Les fusiliers de montagne du Roussillon au XVIIIe siècle

La province de Roussillon comme creuset militaire

La province de Roussillon a été rattachée au royaume de France par la ratification du traité des Pyrénées du 7 novembre 1659. Cette conséquence lointaine de la très longue guerre de Trente ans a scellé le destin du territoire nord-catalan jusqu’à nos jours. Cependant, la décision d’intégrer la plaine du Roussillon, ainsi qu’une partie du comté de Cerdagne, ne fut pas envisagée comme définitive par les États français et hispanique. Ce rattachement a fait suite à l’intervention militaire française dans la province en 1641, où les armées de Louis XIII et de Louis XIV ont occupé le territoire durant 18 ans. L’acquisition de la nouvelle province s’est faite par les armes et cette caractéristique martiale a forgé les cadres du Roussillon du XVIIIe siècle.
Pays de vocation frontalière, le Roussillon est un espace très convoité depuis l’époque médiévale. Sa géographie est ponctuée par la présence constante de fortifications et de garnisons jusqu’à devenir dans les années 1660 une ligne renforcée du pré carré français. Territoire stratégique contrôlant les passages orientaux des Pyrénées, ainsi que d’une partie des routes maritimes par cabotage du golfe du Lion, cet espace enclavé entre la mer Méditerranée et les Pyrénées est également issu des conflits européens. Il accumule les répercussions des guerres au XVIIe siècle et s’épanouit sur une paix locale au siècle suivant malgré des guerres globalisantes, car la guerre ne ravage plus la province. Le climat de guerre omniprésent a forgé une sociologie particulière de méfiance à l’égard des autorités centrales chez les populations montagnardes et frontalières, ballottées de pouvoirs en pouvoirs, ne sachant plus vers quelle puissance se tourner pour assurer leur survie.

Le Roussillon, une province en paix issue des conflits européens

La province de Roussillon entra dans le royaume de France par la guerre. Les conflits armés ont marqué l’histoire de ce territoire avec un impact certain de la violence à tous les niveaux au XVIIe siècle, mais ont également permis un épanouissement dans tout le royaume au siècle suivant. Le royaume de France fut constamment en guerre entre 1667 et 1715. Sur cette période de 48 ans, les conflits représentèrent 53,7 % du temps contre 46,3 % de temps de paix. Le royaume faisait face à une « nouvelle guerre de Cent Ans » avec ses trêves et rebondissements dont les conséquences étaient issues du duel franco-espagnol. Cette obsession des conflits et l’enchaînement des guerres, guerres dont la fréquence se déroulait en chapelet, ne donnait que peu de répit à l’État et rendait la distinction entre le temps de guerre et de paix artificielle. La guerre fut mise en perspective par ses effets à très long terme dont l’échelle se mesure sur plusieurs générations.
Pour comprendre l’émergence de troupes comme les Fusiliers de montagne et plus généralement l’organisation militaire de la province de Roussillon, il est nécessaire de faire brièvement un historique des conflits contextualisant l’annexion du Roussillon. En effet, la province est la résultante des grands conflits européens depuis la guerre des Segadors, ou Moissonneurs, et son occupation à partir de 1641 avant le traité des Pyrénées jusqu’au premier pacte de Famille en 1733. Les guerres de Louis XIV et les interventions de Vauban ont favorisé de grands bouleversements dans la vie des Roussillonnais, dont les Miquelets demeurent un exemple de syncrétisme militaire.

Les guerres de successions : des chasseurs pyrénéens en Corse et dans les Alpes

Durant le siècle des Lumières, les Miquelets servirent le roi de France à la fois au cours de campagnes extérieures au Roussillon afin de soutenir l’armée régulière, mais encore en faction dans des postes frontaliers. Le premier conflit concernant notre étude est celui de la guerre de Succession de Pologne.
La guerre de la Succession de Pologne, qui eut lieu de 1733 à 1738, fut déclenchée par la mort du roi électeur Auguste II de Pologne en 1733. Les prétendants Auguste III et Stanislas Ier Leszczynski, beau-père de Louis XV, se disputèrent le trône entrainant une confrontation entre les familles de Bourbon et de Habsbourg. La guerre se termina par la ratification du traité de paix de Vienne en 1738, scellant la victoire des alliés de Stanislas ainsi qu’une réorganisation territoriale d’ampleur en Italie. Au cours de ce conflit, une importante campagne soutenue par les Miquelets fut menée par les Français en Italie à partir de juin 1734, alliés aux Piémontais contre les Autrichiens. Le 20 mars 1734, le corps des Arquebusiers de montagne fut reconstitué pour aller combattre en Italie aux côtés des troupes du maréchal de Villars face aux Barbets, équivalents niçois des Miquelets. Le régiment devait avoir été mis sur pied au 1er juin 1734, toujours commandé par le colonel d’Ortaffa. Ce nouveau corps comprenait quatre bataillons dirigés par les majors Torrès, Belair, Brunet et Joly avec un effectif total de 2 400 hommes. Je, Jean Henry capitaine d’arquebusiers de montagne, natif de la ville de Collioure étant prêt à partir pour le service de sa majesté très chrétienne, je fais et ordonne mon présent dernier testament .Lors de cette nouvelle levée, un capitaine commença à faire parler de lui, un certain Jean Henry de Collioure. Ce capitaine, dont le parcours nous sera dévoilé lors du dernier chapitre, se distingua le 1er novembre 1735. Ce jour-là, d’après Victor Sapin-Lignères, les Impériaux tentèrent un coup de main sur le poste de Castelletto près de Milan tenu par la compagnie Henry du bataillon de Joly, mais l’attitude résolue des arquebusiers fit échouer l’attaque des Autrichiens. Finalement, le corps revint d’Italie au début de l’année 1736 puis fut licencié le 3 février de la même année.

Le contrôle des troupes, source de référence pour la prosopographie

L’étude des sources notariales ne fut pas la seule méthode utilisée pour mener à bien cette recherche, qui a également été appuyée par l’analyse d’un contrôle de troupe.
Seul un exemple de contrôle de troupe est à notre disposition pour le corps des Fusiliers de montagne, mis à part un contrôle existant pour le mois de juillet 1734 malheureusement non communicable lors de l’élaboration de cette étude, pour des raisons de conservation et de la mise œuvre d’une campagne de numérisation. Source majeure pour la connaissance des masses militaires, le contrôle des fusiliers intégré à la revue d’inspection du Mémoire fait un état précis du régiment au mois de septembre 1751. Cependant, pour comprendre cette série de trois grands tableaux de contrôle, il faut revenir sur l’usage du contrôle des troupes dans l’armée royale.
Le nombre d’hommes augmentant dans l’armée française à la fin du XVIIe siècle, l’administration militaire fut obligée économiquement de contrôler ses effectifs de très près, de même que de préciser d’avantage le signalement de chacun de ses soldats. Les registres de contrôle ont été établis pour connaître l’identité et l’aspect physique, ce que nous pourrions appeler de nos jours le « signal » de chaque soldat et qui, ensemble, formaient la « montre signalétique » répertoriant les noms, prénoms, lieux de naissance et marques particulières. Ces documents permettaient entre autre de signaler les congés et d’établir les droits des militaires.
La masse générale des contrôles des troupes est composée d’environ 2 000 registres versés au Service Historique des Armées en 1951 par le Bureau des Archives Administratives militaires. Source la plus importante pour l’histoire sociale, la démographie militaire et l’histoire migratoire, ils permettent de retracer le parcours des soldats avec plus de facilité. André Corvisier l’a rendu accessible grâce à la publication d’un inventaire en 1968.

Combattants à la solde de la France, mais hommes du pays avant tout

Une approche microhistorique basée sur la lecture de documents notariés nous a permis d’établir une typologie des besoins des Miquelets en matière notariale. Ces militaires servaient la monarchie française dans les confins du royaume, mais demeuraient avant tout des hommes de leur pays qu’ils ne quittaient pas, sauf pour des missions de courte durée et ceux qui venaient d’ailleurs. Nous pourrions nous demander ce que représentait cette confiance accordée par l’État français à ces troupes provinciales. Était-ce une tentative d’établir une sorte de clientélisme d’État ? Ou bien d’encourager une certaine francisation en attribuant une confiance dans les Fusiliers de montagne ? Cette partie sera l’occasion d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations en tentant de déterminer la vie des fusiliers en Roussillon, en étudiant de près leurs rapports avec les Roussillonnais, puis de déterminer leur vie économique nonobstant celle de soldat et de sujet ordinaire, avant de détailler leurs conditions de vie précaires.
Un catalogue des acteurs a été constitué à partir de toutes les informations recueillies sur les Fusiliers de montagne d’après les grands corpus du contrôle des fusiliers et du dépouillement des archives notariales et un total de 156 fusiliers recensés de tous grades confondus a pu être établi. D’autres entrées ponctuelles ont pu être rajoutées grâce à l’apport du registre des soldats décédés à l’hôpital de Collioure, qui sera abordé dans cette partie.

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Table des matières

Introduction 
I. Les Miquelets : partisans singuliers d’une province aux marges du royaume
1) La province de Roussillon comme creuset militaire
Le Roussillon, pays de tradition frontalière – Le Roussillon, une province en paix issue des conflits
européens – Organisation militaire d’une province du pré carré
2) Entre mercenaires, milices et troupes légères : le corps des Fusiliers de montagne
Un « régiment » à multiples facettes – Des troupes du pays habillées « à la catalane » – Un
équipement et un armement local adapté pour l’armée royale – Le statut de troupe légère,
particularité du corps
3) Des Roussillonnais au service du roi de France
Des soldats marginaux ayant marqué leurs contemporains – Les guerres de successions : des
chasseurs pyrénéens en Corse et dans les Alpes – La guerre de Sept Ans : des Catalans à Minorque
II. Une masse originale d’acteurs : regard microhistorique sur les Miquelets
1) Une typologie de combattants, dressée par une méthode sérielle
La méthode principale : le dépouillement systématique des fonds notariés – Le contrôle des
troupes, source de référence pour la prosopographie – Le notariat en Roussillon, entre usages
catalans et français – Le témoignage du notaire, nature des besoins socio-économiques des fusiliers
2) Combattants à la solde de la France, mais hommes du pays avant tout
Des Roussillonnais parmi les Roussillonnais – Entre guerriers et acteurs économiques, conditions
de vie précaires et inclusion sociale – Sociologie de la frontière, une lecture anthropologique
3) Un corps d’armée malléable et polyvalent
Questions tactiques, le cas de la petite guerre – Des maquisards alertes des Pyrénées –
L’occupation de Minorque
III. De la masse à l’individu, mise à l’honneur de trajectoires personnelles des
Fusiliers de montagne
1) Retour sur les documents de la pratique et le témoignage des notaires
Présence d’une histoire matrimoniale : éclairage sur les liens du mariage et de réseaux – Une
histoire testamentaire, analyse sociologique et économique des combattants – La possession de
biens, indicateur du niveau de vie
2) Autour du service militaire des fusiliers
L’homme avant et après le Miquelet – Questionnement sur la place des familles et des veuves en
particulier – Quelques cas de criminalité, le miquelet en marge de la société
3) Les capitaines comme acteurs aux parcours traçables
La condition sociale des officiers, le cas des capitaines – Jean Henry, militaire au passé trouble –
Jean Rostan, officier de carrière
Conclusion
État des sources 
Sources manuscrites
Sources graphiques
Bibliographie 
I. Instruments de travail
1) Dictionnaires et manuels
2) Répertoires et inventaires d’archives
II. Historiographie militaire 
1) Bilan historiographique
2) La nouvelle histoire militaire
III. La guerre à l’époque moderne 
1) La guerre et la société
2) Les grands conflits du XVIIIe siècle
3) L’armée royale
4) Uniformologie et habillements
IV. Tactique et troupes spéciales
1) La petite guerre
2) Les troupes légères
3) Les Fusiliers de montagne
V. Histoire du Roussillon et de Minorque 
1) Généralités sur le Roussillon
2) L’armée royale en Roussillon
3) Droit et juridictions locales
4) Occupation française de Minorque

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