Contexte géologique, chronologique et archéologique
Historique des travaux menés à Cooper’s
La découverte d’une dent attribuée à Plesianthropus transvaalensis (aujourd’hui synonymed’Australopithecus africanus) en décembre 1939 par Julius Staz, et décrite par J. C. Middleton Shaw sur le terrain de la ferme de Mr. Cooper (Middleton Shaw, 1939 ; Berger et al., 1995) a ouvert la voie à de nombreuses recherches de terrain mais également de laboratoire, qui se poursuivent encore aujourd’hui. Au sein de cette région nommée aujourd’hui le Cradle of Humankind, la recherche était fortement marquée par les multiples découvertes de gisements plio-pléistocène ayant livré des fossiles d’hominines exceptionnels, comme le gisement de Sterkfontein en 1936 ou celui de Kromdraai en 1938 par R. Broom (1936, 1938). Les travaux menés à Cooper’s en 1954, dans une ancienne cavité minière (Brain, 1958), sont alors passés relativement inaperçus. Ces fouilles n’ayant pas livré de restes d’hominines, le site a été fermé après deux mois de terrain (ibid).
Ce n’est qu’en 1995, lors de l’étude de restes provenant d’une boite étiquetée au nom du site Cooper’s A au sein du Transvaal Museum de Pretoria, provenant des prélèvements effectués soit par Middleton Shaw soit lors des fouilles de C. K. Brain, que Martin Pickford et Francis Thackeray ont découvert une incisive attribuée au genre Autralopithecus ou aux premiers représentants du genre Homo (Berger et al., 1995). La difficulté rencontrée par ces auteurs pour localiser et différencier les localités de Cooper’s A et B les conduit à conclure qu’il s’agissait du même site (ibid).
En 2001, de nouvelles recherches de terrain ont été entreprises au sein d’un nouveau gisement nommé Cooper’s D, distinct des localités Cooper’s A et B, constitué de remplissages décalcifiés de brèche dolomitique (Berger et al., 2003). Ces fouilles ont permis de mettre au jour de nouveaux restes d’hominines attribués à Paranthropus robustus (Tab. 1), dont trois dents isolées, un fragment de mandibule et une vertèbre lombaire mais également un matériel faunique abondant et des outils lithiques (Berger et al., 2003 ; Kuman, 2003, 2007 ; De Ruiter et al., 2009).
Contexte géologique et datation
La grotte de Cooper’s est située dans le Cradle of Humankind (Afrique du Sud) à 1,5 km au nord-est de Sterkfontein, 1 km au sud-ouest de Kromdraai et à environ 45 km au nord-ouest de Johannesburg (Fig. 1 ; Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009 ; Val et al., 2014).
Cette région correspond géologiquement à la Formation de Monte Cristo (Sous-groupe de Malmani, Super groupe stratigraphique du Transvaal) qui est un dépôt de type karstique (Berger et al., 2003) composé majoritairement de dolomite et de chert. Les remplissages de la grotte de Cooper’s se présentent aujourd’hui sous la forme de brèches dolomitiques (De Ruiter et al., 2009). Une brèche est une roche composée d’éléments anguleux, appelés clastes, supérieurs à deux millimètres, pris dans un ciment nommé matrice sédimentaire. Elle se forme par calcification des dépôts sédimentaires en contexte de grotte. L’eau qui traverse la roche calcaire, que ce soit par infiltration ou par montée de la nappe phréatique, se charge en carbonates de calcium (CaCO3). Ces carbonates présents dans l’eau peuvent reprécipiter si les mouvements d’air sont suffisants pour permettre l’évaporation de l’eau. Les dépôts sédimentaires, qui peuvent contenir des ossements, se calcifient alors pour former une brèche. Sous l’érosion de l’eau, du climat mais aussi de la végétation (Brain, 1958 ; De Ruiter et al., 2009), les brèches se creusent et se décalcifient ; elles forment alors une série de monticules de brèche clastique ainsi que des chenaux irréguliers (Brain, 1981, 2004 ; De Ruiter et al., 2009). Les sédiments décalcifiés, issus de l’érosion de la brèche, se déposent alors au sein de ces chenaux, dans lesquels on peut observer de nombreux fossiles mais aussi des outils lithiques (ibid.).
Le processus de décalcification est complexe et encore mal connu. Il peut produire un dépôt sédimentaire constitué de fossiles issus de l’érosion de différentes brèches qui ne sont pas toujours contemporaines. Il est parfois difficile d’identifier la provenance des fossiles issus des sédiments décalcifiés et de les attribuer à une brèche en particulier. Le remaniement provoque quantité de processus taphonomiques différents comme la compaction, la bioturbation et/ou l’hydroturbation (De Ruiter et al., 2009). Dans la majorité des cas, lorsque l’analyse du dépôt ne montre aucun diachronisme, un dépôt décalcifié est considéré comme un ensemble homogène (Kuman & Clarke, 2000).
En ce qui concerne le site de Cooper’s D, deux zones de dépôts ont été identifiées (Fig. 2): Cooper’s D Est et Ouest, qui correspondent à deux parties distinctes de la grotte comprenant des dépôts calcifiées et décalcifiés (Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009). Les relations stratigraphiques entre les deux dépôts indiquent que Cooper’s D Ouest est plus ancien que Cooper’s D Est. L’ensemble repose sur un sol dolomitique sur lequel plusieurs formes de spéléothèmes ont été formées avant l’ouverture de la grotte. Le dépôt Ouest correspond à la majeure partie inférieure de la séquence, composée de sable fin et comporte une abondance de restes de micromammifères. La brèche forme un cône d’accumulation caractéristique des dépôts de grotte issus d’une ouverture verticale ou subverticale. Le dépôt est séparé en deux par un mince plancher stalagmitique. La présence de différents spéléothèmes au sein de ce dépôt comme les stalagmites, les coulées ou les planchers stalagmitiques, ainsi que la faible proportion de clastes dolomitiques provenant de l’effondrement du toit, indiquent que ce dépôt a été formé au sein d’une grotte relativement bien fermée. Le dépôt de Cooper’s D Est est plus grossier, avec la présence de claste supérieur à 50 cm, mais présente également une forme en cône. Le dépôt est recouvert par de nombreux clastes issus de l’effondrement du toit, dont de la dolomite et des spéléothèmes. Une fine couche de plancher stalagmitique, qui est la même que celle du dépôt ouest, sépare également la brèche en deux (De Ruiter et al., 2009). Le matériel osseux est plus ou moins aligné horizontalement avec le sédiment, mais aucune orientation préférentielle n’est observée pour les clastes dolomitiques ou de chert.
L’existence de deux entrées contemporaines au sein de la grotte, l’une au nord-est, l’autre au sud-ouest a été mise en évidence par l’existence de différents faciès sédimentaires (Berger et al., 2003). A Cooper’s D, trois faciès sédimentaires (A, B et C) ont pu être identifiés au sein des brèches calcifiées (De Ruiter et al., 2009). Le faciès A est concentré dans la section Cooper’s D Est ; il correspond à un sédiment sablonneux brun-rougeâtre comportant des clastes dolomitiques grossiers, des restes de macromammifères et des artefacts lithiques. Le faciès B est situé dans la section Cooper’s D Ouest et correspond à plusieurs unités de sédiment sablonneux brun-rougeâtre séparées par des formations stalagmitiques, et comportant des clastes de petite taille, de nombreux fossiles mais moins d’outils lithiques que le faciès A (De Ruiter et al., 2009 ; Val et al., 2014). Enfin, le faciès C est situé dans la partie nord-ouest, entre A et B, et présente un sédiment sablonneux brun-rouge, avec très peu de clastes dolomitiques, extrêmement riche en restes de micromammifères (De Ruiter et al., 2009). Les faciès A et B se distinguent principalement par la richesse en fossiles et la taille des clastes. Le faciès B, présent dans la section Ouest, présente alors un sédiment plus fin et plus riche en fossiles que le faciès A.
Contexte archéologique
D’après les études disponibles du matériel archéologique de Cooper’s D, une cinquantaine d’outils lithiques sont répertoriés sans être assignés à une industrie en particulier (Hall, 2004 in Kuman, 2007). Toutefois, on note l’absence totale de biface au sein de l’assemblage lithique (Kuman, 2007). Jusqu’à présent, aucune autre trace d’activités anthropiques (outils en os, marques de découpe ou de percussion) n’a été décrite au sein de l’assemblage de Cooper’s D (De Ruiter et al., 2009).
Les hominines contemporains du gisement de Cooper’s D en Afrique du Sud
Durant la période 1,5 – 1,4 Ma d’accumulation de la majeure partie du dépôt de Cooper’s D, deux genres d’hominines sont présents en Afrique du Sud. On distingue alors l’espèce Paranthropus robustus de celles du genre Homo, qui regroupe des fossiles dont l’attribution diffère selon les auteurs entre Homo habilis et Homo ergaster. Homo sp. (2,0 Ma – 1,0 Ma) – En Afrique du Sud, des fossiles attribués aux premiers représentants du genre Homo sont retrouvés dans le membre 5 (West et Stw53 breccia) de Sterkfontein (Brain, 1981 ; Pickering, 1999 ; Kuman & Clarke, 2000 ; Pickering et al., 2000), à Drimolen (Keyser, 2000 ; Keyser et al., 2000), ainsi que dans les membres 1 à 3 de Swartkrans (Brain, 1981, 2004 ; Gibbon et al., 2014 ; Wood & Boyle, 2016). Les premiers représentants du genre Homo montrent une importante variabilité morphologique, tant au niveau de la denture que du volume endocrânien, compris entre 500 et 800 cm (Wood & Boyle, 2016). Les analyses du ratio Sr/Ca et Ba/Ca indiquent un régime alimentaire moins varié que chez Australopithecus africanus mais une consommation de viande relativement importante (Balter et al., 2012). Les analyses des micro-usures dentaires indiquent, quant à elles, une certaine variabilité dans le régime alimentaire des premiers Homo (Ungar et al., 2006). En effet, les auteurs ont mis en évidence l’existence de « deux groupes », l’un (Homo ergaster et Homo sp. de Swartkrans) se nourrissant d’aliments plus durs que l’autre (Homo habilis de Sterkfontein). Paranthropus robustus (2,0 – 1,0 Ma) – Espèce endémique et seule représentante du genre Paranthropus en Afrique du Sud, P. robustus a été mis au jour dans 6 sites au total : Kromdraai B (Broom, 1938 ; Brain, 1981), le membre 5 (Oldowan Infill) de Sterkfontein (Pickering, 1999 ; Kuman & Clarke, 2000 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006), Drimolen (Keyser, 2000 ; Keyser et al., 2000), les membres 1 à 3 de Swartkrans (Brain, 1981, 2004), Gondolin (Grine et al., 2012 ; Herries & Adams, 2013) et Cooper’s (Berger et al., 2003 ; Steininger et al., 2008 ; De Ruiter et al., 2009). La première apparition de P. robustus dans le registre fossile provient du membre 1 de Swartkrans, daté aux alentours de 2,19 Ma, et sa dernière apparition provient du membre 3 de Swartkrans, daté aux alentours de 1,0 Ma (Gibbon et al., 2014). P. robustus possède un volume endocrânien compris entre 500 et 550 cm3 , avec des dents jugales massives, des canines et incisives plus petites que A. africanus (Brain, 1981 ; Wood & Boyle, 2016). Les restes postcrâniens indiquent une locomotion essentiellement bipède ainsi qu’une faible adaptation à l’arboricolie (Susman, 2004). Les os de la main indiquent également une capacité à fabriquer et utiliser des outils (Susman, 1991), bien que la majorité des auteurs s’accordent sur le fait que P. robustus était probablement plus un utilisateur d’outils qu’un artisan (Susman, 2004 ; Pickering, 2006 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006). Il faut également mentionner que des pièces d’industrie lithique (oldowayenne et acheuléenne), des outils en os ainsi que des restes osseux présentant des marques de découpe ont été retrouvés dans les mêmes niveaux que P. robustus (Kuman & Clarke, 2000 ; Backwell & d’Errico, 2001a, 2001b, 2003, 2004, 2014 ; Brain, 2004 ; Susman, 2004 ; Pickering, 2006 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006 ; Kuman, 2007 ; Caruana et al., 2013). Le croisement des données sur le paléorégime alimentaire de P. robustus montre une importante variabilité, bien que ce taxon ait été fréquemment décrit comme un végétarien spécialisé (Robinson, 1954). L’analyse du ratio Sr/Ca et Ba/Ca n’indique pas de régime omnivore (Sponheimer et al., 2005a) et tend à indiquer une alimentation basée sur des plantes d’environnement boisé (Balter et al., 2012), tandis que les données des isotopes du carbone (C 13 /C) indiquent un régime alimentaire varié, basé sur la consommation de plantes en C4 ou d’animaux les consommant eux-mêmes (Sponheimer et al., 2006). Il a également été fait mention de l’importance de la consommation d’insectes dans le régime alimentaire de P. robustus, dont la part aurait pu largement influencer les données obtenues pour les isotopes du carbone (Sponheimer et al., 2005b). L’analyse des micro-usures dentaires sur les dents jugales indique la consommation d’aliments durs (Grine, 1986) tandis que les microusures présentes sur les canines indiquent la consommation d’aliments plus tendres (Ungar &Grine, 1991). P. robustus montre une très grande variation des micro-usures dentaires et cela pourrait indiquer une capacité à consommer des aliments durs en cas de besoin, lorsque la nourriture préférentielle n’est plus disponible (Ungar & Sponheimer, 2011).
Résultats
Spectre faunique
Le gisement de Cooper’s D a livré un assemblage osseux mammalien diversifié et très abondant (Fig. 4 ; Annexe 1), comportant actuellement plus de 50 000 fossiles (Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009). Les données disponibles portent sur 7 828 restes, dont 3 955 déterminéstaxinomiquement et anatomiquement (NRdt), attribués à un total d’au moins 210 individus degrands mammifères (NMIt).
Il est dominé par les bovidés qui représentent plus de 50 % des restes de l’assemblage. On remarque également une abondance relative des primates non-humains, représentés par les cercopithécidés ainsi que des carnivores, notamment des félidés mais aussi, fait plus rare, des mésocarnivores représentés par les canidés. Cette faune montre aussi une abondance relative de suidés, qui, avec les canidés, sont des taxons souvent considérés comme rares dans les sites de la région (Berger et al., 2003).
Les hominines sont représentés sur le site par six restes attribués à Paranthropus robustus (Berger et al., 2003 ; Steininger et al., 2008 ; De Ruiter et al., 2009 ; Val et al., 2014), qui correspondent à au moins six individus, provenant des deux dépôts décalcifiés Est et Ouest(Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009), ainsi qu’un reste indéterminé au niveau du genre et de l’espèce.
Les cercopithécidés sont représentés par trois espèces éteintes, Papio hamadrys robinsoni, Theropithecus oswaldi et Gorgopithecus major, qui représentent un peu plus de 10 % de l’assemblage en nombre de restes (NR) et nombre minimal d’individus (NMI). Ces espèces sont communes dans les assemblages fossiles du Pléistocène inférieur d’Afrique du Sud et représentées par de nombreux restes dans les différents gisements de Sterkfontein, Swartkrans et Kromdraai (Brain, 1981, 2004).
L’identification d’un reste de primate strepsirrhinien est un fait rare parmi les sites du Pléistocène inférieur du Cradle of Humankind : Sterkfontein, Swartkrans, Kromdraai A et B n’en ont pas livré (Brain, 1981, 2004).
Les carnivores sont bien représentés dans l’assemblage de Cooper’s D puisqu’il s’agit du deuxième ordre taxinomique le plus abondant, que ce soit en termes de NR (= 576) ou de NMI (= 41), après celui des artiodactyles. L’assemblage des carnivores est dominé par les félidés, qui sont particulièrement diversifiés au sein du gisement (Fig. 5), et dont la majeure partie des taxons fossiles connus du Pléistocène inférieur d’Afrique du Sud sont présents (Megantereon, Dinofelis). Le léopard (Panthera pardus) domine l’assemblage des félidés avec près de 30 % en termes de NMI. Il est étonnant de remarquer que l’espèce dominant l’assemblage des carnivores, en termes de pourcentage de NR (> 19 % du NRdt des carnivores) mais aussi de NMI (≈ 13 % du NMI des carnivores) est un canidé, le chacal (Canis mesomelas), qui est un taxon habituellement peu courant dans les gisements de la région. On peut également souligner la part non négligeable du léopard (Panthera pardus) dans l’assemblage total des carnivores, ainsi que celle de la hyène tachetée (Crocuta crocuta) et de la hyène brune (Parahyaena brunnea). La hyène rayée, absente des précédentes listes fauniques (Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009) est représentée par au moins deux individus, soit presque 5 % du NMI des carnivores. Deux familles de petits carnivores ont été identifiées : les viverridés, qui représentent presque 20 % de l’assemblage de carnivores en termes de NRdt et de NMI, et les mustélidés, qui sont représentés par 2 restes (NRdt = 0,35 % ; NMI = 4,88 %).
Les équidés sont représentés par un nombre de restes modéré au sein de l’assemblage (NR = 51, soit moins de 1 % du NRdt et environ 1 % du NMIt). On note toutefois la présence de deux espèces, celle du zèbre fossile du Cap (Equus capensis) et du zèbre des plaines (E. burchellii) au sein de ce petit assemblage.
Discussion
Certaines caractéristiques de la liste taxinomique permettent d’émettre une première hypothèse taphonomique à propos de l’accumulation osseuse de Cooper’s D. D’une part, on observe l’abondance de suidés et de canidés, taxons habituellement considérés comme rares dans les gisements de la région comme les suidés et les canidés (Berger et al., 2003) ; ce sont des proies rarement observées au sein des tanières de félidés, mais plus souvent retrouvées au sein des tanières de hyènes, particulièrement la hyène brune (Parahyaena brunnea) pour les canidés (Kuhn et al., 2010). D’autre part, on note que l’abondance relative du springbok (Antidorcas marsupialis), des gnous (Connochaetes), des canidés (Canis mesomelas), des cercopithécidés (Theropithecus, Papio et Gorgopithecus), des suidés (Metridiochoerus), puis la diversité relative des carnivores avec la présence de petits taxons (viverridés et mustélidés) au sein de l’assemblage, correspondent aux proies préférentielles de la hyène brune (Parahyaena brunnea), d’après les observations de tanières actuelles (Brain, 1981, Tab. 40 et 41) et fossiles comme dans le Membre 5 du site de Sterkfontein (Pickering, 2002). Le ratio calculé du NMI des carnivores (41) par rapport au NMI des ongulés + carnivores (156) est supérieur à 20 % (26,28 %) ; cette valeur, en adéquation avec celle publiée auparavant (De Ruiter et al., 2009), correspond à celle d’une accumulation par la hyène brune (selon Kuhn et al., 2010).
Cette hypothèse peut être nuancée par la présence plus importante du léopard (Panthera pardus) et de la hyène tachetée (Crocuta crocuta) en termes de NMI, qui ont pu participer à l’accumulation de l’assemblage par une succession d’occupations alternées, ce qui rejoint les précédentes observations faites sur l’assemblage des primates (Val et al., 2014). Le ou les agents accumulateurs possibles de l’assemblage de Cooper’s D seront détaillés par la suite, à l’aide de l’analyse de la représentation squelettique et des modifications taphonomiques.
Paléoécologie
Les précédentes études effectuées sur un échantillon de l’assemblage faunique de Cooper’s D (8 488 restes sur un total d’environ 50 000 restes) ont permis d’émettre des hypothèses sur l’environnement de Paranthropus robustus vers 1,5 – 1,4 Ma par comparaison avec des gisements contemporains (De Ruiter et al., 2009). L’ensemble des spécimens étudiés semblent indiquer un environnement sec (Hernandez et al., 2016 ; Rector et al., 2016) de type savane avec la présence de zones boisées relativement denses localement (De Ruiter et al., 2009). Ce paysage de savane boisée correspond à celui interprété à partir des faunes des sites contemporains de Kromdraai A et Swartkrans (Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2008, 2009).
A l’aide de la liste taxinomique mise à jour de l’assemblage de Cooper’s D (Annexe 1), nous avons appliqué la méthode des histogrammes écologique (Tab. 2 et Annexe 4), qui paraît inédite dans le cadre des faunes pléistocènes d’Afrique du Sud, définie par Fleming (1973) et développée par Andrews et al., (1979) et Guérin (1998) sur les assemblages fossiles.
Diversité taxinomique
On observe l’importance des carnivores (> 40 % du nombre d’espèces) et des artiodactyles (> 30 %) dans l’assemblage. L’abondance relative de ces deux catégories indique généralement un milieu ouvert de type savane boisée. Toutes les autres classes sont présentes de manière équivalente (< 10 %), excepté l’absence totale d’insectivores. Cela semble indiquer la présence relative de quelques zones boisées, bien que les primates retrouvés sur le site de Cooper’s soient inféodés aux milieux ouverts (cercopithécidés). La faible représentativité des rongeurs dans un assemblage de type savane boisée peut s’expliquer par un biais taphonomique important, soit par conservation différentielle, soit par lessivage.
Régime alimentaire
L’histogramme des régimes alimentaires est marqué par l’abondance des zoophages (≈ 45 %) ainsi que des herbivores hypsodontes (> 35%). On observe également la présence d’herbivores brachyodontes (< 10 %), de quelques frugivores (> 5 %), d’omnivores (< 5 %) et d’entomophages (< 5 %), qui semblent indiquer l’existence de quelques zones boisées probablement parsemées. Ce profil de distribution correspond aux environnements ouverts de savanes sèches observés dans le Serengeti au nord de la Tanzanie.
Bilan
L’abondance relative des artiodactyles et des carnivores associés à une présence importante de grands mammifères terrestres ubiquistes et coureurs, de zoophages et d’herbivores hypsodontes, indique un environnement ouvert de vastes plaines. Ce paysage semble cependant légèrement pondéré par la présence d’espèces de taille moyenne, d’herbivores brachyodontes, de frugivores-granivores et de quelques omnivores. La présence d’un seul grimpeur-arboricole et d’un seul taxon aquatique, représentés par deux restes probablement intrusifs, doit être considérée avec précaution quant à leur implication dans la reconstitution de l’environnement.
Néanmoins, nous pouvons reconstituer un paysage relativement sec et ouvert, avec la présence de quelques zones boisées, semblable au Serengeti actuel. Ces résultats sont corroborés par de récentes études paléoécologiques (Hernandez et al., 2016 ; Rector et al., 2016), avec cependant la nuance de l’existence de zones boisées parsemées. Cette appréciation préliminaire du paléoenvironnement du site de Cooper’s pourra être précisée par une analyse ultérieure de tout l’assemblage osseux mammalien et des études de la microfaune.
Ages individuels des suidés
Le profil d’âge d’un taxon est important en termes d’interprétations taphonomiques, car il permet d’indiquer s’il s’agit d’une population naturelle (c’est-à-dire présentant une distribution en U avec surreprésentation des juvéniles et des plus âgés) ou d’une population sélectionnée par un prédateur (carnivore ou homme).
Le matériel étudié concerne les suidés, dont une évaluation du profil d’âge a été menée à partie des stades d’épiphysation des os longs. Il en ressort que les juvéniles et sub-adultes représentent plus de 11 % du nombre de restes de suidés (Fig. 8). Le matériel cranio-dentaire correspondant majoritairement à des fragments dentaires, principalement de la racine, n’a pas permis d’effectuer une étude des stades de développement dentaire.
Représentation squelettique
Seule la représentation squelettique des primates a été précédemment étudiée dans l’assemblage de Cooper’s D (Berger et al., 2003 ; De Ruiter et al., 2009 ; Val et al., 2014). La présente étude a permis d’évaluer celle des suidés, des équidés et des bovidés, afin d’identifier l’implication d’un ou plusieurs agents accumulateurs. Les restes crâniens n’ont pas été utilisés dans l’estimation du NME des bovidés (car basée sur le traitement de la base de données, sans observation directe des pièces).
Les bovidés ont été regroupés par classes de taille (selon Brain, 1981) pour analyser leur représentation squelettique. Ce sont les bovidés de taille moyenne, des classes II et III (23 – 296 kg), qui sont majoritaires en termes de NR, NME et NMI (voir chapitre 5.1). On remarque que la représentation squelettique, selon les différentes classes de taille, montre une distribution similaire en termes de NR (Fig. 9). Les os du crâne sont majoritaires, suivi des os coxaux et des os longs (humérus, fémur, tibia et métapodiens).
Discussion
L’absence des os denses et compacts (carpiens, tarsiens et phalanges) de bovidés pourrait être interprétée comme résultant d’une accumulation par la hyène (Cruz-Uribe, 1991 ; Lyman, 1994). Cependant, la représentation squelettique ne peut caractériser à elle seule l’origine d’un assemblage, d’autant que ce critère est à l’heure actuelle remis en question.
En effet, des études actualistes faites sur des repaires de hyènes ont pu montrer que les os denses et compacts pouvaient très bien résister à la digestion des hyènes et parfois même dominer l’assemblage postcrânien (Pickering, 2002 ; Kuhn et al., 2010). D’après l’étude de repaires de hyènes modernes et fossiles (Fourvel, 2013), l’importante variabilité de la représentation squelettique des ongulés au sein des repaires de grands carnivores (hyénidés, félidés, canidés)ne permet pas la distinction spécifique.
L’absence de restes retrouvés en connexion ou de squelettes partiellement complets à Cooper’s D permet notamment d’écarter en partie le rôle accumulateur éventuel du léopard ou le contexte d’un aven-piège (De Ruiter & Berger, 2000 ; Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010 ; Val et al., 2014). De plus, l’absence d’os longs complets ne correspond pas à la signature taphonomique de l’action du léopard (Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010).
Le ratio décroissant des restes crâniens/postcrâniens par rapport à la taille des ongulés est cependant un critère fréquemment invoqué pour caractériser les accumulations de hyènes (Cruz-Uribe, 1991 ; Kuhn et al. 2010). Cependant, qu’il soit vérifié ou non (Pickering, 2002 ; Fourvel, 2013) ce caractère ne s’applique pas aux restes de bovidés de Cooper’s D, puisque l’on observe bien que chaque classe de taille est majoritairement représentée par des restes crâniens (Fig. 11).
Il semble donc difficile de pouvoir attribuer l’origine de l’accumulation des restes de bovidés de Cooper’s D à un seul agent spécifique sur le seul argument de la représentation squelettique.
En ce qui concerne les suidés, on observe une tendance à la surreprésentation des os les plus denses et compacts comme les phalanges, le talus, la mandibule, le tibia et les métapodiens, qui sont des parties squelettiques considérées comme traduisant une forte « estimation du potentiel de survie » (Brain, 1981). Cette distribution peut être due à un phénomène naturel de conservation différentielle ou à l’action d’un agent modificateur tel qu’un carnivore. La différence entre le spectre de représentation squelettique des suidés et celui des bovidés nous amène à minorer l’action de conservation différentielle. La conservation des os les plus denses et compacts serait alors due à l’action d’un ou plusieurs prédateurs, qui auraient fait disparaître les os les plus fragiles (suivant Brain, 1981 ; Pickering, 2002). Les os longs fragmentés sont majoritaires (> 82 % du NRdt), ce qui peut signaler une action possible de la hyène, tandis que la surreprésentation des petits os denses et compacts peut se rapporter à l’action du léopard (Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010). Pour mieux identifier le ou les agents à l’origine del’assemblage, il est nécessaire d’observer les modifications taphonomiques.
Modifications taphonomiques
Les observations des modifications taphonomiques ont été conduites sur 588 restes, dont les 393 restes de suidés, les 51 restes d’équidés ainsi qu’un échantillon sélectionné d’après la présence de modifications taphonomiques (Tab. 3 et Annexe 6). Toutes modifications confondues, 272 restes (soit 46 %) montrent des modifications taphonomiques.
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Table des matières
Remerciements
1) Introduction
2) Etat de l’art et problématique
3) Contexte géologique, chronologique et archéologique
3.1. Historique des travaux menés à Cooper’s
3.2. Contexte géologique et datation
3.3. Contexte archéologique
3.4. Les hominines contemporains du gisement de Cooper’s D en Afrique du Sud
4) Matériel et méthodes
4.1. Matériel
4.2. Méthodes
5) Résultats
5.1. Spectre faunique
5.2. Paléoécologie
Diversité taxinomique
Masse corporelle
Mode de locomotion
Régime alimentaire
Bilan
5.3. Ages individuels des suidés
5.4. Représentation squelettique
5.5. Modifications taphonomiques
Etat général de conservation
Agents climato-édaphiques
Agents biologiques non-humains
Agent anthropique
Discussion
6) Distribution spatiale
7) Discussions, conclusions et perspectives
7.1. Agents taphonomiques impliqués dans l’accumulation de l’assemblage osseux de Cooper’s D
7.2. Comportements de subsistance des hominines du Pléistocène inférieur en Afrique du Sud
7.3. Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
Annexes
Résumé
Abstract