Les glaciers de montagne sont sensibles aux variations climatiques, même de faible amplitude. Leurs variations sont en particulier dépendantes des précipitations et des températures (Oerlemans, 2005; Vincent, 2010). Le recul des glaciers observé aujourd’hui à travers le monde est un des exemples les plus frappants du changement climatique actuel (Figure 1.1). Les enjeux liés à ce recul actuel sont multiples, à la fois sociétaux et environnementaux. Cependant, il y a encore aujourd’hui un manque dans la compréhension détaillée de la réponse des systèmes glaciaires aux variations climatiques (Solomina et al., 2015) et démêler le rôle spécifique des précipitations et de la température dans les fluctuations glaciaires est encore difficile (Solomina et al., 2016). L’amélioration de notre connaissance de la sensibilité complexe des fluctuations glaciaires au climat est encore nécessaire pour pouvoir affiner les modèles prédictifs de l’évolution des glaciers et ainsi de mieux anticiper les changements associés. La comparaison des fluctuations glaciaires aux échelles locales et régionales peut apporter des informations importantes à la compréhension de cette sensibilité lorsque les variations climatiques associées sont étudiées. De plus, en comprenant le fonctionnement des glaciers et leur sensibilité, les glaciers de montagne peuvent alors être utilisés afin de reconstruire les variations climatiques dans le passé sur la base de leurs fluctuations.
La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques
Le bilan de masse d’un glacier
La dynamique d’un glacier de montagne est conditionnée par l’équilibre entre les phénomènes d’accumulation et d’ablation. L’accumulation de glace est principalement due à la chute de neige en hiver, mais également à l’apport de neige en provenance des parois par dépôts avalancheux ou transportés par le vent (Francou and Vincent, 2007). La neige est ensuite progressivement transformée en glace par un phénomène de diagénèse. L’ablation du glacier résulte quant à elle majoritairement de la fonte, mais également de l’évaporation et de la sublimation (Vincent, 2010). Le phénomène d’accumulation sera prépondérant pendant l’hiver, alors que l’ablation le sera pendant l’été (Bennet and Glasser, 2009). Bien que l’accumulation ait lieu sur toute la surface du glacier, elle n’est plus importante que l’ablation que dans la partie la plus élevée. L’ablation prend quant à elle de l’importance dans les parties les moins élevées, où les conditions sont plus favorables à la fonte, et est maximale au front du glacier (Francou and Vincent, 2007).
Deux zones peuvent donc être distinguée sur un glacier de montagne : la zone d’accumulation, en hautes altitudes, et la zone d’ablation, en basses altitudes (Figure 1.1). La limitation entre les deux est appelée ligne d’équilibre glaciaire (LEG ; ELA en anglais), le long de laquelle l’accumulation est égale à l’ablation. L’écoulement du glacier sous l’effet des forces de gravité transfère la glace des zones d’accumulation vers les zones d’ablation. L’équilibre entre l’accumulation et l’ablation d’un glacier peut être décrit par un bilan de masse, qui comptabilise les entrées (précipitations) par rapport aux sorties (fonte) sur toute la surface du glacier au cours d’une année. Un glacier est considéré à l’équilibre glaciaire lorsque l’accumulation est égale à l’ablation, c’est à dire que le bilan de masse est nul (Bennet and Glasser, 2009). Lorsque que l’accumulation l’emporte sur l’ablation, le bilan de masse est positif et le glacier est alors en dynamique d’avancée. Au contraire, lorsque l’ablation est plus importante, le bilan de masse est négatif et le glacier est alors en dynamique de retrait.
L’influence du climat sur les glaciers
Le bilan de masse est dépendant des conditions météorologiques, qui contrôlent l’apport (précipitations) et la perte (fonte) de matière (Oerlemans, 2001). Plusieurs phénomènes climatiques peuvent être à l’origine d’une variation du bilan de masse. L’augmentation du bilan de masse peut être dû à l’augmentation des précipitations qui favorise l’accumulation, ou à une diminution des températures qui diminue l’ablation. Au contraire, l’inverse provoquera une diminution du bilan de masse.
En haute altitude, les précipitations solides (neige) contribuent directement à l’accumulation d’un glacier, en étant la source de matière principale. Lorsqu’elles sont liquides, elles peuvent tout de même participer à l’accumulation en gelant en profondeur du manteau neigeux s’il fait suffisamment froid pour qu’elles soient gelées (Francou and Vincent, 2007). Même à faible altitude, les précipitations peuvent contribuer à l’accumulation si elles arrivent sous forme solide. En effet, elles augmentent alors l’albédo en faisant une couche de neige sur la surface du glacier et contribuant ainsi à la diminution de la fonte (Francou and Vincent, 2007). Les variations de températures affectent aussi bien l’accumulation que l’ablation. L’accumulation est influencée par la température qui délimite les précipitations sous forme de pluie et de neige, contrôlant directement l’apport de matière reçue par le glacier (Mackintosh et al., 2017).
Enregistrement des variations du glacier par les morphologies glaciaires
Le passage d’un glacier dans une vallée ne la laisse pas indemne. Entre le frottement de la glace sur la roche qui la supporte, qui est un processus érosif efficace modelant le paysage, et les débris abandonnés par le glacier, il existe de nombreux modelés glaciaires qui marquent le passage d’un glacier. Les étudier permet entre autre d’avoir des informations sur l’extension du glacier. Au cours de ces travaux de thèse, les modelés glaciaires étudiés sont les polis glaciaires et roches moutonnées, ainsi que les moraines.
Modelage des polis glaciaires et roches moutonnées
L’érosion glaciaire est à l’origine de linéations visibles sur la surface des roches qui ont été au contact de la glace. Ces linéations sont créées par le transport de débris à la base du glacier, qui frottent sur les surfaces rocheuses lors du déplacement de la glace (e.g. Bennet and Glasser, 2009). Elles sont appelées dans ce contexte stries glaciaires (Figure 1.2). Les stries ne sont généralement pas très profondes, quelques millimètres, mais peuvent parfois être poursuivies sur plusieurs mètres. Ces stries sont orientées parallèlement au flux de glace. Une surface érodée par le passage du glacier et présentant des marques de stries est appelé poli glaciaire. Certains modelés particuliers de polis glaciaires à l’échelle du paysage ont été décrits et nommés. C’est le cas par exemple des roches moutonnées (Figure 1.2), qui sont des modelés glaciaires pouvant atteindre l’échelle du kilomètre (Glasser and Bennett, 2004) et présentant une asymétrie qui reflète les deux types d’érosion sous-glaciaire: l’arrachement et l’abrasion. L’érosion par arrachement fait appel à deux processus, la fragmentation de la roche présente sous le glacier puis le déplacement de ces fragments par le glacier. L’érosion par abrasion est due au frottement sur la roche réalisé par les débris rocheux transportés à la base du glacier, et est à l’origine des stries décrites précédemment. Ainsi sur une roche moutonnée, la partie en amont et supérieure, en contact avec la glace, est abrasée. On peut y retrouver notamment la présence de stries. Tandis que sur la face aval, où la surface est décollée de la glace, l’érosion par arrachement de blocs prédomine, donnant lieu à une morphologie beaucoup plus anguleuse (Anderson and Anderson, 2010).
L’étude et la datation de telles surfaces érodées par le glacier peut permettre d’avoir des informations sur la durée depuis laquelle elle a été abandonnée par le glacier, apportant ainsi des éléments importants à la reconstitution des chronologies glaciaires. De plus, il est également possible d’estimer les taux d’érosion sous glaciaire, encore peu investigués de par la difficulté méthodologique de les déterminer. Pourtant, cela peut contribuer à mieux comprendre la dynamique de la glace, les forces appliquées sur la roche et les processus physiques en découlant et ainsi améliorer la reconstitution de la masse glaciaire (Herman et al., 2015) et ainsi mieux appréhender la modification du paysage par le glacier.
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE 1: Les glaciers : outils de la reconstitution du climat
1.1 La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques
1.1.1 Le bilan de masse d’un glacier
1.1.2 L’influence du climat sur les glaciers
1.2 Enregistrement des variations du glacier par les morphologies glaciaires
1.2.1 Modelage des polis glaciaires et roches moutonnées
1.2.2 Formation des moraines
1.3 Reconstitutions climatiques à partir des modelés glaciaires
1.3.1 Reconstitutions basées sur la reconstruction de la LEG
1.3.2 Reconstitutions couplées à des modèles physiques
1.4 Climat et enregistrements glaciaires holocènes dans les Alpes et le massif du Mont-Blanc
1.4.1 L’Holocène dans les Alpes à travers les variations climatiques et glaciaires
1.4.2 Les chronologies glaciaires holocènes dans le massif du Mont-Blanc
CHAPITRE 2 : Datation de l’exposition des morphologies glaciaires par nucléides cosmogéniques in situ
2.1 De la formation des nucléides cosmogéniques in situ à la détermination de l’exposition d’une surface
2.1.1 Production des nucléides cosmogéniques in situ
2.1.2 Equation de production
2.1.3 Dépendances de la production
2.2 Datation des morphologies glaciaires en utilisant le 10Be et le 14C in situ..
2.2.1 Datation du dépôt des moraines par 10Be
2.2.1.1 Principe et apport de la datation des moraines
2.2.1.2 Utilisation du 10Be
2.2.2 Datations de polis glaciaires par 10Be et 14C in situ
2.2.2.1 Principe et apport de la datation des polis glaciaires
2.2.2.2 Utilisation de la paire 10Be-14C in situ
2.2.2.3 Limites de l’utilisation de la paire 10Be-14C in situ
CHAPITRE 3 : Méthodologie analytique de préparation des échantillons
3.1 Isolation du quartz
3.1.1 Protocole en routine au CEREGE
3.1.2 L’alternative de la flottation
3.2 Isolation et mesure du 10Be
3.2.1 Protocole classique de mesure du 10Be au CEREGE
3.2.1.1 Isolation du 10Be cosmogénique
3.2.1.2 Mesure par spectrométrie de masse par accélérateur
3.2.2 Difficultés rencontrées et adaptation du protocole
3.2.3 Critères pour déterminer la fiabilité des mesures
3.3 Isolation et mesure du 14C in situ
3.3.1 Extraction et purification du CO2
3.3.2 Mesure par spectrométrie de masse
3.3.3 Applicabilité de la paire 10Be-14C in situ à nos échantillons des glaciers du massif du Mont-Blanc
CHAPITRE 4 Millennial scale synchronism of glacier fluctuations during the Younger Dryas/Early Holocene transition across the European Alps – new evidence from cosmogenic 10Be glacier chronologies in the Mont-Blanc massif
(French Alps)
Abstract
Keywords
4.1 Introduction
4.2 Study site, geomorphologic setting
4.3 Methodology
4.4 Results
4.5 Discussion
4.5.1 Oscillations of Talèfre glacier since the Younger Dryas
4.5.2 Comparison with other alpine chronologies
4.5.3 Climatic variations during the YD/EH transition in the Alps
4.6 Conclusion
Acknowledgements
Conclusion générale