Le projet « Wikitek »
L’origine du projet : un système d’information inadapté.
Comme nous venons de le voir, la Vidéothèque englobe des activités variées et réparties sur différents lieux. Les supports de travail utilisés par le personnel de la Vidéothèque sont essentiellement des procédures, des méthodologies (indexation des vidéos etc.), des guides d’applications (utilisation des outils documentaires etc.) et des documents dits de gestion comme les plannings. La plupart du personnel de la Vidéothèque est donc grand consommateur de documents, de plus leur travail s’effectue souvent dans l’urgence, notamment au secteur communication qui doit répondre aux demandes des clients. Un accès rapide à ces informations stratégiques constitue donc un véritable enjeu. Tout ces documents issus de la suite Microsoft Office (Word, Excel, Powerpoint), et donc dans un format propriétaire, sont stockés en partage réseau sous une forme hiérarchique (dossiers et sous-dossiers).
L’arborescence est organisée selon les différents secteurs de la Vidéothèque (« Communication », « Valorisation », « Conservation » etc.) mais d’autres dossiers ne s’inscrivant pas dans cette logique se trouvent au même niveau hiérarchique (« Guide d’applications », « Mandats », « Plannings » etc.) ce qui crée une certaine confusion pour l’utilisateur. De plus, au fil des années, une masse de documents s’est accumulée dans ce système entraînant une multiplication de versions d’un même document, avec un contenu obsolète ou non mis à jour. Par conséquent, il est quasiment impossible de distinguer les documents d’archives à conserver ou à détruire et les documents de travail indispensables au bon fonctionnement des activités de la Vidéothèque. Enfin, aucune règle de saisie ni de description de l’information n’ont été définies au préalable ce qui a pour conséquence de rendre les intitulés peu pertinents, les dates de création et de modification non renseignées et l’auteur rarement identifié. L’information difficilement accessible pour les utilisateurs et les contributeurs engendre des pertes de temps, et donc de productivité pour le personnel de la Vidéothèque.
Tout ces dysfonctionnements ont conduit à la nécessité de repenser le système d’information de la Vidéothèque, devenu trop basique.
La méthodologie adoptée
La méthodologie adoptée pour le projet de refonte du système de gestion de contenu de la Vidéothèque comprend toutes les étapes de la gestion de projet de l’analyse de l’existant à la formation des utilisateurs.
Organisation du projet
Pour le déroulement du projet, un comité de projet et de pilotage a été défini. Le comité de pilotage est constitué de cadres appartenant aux différents secteurs de la Vidéothèque (conservation, valorisation, communication etc.). Le projet est également suivi par la Direction des Systèmes d’Information (DSI) qui apporte une aide logistique, un chef de projet au sein de ce service a été désigné ce qui nous a permis de disposer d’un interlocuteur privilégié.
Analyse de l’existant et des besoins
L’analyse de l’existant était essentielle pour cerner le contexte du projet, elle a consisté en une visite des différents secteurs de la Vidéothèque comme la qualité, la valorisation, la communication (les trois pôles), en une présentation des différents fonds (Actualités Françaises etc.), en une analyse des différents outils de gestion de contenu présents sur le marché, ainsi qu’en une observation des documents stockés sur le partage réseau avec une constatation des dysfonctionnements à l’utilisation.
L’analyse des besoins s’est effectuée en plusieurs temps. Une première analyse a été réalisée en amont du projet d’une manière officielle5 à la demande de la DSI, les entretiens ont été menés auprès des différents acteurs du projet (encadrement, et les différents corps de métier de la Vidéothèque) sous la forme de courts entretiens et composés de questions de type « Quel(s) type(s) de documents utilisez-vous ? »,« quel(s) format(s) ? », et « de quels documents avez-vous besoin ? ». Les résultats de cette première enquête témoignent de la véritable attente d’un changement de la gestion de l’information au sein de la Vidéothèque.
De plus, des entretiens réguliers avec l’encadrement ont été organisés afin de trier et de mettre à jour les documents de travail destinés au nouvel outil. Ces entretiens ont permis la clarification de leurs besoins et de leurs attentes mais ils sont aussi révélateurs d’une certaine inquiétude face à un changement de leurs habitudes et pratiques de travail.
Enfin, avec l’objectif de comprendre les pratiques informatiques et documentaires du personnel de la Vidéothèque, nous avons entrepris de proposer à l’ensemble de la Vidéothèque un questionnaire court et anonyme.
Seules vingt et une personnes y ont répondu dont un tiers de documentalistes, cet échantillon peut donc être considéré comme représentatif de l’activité des documentalistes mais dans une moindre mesure pour les autres profils interrogés.
Tous profils confondus, les réponses aux questionnaires révèlent une connaissance des partages de documents Windows (plus de 90% répondent positivement à la question 5), de plus, 80 % des usagers estiment savoir où et comment chercher, les personnes interrogées sont également conscientes de l’importance des documents de travail présents sur le serveur mais rencontrent des difficultés pour trouver la bonne information au bon moment : « les informations nécessaires à notre activité sont présentes mais pas toujours d’actualité ou mises à jour ».
Il semblerait que les nouveaux arrivants (moins d’un an d’expérience) demandent plus souvent une aide extérieure pour trouver un document. Cette réponse est révélatrice de la tradition orale de l’entreprise, mais aussi de la difficulté de recherche d’une information pour un novice, l’une des causes de ces difficultés réside dans la non pertinence des titres des documents et des intitulés des dossiers, ce qui en réduit la visibilité : « On ne sait pas toujours ce qui se cache derrière l’intitulé d’un dossier ».
Le système d’information est donc sous-exploité puisque la majorité des personnes interrogées exprime une « incertitude sur la validité des données mises en ligne », de plus elle ne consulte qu’un seul document de façon régulière : le planning. Ce document est certes capital pour l’organisation du travail des usagers de la Vidéothèque dû à un turnover important de certains salariés, mais il est surtout facile d’accès, localisé à un seul endroit et toujours mis à jour (la secrétaire de la Vidéothèque en est responsable).
Le choix de l’outil
Pour pallier aux dysfonctionnements du partage de document Windows, une simple réorganisation des documents n’aurait pas suffit, les entretiens et les résultats des questionnaires auprès du personnel de la Vidéothèque indiquent un réel besoin de réorganisation de l’information d’une part et de nouvelles fonctionnalités d’autre afin d’accéder à la bonne information plus rapidement.
De nombreux types d’outils de gestion de contenu existent sur le marché : des logiciels comme les GED (Gestion Electronique de Documents), les CMS (Content Management System), les ECM (Enterprise Content Management), les portails d’entreprise aux outils issus du web collaboratif comme les blogs, ou les wikis8. Dû à des restrictions budgétaires, seuls deux outils nous ont été proposés par la DSI (Direction des Systèmes d’Information) pour la gestion des documents de travail de la Vidéothèque : une GED ou un wiki.
La GED, « système informatisé d’acquisition, classement, stockage, archivage des documents, […] qui découle du cycle de vie du document »9, de la marque Nuxéo,remplit a priori la plupart des conditions requises au niveau des fonctionnalités attendues : recherche en texte libre ou par métadonnées, interface plus ergonomique, gestion des accès, workflow de validation des documents, etc.
Cependant, cet outil est trop similaire à la structuration du serveur Windows car il ne résout pas les problèmes liés à la multiplication de documents identiques à différents endroits de l’arborescence, ou au manque de mises à jour. L’outil est aussi plutôt difficile à manier et demande un entretien assez contraignant, avec par exemple l’indexation complexe de chaque document à travers un formulaire de saisie et la méthode de suivi du document (workflow) qui représente une charge de travail supplémentaire. De plus cette GED est en cours de développement dans toute l’entreprise, ce projet étant supervisé par la DSI, cela implique une certaine dépendance vis-à-vis de ce service avec des choix et des délais imposés etc. pour la réalisation du projet.
Le wiki, « système de gestion de contenu de site web qui rend les pages web librement modifiables par tous les visiteurs qui y sont autorisés [et qui] facilite l’écriture collaborative de documents avec un minimum de contraintes. »10 de la marque DokuWiki, est de plus en plus utilisé dans les entreprises comme outil de « coopération », il offre tous les avantages liés aux outils collaboratifs issus du web 2.0 : facilité d’utilisation, versioning, gestion des accès, interface ergonomique et modulable, communauté open-source très présente etc.
Le document numérique et l’éditorialisation des contenus métiers
Le numérique soulève de nombreuses interrogations concernant des sujets tels que l’environnement de travail ou la notion de document.
Où se trouve la limite entre documents numériques et documents traditionnels ?
Existe t-il une nouvelle forme de document numérique ? Les outils collaboratifs sont-ils synonymes de « liberté d’expression » ?
Etat de l’art sur le document numérique
Document traditionnel et document numérique : concepts
Le document, omniprésent dans notre vie quotidienne, subit des bouleversements depuis quelques années avec le développement des Technologies de l’Information et de la Communication. Afin de mieux comprendre ces changements et de mieux en cerner les enjeux, il est nécessaire de poser les bases autour de ce concept.
L’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) définit le document comme suit : « ensemble formé par un support et une information, généralement enregistré de façon permanente, et tel qu’il puisse être lu par l’homme et la machine ». Cette définition correspond parfaitement à la définition du document traditionnel, c’est-à-dire à la représentation la plus répandue et la plus admise du document. Comme l’indique l’ISO, il est constitué de deux éléments essentiels et indissociables : le support et l’information. Le support d’un document traditionnel est considéré comme un objet tangible et concret « solidaire de son contenu »11. Le support le plus représentatif de cette définition est sans aucun doute le papier et des objets tels que le livre, le passeport, le permis de conduire, etc.
L’information quant à elle, dépend de ce support, mais surtout de son utilisation propre. En effet, l’information est produite dans le but d’être communiquée, sans cet aspect social, le document perdrait sa validité comme l’indique cette définition de Serge Cacaly tirée du dictionnaire encyclopédique de l’information : « L’information est la consignation de connaissances dans le but de leur transmission. Cette finalité implique que les connaissances soient inscrites sur un support, afin d’être conservées, et codées, toute représentation du réel étant par nature symbolique. »
De plus, la norme ISO évoque la notion de pérennité du document, bien qu’elle la nuance par l’adverbe « généralement » puisqu’un document peut être d’une utilité éphémère, la carte d’identité expire au bout de dix ans par exemple. La norme ISO ne fait pas allusion à la notion d’auteur mais on peut dire qu’il est aussi « généralement » facilement identifiable dans un document traditionnel.
Pour certains, la définition du document est poussée à l’extrême, c’est-à-dire que tout peut devenir document, dès que l’objet détient une valeur pour un individu. L’exemple de l’antilope, repris par Roger T. Pedauque, « devenue document dès qu’elle est observée par un zoologue » illustre bien ce propos. Cependant cela ne correspond déjà plus au concept de document traditionnel que nous tentons de définir ici, comme l’écrit
Dominique Cotte «cette volonté d’élargissement […] finit par tuer le concept». Le document traditionnel est donc avant tout le résultat d’une construction, dans la majorité des cas son support est le papier, son contenu est l’écrit, enfin il doit être pérenne et constituer une « preuve » comme un livre, ou une revue.
Document numérique et usages
Un groupe de recherche appelé « Document numérique & Usages » existant depuis septembre 2004, insiste davantage sur l’aspect social et communicationnel du document, c’est-à-dire le « médium » évoqué par Roger T. Pedauque.
En effet, ceci est le signe du commencement d’une prise de recul sur la notion de document numérique. Après avoir étudié l’objet en lui-même, ces travaux de recherche s’intéressent aux enjeux, aux influences, aux conséquences qu’apportent le document numérique.
La dématérialisation : le cas des pages « wiki >>
Le wiki surfe sur la vague du Web 2.0
Le travail collaboratif, autrement dit, le travail de groupe assisté par ordinateur est une notion presque aussi ancienne qu’Internet puisqu’elle a fait son apparition dans les années 60 au Research Institute de Stanford aux Etats-Unis sous la direction d’ENGELBART.
En effet, l’invention d’Internet provenant d’une volonté de partage des savoirs et de communication entre plusieurs individus, était donc déjà à l’origine un « outil » collaboratif.
Dans les années 80 et 90, les outils de travail collaboratif comme Lotus Notes ou Groupwise se démocratisent auprès des professionnels, ils combinent des moyens de communication synchrones (chat, visioconférence etc.) et asynchrones (e-mails, forums etc.) et permettent de collaborer à distance sur des projets divers. Cependant, ces outils intéressent encore peu le grand public à cette époque : trop complexes ou trop coûteux, les applications mises à disposition sur le marché pour les particuliers ne permettaient que des échanges informels (mails, forums etc.) ,sans véritable construction collective et n’évoquaient pas encore le concept de « participation sociale ».
C’est avec le passage du web 1.0 au web 2.0 que les outils collaboratifs deviennent plus accessibles et plus « populaires » auprès des particuliers.
Selon Hervé Le Crosnier, dans sa conférence sur le Web 2.018, Le web 2.0 correspond à la fois à une innovation technique d’Internet, à un modèle de participation sociale, et à une nouvelle économie. Auparavant, les sites dits de première génération rendaient le visiteur d’un site Internet plutôt passif, il n’avait pas la possibilité d’y contribuer directement, le seul échange possible avec le webmestre était les contacts via e-mail, ce qui constituait une interaction plutôt limitée et rigide. Aujourd’hui, le web 2.0 offre plus de facilités à l’internaute pour échanger, communiquer, naviguer, ainsi que produire de l’information sans passer par les circuits de publication et d’édition habituels et contraignants. Les wikis, et blogs sont notamment issus de ces avancées technologiques et participent au « modèle de participation sociale » évoqué par Hervé Le Crosnier.
Les blogs, sorte de croisement entre journal intime et carnet de bord sont constitués d’articles alignés les uns à la suite des autres par ordre chronologique, les lecteurs, visiteurs de ces pages, ont la possibilité de réagir et d’exprimer leur opinion en laissant des commentaires sur ces articles. Les blogs sont devenus depuis quelques années, un véritable phénomène social provoquant des débats sur les questions d’édition électronique, de publications en ligne, de validité et de légitimité de l’information. Les blogs permettent aussi une interaction directe entre l’auteur des articles et le lecteur. Cependant les lecteurs ne deviennent pas réellement contributeurs du site mais ils jouent plus le rôle de conseiller, ou de critique.
Les nouvelles pratiques (lecture, écriture et cycle de vie)
Roger T. Pedauque écrit que la réussite d’une nouvelle technologie, comme le numérique, est visible au fait que celle ci entraîne un changement de pratiques.
La lecture d’un document numérique s’appréhende différemment de celle d’un document traditionnel.
L’appareillage de lecture apparaît comme l’une des premières différences, l’imprimé se trouve généralement sur un support papier, facilement manipulable et transportable, le document électronique quant à lui, peut se trouver sur différents supports numériques comme l’ordinateur, le téléphone portable, les organiseurs (PDA, palm…) etc. de plus, pour accéder au document, il est nécessaire de passer par un logiciel permettant cette lecture, son accès n’est pas direct contrairement à l’imprimé, son support est plus contraignant, moins accessible et plus fragile.
La page, l’un des supports virtuels du document numérique, est composée de différents éléments qui font que l’utilisateur ne lit pas uniquement du texte mais un ensemble d’informations autour de ce texte. Ce paratexte comporte notamment des signes passeurs : boutons, flèches de navigation, liens hypertextes etc. ces signes sont porteurs de sens comme l’évoque l’ouvrage lire, écrire, récrire : « le geste qui consiste à cliquer sur un signe passeur n’est pas un geste purement fonctionnel, c’est un acte de « lecture écriture » à part entière. ».
Des tests ont prouvé que la lecture à l’écran était plus pénible pour l’utilisateur, entraînant une fatigue visuelle et donc un temps de concentration plus court, cependant il est nécessaire de relativiser ces tests qui ont eu lieu à la fin des années 90, depuis, les techniques ont évolué, et les usagers sont plus habitués à la lecture sur écran.
Néanmoins, ces tests ont permis d’évaluer le comportement des utilisateurs face à un texte numérique, les conclusions de Jakob Nielsen à ce sujet sont sans appel : « How users read on the Web ? -They don’t. »26. Il est l’un des premiers chercheurs à constater le développement de nouvelles pratiques de lecture comme le « scanning » : méthode de lecture consistant à balayer le texte du regard pour en saisir le sens global, une sorte de lecture « en diagonale ». Autre pratique résultant d’une lecture à l’écran est ce qu’on appelle le « zapping », ce comportement plutôt rattaché à une pratique télévisuelle consistant à changer de chaînes de manière incessante, consiste ici à naviguer de texte en texte à travers des liens hypertextes et un processus d’inférence. Le lecteur devient indépendant, il choisit alors « son parcours de lecture »27 et construit ainsi sa propre information.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CONTEXTE ET PRESENTATION DU PROJET
1. L’INA : « l’avenir de notre mémoire »
a.Historique
b. Missions Conservation
Valorisation & Communication
Production
Recherche
Formation
c. La Vidéothèque : le lieu du stage
2. Le projet « Wikitek »
a. L’origine du projet : un système d’information inadapté
b. La méthodologie adoptée
Organisation du projet
Analyse de l’existant et des besoins
Le choix de l’outil
II. LE DOCUMENT NUMERIQUE ET L’EDITORIALISATION DES CONTENUS METIERS
1. Etat de l’art sur le document numérique
a. Document traditionnel et document numérique : concepts
b. La forme, le signe et le médium
c. Document numérique et usages
2. La dématérialisation : le cas des pages « wiki »
a. Le wiki surfe sur la vague du Web 2.0
b. La dématérialisation : méthodes et enjeux
c. Les nouvelles pratiques (lecture, écriture et cycle de vie)
3. Les contraintes éditoriales
a. Une nouvelle forme d’éditorialisation
b. Entre liberté d’expression et uniformisation des contenus
c. Les limites de l’éditorialisation
III. LES IMPLICATIONS CULTURELLES ET MANAGERIALES DU PROJET : D’UNE TRADITION ORALE AU WEB 2.0
1. La culture d’entreprise à l’Ina
a. Culture et culture d’entreprise
b. Culture d’entreprise et communication
c. Les mondes sociaux et l’entreprise
2. Le wiki : rupture ou transition ?
a. Oralité du web collaboratif
b. Le wiki : un outil fédérateur ?
c.Principes d’une organisation basée sur les nouvelles technologies
3. La conduite du changement
a. Introduction à la conduite du changement
b.Méthodologie de la conduite du changement
c.Appropriation et résistance au changement
CONCLUSION
ANNEXES
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