Depuis près de deux siècles la recherche littéraire sur les différents genres (roman, poésie, théâtre) ne cesse de se développer et de s’améliorer par les travaux de recherche et de critiques. Le thème du héros est un sujet universel. Il suscite des interrogations existentielles. Aussi, l’approche thématique du héros prend-elle une place fondamentale dans l’histoire littéraire. Le Dictionnaire Universalis définit les héros comme étant :
« Des hommes d’un courage et d’un mérite supérieurs, favoris particuliers des dieux, et ceux qu’on disait fils d’un dieu et d’une mortelle ou d’une déesse et d’un mortel ».
Au XIXème siècle, le thème du héros prend une extension considérable. Le héros est un « être de papier » . C’est un personnage de roman, le personnage principal confronté à des forces extérieures qui semblent l’écraser, mais qu’il réussit à vaincre. Nous avons choisi d’étudier Quatre-vingt-treize de V. Hugo, un roman historique publié en 1873. Il retrace les événements rétrospectifs et sanguinaires de la Révolution Française de 1793. A l’avant-garde de cette lutte pour libérer l’homme de la terreur se lèvent des écrivains révolutionnaires qui s’enrôlent dans la dénonciation de la guerre et qui appellent à la paix. Victor Hugo, par ses écrits et son action politique, est devenu le chef de file de ce mouvement.
Il se consacre à la vie politique et littéraire, à la recherche du meilleur moyen pour les peuples démunis et misérables de reconquérir leur grandeur et leur dignité. Il se rend à l’idée de « prêcher la guerre après avoir plaidé la paix » . Il n’est donc pas étonnant qu’un auteur comme Victor Hugo ait accordé plus de crédit au thème du héros dans ses œuvres. Nous nous sommes donc proposés de développer :
« Le thème du héros dans Quatre-vingt-treize (1873) de Victor Hugo». On peut dire que les communautés humaines ont souvent identifié le héros aux valeurs suivantes: bravoure guerrière, sacrifice lié au martyr, audace de l’aventurier. De plus, Quatre-vingt-treize est un roman historique car c’est une oeuvre épique et « sanglante » relatant la Révolution Française de 1793. L’auteur développe dans cet ouvrage les idées qui lui tiennent à cœur : l’année Quatre-vingt-treize marque un tournant dans l’histoire française puisque le narrateur lui donne une grande importance.
En effet, les trois héros s’entretuent et combattent dans des affrontements sanglants qui opposent les républicains aux royalistes. Les trois personnages, par leur intransigeance, incarnent chacun un idéal. Ainsi, Le marquis de Lantenac symbolise le passé, la foi, la royauté. Il devient l’insurgé royaliste qui a semé la zizanie et la terreur dans l’ensemble de la nation française. Il est l’instigateur du camp des bonnets rouges dans la Vendée. Il veut à tout prix maintenir le pouvoir de l’ancien régime. Sa consigne est claire : il faut tout mettre à feu et à sang. D’horribles combats s’ensuivent. Lantenac massacre les femmes républicaines et capture des enfants innocents.
Quant à Cimourdain, c’est un prêtre implacable, le maître de la cour martiale qui a initié son élève Gauvain à la doctrine républicaine. Il met en valeur « l’absolu révolutionnaire » au- dessus de « l’absolu humain », car selon lui «Un jour, la Révolution sera la justification de la terreur ». De ce fait, le Vicomte Gauvain reçoit le commandement de la République sous la surveillance de son maître Cimourdain. C’est un héros acquis à une république de la clémence, de la miséricorde et du rêve. L’essentielle dualité qui préside à toute création hugolienne domine dans le roman. Ce dernier met en scène une aporie, autrement dit une difficulté d’ordre rationnel paraissant sans issue. Néanmoins, l’auteur a dénoncé le carnage inouï de ce combat idéologique. Les trois enfants Fléchard, pris en otage, représentent l’immense avenir. Ils sont vulnérables et vivent dans une paix fragilisée. Cela montre l’acuité de la violence, des souffrances et du désarroi qui résultent d’une guerre touchant presque toutes les couches sociales. Les conséquences de cette guerre sanguinaire ont laissé des séquelles sur la famille. Nous en avons un aperçu dans les massacres perpétrés par les antagonistes qui brûlent la bibliothèque de la Tourgue.
Michelle Fléchard, une femme du peuple et mère de trois enfants, meurtrie dans sa maternité à la recherche de ses enfants séquestrés, concrétise cette menace. La guerre civile qui pèse sur la nation crée un climat de tension perpétuelle. L’antithèse de la guerre et de la paix doit passer par le mal :
«La Révolution est une action de l’inconnu. La Révolution est un phénomène imminent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la nécessité ».
Quatre-vingt-treize en tant qu’œuvre historique illustre donc les méfaits de la guerre, mais il démontre aussi les idées humanistes de l’auteur. Les héros hugoliens à la fin du roman deviennent des héros pacifistes.
L’ambivalence définit le personnage de Lantenac qui garde la dignité de sa caste. Le rebelle Lantenac devient un héros humaniste lorsqu’à la fin du roman, il sauve les trois enfants de l’incendie de la Tourgue. Cette action marque un tournant décisif dans le récit. Nous constatons aussi qu’à la fin du roman, le héros Gauvain a trahi le camp républicain et la convention du salut public, il devient un transfuge. C’est un renégat qui outrepasse la loi de la cour martiale au bénéfice du rebelle Lantenac. Le rêve de Gauvain est d’enraciner dans l’idéal républicain, un idéal universel qui garde l’homme comme mesure éthique et vise le pacifisme comme horizon de pensée. Cela seul permet la réconciliation de la paix intérieure et de la paix universelle. Il exprime sa foi dans le règne de l’équité, dans l’égalité entre Homme et Femme, dans le respect de l’enfant, dans la clémence, dans la présence universelle de l’amour de Dieu et dans l’avenir. Le héros Gauvain affirme:
« […] Liberté, Egalité, Fraternité, ce sont des dogmes de paix et d’harmonie […] pourquoi leur donner un aspect effrayant? La révolution c’est la concorde et non l’effroi, l’amnistie pour moi c’est le plus beau mot de la langue humaine » .
Ce cri de Gauvain dans son discours sur la paix n’est pas entendu par le maître de la cour martiale, Cimourdain, car pour celui-ci la loi est audessus de l’humanité et la terreur justifie le crime. La mort des deux héros, Gauvain et Cimourdain, à la fin du roman, cette double mort assumée rend une dualité inconciliable imposée par l’histoire. C’est la paix idéale comme finalité ultime, la guerre et les massacres comme moyens pour y parvenir. Nous verrons que Victor Hugo nous peint des héros militaires qui se distinguent par leur férocité à la guerre, ensuite, ces mêmes personnages se haussent à la dignité de héros humanistes dont la mission est de restaurer la paix. Comment les héros hugoliens dont l’inspiration héroïque a été d’abord la guerre deviennent–ils à la fin de l’œuvre, des héros pacifiques ? Qu’est ce qui, dans la vision de l’auteur, tient la plus grande place ? La guerre ou la paix ? La source de l’héroïsme des héros est–elle davantage la guerre ou la paix?
LES HEROS ET LA GUERRE
L’auteur et son oeuvre
Victor Hugo est considéré « Hélas ! » comme le plus grand écrivain français. Les critiques littéraires sont unanimes sur plusieurs points. Les œuvres de Victor Hugo sont révolutionnaires, sa vision philosophique résulte de ses expériences humaines et politiques. Il a milité pour la liberté et la paix. C’est un humaniste. Ainsi, Victor Hugo s’avère à juste titre être le défenseur des peuples opprimés. Effectivement, il prétend faire de la littérature un pistolet chargé et un art de combat et de séduction. Une question importante revient souvent sous sa plume celle de la guerre et de la paix. Victor Hugo est-il un pacifiste ? La réponse est « oui ». L’engagement en faveur de la paix de celui qui fut par deux fois en 1849 et en 1869 le président du Congrès de la paix fut un combat permanent. Néanmoins, nous dirons que la paix chez Victor Hugo est un héritage, car son père était général d’Empire et combattait pour la paix dans le monde. Toutefois, les critiques littéraires s’efforcent de trouver les rapports entre la biographie et les productions romanesques de l’auteur. En effet, son œuvre est d’emblée une vision martiale et héroïque des combats ainsi qu’une délation ironique de la peine capitale, Victor Hugo a écrit sur les débordements de la terreur, ce qu’il a appelé «le premier avatar du peuple» . Son œuvre Quatre-vingt-treize est liée à sa vie et à la lutte acharnée qu’il avait engagée contre Napoléon – le petit. Le bain de sang qui a coulé en France au XVIIIe siècle notamment, a poussé Victor Hugo à peindre une fresque sur la mythologie révolutionnaire. L’auteur a élaboré ce livre comme une source d’informations pour les historiens de cette époque et pour notre siècle : « il faut l’histoire pour l’ensemble et la légende pour le détail, l’histoire écoutée aux portes de la légende».
Victor Hugo dans son œuvre veut revaloriser la révolution comme un changement brutal et décisif dans l’ordre socio-politique apportant des transformations humaines : « la Révolution, c’est l’avènement du peuple et, au fond, le peuple, c’est l’homme ». Ainsi, nous proposons une relecture de Quatre-vingt-treize, en situant d’abord l’écrivain dans son siècle et en faisant un bref aperçu des caractéristiques de l’œuvre.
L’auteur et son siècle
Victor Hugo a vu le jour au seuil du siècle phare de la modernité. Il est né en 1802 dans une famille troublée par la mésentente parentale et meurt en 1885. Très vite, le poète visionnaire se voit lancé sur la scène littéraire et politique. La pensée hugolienne a suscité d’âpres polémiques à l’époque du XIXe siècle. Par ailleurs, bien des composantes de l’idée républicaine explicitées par Hugo ont été instituées en France après la Révolution de 1789. Mais, selon lui, il débroussaille le terrain en fondant une République qui éradique toutes mesures sévères. Il souhaite la souveraineté populaire exercée par le suffrage universel, la laïcité de l’Etat, la représentation parlementaire, la séparation du pouvoir. Il prône les prérogatives et les exigences qui posent les véritables problèmes dans une société en pleine mutation. Et le poète visionnaire ajoute une assertion qui nous semble pertinente :
« […] Au XIXe siècle il y aura une nation extraordinaire […] une nation centrale d’où ce mouvement rayonnera sur tous les Continents […] elle sera plus qu’une nation, elle sera une civilisation, elle sera mieux qu’une civilisation, elle sera une famille. Un peuple fouillant les flancs de la nuit…au profit du genre humain, une immense clarté. […] Voilà quelle sera cette nation. Cette nation aura pour Capitale Paris […] elle s’appellera l’Europe » .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LES HEROS ET LA GUERRE
CHAPITRE I : APERCU LITTERAIRE
1.1- L’auteur et son œuvre
1.2- L’auteur et son siècle
1.3- Quatre-vingt-treize
1.4- Une autobiographie
1.5- Hugo et la Révolution
CHAPITRE II : LES HEROS ET LA GUERRE
2.1- Des monstres sanguinaires
a) La férocité des héros
b) Le carnage et la misère
2.2- Une héroïne victime: Mme Fléchard
2.3- Des héros mythiques
a) Des demi-dieux
b) Un lieu mythique, la Vendée
2.4- Des héros prophètes
Conclusion de la première partie
DEUXIEMME PARTIE : LES HEROS ET LA PAIX
CONDITIONS DE LA PAIX SOCIALE ET POLITIQUE
1.1- L’absolu humain, principe de paix
1.2- Le droit à l’éducation, condition de la paix
1.3- Conclusion de la deuxième partie
TROISIEME PARTIE : LE MYSTERE DE L’HISTOIRE HEROIQUE
1.1- La métaphore du nœud
1.2- Le moment – nœud
1.3- Le personnage – nœud
1.4- Le lieu – nœud: la Tourgue
Conclusion de la troisième partie
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE