Les génies du terroir selon Lecouteux

LES GENIES DU TERROIR 

Sous diverses appellations, chaque pays, chaque culture évoque l’existence de ces êtres difformes à travers des récits oraux et l’iconographie. De l’Orient à l’Occident, ces créatures font l’objet d’une aspiration commune dont la représentation est plus ou moins semblable. Il y a des invariants anthropologiques que nous allons cerner  avant de dégager les spécificités malgaches. Pour réaliser ce travail, nous allons nous référer au Démons et Génies du terroir au Moyen Age de Claude Lecouteux. Dans cet ouvrage, bien qu’il concerne plus particulièrement la culture occidentale du Moyen Âge, il renferme un fond plus général de l’inconscient collectif qui va nous permettre de confronter diverses populations et endroits appartenant à la surnature. Ce qui va nous aider à mieux cerner le personnage du kalanoro qui est le genius loci et le village d’Andrebabe, la terra mater malgaches. À part cette confrontation, nous trouvons que la méthode utilisée dans cet ouvrage peut aussi être appliquée à la tradition malgache pour aboutir à une nette répartition et classification des génies du terroir ainsi que leur entourage qui sont, jusqu’ici, mêlés dans l’imaginaire collective de la tradition orale malgache.

Les génies du terroir selon Lecouteux 

En occident, dans les récits du Moyen Âge, l’univers est hanté. Il est peuplé aussi bien par des humains que par des génies qui forment une cohabitation.

Souvent, ces génies gardiens constituent la force du sol ou le numen. Ils transforment leur terroir en des lieux enchanteurs face à l’intrusion étrangère pour se protéger. Ce qui entraîne de phénomènes insolites gravés dans des récits que le narrateur extrait des légendes et les sagas de par l’Occident. Ces « forces » et ces «êtres invisibles » se répartissent dans l’espace géographique pour prendre possession des lieux. Des groupes déterminés peuplent les zones humides (les courantes et stagnantes), les forêts et les landes. Le Midi et le Minuit leur sont associés, les heures où les humains ‘ont plus leur place. Chaque pays de l’Europe a ses génies dont les noms et les fonctions diffèrent d’un pays à un autre.

Cette puissance qui habite les lieux ou le numen préfère les arbres, les lacs, les pierres comme domiciles que les païens de la féodalité transforment en des lieux de culte. Mais, plus tard, le christianisme détruit ces lieux jugés « diaboliques ».

Ces génies se présentent sous diverses apparences : « La pluralité des formes que revêtent les génies du terroir montre bien qu’il s’agit avant tout de forces naturelles, de numens, pouvant s’incarner en n’importe quelle créature et même en n’importe quel objet, l’habiter ou le posséder. Lorsque ladite force veut se manifester aux hommes, il semble qu’elle soit obligée de prendre l’aspect d’un être connu localement, mais son comportement ou sa couleur indique clairement que c’est là une créature surnaturelle. » (p. 51)

Les hommes considèrent ces forces comme des idoles et leur adressent des prières, des vœux… Ces puissances sont divinisées, mais leur distinction demeure floue : « […] nous ignorons s’il y a eu élévation d’un génie au rang de dieu ou dégradation d’un dieu en démon (sens grec), ou encore individualisation de l’hypostase d’un membre du panthéon païen. » .

Les païens ont baptisé tous les lieux supposés abriter leurs dieux, les génies. Lecouteux les regroupent des noms germano-scandinave. Les noms parlants sont comme Heilighberc, « Montagne sacré ». Certains noms sont liés au génie du lieu:Scratinberge, « Le ruisseau, la montagne du Schart ». Ce dernier est un génie assimilé au nain. D’autres signifient la dévotion comme Wihenberc, « rendre sacré»…. Et les toponymes se multiplient et se diversifient dans l’Occident médiéval. Mais certains toponymes attribués par les païens sont parfois transformés par l’église comme c’est le cas de Sylvanus, « Maître de la forêt » christianisé en saint Sylvain, dans l’univers roman.

Avec le temps, les génies accumulent de nouvelles appellations plus généralisées. Car, « les auteurs de langue latine sont embarrassés quand ils traitent de croyances locales, et ils utilisent souvent au moins deux termes pour en rendre un de la langue vulgaire » (p. 68). Et les écrivains de la langue vulgaire ont réduit les noms des génies au « nain » et au « géant » : « Pour l’espace roman, nous savons que « nain» recouvre aussi bien un lutin qu ’un gobelin, un changelin, un Duse, un génie domestique, un Narove ou encore certaines catégories d’hommes sauvages, tout simplement parce que ces créatures ont été normalisées linguistiquement. » (p. 67)

D’abord les génies ont reçu des noms latins du génie du terroir comme faunus, polisus, satyrus… Plus tard, ils sont regroupés par leur caractères communs : « ces êtres dissimulent des l’espace sauvage ; ils sont réputés être de petite taille, ce qui est totalement faux car ils prennent toutes es tailles à volonté ; ils disposent de pouvoirs surnaturel, dispensent prospérité ou malheur » (p. 68). Mais un nain est aussi une âme en peine, un elfe, un cauchemar, un génie domestique. Puis, le nain est assimilé au génie par la similitude de leur habitation. Tous les deux habitent les pierres ou sous elles. Parfois, ces génies du terroir sont même associés à des morts, à des géants, à des créatures démoniaques multiples.

Les génies habitent les terres vierges et : « Toute colonisation, toute installation et toute agrégation d’un lieu au domaine civilisé s’accompagnent donc de rites qui confèrent une sacralité différente à l’espace que l’on s’approprie et procurent au détenteur de la terre une légitimité. Si on ne se conforme pas à ces rites, les habitants du dit espace vous traitent en intrus et menacent vos moyens d’existence, votre santé mentale ou même votre vie » .

L’étranger est souvent guidé par le génie du lieu vers l’emplacement convenable. Le génie se présente sous la forme d’un animal merveilleux comme un bouvier ou un bœuf. Une fois installé, le colon marque son territoire par un « rite de prise de possession » (p. 107) pour expulser le génie du terroir ou en apprivoiser certains pour leur protection. Le circumambulation consiste à délimiter .

Kibaans, kobold, nain, lutin, fée… 

Aux Philippines, des contes décrivent ces êtres avec minutie. Parfois, leur désignation reste originale comme « Kibaan », mais sous l’effet de la traduction, leurs appellations se diversifient telles que « Lutin » ou « Fée ». Mais toujours est-il que la description reste la même : « Les Kibaans sont de petits lutins qui font aux hommes tout un tas de misères. Le Kibaan a la peau claire comme l’homme et ses dents sont en or. Mais le plus curieux est que sur ses pieds les orteils sont dirigés vers l’arrière et les talons vers l’avant. » .

Dans un autre conte, intitulé « Les dons de la petite fée », ce même personnage se présente sous une version féminine désignée par « Fée ». Un pêcheur ayant décidé d’abattre un arbre où la fée avait élu domicile est surpris par une découverte fantastique. Le narrateur le représente ainsi : « Mais avant même qu’il eût commencé, une fée pas plus grande qu’un enfant de deux ans descendit de l’arbre. Ses cheveux longs atteignaient ses pieds, et sur ceux-ci, les talons se trouvaient devant et les orteils derrière. » .

Dans les contes grimmiens ou ceux de Madame d’Aulnoy, ces personnages de petite taille apparaissent sous les noms de nains , lutins . « […] le Nain jaune en sortit d’un air enjoué, il avait des sabots, une jaquette de bure jaune, point de cheveux, de grandes oreilles, et tout l’air d’un petit scélérat. » Le nanisme est une difformité inquiétante qui mélange le vieux (le grand) et le jeune (le petit) ; Le géant renvoie à la démesure, à la force extraordinaire, alors que le nain est associé à la ruse, à la dissimulation, au sous-terrain. La difformité relève du diabolique même si nombre de nains sont présentés comme de bons génies comme dans « Blanche Neige ».

Kalanoro

Kala est un nom pour désigner une jeune fille et noro, la plénitude. Kalanoro signifie littéralement Jeune-fille-de-la-pleinitude. Dans des récits malgahes, les kalanoro sont ainsi décrits : « Ces petits hommes qui l’eurent enlevée avaient les pieds à l’envers : les talons devant et les orteils, derrières » . « Ce kalanoro était petit, de très petite taille, à peine cinquante centimètres, il avait de longs cheveux, il était de teint clair. Il était semblable à un nain  ».

Les caractéristiques des personnages 

Ces personnages sont loin d’être des monstres. Ils ne sont pas physiquement formés d’éléments incompatibles, comme c’est le cas des personnages mélusiniens pisciformes. Ce sont des êtres surnaturels ayant la forme humaine, pourvus d’un trait spécifique inquiétant tel que les longues oreilles, les pieds à l’envers, les teints variés (jaunes, clairs…), les cheveux exagérément longs. Ce physique dérivé de l’homme est l’image d’un contresens permettant à ces êtres d’accomplir tout actes inhumains. À cause de leurs pieds à l’envers, leurs traces de pas sont trompeuses et difficiles à suivre. Cette disposition physique permet déjà de comprendre combien ces êtres sont difficiles à saisir. Ils détournent la raison et brise la logique, la loi de la nature. Ils sont « invisibles » pour l’entendement humain. Le nanisme symbolise le monde à l’envers où le petit est vieux et fort.

Ce physique anormal signale l’appartenance à l’autre monde. Faut-il aussi rappeler qu’ils sont semblables aux humains. Ce sont donc des êtres partagés entre deux mondes à la fois différents et contradictoires. C’est grâce à eux que l’ailleurs et l’ici tissent leur liaison. Ce sont des passeurs, des fils conducteurs entre le monde surnaturel et le monde réel. Aussi n’est-il pas étonnant que l’enlèvement soit leur activité principale. Cet enlèvement consiste alors à ramener des éléments appartenant au monde réel vers le monde surnaturel. C’est grâce à eux que le réel est en contact avec le surnaturel. En général, la victime est déconcertée par un monde auquel elle n’est pas censée appartenir. Elle est étrangère, vulnérable et perdue dans un jeu de distorsions spatiales. Face à cette tension entre deux mondes, de deux natures différentes, l’identité de la victime est remise en question. L’humain ayant franchi le monde surnaturel reste-t-il toujours un humain ? Cette mise en en scène est un rite de passage initiatique.

Le petit être surnaturel règne en maître étant donné qu’il est chez lui. Par conséquent, il impose des épreuves auxquelles la victime doit se soumettre. Ces épreuves se diversifient en fonction des cultures et se pratiquent dans l’ailleurs, chez l’autre. C’est une question de choix. Manger ou ne pas manger, manger quoi. Faire ou ne pas faire et que faire ? La victime se trouve face à des problèmes qu’elle doit, à tout prix, résoudre. D’une façon implicite ou explicite, la victime participe au rite initiatique.

« Arrivée là-bas, chez eux, ils lui offrirent à manger : des crabes cuits et du poisson cru. Elle ne manga pas ce qui était cru. Ces êtres de petite taille se fâchèrent, mais elle ne comprenait pas ce qu’ils se disaient. Ils lui donnèrent de l’eau fraîche, elle ne la but pas » .

« Je ne mangeais que du miel et du crabe. Certains étaient crus, mais je ne mangeais que les cuits » .

Parfois, la victime est obligé à exécuter des tâches, comme dans « Les trois nains de la forêt », les nains ont demandé à la jeune fille de partager son pain et de balayer leur maison. Dans les récits malgaches, l’épreuve est alimentaire et oppose les cuits aux crus. La nature de la victime est remise en question. La cuisson, comme le langage, est le propre de l’homme. Ce dilemme aussi bien physique (espace) que spirituel (psychologique) place la victime dans une situation intermédiaire, dans une sorte de carrefour. L’épreuve consiste à un travail d’humanisation dont la victime est censée sortir victorieuse.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES PERSONNAGES SURNATURELS ET LA REPRESENTATION DE L’AU-DELA: LE KALANORO ET LE VILLAGE INVISIBLE D’ANDREBABE (MADAGASCAR)
I.1 LES GENIES DU TERROIR
I.1.1 Les génies du terroir selon Lecouteux
I.1.1 Kibaans, kobold, nain, lutin, fée
I.1.2 Kalanoro
I.1.3 Les caractéristiques des personnages
I.2 L’AU-DELA
I.2.1 Le milieu céleste
I.2.2 Le milieu aquatique
I.2.3 Le milieu terrestre
I.2.4 Andrebabe
DEUXIEME PARTIE : LECTURES SOCIOCRITIQUE ET PSYCHANALYTIQUE DES RECITS
II.1 LA NEGATION DU FANTASTIQUE DANS LES RECITS SUR LE KALANORO ET SUR LE VILLAGE D’ANDRABABE
II.1.1 La sous-visibilité et la sur-visibilité
II.2 APPROCHE SOCIOCRITIQE DES RECITS
II.2.1 « Le kalanoro au temps du M.D.R.M »
II.2.1 « La naissance du village d’Andrebabe » ou l’effacement de la terre
II.3 APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DES RECITS
II.3.1 « La naissance du village d’Andrebabe »
II.3.1.1 L’absorption maternelle
II.3.1.2 Le procédé œdipien
II.3.2 « Le kalanoro au temps du M.D.R.M »
II.3.2.1 La crise psychologique de la croissance
II.3.2.2 Le fantasme de l’accomplissement du désir
TROISIEME PARTIE : ETUDE COMPARATIVE
III.1 LE DEPART VERS UN MODE SURNATUREL : « RIP VAN WINKKLE » ET « LA NAISSANCE DU VILLAGE D’ANDREBABE »
III.1.1 « Rip Van Wikle » : l’origine surnaturelle et historique des Etatsunis d’Amérique
III.1.2 « La naissance du village d’Andrebabe » : la protection et la préservation du tanindrazana
III.1.3 La confrontation des deux récits
CONCLUSION

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