Aujourd’hui, la maternelle est au cœur des préoccupations des dirigeants de l’Education Nationale avec la volonté d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans et non plus à six ans. La maternelle occupe une place primordiale dans les apprentissages des élèves et est une étape essentielle dans la réussite de tous. Les tous premiers apprentissages réalisés dès la petite section vont jouer un rôle très important pour la suite de leur scolarité. Les élèves décrocheurs au collège arrivent en CP avec des difficultés dans les savoirs fondamentaux. Les élèves arrivent en petite section avec un bagage de compétence différent lié à la famille et à leur maturité. Ils arrivent aussi avec un bagage langagier très différent. L’accent, mis sur le langage oral en maternelle, va permettre d’essayer de gommer au maximum les inégalités entre les élèves. Tout ce qui est fait en maternelle est lié au langage. Les premières approches du nombre et les premiers notions sur la construction du nombre en petite section sont très importantes et ont des conséquences sur la scolarité future des élèves. L’accès et la compréhension des trois premiers nombres à la fin de la première année de maternelle est primordiale pour permettre une réussite de tous. Notre choix de recherche s’est alors porté sur l’étude des interactions langagières dans un atelier de construction du nombre lors d’un débat de type débat explicatif afin d’étudier ce que les élèves mettent en jeu pour construire la notion de cardinal. La recherche a été réalisée dans une classe de double niveau toute petite section – petite section dans l’école maternelle d’application Pauline Kergomard située au Mans. Cette classe est composée de vingt-six élèves qui ont un niveau hétérogène aussi bien en langage oral qu’en construction du nombre.
Les apports théoriques
La construction du cardinal d’une collection en petite section
Les nombres peuvent être employés de différentes manières et avoir divers aspects.
Les enjeux
La première rencontre avec les nombres, en petite section, est importante pour la suite de la scolarité des élèves puisqu’elle pourra les aider comme les mettre en difficulté même si tout ne se joue pas sur cette première rencontre. Elle aura de l’importance surtout avec des élèves qui seront plus fragiles au niveau scolaire. En réalité, les élèves ont eu, avant d’entrer en petite section, diverses occasions de rencontrer les nombres. Seulement ces nombres isolés (le numéro de la chaîne de télévision ou le numéro de l’appartement ou la date) n’aident pas à leur compréhension. En effet, ces numéros sont issus de la suite de comptine numérique mais celle-ci n’est pas forcément perceptible pour les élèves de cet âge. L’incompréhension du dénombrement d’objets peut avoir comme conséquence, plusieurs années suivantes, des difficultés de calcul allant même jusqu’à l’échec en mathématiques. C’est en petite section que les élèves vont construire la signification des trois premiers nombres. Les mots-nombres ont deux significations différentes : soit ils évoquent le numéro soit ce sont les noms des nombres. Le numéro « sert à repérer » (Baruk, 2003, p 47) c’està-dire situer quelque chose par rapport à autre chose ou à désigner quelque chose. Alors que le nombre « permet de se représenter une quantité » (Baruk, 2003, p 47).
Les programmes
L’enjeu de la petite section, pour les élèves, est la connaissance et la compréhension des trois premiers nombres. Les activités doivent être nombreuses, répétées et utilisées dans divers contextes pour stabiliser les connaissances. Les quantités doivent être décomposées et recomposées : « La maîtrise de la décomposition des nombres est une condition nécessaire à la construction du nombre. » (BOEN n°2, 26 mars 2015, p 14) Les programmes de 2015, actuellement en vigueur, ont été influencés par les recherches de Rémi Brissiaud. Ils évoquent l’utilisation des décompositions, du dénombrement, des configurations culturellement connues telles que les constellations du dé ou des dominos, des configurations de doigt et de la correspondance terme à terme avec une collection témoin. Ils indiquent également que la connaissance du début de la comptine numérique est un apprentissage de la maternelle mais ne constitue pas une fin en soi et ne permet pas une compréhension du nombre. Ils introduisent la notion de quantité qui doit être comprise des élèves. Ils doivent comprendre que la quantité d’une collection est indépendante des caractéristiques des objets et qu’elle permet de dénombrer cette collection. Le nombre ainsi trouvé est un moyen de se souvenir de la quantité.
Les difficultés
Il est difficile pour les élèves de comprendre ce que représente un nombre. La connaissance de la comptine numérique ne permet pas de dire que les élèves ont compris ce que signifie chaque nombre. En effet, comme l’explique Rémi Brissiaud dans son ouvrage Premier pas vers les maths Les chemins de la réussite à l’école maternelle, la comptine numérique n’est qu’une « suite sonore » (p 7) où les mots ne sont même pas isolés et n’ayant pas vraiment de sens. Les élèves récitent la comptine numérique comme ils réciteraient l’alphabet ou toute autre suite. D’ailleurs lorsqu’ils ne connaissent pas la suite ils énoncent des mots-nombres, qu’ils ont pu entendre, dans un ordre arbitraire qui ne correspond pas à l’ordre réel. La connaissance de la comptine numérique peut donc être un frein à l’apprentissage de la notion de cardinal. Lorsque le comptage est enseigné dès le début de la scolarité, il amène plus à donner un nom à chaque objet plutôt qu’à dénombrer. En effet, comme l’explique Rémi Brissiaud, lors du comptage, nous énonçons un mot à chaque objet pointé or les autres contextes qui nous amènent à faire un pointage en énonçant un mot permettent de donner le nom de l’objet. Donc le dernier mot énoncé correspond à l’objet pointé et non à l’ensemble des objets présents tandis que dans un contexte de comptage le dernier mot-nombre énoncé correspond à la totalité de la collection. A la maternelle, comme les élèves manquent de vocabulaire, l’enseignant associe un mot avec l’objet en question ou son image ou sa représentation. Si le professeur commence par le comptage les élèves pensent alors que tel cube s’appelle un, puis l’autre deux et le dernier trois. L’élève pourra même donner l’impression qu’il sait compter car il donnera le dernier mot-nombre énoncé sans pour autant avoir compris la notion de cardinal. L’activité de comptage induit une association de divers principes indispensables pour la réussite de ce dernier. Ils doivent être enseignés aux élèves et compris par ces derniers. Ils doivent coordonner ces différents principes.
Selon [R. Gelman et C.R. Gallister], l’activité de comptage serait gouvernée par cinq “principes” implicites.
1. Le principe d’ordre stable : la suite des étiquettes verbales est une liste fixe.
2. Le principe de correspondance terme à terme : à chaque objet pointé, on fait correspondre un mot de la liste.
3. Le principe cardinal : le dernier mot de la suite utilisé désigne le cardinal de l’ensemble (test d’arrêt).
4. Le principe d’ordre indifférent : le trajet choisi pour parcourir toute la collection est indifférent.
5. Le principe d’abstraction : l’hétérogénéité des éléments est sans rapport avec leur dénombrement. (Boule, 1989, p 12-13) .
Le dénombrement
Le dénombrement est une procédure qui permet de trouver le nombre recherché. Selon Rémi Brissiaud trois conditions sont nécessaires à la réussite du dénombrement : il faut :
a) Créer mentalement les unités numériques, c’est-à-dire considérer comme «uns» des entités qui n’apparaissent pas nécessairement comme identiques d’un point de vue perceptif. […]
b) Prendre en compte toutes ces unités, sans répétition ni oubli d’unités : cela s’appelle énumérer les unités. […]
c) Totaliser ces unités numériques, c’est-à-dire exprimer d’une façon ou d’une autre, combien il y en a en tout. (Brissiaud, 2007, p 22) .
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Table des matières
Introduction
1 Les apports théoriques
1.1 La construction du cardinal d’une collection en petite section
1.1.1 Les enjeux
1.1.2 Les programmes
1.1.3 Les difficultés
1.1.4 Le dénombrement
1.2 Le langage en petite section
1.2.1 Le langage oral
1.2.2 Les interactions langagières
1.2.3 L’apprentissage des interactions langagières
1.3 Les interactions langagières en construction du nombre
1.4 Le cadre de la problématisation
2 Recueil de données
2.1 Le protocole
2.1.1 La séance 1
2.1.2 La séance 2
2.1.3 La séance 3
3 Analyse des données
3.1 Analyse de la séance 1
3.2 Analyse de la séance 2 du groupe 1
3.2.1 Les différentes phases du débat explicatif
3.2.2 Les interactions langagières
3.2.3 Le visionnage de l’enregistrement
3.2.4 L’avancement du débat
3.2.5 Les interventions des élèves et de l’enseignant
3.2.6 Les erreurs
3.2.7 Les liens avec l’hypothèse une
3.2.8 Les liens avec l’hypothèse deux
3.2.9 Les liens avec l’hypothèse trois
3.3 Analyse de la séance 2 du groupe 2
3.3.1 Les différentes phases du débat explicatif
3.3.2 Les interactions langagières
3.3.3 Le visionnage de l’enregistrement
3.3.4 L’avancement du débat
3.3.5 Les interventions des élèves et de l’enseignant
3.3.6 Les erreurs
3.3.7 Les liens avec l’hypothèse une
3.3.8 Les liens avec l’hypothèse deux
3.3.9 Les liens avec l’hypothèse trois
3.4 Analyse de la séance 2 du groupe 2, la deuxième fois
3.4.1 Les différentes phases du débat explicatif
3.4.2 Les interactions langagières
3.4.3 Le visionnage de l’enregistrement
3.4.4 L’avancement du débat
3.4.5 Les interventions des élèves et de l’enseignant
3.4.6 Les erreurs
3.4.7 Les liens avec l’hypothèse une
3.4.8 Les liens avec l’hypothèse deux
3.4.9 Les liens avec l’hypothèse trois
3.4.10 Comparaison avec les précédents résultats du groupe 2
3.5 Analyse de la séance 2 du groupe 3
3.5.1 Les différentes phases du débat explicatif
3.5.2 Les interactions langagières
3.5.3 Le visionnage de l’enregistrement
3.5.4 L’avancement du débat
3.5.5 Les interventions des élèves et de l’enseignant
3.5.6 Les erreurs
3.5.7 Les liens avec l’hypothèse une
3.5.8 Les liens avec l’hypothèse deux
3.5.9 Les liens avec l’hypothèse trois
3.6 Analyse de la séance 2 du groupe 3, la deuxième fois
3.6.1 Les différentes phases du débat explicatif
3.6.2 Les interactions langagières
3.6.3 Le visionnage de l’enregistrement
3.6.4 L’avancement du débat
3.6.5 Les interventions des élèves et de l’enseignant
3.6.6 Les liens avec l’hypothèse une
3.6.7 Les liens avec l’hypothèse deux
3.6.8 Les liens avec l’hypothèse trois
3.7 Analyse des résultats des différents groupes
3.7.1 Les différentes propositions
3.7.2 L’influence de la composition des groupes
3.7.3 Les perturbations
3.7.4 Les séances dédoublées
3.7.5 Le rôle de l’enseignant
3.7.6 Les interventions des élèves
3.7.7 Les liens avec les différentes hypothèses
3.8 Analyse de la séance 3
4 Conclusion