La massification
L’enseignement de masse, s’installant progressivement en France et à l’étranger a entrainé naturellement une nécessité de produire des outils éducatifs en grand nombre. En effet, en France, entre 1831 et 1833, le premier livre de lecture a été imprimé à un million d’exemplaires. En fait, cette massification a été soutenue et épaulée par les différents gouvernements français successifs depuis 1787. Pourtant, comme l’affirme Pierre Moeglin (2010), la scolarisation de masse est plus ancienne en France. En fait, le nombre de garçons scolarisé est passé de 29 % en 1700 à 47 % en 1790. Cependant, la nécessité de cette massification de scolarisation n’a été ressentie que plus tard. Cette évolution en nombre et en importance de l’éducation a préparé le terrain pour les industriels qui se sont précipités afin de produire les outils nécessaires. Deux vagues de production du manuel scolaire ont été observées (Moeglin, 2010). Celle pour l’enseignement primaire entre 1830 et 1840, et la seconde qui se situe entre 1865 et 1885. Entre 1877 et 1892, le livre de lecture le tour de France par deux enfants a été produit à 6 millions d’exemplaires. Cette évolution européenne a été remarquée par les réformateurs arabes qui n’hésitaient pas à inciter leurs concitoyens à suivre cet exemple de massification et de généralisation de l’éducation, tel était le cas de Taha Husein et Khai-Eddine (Ahmed Chabchoub, 2000). Vient ensuite le deuxième âge d’or de l’édition scolaire selon Pierre Moeglin (2010), c’est la période durant laquelle on assistait à la massification de l’enseignement secondaire dans les années 1950. Puis, un troisième âge d’or se produit dans les années 1960 lors du grand changement des programmes scolaires qui se traduit dans l’édition des manuels jusqu’à atteindre, en 1956, le tiers de l’édition française. En Tunisie, Il a fallu attendre les années 1980 pour voir le CNP imprimer de véritables manuels scolaires. Jusqu’à lors, les élèves tunisiens utilisaient des manuels dactylographiés et reproduits par stencil.
L’industrialisation du côté des éditeurs
Le XVIIIème siècle a connu l’essor de l’édition scolaire. Cette époque a été marquée par une diffusion des produits et outils éducatifs dans toute l’Europe (Moeglin, 2005). On commercialisait alors des moulages et des jouets pédagogiques, mais aussi des livres pour enfants et des plaques pour lanternes magiques destinées à l’éducation. Bertuch un artisan allemand qui a publié en 1790 un livre d’images pour enfant rappelle des règles à suivre lors de l’édition d’un ouvrage pédagogique destiné aux enfants. Cette réflexion de Bertuch monte l’importance de l’industrie scolaire et la place importante que lui accorde la société, dont les éditeurs aux outils éducatifs. Elle mets aussi en avant De l’enseignement oral à l’apprentissage à distance une prise en compte des propriétés communicationnelles ce ces outils, ici le livre illustré pour enfant (Moeglin, 2005). Comme l’utilisation de cet outil éducatif ne fait pas appel à l’intervention d’un enseignant, Moeglin rappelle qu’il faut séduire l’enfant afin qu’il accepte de s’en servir. Dans cette logique de séduction et d’apprentissage ludique, les cinq conseils de Bertuch nous ont été rapportés par Moeglin.
– Un dessin précis et esthétique apprend à l’enfant le sens de la beauté et du goût.
– Un discours vulgarisé, précis et ciblé ne donnant pas l’impression à l’enfant qu’il est en train d’étudier. Une écriture ludique est conseillée car le but de l’enfant reste la distraction.
– Une originalité des représentations attire la curiosité de l’enfant et évite l’enlacement.
– Une accessibilité économique assimilée à un objet de distraction. Le livre d’enfant doit pouvoir accompagner l’enfant dans toutes les situations et les conditions. Il peut subir des déchirures et des découpages. Le prix du livre doit être pensé dans le cadre de ces utilisations.
– Un renouvellement du plaisir pour l’enfant assuré par une composition du livre en fascicules. Cela évite que l’usager du livre s’ennuie.
L’institution assure la viabilité économique de l’industrie éducative
Entre 1831 et 1833, le livre le plus vendu fut le manuel scolaire (Moeglin, 2005). Son édition dans de multiples pays occupe une grande part de marché de l’édition en général. Ainsi, l’essor de l’édition doit beaucoup à l’édition des manuels et des livres scolaires. La dimension pédagogique plaçant le manuel scolaire au centre du système éducatif est renforcée par sa dimension économique. S’ajoute à cela le fait que le volontarisme politique et les intérêts économiques ont les mêmes objectifs (Moeglin, 2005). En fait, de multiples volontés politiques entrainent une accumulation d’édition qui génère ainsi plus de grain économique.
Plusieurs termes pour de multiples paradigmes
Différents termes sont utilisés pour désigner le même acte (Holmberg, 2005) de la « construction de la connaissance » (Pudelko et al., 2002). Notons le terme « apprentissage à distance », « enseignement à distance », « e-learning » « enseignement par correspondance », « formation à distance », etc. Certain de ces termes (apprentissage à distance, e-learning), renvoient plutôt à l’activité d’apprentissage des De l’enseignement oral à l’apprentissage à distance 80 apprenants pendant leurs formations alors que d’autres (enseignement à distance, formation à distance) désignent l’activité d’enseigner réservé à l’institution, les tuteurs, les auteurs de cours. Tout dépend de l’institution d’enseignement à distance, l’appellation choisie par celle-ci pour décrire son activité de « construire le savoir » n’est donc d’autre que le miroir de sa stratégie pédagogique et communicationnelle. Elle révèle surtout la place qu’elle réserve à l’apprenant, l’enseignement et le tuteur. Cela rejoint l’avis de (Ahmed Chabchoub, 2015) qui ajoute « Ce n’est pas par hasard que l’institution choisis de s’appeler EAD (enseignement à distance) ou FOAD (formation à distance). C’est parce que dernière ça il y a toute une conception de la formation à distance et donc toute une stratégie à développer ». L’ambigüité et la multitude d’appellations qui désignent la formation à distance viennent du fait qu’on la considère comme un moyen d’enseignement parmi d’autres, ce qui n’est pas le cas (Henri, 1985 ; Ahmed Chabchoub, 1992). En effet, considérer l’enseignement à distance comme une simple technique ou méthode de formation qui exploite les techniques de communication dites « nouvelles » est une image réductrice d’un concept d’enseignement indépendant et complexe (Ahmed Chabchoub, 1992). Cette complexité ne réside pas seulement dans les outils et les dispositifs informatiques et techniques qui entrent en force dans le domaine de l’enseignement à distance(Perriault & Moreau, 1996), mais surtout et essentiellement dans la dynamique du processus de formation qu’il engage entre les tuteurs/enseignants d’une part et les apprenants d’autre part, tous les deux occupants une approche et une définition nouvelle.
L’imaginaire de la technique
Les techniques d’information et de communication s’inscrivent depuis leurs premières utilisations dans l’histoire de l’humanité dans un cercle vicieux de nouveauté permanente (Flichy, 2001). Les techniques d’information et de communication sont là pour assurer une communication et pour mener l’homme à attendre son idéal, du moins c’est ce qui est annoncé par leurs promoteurs (Wolton, 2011). En effet, avec la conception de chaque innovation technique depuis l’écriture et jusqu’à Internet en passant par l’imprimerie, mais aussi avec sa diffusion au grand public, nous avons vu et entendu des discours de joie, des promesse de prospérité humaine et d’encore plus de créativité, voire même d’intelligence humaine plus appuyée et ce, grâce à ces outils. Aujourd’hui avec l’utilisation massive des objets “connectés”, nous ne communiquons pas comme nous le faisions autrefois, encore moins avant l’invention de l’écriture. En effet, la technique que nous utilisons pour ce faire jouait et joue encore aujourd’hui un rôle décisif dans notre manière d’être, dans nos relations interpersonnelles, nos communications, nos négociations, nos partages d’idées et d’informations, nos collaborations et dans tant d’autres processus et systèmes qui meublent notre vie quotidienne. Ces changements et mutations comportementales, et sociales qui apparaissent avec chaque innovation technologique pointent les usages que la société donne à ces technologies. En fait, ces usages ne sont pas seulement issues de la combinaison et l’association des objets techniques et des pratiques, mais aussi les imaginaires qui leur sont associés dès leurs conceptions (Musso, 2009). Selon ce même auteur, il est en effet, impossible de dissocier un objet technique de l’image que son usager lui donne. Dans ce cadre des usages multiples des innovations technologiques et de l’imaginaire social de la technique, nous assistons aujourd’hui à la mutation des services publics qui utilisent de plus en plus les technologies pour être encore plus près du citoyen, des entreprises privées qui vont vers la dématérialisation de leurs processus de production pour gagner plus et dépenser moins, des universités qui changent de visage à leurs tours et cèdent à l’usage des techniques pour atteindre la perfection et la démocratisation de l’enseignement, etc. Nous trouvons alors dans ces espaces, publics et privés, des ordinateurs, des tablettes, des réseaux intranet et internet, des bibliothèques numériques, des agendas numériques et des plateformes numériques qui épaulent et parfois remplacent le fonctionnement “normal” du service. Un idéal commun est L’apprenant, centre d’une communication pédagogique différée derrière ces utilisations multiples et massives de la technologie depuis des décennies. Il s’agit de ce que l’utilisation de ces techniques implique quant à la création d’une humanité plus productive, plus sure et plus développée. Cet idéal est la création de plusieurs acteurs de société qui participent, avec différents niveaux, à la création de l’innovation technique (Gaglio, 2011) lors de son passage par ces trois temps : le temps des histoires parallèles où de la préhistoire de l’innovation, le temps de l’objet valise qui voit l’émergence de plusieurs utopies et usages proposés pour l’innovation en question, et enfin le temps de l’objet frontière (Devauchelle, 2012) caractérisé par la stabilisation socio technique de l’innovation et la détermination de son usage suite à une négociation entre usagers (Flichy, 1995). Il est le résultat de leurs imaginaires techniques respectifs : à savoir les concepteurs de la technique, les usagers, les politiciens et la presse (Flichy, 1995). Selon ce même auteur, ces imaginaires sont une composante fondamentale du développement des techniques, mais aussi de la construction de l’identité d’un groupe d’individu voir de la société. Dans (Flichy, 2001, p. 254) nous pouvons trouver “L’imaginaire social permet à une société de construire son identité, en exprimant ses attentes par rapport au future”. Avec un imaginaire social, et selon toujours le même auteur, la société n’est pas morte, elle construit son réel. Pour définir l’imaginaire des objets techniques Musso (2009, p. 201) affirme que c’est “un ensemble de représentations sociales articulées : à la fois du réel, transformé en représentation et la réalisation de représentations sociales ou individuelles”. Dans le cadre de ce processus de transformation et de représentation des objets techniques, plusieurs imaginaires naissent. Musso (2009) a distingué en s’appuyant sur (Flichy, 1995), trois imaginaires dans la représentation sociale des TIC : Un imaginaire des concepteurs. C’est l’intention et l’idéal que les concepteurs ont voulu atteindre par leurs conceptions et innovations techniques. Un imaginaire des grandes organisations publiques, des politiciens et des Hommes du pouvoir. Il s’agit ici de l’imaginaire vendu par ces derniers afin d’appuyer un projet politique, économique et social. Vient enfin l’imaginaire des littérateurs. Le rôle qu’occupe une technique dans une société est alors lié à l’imaginaire de celle-ci dans la société en question.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1. Revue de la littérature
Chapitre 1 De l’enseignement oral à l’apprentissage à distance
I. Outils et techniques pour apprendre
1. Genèse des outils et des techniques pour apprendre
2. L’industrialisation de la technique pour apprendre
a. Facteurs de la genèse
b. Utilisation
c. Nouveaux paradigmes pour l’enseignement ?
II. La communication du savoir à distance
1. Genèse de l’apprentissage à distance
2. Caractéristiques et appellations
III. L’expérience française : Un modèle français pour l’enseignement à distance ?
Chapitre 2 L’apprenant, centre d’une communication pédagogique différée
I. Les deux sens de la communication
1. Le sens normatif de la communication : scénario pédagogique et de communication
2. Détour Anthropologique : la représentation de l’autre et l’imaginaire de la technique
Chapitre 3 L’autorégulation de l’apprentissage
I. L’autorégulation de l’apprentissage : le concept
II. Deux niveaux : psychologique et pédagogique
1. Le contrôle pédagogique
2. Le contrôle psychologique
Partie 2. L’université virtuelle de Tunis entre politique, pédagogie et autorégulation : Étude de terrain
Chapitre 1 Positionnement épistémologique, problématique et méthodes
I. Positionnement épistémologique de la méthode
II. Rappel de la problématique et des objectifs de l’étude
1. Problématique
2. Questions de recherche
3. Hypothèses
4. Validation des hypothèses par une démarche méthodologique multiple : un aperçu des résultats
III. Méthodologie de recherche
1. Terrain de recherche
2. Outils et méthodologie de recherche
a. Stratégie de l’Université virtuelle de Tunis : L’analyse de contenu appliquée aux entretiens semi-directifs et aux corpus de textes
b. Stratégie pédagogique des concepteurs/tuteurs de l’Université virtuelle de Tunis : Analyse de contenu d’entretiens
c. Stratégie des apprenants : Application d’un questionnaire et du protocole GÉODE
3. Récapitulation
Chapitre 2 Enquêtes et résultats
I. Stratégie politique et pédagogique de l’université virtuelle de Tunis
1. Stratégie politique de l’UVT
a. Les révélations de l’analyse thématique
b. Les révélations de l’analyse lexicale
c. Conclusion
2. Stratégie pédagogique
a. Les révélations de l’analyse thématique
b. Les révélations de l’analyse lexicale
c. Conclusion
3. Stratégie politique et pédagogique de l’Université Virtuelle de Tunis : la conclusion
II. Stratégies pédagogiques des concepteurs et des tuteurs de l’université virtuelle de Tunis
1. La stratégie pédagogique des concepteurs de cours
a. La perception de la « stratégie UVT »
b. La conception d’un cours à L’UVT : la pratique des concepteurs et « la stratégie UVT »
c. Stratégie pédagogique et communicationnelle des concepteurs
d. Conclusion
2. Quelle stratégie pédagogique les tuteurs adoptent-ils pour accompagner leurs étudiants ?
a. La perception et la pratique du métier de tuteur
b. Tuteur et stratégie de l’UVT
c. Conclusion
3. L’influence de la stratégie pédagogique de l’UVT sur celle du corps pédagogique
III. La stratégie des apprenants en matière d’autorégulation d’apprentissage
1. Les trois phases de l’autorégulation
a. L’avant-effort d’apprentissage, l’anticipation
b. Pendant l’activité de l’apprentissage, la performance
c. L’après-effort d’apprentissage, la réflexivité
d. Récapitulation
2. Quelle est la place du dispositif UVT dans les phases du processus d’autorégulation des apprenants ?
a. La phase de l’anticipation
b. La phase de performance
3. Variables qui influent l’utilisation du processus de l’autorégulation de l’apprentissage
a. Influence mutuelle des trois phases d’autorégulation
b. Influence du quotient sur le processus d’autorégulation de l’apprentissage
4. L’ouverture de l’environnement UVT et la perception de cette ouverture par l’apprenant
a. Ouverture du dispositif de l’UVT
b. Perception du degré d’ouverture de l’environnement UVT
c. Conclusion
Chapitre 3 Une réflexion sur les résultats : articulation entre études similaires et références théoriques
I. Stratégie institutionnelle
1. Stratégie politique de la mise en place de l’UVT
2. Stratégie pédagogique de l’UVT
II. Stratégie du corps pédagogique
III. Le processus d’autorégulation
IV. L’ouverture de l’environnement UVT
Conclusion Générale
I. Rappel de la problématique de recherche
II. Bilan du travail réalisé
Bibliographie
ANNEXES
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