Les frottements : phénomènes physiques, modèles, et méthodes d’identification de leurs paramètres

Les phénomènes de frottement constituent le principe de fonctionnement de certains systèmes mécaniques, comme les embrayages, mais peuvent aussi poser des problèmes complexes dans les chaines de transmission et de motorisation, en particulier lors des déplacements à basse vitesse. Ainsi la modélisation et la prise en compte du phénomène de frottement est essentielle dans les phases d’analyse et de synthèse de ce type de systèmes.

Les frottements apparaissent au niveau de l’interface entre deux surfaces en contact. Ils peuvent être de deux natures : secs si les deux surfaces sont directement mises en contact, ou humides si un lubrifiant (tel que de l’huile ou de la graisse) est utilisé pour créer un film à l’interface. Il existe différents phénomènes physiques à l’origine de ces frottements, les plus importants sont présentés dans la suite.

Définitions, principes physiques et propriétés des frottements 

Historique

Depuis des milliers d’années, les hommes essaient de comprendre et de compenser l’effet négatif des frottements. Ainsi, il est possible de voir, sur une peinture représentant des Egyptiens tractant une colonne de pierre en 1880 avant JC, un homme, en avant des autres, qui lubrifie le sol afin de faciliter le travail des autres [10]. On peut penser que les Egyptiens n’avaient pas compris les phénomènes physiques mis en jeu, mais ils savaient que la lubrification pouvait réduire la résistance du frottement. Les premières études importantes sur le frottement et ses phénomènes physiques sont à mettre à l’actif de Léonard De Vinci, au XVIe siècle. Il proposa deux lois : la première posant que le frottement est directement proportionnel à la charge appliquée, la deuxième postulant que le frottement est indépendant de l’aire de contact. Cependant, les travaux de De Vinci demeurèrent inconnus, et c’est un physicien français, Guillaume Amontons, qui, au début du XVIIIe siècle, redécouvrit les résultats de De Vinci. Puis au milieu du XVIIIe siècle c’est Euler qui permit encore à la science de progresser en identifiant le premier une distinction entre les frottements statique et dynamique.

En 1785, Coulomb valida les études précédentes, et observa que le niveau du frottement statique est dépendant du temps durant lequel le système reste immobile alors qu’une force externe lui est appliquée. Il mit en évidence le phénomène de rising static friction lié au dwell-time (cette propriété sera examinée par la suite). Coulomb observa aussi que dans les conditions d’un glissement sec, le frottement cinétique est indépendant de la vitesse de glissement. Mais le résultat le plus important de ses travaux concerne la cause de ces frottements. En effet, Coulomb observa que deux solides en contact ne le sont pas sur toute leur surface mais seulement à une échelle microscopique aux niveaux de leurs aspérités. Et c’est la déformation et la rupture de ces dernières qui sont à l’origine des frottements.

Les jonctions créées par les contacts au niveau des aspérités ont deux comportements :
– Sous l’effet d’une force extérieure de faible amplitude, les liaisons s’étirent et autorisent un déplacement relatif microscopique entre les deux surfaces en contact. Cette déformation est « réversible », c’est-à-dire que, si la force extérieure s’annule, la déformation disparait, les deux solides reprennent leur position relative de départ, il n’y a pas eu glissement. Ce comportement, dénommé dans la littérature anglaise presliding displacement (régime I), définit la phase de collage ;
– Sous l’effet d’une force d’amplitude supérieure à un seuil Fba, appelée « force de rupture » (« breakaway force »), la déformation est irréversible : la liaison créée par l’aspérité rompt, il y a glissement relatif des deux corps (régimes II, III et IV). Ce comportement définit la phase de glissement.

Par ailleurs, Coulomb et Rabinowicz [16] ont mis en évidence une dépendance entre la force de rupture et la durée de la phase de collage (dwell-time en anglais). La force de rupture augmente avec le temps de collage pour atteindre une valeur maximale de saturation. Ce phénomène est appelé phénomène de rising static friction.

Lubrification limite

Ce régime a lieu pour des vitesses de glissement très faibles. A ces vitesses, la lubrification est presque nulle, et un film lubrifiant ne peut se former à l’interface des deux surfaces. Ainsi, le frottement est « quasi sec ».

Lubrification partielle

Lorsque la vitesse de glissement devient plus importante, le lubrifiant est entraîné entre les deux surfaces. La pression exercée au niveau du contact rejette une partie de ce lubrifiant, mais la viscosité de ce-dernier empêche la totalité du fluide de s’échapper, et un film se forme. Cependant, lorsque les vitesses sont faibles, le film n’est pas assez épais pour séparer entièrement les deux surfaces en contact : il existe alors une situation de transition où le support d’un solide par rapport à l’autre est assuré d’une part par le film, d’autre part par les aspérités.

D’autre part, des expériences [16] ont montré que durant ce régime une variation sur la vitesse de glissement n’est pas instantanément répercutée sur la réponse du frottement. Il existe donc un certain retard, significatif de l’existence d’un comportement dynamique entre la valeur du frottement et celle de la vitesse durant ce régime. En effet une variation de la vitesse de glissement entraîne une modification progressive du film séparant les deux surfaces. Cette modification fait à son tour évoluer la relation Ff(v). Ce phénomène est appelé frictional memory.

Les frottements secs
Les frottements secs, sont dans un sens, une particularité des frottements humides puisqu’ils peuvent être décrits par les deux premiers régimes introduits précédemment : frottement statique et lubrification limite. En effet, comme cela a été vu précédemment, ces deux régimes ont lieu à des vitesses trop faibles pour entraîner le fluide. Dans le cas des frottements secs, les phénomènes tels que l’effet Stribeck, frictional memory ou frottements visqueux n’ont donc pas lieu.

Bilan

Au cours de cette première partie, six phénomènes physiques liés aux frottements ont été présentés. Par ailleurs, le problème de simulation de non dérive a été évoqué. Un des objectifs des modèles de frottement à mettre en place sera d’intégrer du mieux possible ces phénomènes :

Stiction : frottement statique, à vitesse de glissement nulle.
Rising static friction : dépendance entre le temps durant lequel les deux surfaces sont collées (dwelltime) et la valeur de la force de rupture.
Frottement élastique : phénomène de frottement, dont le comportement s’apparente à celui de raideurs, qui intervient dans la transition entre les phases de collage et glissement.
Non dérive : lorsque la force externe appliquée est inférieure à la force de rupture Fba, la position relative des deux surfaces en contact reste constante.
Effet Stribeck : aux vitesses faibles (régime II et III), le frottement varie (augmente ou diminue selon les propriétés du fluide utilisé) avec la vitesse du fait de la mixité du support (contact et fluide) entre les deux surfaces.
Frictional memory : pour des vitesses de glissement faibles (régime III), l’effet d’une variation de vitesse se répercute avec un certain retard sur la valeur du frottement, du fait de l’existence d’un système dynamique caractérisant le lien de cause à effet entre les deux grandeurs physiques (modification de l’épaisseur du fluide par exemple).
Frottements visqueux : aux vitesses élevées (régime IV), le support étant entièrement assuré par le fluide entre les deux surfaces, les frottements sont dits visqueux, c’est-à-dire dépendants linéairement de la vitesse.

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Table des matières

Chapitre 1 : Introduction
1.1 Contexte de la thèse
1.2 Problématique de la thèse
1.3 Principe de fonctionnement d’un système d’embrayage
1.4 Objectifs de la thèse
1.5 Organisation de la thèse
Chapitre 2 : Les frottements : phénomènes physiques, modèles, et méthodes d’identification de leurs paramètres
2.1 Introduction
2.2 Définitions, principes physiques et propriétés des frottements
2.2.1 HISTORIQUE
2.2.2 DEFINITIONS ET NOTATIONS
2.2.3 FROTTEMENTS : LES QUATRE REGIMES
2.2.4 LES FROTTEMENTS SECS
2.2.5 SIMULATION ET FROTTEMENTS
2.2.6 BILAN
2.3 Les différents modèles
2.3.1 MODELES STATIQUES
2.3.2 MODELES DYNAMIQUES
2.4 Bilan comparatif des modèles
2.5 Simulation des modèles
2.5.1 1ERE EXPERIENCE : CORPS SUR UN PLAN HORIZONTAL SUBISSANT L’EFFORT D’UNE FORCE EXTERNE SINUSOÏDALE
2.5.2 2EME EXPERIENCE : CORPS SUR UN PLAN HORIZONTAL SUBISSANT L’EFFORT D’UNE FORCE EXTERNE SINUSOÏDALE D’AMPLITUDE INSUFFISANTE POUR ENGENDRER LE GLISSEMENT DU CORPS
2.6 Identification des paramètres des différents modèles de frottement
2.6.1 METHODES D’IDENTIFICATION DES PARAMETRES DES MODELES DE FROTTEMENT
2.6.2 DESCRIPTION DES PROCEDURES D’ESSAIS POUR L’ESTIMATION DES PARAMETRES DES MODELES DE FROTTEMENT
2.7 Conclusions et perspectives
Chapitre 3 : Banc d’essais frottement : conception, essais et recalage de modèles
3.1 Introduction
3.2 Conception, modélisation et identification des paramètres du modèle du banc d’essais
3.2.1 INTRODUCTION
3.2.2 EQUATIONS ET SCHEMA-BLOC DU MODELE DECRIVANT LE COMPORTEMENT DU BANC D’ESSAIS
3.2.3 IDENTIFICATION DES PARAMETRES DU MODELE DU BANC D’ESSAIS
3.2.4 CONCLUSION
3.3 Réalisation des essais frottement : mise en évidence des défauts du banc et solutions apportées
3.3.1 INTRODUCTION
3.3.2 PROCEDURES D’ESTIMATION DU COUPLE DE FROTTEMENT A PARTIR DES MESURES DU COURANT ET DE LA VITESSE
3.3.3 ESSAIS DE CARACTERISATION DU FROTTEMENT SUR LA PREMIERE VERSION DU BANC
3.3.4 ETUDE DE L’INFLUENCE DU JEU ET DES PHENOMENES DE TORSION D’ARBRES SUR L’ESTIMATION DU COUPLE DE FROTTEMENT ET DE LA VITESSE DE GLISSEMENT
3.3.5 AMELIORATION DU BANC ET NOUVEAUX ESSAIS
3.4 Recalage des modèles de frottement à partir des essais réalisés sur le banc
3.4.1 INTRODUCTION
3.4.2 CHOIX DU MODELE, DES METHODES D’IDENTIFICATION ET DES PROCEDURES D’ESSAIS EXPERIMENTALES A UTILISER POUR DECRIRE LE FROTTEMENT DES DISQUES
3.4.3 IDENTIFICATION DES PARAMETRES DES MODELES DE FROTTEMENT A PARTIR D’ESSAIS REALISES SUR LE BANC
3.4.4 DETERMINATION DES PARAMETRES DES MODELES DECRIVANT LE COEFFICIENT DE FROTTEMENT µ(ΩCH)
3.5 Conclusion
Chapitre 4 : Synthèse de la structure de commande en glissement piloté : modélisation de la chaîne de transmission d’un véhicule, élaboration de la loi de commande et validation en simulation et sur véhicule
4.1 Introduction
4.2 Modélisation de la chaîne de transmission d’un véhicule
4.3 Etude de la solution envisagée pour le filtrage d’acyclismes, et linéarisation du modèle de commande
4.3.1 LINEARISATION DU MODELE DE LA CHAINE DE TRANSMISSION AUTOUR DE POINTS DE FONCTIONNEMENT DE GLISSEMENT
4.3.2 ANALYSE DU TRANSFERT ∆ΓEMB/∆ΓM POUR ETUDIER L’INFLUENCE DU GLISSEMENT SUR LE FILTRAGE DES ACYCLISMES
4.4 Cahier des charges et valeurs numériques des différents paramètres et grandeurs
4.4.1 VALEURS DES PARAMETRES DU MODELE DE LA CHAINE DE TRANSMISSION
4.4.2 VALEURS DES COEFFICIENTS DU MODELE DE COUPLE RESISTANT
4.4.3 VALEURS DES PARAMETRES LIES AU MODELE DE FROTTEMENT
4.4.4 VALEURS DES POINTS DE FONCTIONNEMENT
4.4.5 VALEURS DES PULSATIONS DES ACYCLISMES
4.4.6 CAHIER DES CHARGES POUR LE FILTRAGE D’ACYCLISMES
4.4.7 INFLUENCE DE L’EFFET STRIBECK DANS LA LINEARISATION
4.4.8 INFLUENCE DE LA VALEUR DU GLISSEMENT SUR LA QUALITE DU FILTRAGE DES ACYCLISMES
4.4.9 INFLUENCE DE LA VALEUR DU REGIME MOTEUR
4.4.10 INFLUENCE DES DYNAMIQUES DE TORSION DE L’ARBRE DE TRANSMISSION NEGLIGEES
4.5 Synthèse du correcteur assurant le filtrage des acyclismes par glissement piloté
Chapitre 5 : Conclusion

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