Les groupements d’achat dans l’histoire..
La voie socialiste et l’Ecole de Nîmes (Lavergne, 1923)
C’est sous l’égide de Charles Gide, économiste de la coopération, pionnier de la réflexion sur l’économie sociale que le mouvement coopératiste connaît un large développement. A partir de 1886, il devient le théoricien de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Ecole de Nîmes », mouvement coopératif français, actif surtout dans le Sud de la France. En 1886, Charles Gide prononce le discours d’ouverture du deuxième Congrès coopératif, sur le thème « la coopération et le parti ouvrier en France ». Ce sera le texte fondateur de l’école de Nîmes, se caractérisant par trois idées principales La coopérative de consommation doit être le fer de lance de l’organisation coopérative, elle s’adresse à tous et vise à réduire le coût de la vie. Elle doit vendre au prix normal et ristourner par la suite l’essentiel de ses bénéfices aux coopérateurs et non pas aux entreprises et intermédiaires. Elle doit être neutre politiquement. Le système de l’association de consommation repose sur cette idée : se cotiser pour acheter en gros les objets de première nécessité et de facile conservation, pour les revendre au prix des détaillants de la ville. La vente est essentiellement tournée vers des produits de première nécessité notamment le sucre, l’huile d’olive, le sel, le vin, le vinaigre, le charbon, le bois, les fagots, etc. « En se fournissant soi-même aux meilleures sources, on est sûr d’avoir des marchandises de bonne qualité, et l’on n’a plus à craindre des denrées frelatées, qui sont si nuisibles à la santé. » (De Boyve, 1889). Il est aussi intéressant de noter que la coopérative est fondée sur la base d’une réunion de sociétaires égaux en référence à la Société des Pionniers de Rochdale. Le participationnisme (Guillaume, 2007) est défendu : toute personne s’éloignant des centres de décisions ou du conseil d’administration perd tout pouvoir. La mouvance réformatrice catholique sociale (Chessel, 2003) Des femmes issues de la bourgeoisie parisienne créent la Ligue Sociale d’Acheteurs (LSA) en 1902. L’idée principale de cette ligue concerne l’éducation des consommateurs : ils doivent apprendre à acheter. Un réel mouvement d’éducation et de réforme quotidienne de la consommation et des modes de vie se met en place. La LSA exige que les membres se renseignent sur l’origine des biens qu’ils achètent en mettant en place des outils afin de mener une enquête (Chessel, 2003). Henriette Bruhnes, fondatrice de la LSA parlera du « régime de l’enquête incessante ». Il y aura un mode d’emploi et une organisation spécifique pour mener à bien ces enquêtes. Un chef d’équipe avec quelques collaborateurs partiront à la recherche d’informations dans la littérature et proposeront un dossier sur la question posée. Le groupe ira ensuite dans le magasin ou l’atelier pour questionner les responsables avant de rédiger une sorte de rapport final sur la question. Plusieurs enquêtes seront menées mais une des plus connues est la constitution d’une « liste blanche » de couturières qui s’engageront à ne pas faire travailler leurs employés au delà de 7 heures du soir, le dimanche et sans leur donner de travail supplémentaire (M-E Chessel, 2003). Enfin, les actions menées consisteront à élaborer des listes de fournisseurs considérés comme « bons » et à continuer à diffuser leurs idées par des tracts, des affiches, des articles dans des revues chrétiennes, etc. Elles iront même jusqu’à créer un « label » garantissant les bonnes conditions sociales dans lesquelles le produit a été conçu. L’acte de consommer prend véritablement une dimension politique. Le terme de « consomm’acteurs »3 prend aussi son sens dans ce cas. On assiste alors à cette époque à une véritable réforme individuelle et quotidienne des modes de consommation, sur des critères sociaux et non pas pour répondre à l’attente individuelle des consommateurs. D’après B. Lavergne (1923), il existe trois périodes dans l’histoire de la coopérative en France. Une première période, de 1880 à 1890 correspond à l’avènement du mouvement coopératif en France où les deux types de coopératives (école de Nîmes et réformiste) existent parallèlement. Puis, c’est en 1890 que ces deux voies vont connaître une scission sur le principe de la neutralité coopérative en matière politique. Mais en 1912, un accord est passé qui unifie de nouveau le mouvement coopératif et en 1921 est créée la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC).
L’essoufflement du mouvement
Cependant, le mouvement coopératif va rapidement s’essouffler suite à l’essor de la grande distribution et des hypermarchés qui offrent alors des prix très intéressants. Aussi, la transformation du mouvement vers des stratégies commerciales capitalistes dans l’entre deux-guerres conduira à une perte de vitesse du mouvement (Harden-Chenut, 1996). Les coopérateurs se placent alors dans une position de partenariat avec les pouvoirs publics par exemple pour le ravitaillement pendant la guerre. Il est nécessaire de mettre en avant que le manque d’informations ne nous a pas permis d’approfondir les raisons de l’essoufflement de ce mouve ment. Il est intéressant de remarquer qu’en parallèle du mouvement coopératif, s’est créé un mouvement de défense des consommateurs. La défense, l’éducation et l’information des consommateurs étaient revendiquées par quelques ligues de défense. Une Confédération générale de la Consommation verra le jour en 1927.
Les groupements d’achat aujourd’hui
Nous tâcherons dans cette partie de faire un état des lieux des groupements d’achat à l’heure actuelle. Une recherche bibliographique dans les bases de données de littérature scientifique (Agritrop, Agricola, Cab, Web of science, Cairn, Econlit, etc.) a été effectuée sur la base de différents mots clés en français (« groupement d’achat », « achat groupé », « coopérative d’achat ») et en anglais (« purchasing group », « alternative food consumption », « consumption group »). Néanmoins, il convient de remarquer que très peu de références sur cet objet ont été trouvées et notamment aucune sur les groupements d’achat français et belges mis à part une étude comparative. Seulement des références sur le Japon et les Etats-Unis ont été identifiées. Cependant, c’est à la fin de notre travail que nous avons appris que le terme anglophone de « Food Co-op » se référait aux groupements d’achat et que plusieurs travaux de recherche avaient été effectués à ce sujet
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Les groupements d’achat français aujourd’hui
Etant donné le peu de littérature scientifique accessible concernant l’objet d’étude, nous avons dû orienter nos recherches sur des sites Web, à l’aide de différents mots clés : « coopérative d’achat », « groupement d’achat », « achat groupé », ce qui nous a amenés à repérer l’existence de quelques sites Web spécifiques à des groupements d’achat, des articles concernant la mise en place de ces dispositifs et des forums de discussions portant sur la création de ces derniers. Les termes « groupements d’achat » et « coopératives d’achat » sont les plus employés même s’ils restent des termes génériques car l’on remarque des déclinaisons : GASE (Groupement d’Achat avec Service Epicerie), GAL (Groupement d’Achat Local). Mis à part, les sites Web consacrés seulement aux groupements, il est intéressant de souligner que les sites abordant ce sujet portent sur d’autres thèmes plus généraux : anti OGM, décroissance5 agriculture, etc. Les articles concernant ce sujet sont souvent issus de médias indépendants (ex : Bretagne Durable, Eco Passerelle, Rue 89, etc.). Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés aux raisons que les internautes énoncent pour la création d’un groupement d’achat.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 CONTEXTE GENERAL DE L’ETUDE
1.1. Les « circuits courts » de commercialisation en pleine effervescence
1.1.1. De nouvelles attentes de la part des consommateurs
1.1.2. De nouveaux marchés pour les producteurs
1.1.3. Définition et typologie des circuits courts
1.2. Les groupements d’achat dans l’histoire…
1.2.1. Qui tirent leurs origines dans le socialisme
1.2.2. La naissance des coopératives de consommation en France
1.2.1.1. La voie socialiste et l’Ecole de Nîmes (Lavergne, 1923)
1.2.1.2. La mouvance réformatrice catholique sociale (Chessel, 2003)
1.2.3. L’essoufflement du mouvement
1.3. Les groupements d’achat aujourd’hui
1.3.1. Les groupements d’achat français aujourd’hui
1.3.2. Les groupements d’achat à l’international
1.3.2.1. Les « Sanchoku » au Japon
1.3.2.2. Les « Food Buying Club » aux Etats-Unis
1.3.2.3. Les « Organic Buying Groups » en Grande Bretagne
1.3.2.4. Les « GAC » belges
1.3.2.5. Analyse comparative
2. DESCRIPTION ET TYPOLOGIE DES GROUPEMENTS D’ACHAT DANS LE
LANGUEDOC ROUSSILLON
2.1. Le recensement
2.1.1. Pré-identification des groupements d’achat « à dire d’experts »
2.1.2. L’enquête à dire d’experts
2.1.3. La liste des groupements (Annexe 1)
2.2. La description des groupements d’achat
2.2.1. Méthodologie de l’enquête auprès des groupements d’achats inventoriés
2.2.1.1. L’élaboration d’un guide d’entretien
2.2.1.2. La prise de contact avec les groupements
2.2.1.3. Le déroulement des entretiens
2.2.2. Description des groupements
2.2.2.1. Informations générales
2.2.2.2. La structuration de la demande
2.2.2.3. Le choix de fonctionnement interne
2.2.2.4. Le choix d’organisation
2.2.2.5. Les relations entre le groupe et les producteurs
2.2.3. Proposition d’une typologie
2.2.3.1. Le groupement militant
2.2.3.2. Le groupement avec une « personne référente »
2.2.3.3. Le groupement « réseau professionnel »
2.2.3.4. Le groupement « fédération de villages »
2.2.3.5. Le groupement « intime »
3. UN CADRE ANALYTIQUE ET UNE METHODOLOGIE POUR REPONDRE A
NOTRE QUESTION DE RECHERCHE
3.1. Une entrée par la sociologie pragmatique
3.2. Problématique
3.3. Méthodologie de terrain
3.3.1. Le choix de trois groupements
3.3.2. La méthodologie employée
3.3.2.1. L’observation participante
3.3.2.2. Les entretiens
3.3.2.3. Procédés de recensions
3.3.2.4. Les sources écrites
4. ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS
4.1. Présentation des trois groupements
4.1.1. « Miam Miam » et le régime du proche
4.1.1.1. La naissance d’un groupe à Viols-le-Fort
4.1.1.2. L’organisation et les rencontres de la Coop Miam Miam
4.1.1.3. Le régime du proche soumis à des critiques
4.1.2. « La Coopé RAARes », un groupement d’achat politique
4.1.2.1. Du « CROAC » à la naissance de « la Coopé RAARes »
4.1.2.2. Le souci d’autonomie
4.1.2.3. L’organisation du groupe
4.1.2.4. Une remise en question nécessaire
4.1.3. Les Gasiers de la Placette dans le tâtonnement
4.1.3.1. La naissance des « Gasiers de la Placette »
4.1.3.2. Les Gasiers de la Placette, explorateurs
4.1.3.3. La recherche de stabilisation des pratiques de la part des « créateurs »
4.2. De motivations initiales à la mise en place de valeurs partagées par le groupe
4.2.1. Les motivations initiales des individus
4.2.1.1. Des motivations « pratiques »
4.2.1.2. Des motivations militantes
4.2.2. La mise en place de valeurs partagées par les groupes
4.2.2.1. La recherche d’une identité au RAARes
4.2.2.2. Le plaisir d’être ensemble à la Coop Miam Miam
4.2.2.3. Un engagement civique pour l’intégration de nouveaux gasiers
4.2.3. L’exploration
4.3. Les tensions émergentes dans les groupes
4.3.1. Une remise en cause nécessaire à la Coopé RAARes
4.3.1.1. Les modalités de « l’enquête » ne sont plus respectées
4.3.1.2. Le rôle de la Coopé à redéfinir
4.3.1.3. Le manque d’éclaircissement face aux valeurs communes4.3.2. La Coop Miam Miam entre qualification du bien commun et recherche de
convivialité
4.3.2.1. La convivialité est prioritaire
4.3.2.2. L’absence d’enquêtes
4.3.2.3. Des solutions proposées pour redynamiser le groupe
4.3.3. Le GASE entre le jeu et la recherche du « juste »
4.3.3.1. Les Modalités de la sélection
4.3.3.2. Les réunions : entre le jeu et l’efficacité
4.4. Les prises de décisions
4.4.1. Le consensus dans le groupement autogéré au RAARes
4.4.1.1. La conception de la prise de décision par consensus
4.4.1.2. Tensions
4.4.1.3. Le temps de la discussion et le cheminement réversible
4.4.2. Le contournement des désaccords dans la Coop Miam Miam : crainte de la dispute
4.4.2.1. Des désaccords face aux critiques
4.4.2.2. La difficulté d’entrer en conflit apparent
4.4.3. Au GASE, la suprématie du régime de l’enquête
4.5. Le face à face avec les producteurs
4.5.1. La relation du groupe au producteur par l’intermédiaire d’une personne
4.5.1.1. L’entrée en contact avec le producteur
4.5.1.2. L’évolution des relations des intermédiaires avec les producteurs
4.5.2. Le face à face en réunion
4.5.2.1. L’attention portée aux producteurs dans le face à face en réunion
4.5.2.2. Les ressentis face à l’épreuve de présentation en public
4.5.3. Les visites sur l’exploitation
4.6. Les formes de solidarité dans le groupe
4.6.1. Miam Miam et le souci des autres
4.6.2. Le RAARes et la recherche d’autonomie
4.6.3. Le GASE, dans la recherche de liens de solidarité
4.7. La participation à un groupement d’achat
4.7.1. Entre investissements …
4.7.1.1. La participation aux réunions
4.7.1.2. La prise en charge d’un produit
4.7.1.3. Temps et « mode de vie » : la stabilité
4.7.1.4. Une organisation dans sa consommation quotidienne
4.7.1.5. L’absence de choix et de disponibilité des produits
4.7.1.6. Les connaissances et l’engagement politique : facteurs d’exclusion ?
4.7.2. Formes de liberté
4.7.2.1. Les pratiques d’approvisionnements des membres 4.7.2.2. Le lien social
4.7.2.3. Choisir son produit librement
4.7.2.4. Le groupement d’achat, un lieu de savoir et de transmission de connaissances
4.7.2.5. L’expérimentation de nouvelles manières de faire
4.7.3. Et capacité d’action tournée vers une volonté de changer le monde
4.7.3.1. En accompagnant les producteurs dans la conversion en « bio »
4.7.3.2. En favorisant l’agriculture biologique, pour le bien de la planète
4.7.3.3. En participant à la construction d’un produit
4.7.3.4. Offrir les conseils d’un public averti et bien informé
4.8. Le soutien à l’agriculture locale
4.8.1. L’engagement militant : un soutien financier aux producteurs en difficulté
4.8.1.1. Une aide concrète à l’installation
4.8.1.2. L’implication du consommateur dans la compétence de vendeur
4.8.1.3. Offrir un prix « juste » : le refus de la négociation du prix ou de la mise en
concurrence de producteurs
4.8.2. L’interpellation émotionnelle liée à un engagement dans la familiarité : un soutien
moral, matériel et affectif
4.8.2.1. Un soutien matériel dans le proche
4.8.2.2. Un soutien moral
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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