L’école comme espace social permettant de sortir de sa condition sociale vs la crise actuelle de l’école
L’école comme espace social
Je fais l’ensemble de ma scolarité primaire et secondaire dans la ville où j’ai toujours habité, Noisy-le-Grand, dans le département de la Seine Saint Denis, communément appelé par son numéro, le 93. Cette désignation a parfois été utilisée dans cette thèse sans volonté de stigmatisation. Toutefois, cela met en évidence la banalisation de cette utilisation. La ville est à 13 km de Paris et il est facile de se rendre à la capitale. En effet il y a trois gares RER. Deux gares de RER A qui sont gérées par la RATP et une gare de RER E gérée par la SNCF. Par ailleurs, il y a des liaisons directes avec l’autoroute A4. Ce n’est pas une ville qui est repliée sur elle-même et coupée des grandes villes environnantes. La ville est composée de plusieurs quartiers. Certains sont pavillonnaires, d’autres sont des cités avec des barres HLM d’une hauteur plus ou moins importante. Je passe mon enfance et une partie de mon adolescence dans une cité HLM. Celle-ci est constituée d’immeubles de quatre étages qui donnent sur des parkings. Il y a également deux grandes tours. L’école primaire rassemble tous les enfants du quartier ainsi que les enfants vivants dans les pavillons séparés de la cité par une large rue. A l’école, il y a un mélange entre les enfants dont beaucoup de parents ou de grands-parents sont des migrants originaires d’Afrique du nord, d’Afrique noire, d’Asie du sud est, du Portugal. Mon expérience à l’école primaire est donc faite de mélanges et d’absence de tensions entre les groupes d’appartenances des enfants. L’école est un espace clos sur lui même – entouré de barrières ou de grilles- dans lequel les enfants et les parents se connaissent parce qu’ils vivent au même endroit. C’est une école qui n’est plus classée ZEP quand je la fréquente mais dont le corps professoral est composé d’enseignants âgés qui ont fait pour certains une grande partie de leur carrière au même endroit.
L’école rassemble des enfants issus de milieux différents : classes moyennes (habitant en pavillon, dans la cité résidentielle ou dans la cité HLM et étant souvent en voie d’acquisition d’un logement), classes populaires (vivant dans la cité HLM) dont les configurations des structures familiales sont différentes : familles monoparentales, familles dont les parents ne sont pas nés en France, religions différentes. A l’intérieur de l’école, il n’y a pas d’animosité et les fêtes de fin d’année –kermesses- rassemblent la plupart des enfants et des parents, sans qu’il y ait de tensions . Dans le même temps, l’école est un lieu qui fonctionne en autarcie par rapport à l’extérieur en ce qu’elle est coupée des difficultés qui peuvent apparaître entres les différents quartiers de la ville. Il n’y a que peu de sorties organisées tout au long de l’année. L’école fonctionne comme un espace social dont je garde un très bon souvenir et dont l’expérience est marquante puisque cette scolarité me donne à construire l’image de l’école comme un lieu de mélange paisible entre enfants.
Reconstruire les liens entre mon objet de recherche et mon expérience à l’école primaire est une étape importante dans ma réflexion puisque cela me permet d’analyser avec recul la construction de l’image de l’école primaire qui était la mienne. C’est une image heureuse mais qui est représentative d’une expérience personnelle dans un quartier et à un moment donnés. Ce retour sur mon expérience à l’école primaire me permet de m’en détacher pour laisser un espace de construction de l’objet école plus ouvert, c’est-à-dire dont les caractéristiques peuvent être totalement différentes de celles que j’ai connues.
L’ascension sociale
L’ascension sociale est un élément qui revient dans mon histoire familiale, tant du côté maternel que paternel, tant pour mes grands-parents que pour mes parents. C’est un concept qui est intimement lié à la réussite scolaire et donc à l’image de l’école.
Mon père est né au Chili. Son père, déshérité, est né dans une famille de la « petite bourgeoisie » chilienne. Sa mère n’a pas fait d’études supérieures. Ils vivent dans les quartiers pauvres de Valparaiso, construisant eux-mêmes une maison sur un terrain qu’ils achètent dans les hauteurs de la ville. Mon grand-père occupe un poste administratif à l’hôpital tandis que ma grand-mère est mère au foyer. Pour eux, appartenir à la classe dite « pauvre » n’induit pas de ne pas être éduqué. Ils portent une attention toute particulière à ce qui est qualifié « d’élégance » et de « savoir vivre ». Ainsi, s’ils appartiennent à une classe sociale inférieure, ils se détachent symboliquement de cette dernière en adoptant un langage et un comportement des classes supérieures. Dans ma famille paternelle, cet éloignement symbolique induit aussi une nécessité de se cultiver grâce à l’éducation qui est un élément devant permettre une ascension sociale. Ma grand-mère, qui reprend ses études et devient aide-soignante quand ses enfants sont adultes, en est un exemple. Mon père incarne, par son parcours éducatif puis professionnel, cette recherche de l’ascension sociale au moyen de l’école.
La crise de l’école
Je commence mes études supérieures en classe préparatoire aux grandes écoles dans un lycée de l’est parisien. Ces deux années d’étude sont une confrontation brutale avec un autre système éducatif que celui que j’ai connu jusqu’alors. Les connaissances culturelles – lectures autres que celles du programme, sorties et connaissances des musées, connaissance de l’actualité- sont essentielles à la réussite pendant ces deux années mais doivent se faire sans l’aide des professeurs. Le rapport entre élèves et professeur est de plus totalement inversé au regard du lycée puisqu’il n’y a pas de bienveillance des premiers à l’égard des seconds. Cette entrée dans l’éducation supérieure est un choc avec la vision que j’avais jusqu’alors de l’école. La suite de mon parcours universitaire –licence en lettres modernes puis master de politiques culturelles- me montre également, à travers mes lectures notamment, les différences en matière d’éducation entre les différents territoires qui composent la France.
Ces lectures m’invitent à penser la place de la culture dans la réussite d’un parcours scolaire, en particulier dans un parcours scolaire universitaire. Ce qui est valorisé, c’est surtout la connaissance de tout ce qui n’a pas été vu en cours permettant de compléter ou de critiquer ce qui a été vu pendant le cours. La culture prend une place importante dans mon parcours universitaire et j’y accorde un regard particulier quand je la compare au cadre scolaire que j’ai expérimenté.
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Table des matières
Remerciements
Prologue
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1
L’ECOLE ET LES « CLASSES A PARIS » COMME OBJET D’ETUDE ANTHROPOLOGIQUE
CHAPITRE 1
CONTEXTE EPISTEMOLOGIQUE
CHAPITRE 2
LES « CLASSES A PARIS » : UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL
CHAPITRE 3
UNE METHODOLOGIE ANTHROPOLOGIQUE
CONCLUSION DE LA PARTIE 1
PARTIE 2
TERRAIN
PARTIE A
DE LA CLASSE A LA CONSOMMATION
CHAPITRE 4
LES LOGIQUES DE CONSOMMATION DANS L’ECOLE DU 6EME
CHAPITRE 5
L’ECOLE DU 2EME ET L’EMPRISE DES PARENTS
PARTIE B
DE L’AUTORITE A LA DEFENSE
CHAPITRE 6
DES APPARTENANCES MULTIPLES DANS L’ÉCOLE B DU 19EME ARRONDISSEMENT
CHAPITRE 7
FERMETURE ET EXCLUSION DANS L’ECOLE DU 18EME
PARTIE C
DES ECOLES OUVERTES ?
CHAPITRE 8
LA QUESTION DES APPARTENANCES DANS L’ECOLE A DU 19EME
CHAPITRE 9
LE FONCTIONNEMENT ATTENDU D’UNE « CLASSE A PARIS » DANS L’ECOLE DU 20EME
CONCLUSION GENERALE
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