Les infections en biofilm à Pseudomonas aeruginosa
Pseudomonas aeruginosa
P. aeruginosa appartient à la classe des Gammaproteobacteria et la famille des Pseudomonadaceae. Communément appelé « bacille pyocyanique », il s’agit d’un bacille à Gram négatif non fermentant. Les bactéries se présentent sous la forme de bacilles droits, fins, et très mobiles grâce à un flagelle polaire (ciliature monotriche). Elles produisent des pigments dont la pyocyanine (pigment bleu/vert) et la pyoverdine (pigment jaune/vert) et possèdent un métabolisme aérobie strict. Le génome complet de P. aeruginosa, publié en 2000, est un des plus grands génomes bactériens séquencés (6,3 Mbp). P. aeruginosa a la capacité d’acquérir des éléments mobiles et possède une grande proportion de gènes de régulation témoignant de sa très grande versatilité métabolique et son adaptabilité exceptionnelle (8, 9). P. aeruginosa est une bactérie ubiquitaire, qui vit à l’état saprophyte dans l’environnement. On la trouve dans les milieux humides, l’eau, le sol et à la surface des végétaux. La culture de la bactérie est aisée sur milieux ordinaires à 37°C ou 41°C en aérobiose. Une odeur caractéristique de seringua se dégage des cultures. Les colonies apparaissent de couleur bleu-vert sur milieu gélosé ordinaire et présentent un aspect métallique sur gélose au sang. P. aeruginosa peut survivre sur des surfaces abiotiques et biotiques telles que le matériel médical et résister aux méthodes de désinfection conduisant à un risque de transmission de patient à patient (10, 11). Peu virulent pour l’individu sain, P. aeruginosa est un micro-organisme opportuniste dont la pathogénicité est multifactorielle et de régulation complexe (Figure 1). P. aeruginosa est un important pathogène nosocomial et hospitalier (12), responsable d’infections aiguës et chroniques de localisations diverses (11) et fréquemment impliqué dans les infections en biofilm.
Formes cliniques d’infections à P. aeruginosa en biofilm
Les infections à P. aeruginosa peuvent être : 1) superficielles, aiguës et non invasives, chez les patients immunocompétents, 2) aiguës et invasives chez les patients présentant des comorbidités ou immunodéprimés, et 3) chroniques. Les infections aiguës, d’apparition rapide, induisent généralement une réponse intense de l’hôte (érythème, douleur, chaleur), et répondent à un traitement topique ou systémique. Les infections chroniques à P. aeruginosa, parfois émaillée d’exacerbations, sont fréquemment associées à la constitution d’un biofilm. Ces formes chroniques peuvent être caractérisées par des signes secondaires, tels que la présence de tissus friables, de zones de nécrose, la survenue d’un exsudat, et par une évolution plus lentement favorable à l’introduction du traitement antibiotique (14). Après une réponse clinique initiale aux traitement antibiotiques, la rechute est fréquente, survenant une fois le traitement antibiotique arrêté (1).
La mucoviscidose
La mucoviscidose est une maladie génétique autosomique récessive touchant près de 70 000 enfants et jeunes adultes dans le monde (principalement recensés en Amérique du Nord et Europe) avec environ 1000 nouveaux cas par an (15–17). Son incidence est évaluée à 1 enfant sur 2000 à 3000 en Europe. Le gène responsable de la mucoviscidose code pour une protéine appelée Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator (CFTR) dont la fonction de canal ionique est essentielle à l’organisme. Il s’agit d’une glycoprotéine transmembranaire qui régule les flux hydro-électrolytiques transmembranaires. Sa structure de canal chlorure conduit à une sortie équilibrée d’ions chlorures hors de la cellule épithéliale, selon un gradient électrochimique. Lorsque le canal CFTR est défectueux (plus de 2000 mutations sont recensées dans la Cystic Fibrosis Mutation Database à ce jour http://www.genet.sickkids.on.ca), la rétention intracellulaire des ions empêche la sortie passive d’eau et entraine notamment une réduction du liquide de surface bronchique qui augmente la viscosité des sécrétions (Figure 2). La production d’un mucus épais et abondant ralentit la clairance mucociliaire et favorise la colonisation bactérienne.
Après quelques années d’évolution, l’apparition d’infections respiratoires est une étape importante dans l’évolution et le pronostic de la maladie. D’abord principalement dues à Staphylococcus aureus et Haemophilus influenzae dans l’enfance, elles sont, dans un second temps, associées à P. aeruginosa . Initialement intermittente, la colonisation de l’arbre respiratoire par P. aeruginosa devient permanente et associée à une altération de la fonction respiratoire .
La présence d’agrégats de bactéries au sein d’une matrice extracellulaire dense et la physiologie des bactéries témoignent d’un développement bactérien en biofilm, notamment pour P. aeruginosa, à l’origine des importantes difficultés thérapeutiques rencontrées dans le traitement des infections respiratoires (3, 21–24). Malgré des avancées thérapeutiques, et des progrès dans les prises en charge, l’espérance de vie des patients atteints de mucoviscidose reste altérée .
Autres formes cliniques
Parmi les infections en biofilm autres que la mucoviscidose, peuvent être distinguées les infections liées à un dispositif médical implanté et les infections chroniques de tissus (Figure 4) (26). Les infections aiguës à P. aeruginosa en biofilm les plus fréquemment rapportées sont les otites externes (ou otites du baigneur), et les infections oculaires, notamment les kératites associées à l’utilisation de lentilles de contact (27). Une grande partie des infections à P. aeruginosa en biofilm sont associées à la présence de corps étrangers ou de dispositifs médicaux : PAVM liées à une colonisation de la sonde endotrachéale, infections urinaires sur sonde (28, 29) et infections de cathéter (30). Jones et al. (31) ont mis en évidence, par microscopie électronique, la présence d’un biofilm bactérien au niveau du cathéter urinaire lors d’une infection urinaire sur cathéter à P. aeruginosa. Les biofilms peuvent se développer sur les surfaces internes et externes du cathéter urinaire. Les infections en biofilm à P. aeruginosa peuvent également concerner les infections orthopédiques sur matériel prothétique ou d’ostéosynthèse (32, 33), par contamination préopératoire ou post-opératoire précoce dans les premières heures qui suivent l’implantation du matériel ou plus tardivement par voie hématogène ou par contact avec l’environnement extérieur pour les dispositifs à émergence cutanée (34, 35). D’autres infections chroniques à P. aeruginosa en biofilm non liées à des dispositifs médicaux implantés, également caractérisées par une faible efficacité des traitements antibiotiques et un risque élevé de récidive sont décrites : surinfections de plaies chroniques (36), ou infections urinaires chroniques chez des patients présentant des comorbidités (diabète, cancer) par exemple .
Épidémiologie
Il est désormais admis qu’il existe un lien entre la capacité des bactéries à se développer et à persister sur des surfaces et la survenue d’infections. Ainsi, il a été estimé que 65% des infections étaient associées à la formation d’un biofilm (41). P. aeruginosa figure parmi les bactéries les plus retrouvées dans les infections nosocomiales et associées aux soins, notamment dans les unités de soins intensifs (42, 43). Dans les unités de soins intensifs européennes, P. aeruginosa est retrouvé dans environ 20% des pneumopathies associées aux soins suivi par S. aureus, Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli. P. aeruginosa est par ailleurs isolé dans près de 15% des infections urinaires associées aux soins après E. coli et Enterococcus sp. (44). En France, P. aeruginosa est également l’espèce bactérienne la plus souvent retrouvée (19,9%) dans les infections nosocomiales en réanimation adulte (d’après les données du réseau REA-Raisin, 2016) .
|
Table des matières
INTRODUCTION
AVANT-PROPOS
RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES INFECTIONS EN BIOFILM A PSEUDOMONAS AERUGINOSA
1. Pseudomonas aeruginosa
2. Formes cliniques d’infections à P. aeruginosa en biofilm
2.1 La mucoviscidose
2.2 Autres formes cliniques
3. Épidémiologie
4. Diagnostic microbiologique
5. Approche thérapeutique
5.1 Monothérapie ou association d’antibiotiques ?
5.2 Molécules antibiotiques préférentielles
5.3 Traitements associés et/ou complémentaires
II. ÉTUDE D’UN BIOFILM DE PSEUDOMONAS AERUGINOSA
1. Transition d’un mode de vie planctonique à un mode de vie en biofilm
2. Biofilm de P. aeruginosa
2.1 Composition
2.2 Formation
2.3 Régulation du biofilm
3. Modèles de biofilm in vitro
3.1 Modèles statiques
3.2 Modèles dynamiques
3.3 Intérêts / limites des modèles expérimentaux
4. Évaluation des traitements antibiotiques dans des modèles de biofilm in vitro à
P. aeruginosa
4.1 Monothérapies d’antibiotique
4.2 Associations d’antibiotiques
III. BIOFILM ET RECALCITRANCE AUX ANTIBIOTIQUES
1. Impact de la matrice extracellulaire sur l’échappement de P. aeruginosa aux antibiotiques en biofilm
1.1 Diffusion des antibiotiques en biofilm
1.2 Rôle de l’ADN extracellulaire
1.3 Rôle des exopolysaccharides dans la tolérance en biofilm
1.4 Production de β-lactamase
1.5 Rôle des systèmes d’efflux
2. Environnement physico-chimique et réponses aux stress en biofilm
2.1 Limitation en oxygène
2.2 Carence nutritionnelle
3. Adaptations phénotypiques et récalcitrance aux antibiotiques
3.1 Small Colony Variant
3.2 Souches hypermutatrices
3.1 Cellules viables non cultivables
4. Cellules persistantes
4.1 Définition
4.2 Mécanismes à l’origine de la persistance bactérienne
IV. CONCLUSIONS DES RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES
Objectifs de la recherche
TRAVAIL PERSONNEL
I. INTERET D’UNE BITHERAPIE DE CIPROFLOXACINE ET AMIKACINE VIS-A-VIS D’UN BIOFILM DE PSEUDOMONAS AERUGINOSA
1. Contexte
2. Publication 1
3. Discussion
II. ADAPTATION DE PSEUDOMONAS AERUGINOSA A UNE EXPOSITION DE CIPROFLOXACINE EN BIOFILM
1. Analyse structurelle et fonctionnelle de l’adaptation de P. aeruginosa en biofilm
1.1 Contexte
1.2 Publication 2
1.3 Discussion
2. Rôle de la diversité phénotypique en biofilm
2.1 Contexte
2.2 Publication 3
2.3 Discussion
DISCUSSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES