (figure 1.2) : l’offre de travail est une fonction croissante du salaire réel alors que la demande de travail est une fonction décroissante du coût réel du travail (salaire).

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Table des matières

Introduction générale
1. Le cadre global de l’économie algérienne
2. Contexte de l’étude : persistance du chômage des jeunes sur fond de crise
3. Problématique et hypothèses de recherche
4. Approche méthodologique
5. Plan de la thèse
Chapitre 1 : Le chômage : des théories aux politiques
Introduction
Section 1 : Le chômage dans les théories du marché du travail
1. Introduction au concept de chômage
1.1. De l’âge du paupérisme à l’invention du chômage
1.2. Du dénombrement des chômeurs à la mesure du chômage
2. Les interprétations traditionnelles du chômage
2.1. Les classiques et l’impossibilité de chômage
2.2. Marx et l’armée industrielle de réserve
2.3. Les néoclassiques et la théorie du chômage volontaire
2.4. Keynes et la première théorie de l’emploi
3. Les interprétations contemporaines du chômage
3.1. Des assouplissements aux dépassements du modèle néoclassique de base
3.1.1. La théorie du job search
3.1.2. La théorie du capital humain
3.1.3. Les modèles de tri
3.2. L’emprunt de l’économie du travail au courant hétérodoxe
3.2.1. Dualisme et segmentation du marché du travail
3.2.2. Négociations et chômage
3.3. Les prolongements du modèle keynésien
3.3.1. Le courant du déséquilibre
3.3.2. Les théories du salaire d’efficience
3.3.3. La théorie des contrats implicites
3.3.4. La théorie insider-outsider et le phénomène d’Hystérèse
3.3.5. Le modèle WS-PS et le chômage d’équilibre
3.4. Les récents apports de l’économie à la compréhension du chômage
3.4.1. Les modèles d’appariement
3.4.2. Les chocs macroéconomiques et les institutions du marché du travail
Section 2 : Les politiques de l’emploi
1. Une construction récente
2. Des politiques variées
2.1. Les politiques de demande de travail
2.1.1. L’allègement du coût de travail
2.1.2. La flexibilisation du marché du travail
2.2. Les politiques d’offre de travail
2.2.1. La restriction des prestations de chômage
2.2.2. L’incitation au retour à l’emploi : la tendance à « l’activation »
2.3. Les politiques mixtes
2.3.1. Les politiques d’appariement
2.3.1.1. L’organisation institutionnelle du marché
2.3.1.2. L’adaptation des qualifications
2.3.2. La « flexicurité » : nouvelle stratégie de réforme du marché du travail
Conclusion
Chapitre 2 : Les jeunes et le chômage : une analyse descriptive
Introduction
Section 1 : Évolution du marché du travail sur la période 2000-2016
1. Caractéristiques du marché du travail algérien
1.1. Une population active en hausse constante
1.2. Une mutation dans la structure de l’emploi
1.3. Une baisse du taux de chômage
2. Insertion des jeunes et inégalités face au chômage
2.1. Les inégalités fondées sur l’âge
2.1.1. Répartition de la population algérienne en fonction de l’âge
2.1.2. Évolution du chômage des jeunes
2.1.3. Durée du chômage et sortie précoce du marché du travail
2.2. Les inégalités fondées sur le niveau de capital humain
2.2.1. Une population jeune de plus en plus scolarisée
2.2.2. Évolution des effectifs inscrits au niveau du SEF
2.2.3. Analyse du chômage des jeunes selon le niveau d’instruction
2.2.4. L’insertion économique des jeunes diplômés
2.3. Les inégalités fondées sur le genre
2.3.1. De faibles taux d’activité féminine
2.3.2. Des taux d’emploi déguisés
2.3.3. Un chômage massif et sélectif dans un contexte de repli général
2.3.4. Des statistiques biaisées
3. Les facteurs déterminants du chômage des jeunes en Algérie
3.1. Les facteurs démographiques
3.2. Les facteurs politico-économiques
3.3. Les facteurs socioculturels
Section 2 : Promotion de l’emploi et lutte contre le chômage des jeunes en Algérie
1. L’action des pouvoirs publics
1.1. Les ébauches d’une politique de l’emploi
1.2. Les dispositifs relevant du Ministère de la Solidarité Nationale et de la Famille
1.2.1. Les dispositifs gérés par l’Agence de Développement Social (ADS)
1.2.2. Les dispositifs gérés par l’Agence Nationale de Gestion du Micro crédit (ANGEM)
1.3. Les dispositifs relevant du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité Sociale
1.3.1. L’Agence Nationale de l’Emploi (ANEM)
1.3.2. L’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ)
1.3.3. La Caisse Nationale d’Assurance Chômage (CNAC)
1.3.4. Les organismes privés de placement agréés par l’État
1.4. Les autres partenaires intégrant la politique de promotion de l’emploi
1.4.1. Les partenaires du secteur bancaire
1.4.2. Les fonds de garantie
1.4.3. L’encouragement à l’investissement
2. Impact de la politique nationale de l’emploi sur l’évolution du marché du travail
2.1. Réalisations des différents dispositifs
2.1.1. Activité d’intermédiation de l’ANEM et les programmes pour l’emploi des jeunes
2.1.2. Création d’emploi dans le cadre du filet social
2.1.3. Aide à la création de micro-entreprises
2.2. L’effet des dispositifs publics sur la dynamique du chômage en Algérie
2.3. Les limites observées à la mise en œuvre et suivi des dispositifs
Conclusion
Chapitre 3 : Chômage des jeunes et participation des femmes au marché du travail
Introduction
1. Présentation et sources des données mobilisées
1.1. L’échantillon de chômeurs
1.1.1. Présentation des enquêtes ménages
1.1.2. Précisions d’ordre méthodologique
1.2. L’échantillon de la wilaya de Tizi-Ouzou
2. Caractéristiques et typologie des jeunes chômeurs
2.1. Caractéristiques descriptives de l’échantillon de chômeurs
2.2. Typologie des demandeurs d’emploi enquêtés
2.2.1. L’Analyse des Correspondances Multiples (ACM)
2.2.2. La Classification Ascendante Hiérarchique (CAH)
2.2.3. Confrontation des typologies des jeunes demandeurs d’emploi et des adultes
3. Les déterminants du chômage des jeunes
3.1. Identification des variables et étapes de réalisation de l’étude
3.2. Résultats et interprétations
3.2.1. L’effet « caractéristiques sociodémographiques »
3.2.2. L’effet « capital humain »
4. De la participation des femmes au marché du travail
4.1. Les théories explicatives des inégalités de genre
4.2. Analyse de la décision de participation des femmes au marché du travail
4.2.1. Choix des variables
4.2.2. Résultats et interprétation
4.3. Discussion
Conclusion générale

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