Les interactions précoces mère/bébé et les précurseurs du langage

Les interactions précoces mère/bébé et les précurseurs du langage

Les premières interactions, chez le fœtus puis le nouveau-né

Les premières interactions entre l’enfant et son environnement se produisent in utero. En effet, des études ont montré que le bébé réagissait aux bruits à 28 semaines d’âge gestationnel (Granier-Deferre & Busnel, 2011). D’autre part, on sait que la vie émotionnelle de la mère a des effets sur le fœtus : une hyperactivité motrice a été observée chez le bébé dont la mère a subi un fort choc émotionnel à la fin de sa grossesse. De même, Trevarthen et Aitken (2003) soulignent que le fœtus perçoit l’état pulsionnel de sa mère par les expressions rythmiques vocales de son discours. Grâce au développement sensoriel qui s’est opéré pendant la vie intrautérine, le nouveau-né est capable de reconnaître les caractéristiques du discours de sa mère, son visage quelques heures seulement après sa naissance.

Contrairement à ce qui est généralement admis, Trevarthen et Aitken (2003) distinguent deux types de comportement chez le nouveau-né en relation avec les premières émotions. Le nouveau-né extériorise une réponse panique, réflexe, qui sert à la survie, au maintien de l’équilibre physiologique, et qui n’est pas régulée consciemment (un pleur en réaction à une sensation de faim). D’autre part, s’il est alerte et reposé, il peut montrer des comportements volontaires, maintenir une attention réciproque, avec une synchronisation rythmique d’expressions vocales courtes, accompagnées de mouvements du visage et des mains, qui consistent en une imitation de la mère. Meltzoff et Moore (1977) ont observé quant à eux des capacités d’imitation gestuelle chez le nourrisson, en montrant une synchronie des mouvements de la mère et du bébé. Trevarthen et Aitken (2003) ajoutent que ces conduites de réciprocité ont des limites (cérébrales et cognitives), mais elles montrent une motivation du nouveau-né pour communiquer.

Ces premiers échanges vocaux, appelés protoconversations (Stern, 1989), s’accompagnent chez la mère d’une vocalisation musicale spécifique, chargée d’émotions, avec des expressions faciales animées et de gestes adaptés ; on appelle ces adaptations de la forme et du contenu du discours maternel le Langage Adressé à l’Enfant (LAE).

C’est pendant ces échanges précoces entre la mère et son bébé que prend racine l’imitation vocale et gestuelle et que se met en place l’intersubjectivité (Stern, 1989): l’enfant aborde la différenciation soi/autrui, développe petit à petit une conscience individuelle et intentionnelle. Il peut s’adapter aux états subjectifs d’autrui et entrer en communication avec lui. Trevarthen et Aitken (2003) considèrent que l’intersubjectivité est un principe inné, que le nourrisson naît avec une conscience réceptive aux états subjectifs des autres, qu’il cherche à interagir avec eux.

Pour Tomasello (2003), l’intersubjectivité est le facteur le plus important pour l’acquisition du langage : il est nécessaire de savoir ce que pense et ce que ressent l’autre avant de pouvoir le mettre en mots. Texier (2014) parle de subjectivité supposée et anticipée : la mère prête ses propres représentations langagières pour traduire ce qu’elle interprète comme une demande de l’enfant, qui s’attribue l’interprétation de sa mère : il crie quand il ressent la faim, puis pour faire savoir qu’il a faim. L’entrée dans le langage est donc inséparable de la naissance du sujet, du rapport à l’altérité. Stern (2005) considère que la théorie des neurones miroirs montre les fondements neurologiques de ce processus. Il postule l’existence d’un système qui s’active pendant l’exécution d’un mouvement réalisé soi-même ou l’observation d’un mouvement exécuté par autrui, qui donne une sensation d’avoir fait le geste. Ce mécanisme neurophysiologique permettrait la compréhension des actions et l’imitation (Rizzolatti & Craighero, 2004).

La communication non verbale

Au cours de sa première année de vie, l’enfant apprend à transmettre une intention de communication : il cherche à partager ses expériences, ses affects. Il communique bien avant de commencer à parler, en utilisant la communication non verbale. Bruner (1975) pose l’hypothèse d’une continuité entre langage non verbal et verbal. Plus tard, ces deux modalités s’enrichissent, s’affinent, se combinent quand l’enfant s’aperçoit qu’il doit adapter son énoncé à son interlocuteur et au contexte (Guidetti, 2011). Les interactions précoces amènent à l’acquisition des compétences socles du langage verbal, aussi appelées précurseurs ou prérequis. Guidetti (2011) utilise le terme de « posturo-mimo-gestualité », qui selon elle a plusieurs fonctions : identification et représentation des objets du discours (pointage, mime), expressions des émotions et des états mentaux, structuration de la production langagière, cohésion discursive, synchronisation des interlocuteurs. Elle apporte des ressources expressives complémentaires au locuteur, et des ressources supplémentaires à l’interlocuteur, pour interpréter les intentions de celui-ci.

Le regard et son importance dans les interactions précoces

Notre étude portant sur les mères ayant une déficience visuelle, il est nécessaire d’approfondir la place de cette modalité dans les interactions. Berthoz (2008) décrit l’importance du regard dans l’échange : il permet l’élaboration d’un vécu partagé, guide l’action (se porte, avant la main, sur l’objet que l’on va saisir). Il permet donc une orientation volontaire, qui anticipe l’action. Emery (2000) établit une classification des mécanismes du regard : le regard partagé ou échangé, le regard suivi, l’attention conjointe, la théorie de l’esprit. Plusieurs études ont bien montré l’importance du regard dans les interactions entre la mère et l’enfant. Friemel et Nguyen (2004) soulignent l’importance du face àface dans la régulation de la vigilance, l’orientation de l’enfant vers des objets. Ils le considèrent comme un espace intime, où la mère détecte les signaux de l’enfant, et répond de façon adéquate, entraînant une coïncidence entre l’ajustement maternel et les comportements régulateurs de l’enfant. De plus, il participe à la fixation des affects positifs, dont le sourire. Pendant l’interaction sociale, le bébé apprivoise l’objet, médiatisé par les jeux interpersonnels ; l’objet acquiert donc de l’intérêt par les présentations répétées qui sont faites par sa mère. Grâce au pouvoir attractif du regard, et par des interactions synchrones, le bébé passe de l’exploration du visage à l’exploration de cibles indéterminées, puis de l’objet.

Par ailleurs, Tomasello, Hare, Lehmann et Call (2006) ont étudié la reliance Tête vs Yeux dans le suivi du regard. Les auteurs rappellent que les interactions, au cours desquelles la mère et l’enfant sont engagés autour d’objets, sont le contexte référentiel principal pour le développement des compétences langagières. Ils montrent ensuite que la direction du regard est un facteur plus puissant que la direction de la tête. Brooks et Meltzoff (2002) ont mené une étude similaire : ils ont noté que les enfants âgés de 14 mois ne suivaient plus la direction de la tête quand les yeux de l’adulte étaient fermés ou bandés.

De la communication non-verbale à la communication verbale

Golse (2014) rappelle que la mise en place du système de symbolisation (le langage) dépend de l’accès à l’intersubjectivité : une fois que l’enfant se considère comme un individu à part entière, il peut penser l’autre, et donc s’adresser à lui. Clark (1996) souligne que la conversation est une activité co-construite, où les nouveaux éléments émergent en fonction du contexte. Les deux partenaires s’influencent : la mère commente, demande une clarification à son enfant, cherche à l’aider en s’adaptant à ses productions. Vygotsky (1934) parle de zone proximale de développement : l’adulte tient compte des compétences de l’enfant, s’adapte et favorise ainsi leur développement. Plaza (2014) reprend les principales étapes du développement du langage en différents registres, qui sont autant de passerelles d’accès les uns aux autres : prosodie, phonologie, lexique, morphosyntaxe, pragmatique. Elle note que même si l’enfant naît avec une connaissance des principes universels qui structurent le langage, il faut que plusieurs conditions (physiologique, sensorielle, perceptive, cognitive et affective) soient réunies pour apprendre à parler. Avant de comprendre de comprendre les mots, le bébé privilégie les formes sonores, est sensible aux indices phonologiques et prosodiques de la parole : la mélodie, le rythme (Clouard & Le Normand, 2014). Vers un an, l’enfant découvre progressivement le sens. Il segmente l’enveloppe prosodique en unités de sens, privilégie l’enveloppe sémantique du mot, en lien avec un objet. Il apprend ensuite à associer des syllabes pour former un mot, et développe son vocabulaire. L’enfant entre alors dans la phase linguistique : il acquiert de plus en plus de mots, qu’il va apprendre à associer, pour former petit à petit une phrase, puis un discours.

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Table des matières

Introduction
PARTIE THEORIQUE
I- Les interactions précoces mère/bébé et les précurseurs du langage
1) Les premières interactions, chez le fœtus puis le nouveau-né
2) La communication non verbale
3) Le regard et son importance dans les interactions précoces
4) De la communication non-verbale à la communication verbale
II- L’attention conjointe
1) Définition et notions générales
2) Les bases neuronales de l’attention conjointe
3) Le développement de l’attention conjointe
4) Rôle sur le langage, la cognition sociale, la théorie de l’esprit
III- La déficience visuelle et son effet sur les interactions précoces
1) Données générales sur la déficience visuelle
2) La maternité des femmes aveugles
3) Les interactions précoces chez les dyades avec déficience visuelle
4) Les précédents travaux du projet PILE
IV- Problématique
PARTIE EXPERIMENTALE
I- Méthodologie
1) Le projet PILE
2) Description de la population
3) Description de la démarche expérimentale
4) Hypothèses opérationnelles
5) Analyse statistique
II- Présentation et analyse des résultats
1) Attention conjointe
2) Initiation des échanges
3) Parole
4) Toucher
5) Episodes COJ voc
III- Discussion
1) Vérification des hypothèses
2) Interprétation des résultats
3) Limites
4) Perspectives
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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