« Législateurs, les hommes ne traitent ensemble que dans l’espoir légitime que leurs engagements respectifs seront exécutés ; et toute transaction serait bientôt suspendue si une confiance mutuelle ne rapprochait pas les citoyens pour leur commun intérêt. Celui qui ne nous inspire pas cette confiance sera-t-il donc absolument exclu de l’avantage de contracter avec nous ? Non, législateurs, la garantie qu’il ne nous offre pas, nous pouvons la recevoir d’un autre qui, le connaissant mieux peutêtre, ou par tout autre motif, consent à s’engager pour lui ».
J.-B. TREILHARD, Présentation au Corps Législatif du titre V du livre III du projet de Code civil, le 3 février 1804, in P.-A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, 1836, t. 15, p. 37.
Confiance et nouvelles formes de sûretés personnelles – Créer un climat de confiance propice aux échanges économiques, entre opérateurs disposant d’une information imparfaite, est un objectif aussi fondamental que difficile à atteindre. Le constat dressé en 1804 n’a rien perdu de sa force, bien au contraire. La grave crise financière ayant débuté en 2007, et qui a culminé à la fin de l’année 2008, à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers, produit toujours ses effets à l’heure actuelle . Une ère de la défiance et du soupçon s’est ouverte, provoquant un net ralentissement des opérations de crédit . Si le pire a sans doute été évité, c’est entre autres parce qu’on a suivi le conseil de Treilhard. L’arsenal mis en place pour restaurer la confiance comprenait en effet, outre la mise en place d’importants plans d’aide au secteur financier , et d’une politique monétaire très accommodante , le recours à des garantie personnelles. Tout d’abord, une garantie des prêts interbancaires par les États, pour que reprenne la circulation de monnaie entre les composantes du système financier . Ensuite, un renforcement de la garantie des dépôts bancaires, pour éviter un phénomène de « ruée sur les guichets ». Cette dernière est assumée, en France, par le Fonds de garantie des dépôts, personne morale de droit privé , dont le rôle est, selon le Code monétaire et financier, « d’indemniser les déposants en cas d’indisponibilité de leurs dépôts ou autres fonds remboursables » . Il a ainsi été décidé que le plafond d’indemnisation serait augmenté .
L’intervention des États et des fonds de garantie a été comparée à une forme d’assurance . Il est certain, en tout cas, que les textes régissant le Fonds français n’évoquent pas un cautionnement : il n’est pas question de se substituer au débiteur principal – la banque –, mais bien d’indemniser ses créanciers – les déposants. Or, si l’on en croit une partie de la doctrine contemporaine, un tel type d’engagement n’est nullement l’apanage des autorités publiques ou des fonds de garantie. Une nouvelle variété de sûretés personnelles devrait prendre place en droit français, et pourrait servir à conforter tout type de créance : les « garanties indemnitaires ». Elles constitueraient ainsi une alternative au cautionnement, dont de nombreuses études menées depuis trente ans laissent penser qu’il est en grande difficulté.
Les atteintes persistantes à l’efficacité du cautionnement
Jusqu’alors, l’engagement de caution, dont l’article 2288 du Code civil dispose qu’il est celui par lequel le garant « se soumet envers le créancier à satisfaire à [l’obligation principale], si le débiteur n’y satisfait pas lui-même », semblait combler les attentes de la pratique. À la simplicité apparente du concept – le garant est débiteur d’une obligation identique à celle du débiteur principal – répondait une simplicité de régime – un caractère « accessoire » que la doctrine présente comme «une interconnexion étroite et de tous les instants entre l’obligation du débiteur et celle de la caution ». La soutenance, au début des années 1980, d’une thèse consacrée aux « sûretés personnelles non accessoires en droit français et en droit comparé » était pourtant un signe qui ne trompait pas : le climat était en train de changer. La position du cautionnement s’affaiblit si rapidement que, quelques années après, il était déjà décrit comme « une institution en danger » , et que l’on se mettait à rechercher des « solutions de substitution » . Depuis, le constat de ce que cette sûreté est « en crise » est devenu si répandu qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir longuement . Deux séries de considérations peuvent rebuter les créanciers, qu’il convient de distinguer.
Tout d’abord, celles qui tiennent à la nature même du cautionnement : le garant s’engageant de manière accessoire à l’obligation principale, il ne peut être tenu plus durement et, en principe, son engagement est du même type que celui du débiteur principal : payer s’il doit payer, faire la même chose que lui s’il doit faire, etc.
Ensuite, les considérations qui peuvent être qualifiées de circonstancielles : durant les dernières décennies, de nombreuses mesures adoucissant le sort des cautions ont été adoptées, qui ne doivent rien au caractère accessoire, mais relèvent de faveurs consenties par le législateur. Cela n’a, à vrai dire, rien de surprenant. L’histoire du cautionnement, ainsi qu’il a été souvent relevé, est celle d’une tension permanente entre les intérêts du garant et ceux du créancier ; l’opinion publique ou le pouvoir politique considèrent, tour à tour, que l’on est trop sévère avec les cautions, puis que l’on se préoccupe bien peu des intérêts des créanciers : le balancier oscille d’un côté, puis de l’autre . Cette alternance de cycles se retrouve bien évidemment dans d’autres branches du droit, chaque fois qu’il existe une tension entre deux valeurs ou deux intérêts concurrents . Les réformes de ces dernières années vont dans un sens très clair, favorable aux cautions . À cette crise d’efficacité, désormais bien connue, s’ajoute un phénomène plus récent : une crise d’identité.
Les atteintes nouvelles à l’identité du cautionnement
Contestée comme insuffisamment efficace et rigoureuse, la sûreté personnelle de référence est aujourd’hui prise en tenaille par l’ouverture d’un nouveau front. La Cour de cassation a en effet décidé de remettre en cause, pour des raisons qui restent difficiles à saisir, un élément qui participe de l’essence même de cette garantie : son caractère accessoire. L’article 2290 alinéa premier du Code civil résume cette idée maîtresse : « Le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses ». Ce principe clair semblait toutefois contrarié par l’article 2313 alinéa 2 du même Code, selon lequel : « [La caution] ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur ». Dès les premiers interprètes du Code civil, la doctrine arbitra ce conflit en faveur de la première disposition, en interprétant la seconde d’une manière si restrictive qu’elle aboutissait quasiment à l’effacer : la caution doit pouvoir opposer toutes les exceptions, qu’elles soient inhérentes à la dette ou personnelles au débiteur principal. Quant à la jurisprudence, elle préféra malmener les qualifications plutôt que les textes, en qualifiant toute exception rencontrée d’inhérente à la dette. Le caractère accessoire triompha donc sans discussion durant plus de deux siècles. Jusqu’à un arrêt du 8 juin 2007, rendu par une Chambre mixte de la Cour de cassation, qui décida que le dol dont avait été victime le débiteur principal était bien une exception personnelle . Puisque la Cour mettait fin à sa politique de distorsion des qualifications et que, contrairement à la doctrine, elle n’était pas décidée à détourner son regard de la règle énoncée à l’article 2313 alinéa 2, la conséquence était inévitable : la caution ne put se prévaloir de la nullité relative du contrat principal; le débiteur principal, disparu depuis, à l’issue d’une procédure de liquidation, ne pouvait rien faire pour elle ; il fallait payer le créancier, qui n’avait pourtant obtenu la conclusion de cette convention que grâce à des manœuvres. Certains feront peut-être valoir que, en privant la caution d’une partie des exceptions dont elle jouissait jusqu’à présent, la Cour de cassation a durci le régime de la sûreté. N’est-ce pas précisément ce qui était réclamé ? La réponse est certainement négative. Car le principal effet de cette jurisprudence est d’ouvrir une période d’incertitude en ce qui concerne les effets précis d’un cautionnement. Un éminent spécialiste semblait tout à coup ne plus reconnaître l’institution, se demandant : « Le cautionnement est-il encore une sûreté accessoire ? » . Le caractère accessoire, ou plutôt une certaine forme d’accessoire particulièrement vigoureuse, était pourtant son principe même de fonctionnement. Dans ces conditions, est-il encore possible de susciter la confiance ?
Qu’est-ce que la confiance ? – La fable d’Ésope, « Le renard et le bouc », dont La Fontaine a donné ensuite sa propre version, illustre à merveille l’importance de la confiance. Ces deux animaux se trouvent au fond d’un puits. Si le bouc prend appui sur le mur et tend ses cornes, le renard lui explique qu’il pourra s’appuyer sur lui pour sortir ; après quoi, il lui prêtera main-forte – ou patte-forte ? – à son tour. Le bouc accorde sa confiance au renard, qui la trahit : il s’en va sans se préoccuper de son sauveur. Le bouc était trop naïf, diront certains. Mais si aucun des deux animaux ne prend de risque, ils restent tous les deux au fond du puits, pour leur plus grand malheur . De même, si les agents économiques n’ont pas confiance les uns dans les autres, il n’y aura aucune transaction à crédit. Dans ces conditions, tout le monde perd.
Une analyse célèbre de la confiance y voit « un mécanisme de réduction de la complexité sociale » . Un agent doit prendre une décision, mais il ne maîtrise pas tous les paramètres lui permettant de déterminer à l’avance, avec certitude, si l’action qu’il projette sera couronnée de succès. Il va considérer que l’information dont il dispose lui suffit pour accorder sa confiance à l’autre partie de manière raisonnable. La confiance est donc un mélange « de savoir et de non-savoir » . Un opérateur économique qui n’a plus confiance en ses partenaires potentiels attendra de disposer sur eux d’une information complète, ce qui sera souvent long et difficile – donc coûteux – voire impossible . Une bonne garantie personnelle doit agir comme une courroie transmettant la confiance qu’inspire le garant au débiteur principal. Le résultat diminue l’incertitude du créancier, la quantité de « non-savoir » devient suffisamment faible pour être négligée. Le cautionnement actuel remplit mal cette fonction. Il est aujourd’hui difficile d’identifier les contours précis du mécanisme, et la caution peut user de divers moyens pour retarder ou refuser son paiement. Il est par exemple devenu possible d’exciper de quelques fautes dans les mentions manuscrites que toute caution personne physique doit recopier, à la main, lorsqu’elle s’engage envers un créancier professionnel, pour échapper à son engagement . Lorsque le renard peut quitter le puits en laissant mourir le bouc, la confiance disparaît. Il est alors nécessaire de réagir.
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Table des matières
Introduction générale
PREMIÈRE PARTIE CONCEPT DE GARANTIE INDEMNITAIRE
Titre I – Les limites de l’analyse fondée sur la responsabilité contractuelle
Chapitre I – L’originalité revendiquée : l’obligation de faire ou de ne pas faire du garant
Chapitre II – L’originalité contestée : l’assimilation au cautionnement
Titre II – Les apports de l’analyse fondée sur la courverture de risque
Chapitre I – L’idée du rapprochement entre assurance et sûretés personnelles
Chapitre II – La mise en œuvre du rapprochement entre assurances et sûretés personnelles
SECONDE PARTIE PRATIQUES DES GARANTIES INDEMNITAIRES
Titre I – Régime juridique
Chapitre I – Formation
Chapitre II – Exécution
Chapitre III – Extinction
Titre II – Applications
Chapitre I – Mécanisme à vocation générale : la garantie professionnelle du risque de crédit
Chapitre II – Mécanismes à vocation particulière
Conclusion générale