Les hémocytes : cellules clefs dans la physiologie des bivalves
Chez les bivalves, les hémocytes sont les cellules circulantes dans l’hémolymphe possédant la capacité de s’infiltrer dans les tissus. Par conséquent, ces cellules peuvent être retrouvées dans tous les organes. Du fait de leurs multiples fonctionnalités, elles possèdent une implication dans de nombreux processus physiologiques ce qui leur confère un rôle clef dans le maintien de l’homéostasie.
Les différents types hémocytaires : diversité observable
Depuis les premiers travaux sur l’étude des types hémocytaires des mollusques, il y a eu de multiples interprétations sur le nombre de types cellulaires retrouvé. Chez les mollusques, la classification des cellules hémocytaires repose principalement sur des critères morphologiques tels que la taille, le rapport nucléocytoplasmique et leurs affinités tinctoriales. Un premier système a été proposé en 1891 par Cuénot afin de classifier les hémocytes en trois catégories de la façon suivante : les hémocytes faiblement granuleux, fortement granuleux et les cellules avec peu de cytoplasme autour du noyau.
Une seconde classification a été attribuée à Takatsuki en 1934, elle impliquait la distinction entre deux catégories : les cellules granulaires et les hyalinocytes. C’est à ce jour la classification la plus commune. Ainsi, l’existence de deux grandes catégories de types hémocytaires est acceptée de façon consensuelle par la communauté scientifique (Cheng 1981 ; Hine 1999):
– Les hémocytes granulaires ou granulocytes, caractérisés par la présence de nombreuses granules cytoplasmiques et par un noyau de petite taille entouré d’un cytoplasme abondant (rapport nucléocytoplasmique faible)
– Les hémocytes agranulaires ou hyalinocytes définis par la présence en très faible nombre ou l’absence de granules cytoplasmiques. Ce groupe est considéré comme étant plus hétérogène.
Ces catégories regroupent des types cellulaires hétérogènes. Pour les granulocytes, la distinction entre les types cellulaires se fera principalement sur la base des affinités tinctoriales des granules qui peuvent être acidophiles, neutrophiles ou basophiles ou être composées d’un panachage de ces types de granules (Chang et al., 2005 ; Aladaileh et al., 2007). Les granules caractéristiques de ce type hémocytaire peuvent être constituées par des lysosomes ou des vésicules de sécrétion (Cajaraville & Pal 1995). Les cellules agranulaires peuvent regrouper des cellules de tailles et de conformations variables. Généralement, deux catégories sont distinguées : les cellules de petites tailles dont le noyau est entouré par peu de cytoplasme et les cellules de grandes tailles dont le cytoplasme est très développé (Hine 1999). D’après les données de la littérature, la répartition de ces types cellulaires au sein de l’hémolymphe est variable entre les classes du phylum des Mollusques. On retrouve par exemple chez les céphalopodes comme Sepia officinalis une population hémocytaire unique alors que chez le gastéropode Haliotis tuberculata, deux populations sont observées et trois sous-populations sont observées chez le bivalve Mytilus edulis (Figure 1.6) (Le Pabic et al., 2014 ; Travers et al., 2008 ; Le Foll et al., 2010).
De façon générale, entre une et trois populations hémocytaires sont retrouvées dans l’hémolymphe des mollusques. Dans le cas d’une population unique, elle peut aussi bien être composée de granulocytes comme dans le cas de la seiche Sepia officinalis ou bien de hyalinocytes, dans le cas de la coquille Saint-Jacques Pecten maximus (Auffret 1988 ; Le Pabic et al., 2014). Quand deux populations cellulaires sont observées, elles peuvent être composées de cellules granulaires et agranulaires comme chez la moule verte, Perna viridis, mais aussi de deux populations agranulaires dans le cas de l’ormeau Haliotis tuberculata (Donaghy et al., 2011 ; Travers et al., 2008). Pour les espèces présentant trois types hémocytaires, on retrouve généralement des granulocytes et des agranulocytes. Ces différences entre les classes de mollusques apparaissent également au sein d’une même classe (Figure 1.7). Bien qu’une certaine homogénéité semble apparaître si l’on considère les huîtres dites « vraies » et perlières tropicales (Ostreoida et Pterioida) qui étaient anciennement regroupées au sein d’un même ordre, des différences plus marquées apparaissent pour d’autres ordres. C’est le cas pour celui des Veneroida qui regroupe des espèces de palourdes et les dreissénidés dont la moule zébrée Dreissena polymorpha.
Origines des cellules hémocytaires
L’absence de divisions cellulaires des hémocytes circulant chez les bivalves laisse supposer de l’existence d’au moins un site d’hématopoïèse, cependant très peu de choses sont connues chez les bivalves. Plusieurs hypothèses ont été émises à ce sujet et certains auteurs supposent l’existence d’un organe dédié à l’hématopoïèse alors que d’autres présument que les cellules proviennent de la différenciation de cellules des tissus connectifs ou provenant du tractus digestif (Cheng 1983). Chez la dreissène, Morton (1969) a suggéré que la formation des cellules hémocytaires provenait de la fragmentation des tubules digestifs (Figure 1.8). A l’heure actuelle aucune étude ne permet d’affirmer l’une de ces hypothèses et l’origine des cellules reste inconnue.
Il en est de même pour l’ontogenèse des cellules hémocytaires qui reste encore inconnue mais des auteurs ont émis des hypothèses visant à expliquer le cycle de vie de ces cellules. Le premier modèle décrit par Mix en 1976 propose quatre compartiments pour ce processus : La première étape correspond à une prolifération des cellules souches pour former les hyalinocytes. Lors de la seconde étape, les hyalinocytes vont maturer en hyalinocytes granulaires ou deux autres types intermédiaires. Lors de la troisième phase dite de fonctionnalisation, les hyalinocytes granuleux vont former des granulocytes basophiles et acidophiles et les cellules intermédiaires vont se différentier en fibroblastes, myoblastes et cellules pigmentaires. La dernière phase, qualifiée de « perte cellulaire » correspond à l’intervention des cellules dans les processus de défense ou leur sénescence et la diapédèse .
Un second modèle d’ontogenèse a été proposé par Moore & Lowe (1977) basé sur deux séries de développement définies par la croissance des hémocytes basophiles et celle des acidophiles. Pour la première série, les petits hémocytes basophiles sont considérés comme les stades jeunes se développant en hémocytes basophiles plus grand par un développement cytoplasmique. La seconde série concerne les cellules granulaires dont les plus petites cellules sont les précurseurs. Il est proposé que le degré d’acidophilie des granules évolue avec la croissance de la cellule.
Cheng (1981) propose un modèle d’ontogenèse basé sur le développement des cellules à partir de trois types de cellules souches : les granuloblastes, les hyalinoblastes et les jeunes cellules séreuses qui vont se différencier en plusieurs étapes pour aboutir respectivement aux granulocytes, hyalinocytes et aux cellules séreuses .
Plus récemment, Rebelo (2013) propose un modèle suite à l’étude des populations hémocytaires chez l’huître Crassostrea rhizophorae en cytométrie de flux et microscopie électronique à transmission. Il émet l’hypothèse que les hémoblastes entrent en maturation pour former les hémocytes agranulaires. Ces hémocytes vont accumuler des granules au sein de leur cytoplasme et devenir des granulocytes. Les granulocytes redeviendraient des hémocytes agranulaires par dégranulation et formereraient un cycle entre le renouvellement et la perte des granules cytoplasmiques .
Réparation des blessures et de la coquille
La réparation des blessures est un processus complexe incluant une série d’évènements biologiques permettant la restauration de l’intégrité tissulaire et sa fonction (Franchini & Ottaviani 2000). Cette fonction est assurée en partie par les hémocytes et se déroule selon les étapes suivantes : Les hémocytes sont dans un premier temps recrutés sur le lieu de la blessure et vont s’infiltrer dans les tissus pour s’agréger au niveau de la blessure. Par la suite, les hémocytes vont éliminer les cellules endommagées par phagocytose avant de synthétiser du collagène afin de restructurer le tissu (Cheng 1981 ; Suzuki et al., 1991, 1992 ; Franchini & Ottaviani 2000). Il a été observé que ce processus était supporté par les hémocytes agranulaires chez l’huître Akoya Pinctada fucata (Suzuki et al., 1991).
Le manteau des bivalves est responsable de la formation de la coquille. En cas d’altération de cette structure, des processus de réparation sont mis en place par la mobilisation de calcium depuis d’autres régions de l’organisme. Les hémocytes vont assurer le transport de calcium et de protéines en migrant jusqu’à la coquille pour déposer ces composants (Cheng 1981 ; Mount et al., 2004).
Digestion et transport des nutriments
L’activité de digestion par les cellules hémocytaires est un processus qui ne constitue pas une fonction isolée du fait qu’elle ne puisse pas être différenciée des fonctions de défense (Cheng 1981). Chez les bivalves, la digestion peut être extracellulaire au niveau stomacal par l’action du stylet cristallin. La digestion peut être aussi intracellulaire, assurée par les cellules digestives et les hémocytes. Les hémocytes peuvent migrer dans le tractus digestif afin d’absorber les nutriments solubles par pinocytose et les plus grosses particules par phagocytose. Ceci a été démontré par la détection de pigments végétaux au sein des hémocytes (Feng et al., 1977). Les hémocytes permettent ainsi le transport des nutriments et des lipides vers les organes pour les redistribuer (Pollero et al., 1985). Chez la coquille Saint-Jacques Pecten maximus, il a été observé un transfert des nutriments depuis le tractus digestif vers les gonades (Beninger et al., 2003) .
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Contexte bibliographique
I. Le modèle biologique : Dreissena polymorpha (Pallas 1771)
I.1. Taxonomie
I.2. Cycle de vie de la dreissène
I.3. Ecologie de la dreissène
I.4. Besoins environnementaux
I.5. Anatomie de l’espèce
II. Les hémocytes : cellules clefs dans la physiologie des bivalves
II.1. Les différents types hémocytaires : diversité observable
II.2. Origines des cellules hémocytaires
II.3. Réparation des blessures et de la coquille
II.4. Digestion et transport des nutriments
II.5. Implications dans la détoxication
II.6. Mécanismes de défense chez les bivalves
II.7. Mécanismes à médiation humorale
II.8. Mécanismes de « défenses » cellulaires
III. Facteurs influençant les fonctions hémocytaires chez les bivalves
III.1. Les agents infectieux
III.2. Température et pH
III.3. Variations saisonnières
III.4. La pollution chimique
IV. Intérêts du modèle expérimental (la moule et ses hémocytes) pour une utilisation en surveillance environnementale
IV.1. Intérêt de l’organisme
IV.2 L’hémocyte de la dreissène comme support d’une approche multimarqueurs en écotoxicologie
Chapitre 2: Bases méthodologiques
I. La cytométrie en flux
I.1. Rappels historiques
I.2. Le système de fluidique
I.3. Le système optique
I.4. Du signal à l’information
I.5. Tri cellulaire
I.6. Avantages et limites de la technique de cytométrie en flux
II. Développement méthodologique
II.1. Prélèvements d’hémolymphe
II.2. Choix du milieu de maintien des hémocytes
II.3. Limiter l’agrégation cellulaire
II.4. Mesure de mortalité cellulaire
II.5. Mesure de l’activité de phagocytose hémocytaire
II.6. Mesure de l’activité oxydative hémocytaire
II.7. Mesure du contenu en lysosomes
II.8. Mesure de l’activité mitochondriale
III. Discussion
Chapitre 3: Caractérisation des populations hémocytaires et leurs fonctionnalités : modulations induites par la ponte
Article 1: Functional features of hemocyte subpopulations of the invasive mollusk species Dreissena polymorpha
I. Introduction
II. Materials and methods
II.1. Animals and hemolymph collection
II.2. Morphometric characterization of hemocyte subpopulations
II.3. Functional characterization of hemocytes subpopulations
II.4. Statistical analysis
III. Results
III.1. Morphometric characterization of hemocytes
III.2. Functional characterization of hemocytes subpopulations
IV. Discussion
Chapitre 4: Approches expérimentales en laboratoire
Conclusion générale