LES INCLUSIONS MAGMATIQUES
Les premières descriptions d’inclusions magmatiques datent de la fin du dix-neuvième siècle (Sorby, 1858 ; Zirkel, 1873). Grâce au développement des techniques d’analyses ponctuelles (spectrométrie de masse à ionisation secondaire, SIMS, ablation laser relié à un spectromètre de masse à source plasma, LA-ICPMS, spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, FTIR, spectroscopie Raman), les inclusions magmatiques sont de plus en plus utilisées pour l’étude des magmas primaires, des processus magmatiques, des processus de dégazage, et également pour des études de magmatologie expérimentale. De nombreux articles de revue ont été écrits sur ce thème (Ermakov et al., 1965 ; Roedder, 1979 ; 1984 ; Lowenstern, 1995 ; Sobolev, 1996 ; Schiano, 2003 ; Kent, 2008 ; Métrich et Wallace, 2008).
Définition et intérêt des inclusions magmatiques pour l’étude des magmas primaires en zone de subduction
Description et terminologie
Les inclusions magmatiques (aussi appelées inclusions vitreuses lorsqu’elles ne contiennent pas de cristaux) sont des petits volumes de magma piégés dans un minéral (Fig. 1.01a). Elles sont présentes à la fois dans les minéraux des roches volcaniques et des roches plutoniques (terrestres et extra-terrestres), indépendamment de la nature du minéral.
En général, les inclusions magmatiques sont de formes sphériques ou ovoïdes (Fig. 1.01b), et leur taille est inférieure à 300 µm. Certaines inclusions peuvent aussi développer une forme de cristal négatif (forme de maturation qui minimise l’énergie de surface en mimant l’habitus du minéral hôte ; Fig. 1.01c ; Clocchiatti, 1975 ; Mainley, 1996), alors que d’autres prennent une forme allongée suite à un épisode de déformation. A température ambiante, elles peuvent contenir une ou plusieurs bulles (Fig. 1.01a-d, g, h, j, k), une matrice vitreuse ou dévitrifiée (Fig. 1.01d, i), et des minéraux fils (Fig. 1.01h, j, k). Les inclusions magmatiques des olivines magnésiennes renferment souvent un spinelle ayant servi de point d’encrage pour la formation de celle-ci (Fig. 1.01b, e, f), ainsi que des globules de sulfures tapissant les parois de l’inclusion .
Suivant la terminologie utilisée pour les inclusions fluides, les inclusions magmatiques sont classées en différentes catégories, en fonction de leur répartition dans le minéral hôte (Roedder, 1984) :
– Les inclusions magmatiques primaires sont réparties de manière isolée et aléatoire dans le minéral hôte (Fig. 1.02a, b). Elles peuvent aussi souligner ses zones de croissance. Elles se forment pendant la cristallisation du minéral hôte (voir chapitre 1.2 détaillant les mécanismes de formation) et elles piègent le magma parent dans lequel le minéral hôte se développe. Elles sont de forme ovoïde ou en cristal négatif, et sont souvent associées à un microcristal (par exemple un spinelle dans le cas des inclusions piégées dans les olivines magnésiennes).
– Les inclusions magmatiques secondaires se présentent sous la forme d’alignements de nombreuses inclusions (magmatiques et fluides) le long d’un plan traversant le minéral hôte (Fig. 1.02c, d). Ces alignements sont facilement reconnaissables au microscope. Ils se forment après la cristallisation du minéral hôte, suite à la cicatrisation d’une fracture ayant permis la circulation d’un liquide à travers le minéral. Le liquide contenu dans les inclusions magmatiques secondaires n’a aucun lien cogénétique avec le magma parent du cristal. Ces inclusions sont souvent plus petites (<20 µm) que les inclusions primaires, et leur forme est très variable. On retrouve par exemple de nombreux plans d’inclusions secondaires dans les xénolites mantelliques (Schiano et al., 1994).
– Les inclusions pseudo-secondaires sont elles aussi alignées le long de plans, mais la fracturation est contemporaine à la cristallisation du minéral hôte. Dans ce cas, le liquide piégé est bien le magma parent du minéral hôte. Cependant il n’est pas possible de différencier au microscope les inclusions pseudo-secondaires des inclusions secondaires.
– Les inclusions ouvertes (ou golfes) sont connectées aux bords du cristal (Fig. 1.02e). Ce sont des cavités contenant un liquide silicaté relié à l’extérieur du cristal par un capillaire ou un tube rempli de verre. Elles représentent une inclusion qui n’a pas été refermée, donc qui est restée en contact avec le milieu extérieur. Elles contiennent souvent des liquides de compositions intermédiaires entre celles du verre matriciel et celles des inclusions primaires. Elles peuvent être utilisées pour étudier les différents stades de dégazage d’un magma (Anderson, 1991).
Les inclusions secondaires contiennent généralement des liquides évolués ou non cogénétiques avec le magma parent. Les inclusions ouvertes ont subi une évolution en système ouvert, donc elles peuvent avoir été affectées par des processus secondaires de mélange, dégazage et cristallisation fractionnée. Pour étudier la composition du magma parent d’une série de laves, il est donc important de travailler uniquement avec des inclusions magmatiques primaires. Ce sont dans les olivines, une des premières phases à cristalliser lors de l’évolution d’un magma basaltique, que l’on retrouvera les liquides piégés les plus primitifs possible. Par exemple, les inclusions primaires des olivines forstéritiques des laves d’arcs ont souvent des compositions plus primitives que celles des laves hôtes (Gurenko et Chaussidon, 1995 ; Schiano et al., 2000 ; Bouvier et al., 2008).
Intérêt des inclusions magmatiques pour l’étude des magmas primaires en zone de subduction
Les laves échantillonnées en surface sont le résultat de nombreux processus secondaires qui affectent le magma lors de sa remontée, comme les mélanges de magmas, la cristallisation fractionnée, la contamination crustale et le dégazage. Le magma primaire est modifié par l’action de ces processus secondaires et les éléments volatils (c’est-à-dire les éléments susceptibles de passer en phase gazeuse) sont perdus dans l’atmosphère lors de l’éruption. Il est donc difficile de retrouver la composition du magma primaire à partir de celle des laves. L’intérêt des inclusions primaires réside notamment dans leur capacité à isoler leur contenu de ces processus secondaires. Le liquide silicaté contenu dans l’inclusion évolue théoriquement en système clos pendant la remontée du magma et les volatils restent piégés dans l’inclusion. Donc les inclusions magmatiques primaires, plus particulièrement celles qui sont piégées dans des olivines magnésiennes, offrent un accès direct (1) à la composition du magma primitif (ou du magma le plus primaire possible), (2) aux conditions de formation de ce magma et (3) à la teneur prééruptive en éléments volatils. Elles ont été utilisées pour l’étude des processus magmatiques (Sobolev et Shimizu, 1993 ; Saal et al., 1998 ; Laubier et al., 2007), des conditions P T d’extraction des magmas (Sobolev et Shimizu, 1993 ; Pichavant et al., 2002 ; Pichavant et Macdonald, 2007), des teneurs pré-eruptives en éléments volatils et des processus de dégazage (Anderson, 1975 ; Métrich et Clocchiatti, 1989 ; Sobolev et Chaussidon, 1996 ; Gurenko et al., 2001 ; Saal et al., 2002 ; Hauri, 2002 ; Spilliaert et al., 2006 ; Métrich et Wallace, 2008) et pour la caractérisation de la source des magmas (Gurenko et Chaussidon, 1995 ; Saal et al., 1998 ; 2005 ; Sobolev et al., 2000 ; Chaussidon et Marty, 1995 ; Rose et al., 2001 ; Schiano, 2003).
En zone de subduction, de nombreux composants sont susceptibles de participer à la genèse des magmas d’arcs : les sédiments et la croûte océanique, le coin de manteau, la croûte supérieure, ainsi que tous les magmas et/ou fluides générés par chacun de ces réservoirs. L’entrée en subduction de matériel hydraté confère aux magmas d’arcs leurs teneurs élevées en eau et en éléments volatils, une des causes du caractère explosif des volcans en zones de subduction. Dans ce contexte, les inclusions magmatiques primaires représentent un outil privilégié pour s’affranchir des processus de mélanges secondaires et pour retrouver la teneur pré-éruptive en éléments volatils des magmas d’arcs (Métrich et Clocchiatti, 1989 ; Bacon et al., 1992 ; de Hoog et al., 2001 ; Roggensack, 2001 ; Hauri, 2002 ; Kent et al., 2002 ; Spilliaert et al., 2006 ; Elburg et al., 2007 ; Gurenko et al., 2005 ; Portnyagin et al., 2007 ; Bouvier et al., 2008 ; Johnson et al., 2008 ; Vigouroux et al., 2008).
Plusieurs études ont montré que la variation compositionnelle des inclusions des olivines basaltiques est supérieure à celle des laves hôtes (Fig. 1.03 ; Sobolev, 1996; Saal et al., 1998 ; Schiano, 2003 ; Saal et al., 2005). En effet, les inclusions contiennent des petits volumes de liquide de fusion instantanée du manteau terrestre qui ont été piégés dans les minéraux avant les étapes de mélange et d’homogénéisation dans les chambres magmatiques. Si le magma évolue en système fermé de l’étape de piégeage des inclusions jusqu’à l’éruption, alors la lave émise a une composition égale à la moyenne des compositions de toutes les inclusions piégées (par exemple, Kent, 2008). La grande variabilité des compositions enregistrées dans les inclusions magmatiques reflète donc les hétérogénéités (spatiales et/ou temporelles) de source et/ou de processus à très petite échelle. Ces hétérogénéités se retrouvent dans les inclusions à l’échelle d’une coulée, d’un échantillon ou même d’un phénocristal (Sobolev et al., 2000 ; Laubier, 2006). La préservation de ces hétérogénéités pourrait indiquer que les vitesses des processus de transport et d’éruption sont supérieures à celles des processus de mélange des magmas et de rééquilibrage des inclusions (Ruprecht et al., 2008).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1 LES INCLUSIONS MAGMATIQUES
1.1 DEFINITION ET INTERET DES INCLUSIONS MAGMATIQUES POUR L’ETUDE DES MAGMAS PRIMAIRES EN ZONE DE SUBDUCTION
1.1.1 Description et terminologie
1.1.2 Intérêt des inclusions magmatiques pour l’étude des magmas primaires en zone de subduction
1.2 COMMENT SE FORMENT LES INCLUSIONS MAGMATIQUES ?
1.2.1 Mécanismes de formation
1.2.2 Représentativité des liquides piégés en fonction de leur mode de piégeage
1.3 COMMENT EVOLUENT LES INCLUSIONS APRES PIEGEAGE ?
1.3.1 Modifications réversibles
1.3.1.1 Evolution de la pression et de la température interne
1.3.1.2 Formation d’une bulle de retrait
1.3.1.3 Apparition de phases cristallines
1.3.1.4 Cas des spinelles
1.3.2 Méthodes d’inversion des modifications post-piégeage en système fermé
1.3.2.1 Correction de la cristallisation d’olivine à la paroi
1.3.2.2 Homogénéisation expérimentale
1.3.3 Modifications irréversibles : la question de l’isolement des inclusions magmatiques
1.3.3.1 Déformation élastique et évolution de la pression interne
1.3.3.2 Maturation de la forme de l’inclusion
1.3.3.3 Rééquilibrage de l’inclusion avec l’olivine ou le magma extérieur
1.3.3.3.1 Cas de la perte en fer
1.3.3.3.2 Cas de la perte en eau
1.3.3.3.3 Cas de la diffusion des éléments traces
1.3.3.4 Nucléation des globules de sulfure
1.4 DEMARCHE ADOPTEE POUR S’ASSURER DE LA REPRESENTATIVITE DES INCLUSIONS ETUDIEES
2 TECHNIQUES DE PREPARATION ET D’ANALYSE DES INCLUSIONS MAGMATIQUES
2.1 PREPARATION ET HOMOGENEISATION DES INCLUSIONS MAGMATIQUES
2.1.1 Préparation des lames d’olivines
2.1.2 Observation et sélection des inclusions magmatiques
2.1.3 Thermométrie optique
2.1.3.1 Méthode d’homogénéisation des inclusions magmatiques
2.1.3.2 Protocole suivi
2.1.3.3 Signification de la température d’homogénéisation
2.1.3.4 Problème expérimental : adhérence de l’olivine au saphir
2.1.3.5 Résumé des expériences d’homogénéisation
2.1.4 Préparation des inclusions magmatiques en vue de leur analyse
2.2 METHODES ANALYTIQUES
2.2.1 Introduction aux techniques d’analyses ponctuelles et récapitulatif des séances d’analyses
2.2.2 Microscope électronique à balayage (MEB)
2.2.3 Microsonde électronique
2.2.3.1 Principe de fonctionnement
2.2.3.2 Conditions analytiques
2.2.3.3 Erreurs associées aux mesures
2.2.4 Microsonde ionique (SIMS)
2.2.4.1 Présentation générale
2.2.4.2 Description et fonction de chaque secteur
2.2.4.2.1 Le secteur primaire
2.2.4.2.2 Le secteur secondaire
2.2.4.3 Principe de l’utilisation des standards
2.2.4.4 Résumé des conditions analytiques utilisées
2.2.4.5 Analyse des éléments volatils
2.2.4.6 Analyse des éléments traces
2.2.4.7 Analyse des isotopes du bore
2.2.4.7.1 Le système isotopique du bore
2.2.4.7.2 Intérêt des isotopes du bore en zone de subduction
2.2.4.7.3 Conditions analytiques
2.2.4.7.4 Traitement des données
2.2.4.7.5 Fractionnement instrumental
2.2.5 Comparaison des données microsonde électronique et SIMS pour l’analyse du chlore, du fluor et du soufre
3 L’ARC EOLIEN, L’ARC DES CASCADES ET L’ARC EQUATORIEN : TROIS SUBDUCTIONS CONTRASTEES
3.1 L’ILE DE VULCANO, ARC EOLIEN, ITALIE
3.1.1 Présentation de l’arc Eolien
3.1.2 L’île de Vulcano
3.1.3 Le cône de scories de la Sommata
3.1.4 Etudes antérieures sur les inclusions magmatiques des olivines de la Sommata
3.2 LE MONT SHASTA, ARC DES CASCADES, ETATS-UNIS
3.2.1 Présentation de l’arc des Cascades
3.2.2 Le Mont Shasta
3.2.3 Les laves basiques du Mont Shasta
3.2.4 Etudes antérieures sur les inclusions magmatiques du Mont Shasta
3.3 LE PICHINCHA ET LE PAN DE AZUCAR, ARC EQUATORIEN
3.3.1 Présentation de l’arc Equatorien
3.3.2 Le Pichincha et le Pan de Azucar
3.3.2.1 Le Pichincha
3.3.2.2 Le Pan de Azucar
3.3.2.3 Sélection des échantillons du Pichincha et du Pan de Azucar
3.4 SYNTHESE COMPARATIVE DES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DES TROIS ZONES DE SUBDUCTION
3.5 DESCRIPTION DES ECHANTILLONS SELECTIONNES
3.5.1 Composition des échantillons
3.5.2 Description des olivines
3.5.3 Description des inclusions
3.5.3.1 Taille, forme et contenu
3.5.3.2 Traitement microthermométrique et correction de la surcroissance d’olivine
CONCLUSION GENERALE