Les inégalités de santé
Depuis plusieurs années, et à l’échelle mondiale, il existe des inégalités de santé que ce soit entre les pays ou à l’intérieur même d’un pays (Marmot et al., 2008; Organisation mondiale de la santé, 2008; Marmot et al., 2010). Les inégalités de santé sont définies comme des différences systématiques d’état de santé entre différentes populations ou groupes, notamment d’après leur statut socio économique ou d’après des critères géographiques, qui pourraient être évitées par des mesures appropriées, et sont, par conséquent, considérées comme injustes (Braveman, 2006; Marmot et al., 2008; Organisation mondiale de la santé, 2008). Au niveau individuel, le statut socioéconomique est principalement exploré par 3 domaines : le revenu, l’éducation et la situation professionnelle (Mackenbach, 2008). Ces données individuelles étant souvent manquantes, les caractéristiques socioéconomiques des zones de résidence des sujets sont fréquemment utilisées pour pallier leur absence. Il existe ainsi plusieurs indices composites géographiques, appelés indices écologiques de défavorisation sociale construits en utilisant les données du recensement. Parmi ces indices de défavorisation, nous pouvons citer, par exemple, l’indice de Townsend ou l’EDI (European Deprivation Index). L’indice de Townsend repose sur 4 variables socioéconomiques : la proportion de ménages surpeuplés, de ménages sans voiture, de chômeurs parmi les actifs et de logements occupés par des non-propriétaires (Townsend, 1987). Le score de la version française de l’EDI, quant à lui, est calculé au niveau d’une unité géographique en utilisant les 10 variables suivantes : ménages surpeuplés, ménages sans capacité de se chauffer, logements occupés par des non propriétaires, chomâge, nationalité étrangère, ménages ne possédant pas de voiture, travailleurs non qualifiés ou agriculteurs, ménages composés au moins de 6 personnes, faible niveau d’étude et familles monoparentales (Pornet, 2012).
Les inégalités sociales de santé
Les inégalités sociales de santé ont des déterminants sociaux qui sont les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie ; ces circonstances étant déterminées par plusieurs forces : l’économie, les politiques sociales et la politique générale (Organisation mondiale de la santé, 2008). Parmi ces déterminants figurent : les déterminants comportementaux, eux-mêmes liés au contexte social, et associés pour certains à des facteurs de risque précis pour la santé (consommation de tabac et d’alcool, adoption de comportements alimentaires non favorables à la santé, etc.) ; l’entourage et les réseaux sociaux dans lesquels l’individu est inséré, et qui vont notamment jouer un rôle dans le soutien social dont il pourra bénéficier face aux évènements auxquels il est confronté; l’environnement et les conditions de vie, de travail et d’éducation, qui incluent notamment l’accès aux ressources, aux services et aux infrastructures; les conditions socio-économiques d’ensemble de la société: la richesse nationale, l’état du marché du travail et de l’économie, les facteurs culturels, etc., et la façon dont ils sont distribués dans la population (Starfield et al., 2005; Dahlgren et al., 2007; Organisation mondiale de la santé, 2008; Warnecke et al., 2008; Marmot et al., 2010; Braveman et al., 2011; Burgard et al., 2013; Global burden of disease 2015 Risk Factors Collaborators, White, 2015; 2016; Bélanger et al., 2016; Lange et al., 2017; Landrigan et al., 2018). Les inégalités de santé ne concernent pas seulement les personnes les plus démunies, mais l’ensemble des sujets selon ce qu’on appelle le gradient social de santé. À l’intérieur des pays, en effet, plus un individu occupe une position socio-économique défavorable, moins il est en bonne santé. Ce gradient social concerne toute l’échelle socio-économique, de haut en bas, et s’observe dans les pays à revenu faible ou intermédiaire comme dans ceux à revenu élevé (Marmot et al., 2008; Organisation mondiale de la santé, 2010; Marmot et al., 2010; Braveman et al., 2010).
Des disparités d’espérance de vie sont ainsi facilement observables entre les pays. L’espérance de vie à la naissance tous sexes confondus était ainsi de 52.9 ans en 2016 au Lesotho, en Afrique, alors qu’elle atteignait 84.2 ans au Japon. Ces disparités s’observent également au sein des pays. L’espérance de vie à la naissance sur la période 2015-2017 en Ecosse pour les hommes de la ville de Glasgow était, par exemple, supérieure de 7.2 années à celle des hommes vivant dans le secteur de l’East Renfrewshire (80.5 contre 73.3 années) (Office for national statistics, 2018).
Les inégalités sociales de santé ont commencé à être mises en évidence dans les années 1970 (Marmot et al., 1978; Gray, 1982) et perdurent depuis (Menvielle et al., 2007; Mackenbach et al., 2008; Montez et al., 2014; de Gelder et al., 2017; Mackenbach, 2017; Bosworth, 2018), y compris dans des pays développés qui promeuvent le bien-être économique et social, comme les pays nordiques, où il existe un système de protection sociale, d’aides sociales et de redistribution des revenus («modern welfare states») (Mackenbach, 2012; Mackenbach, 2017). C’est le cas de la France, où, malgré une amplitude d’inégalités de revenus (ratio interdécile de 3.4 en 2016) et un taux de pauvreté (8.3% en 2016) parmi les plus faibles des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, 2019), une redistribution monétaire qui permet de diviser par deux l’écart de revenus entre les 10% les plus aisés et les 10% les plus modestes (Institut national de la statistique et des études économiques, 2018), une part de la richesse nationale consacrée aux dépenses totales sociales (31.7%du PIB en 2015) et aux dépenses totales de santé (11.5% du PIB en 2017) figurant parmi les plus importantes des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, 2019), et un système de santé performant (Global burden of disease 2016 Healthcare Access and Quality Collaborators, 2018; Ferreira et al., 2018), les inégalités sociales de santé persistent. Avec une espérance de vie à la naissance en 2018 de 85.3 ans chez les femmes et 79.4 chez les hommes (Institut national de la statistique et des études économiques, 2019), la France a en effet l’un des meilleurs niveaux de santé au monde (Organisation mondiale de la santé, 2018). Cependant, cette espérance de vie moyenne cache d’importantes disparités. En effet, plus le niveau de vie est élevé, plus l’espérance de vie est grande. Ainsi, parmi les 5 % les plus aisés, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart. Chez les femmes, cet écart est plus faible ; 8 ans séparant les plus aisées des plus pauvres (Institut national de la statistique et des études économiques, 2018). De même, il existe un écart de 3.2 ans d’espérance de vie à 35 ans entre les ouvriers et les cadres pour les femmes (53 ans versus 49.8) et de 6.4 ans chez les hommes (49 ans versus 42.6) (Institut national de la statistique et des études économiques, 2016). A ces différences d’espérance de vie s’ajoutent également des différences en termes d’incapacité : les ouvriers ont une vie plus courte et au sein de cette vie plus courte passent plus de temps en mauvaise santé. A 35 ans, un homme ouvrier peut s’attendre à vivre 17 années avec au moins une limitation fonctionnelle physique ou sensorielle, alors qu’un homme cadre peut s’attendre à ne vivre que 13 années avec ces problèmes (Institut national d’études démographiques, 2008). Ces différences s’observent également avec d’autres indicateurs que l’espérance de vie. La mortalité toutes causes chez les sujets les moins éduqués est ainsi environ 2 fois plus importante que chez les plus éduqués (Mackenbach, 2017; Ghosn et al., 2017), et elle est augmentée de 17% chez les sujets vivant dans les zones les plus défavorisées par rapport à ceux vivant dans les zones les moins défavorisées (Ghosn et al., 2017).
Les inégalités sociales de santé dans le cancer
Les inégalités sociales de santé s’observent dans différentes pathologies : cancers, maladies cardiovasculaires, maladies cérébrovasculaires, maladies respiratoires, maladies hépatiques, diabète, etc (Mackenbach et al., 2008; Marí-Dell’Olmo et al., 2015; MesallesNaranjo et al., 2018). Le cancer représente une des causes de décès qui contribuent le plus aux inégalités sociales de mortalité, notamment en France (Menvielle et al., 2007; Mackenbach et al., 2008; Strand et al., 2014). Des inégalités sociales de mortalité par cancer sont en effet observées pour une majorité de localisations cancéreuses (Menvielle et al., 2008; Menvielle et al., 2013; Vanthomme et al., 2017; Hashim et al., 2017). Ces disparités sociales de mortalité par cancer se décomposent en disparités sociales d’incidence et de survie. Les individus défavorisés ont en effet un risque plus important de développer un cancer, mais également, et indépendamment, une probabilité de survie moins importante.
Les inégalités sociales d’incidence des cancers
Le cancer est une maladie multifactorielle dont les facteurs de risques peuvent être environnementaux, comportementaux ou génétiques. Les principaux facteurs de risques reconnus sont le tabac, l’alimentation, l’obésité, une faible activité physique, la consommation d’alcool, certaines expositions professionnelles, les rayonnements ultraviolets, certaines infections, les rayonnements ionisants, la pollution atmosphérique ainsi que certains facteurs génétiques (Parkin et al., 2011; Global burden of disease 2015 Risk Factors Collaborators, 2016; Whiteman et al., 2016; Islami et al., 2018). La grande majorité des facteurs de risques comportementaux de cancer sont socialement stratifiés, et souvent plus présents dans les milieux défavorisés (Filippidis et al., 2016; Kino et al., 2017). C’est ainsi le cas de la consommation de tabac (Stait et al., 2016; Huijts et al., 2017; Petrovic et al., 2018; Agaku et al., 2019), des habitudes de consommation alimentaire moins favorables à la santé, avec notamment une consommation de fruits et légumes plus faible (Kirkpatrick et al., 2012; Stait et al., 2016; Huijts et al., 2017; Petrovic et al., 2018), d’une activité physique moins importante (Stait et al., 2016; Huijts et al., 2017; Pérez-Hernández et al., 2017; Petrovic et al., 2018) et d’une prévalence du surpoids et de l’obésité plus importante (Hughes et al., 2017; Pérez-Hernández et al., 2017; Hayes et al., 2019). Concernant la consommation d’alcool, elle était plus importante chez les sujets défavorisés par le passé (Baumann et al., 2007; Lakshman et al., 2011), désormais la consommation fréquente est plus importante chez les sujets les plus favorisés alors que la consommation ponctuelle et excessive se retrouve plus fréquemment chez les sujets de faible statut socio économique. (Grittner et al., 2013; Stait et al., 2016; Huijts et al., 2017; Petrovic et al., 2018).
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Table des matières
1. Introduction
Contexte et objectifs
1.1. Contexte
1.1.1. Les inégalités de santé
1.1.2. Les inégalités sociales de santé
1.1.3. Les inégalités sociales de santé dans le cancer
1.1.3.1. Les inégalités sociales d’incidence des cancers
1.1.3.2. Les inégalités sociales de survie des cancers
1.1.3.2.1. Les inégalités sociales de prise en charge des cancers
1.1.3.2.2. Les inégalités sociales de participation au dépistage des cancers
1.1.4. Les inégalités géographiques de santé selon le spectre rural/urbain
1.1.5. Les inégalités géographiques dans le cancer selon le spectre rural/urbain
1.1.5.1. Les inégalités d’incidence des cancers rural/urbain
1.1.5.2. Les inégalités de survie des cancers rural/urbain
1.1.5.2.1. Les inégalités de prise en charge des cancers rural/urbain
1.1.5.2.2. Les inégalités de participation au dépistage des cancers rural/urbain
1.1.6. Les inégalités géographiques de santé selon l’éloignement à l’offre de santé
1.1.7. Les inégalités géographiques de survie des cancers selon l’éloignement à l’offre de santé
1.1.7.1. Les inégalités de prise en charge des cancers selon l’éloignement
1.1.7.2. Les inégalités de participation au dépistage des cancers selon l’éloignement
1.1.8. La question des inégalités de santé dans les politiques publiques
1.1.9. Les interventions de santé publique dans le dépistage des cancers
1.9.1.1. Les interventions de santé publique visant à augmenter la participation au dépistage des cancers
1.9.1.1.1. Les interventions de santé publique ciblant les individus
1.9.1.1.2. Les interventions de santé publique ciblant les équipes de santé primaires
1.9.1.1.3. Les interventions de santé publique multimodales
1.9.1.2. Les interventions de santé publique visant à réduire les inégalités de participation au dépistage des cancers
1.2. Objectifs de la thèse
2. Travaux et résultats
2.1. Analyse coût-efficacité d’une unité de mammographie mobile visant à réduire les inégalités sociales et géographiques de participation au dépistage organisé du cancer du sein
2.2. Analyse coût-efficacité d’un programme d’accompagnement personnalisé au dépistage du cancer colorectal visant à réduire les inégalités sociales
3. Discussion générale
Conclusion
4. Références