Les fourmis : Facteurs de leurs succès écologiques
Importance écologique des fourmis
Omniprésence
Des déserts arides aux zones urbanisées, des terres cultivées aux forêts primaires, du cercle polaire avec les fourmis des forêts finlandaises (Holldobler & Wilson, 1994) aux régions équatoriales, tout semble favorable à l’installation des fourmis. Seules quelques îles sont dépourvues de fourmis endémiques (Passera & Aron, 2005). Par la diversité de leurs mœurs, de leurs organisations sociales et en spécialisant leurs comportements, les fourmis parviennent à occuper des niches écologiques distinctes à travers de nombreux écosystèmes terrestres (Holldobler & Wilson, 1994). Actuellement, 15 639 espèces et sous-espèces de fourmis sont répertoriées dans le monde (antweb.org). La grande majorité de ces espèces se trouvent sous les tropiques. En Amérique du sud et dans les Antilles on compte -dans l’état actuel de nos connaissances- 2 233 espèces (Folgarait, 1998). Un seul arbre de la forêt amazonienne au Pérou compte 43 espèces, soit autant que pour le Luxembourg [49 espèces : (Europaea, 2013)]. L’Europe n’est pas en reste pour autant et compte entre 429 et 637 espèces de fourmis (Europaea, 2013; Passera & Aron, 2005), soit plus que l’ensemble des mammifères terrestres et aquatiques (Macdonald) (≈200/220 especes), des reptiles et amphibiens d’Europe (Arnold & Ovenden, 2010) (≈228 especes).
Les fourmis ont donc une diversité spécifique importante, à laquelle s’ajoute parfois une forte densité par colonie. À elles seules, trois espèces de fourmis arboricoles africaines comptent 47 millions d’individus/hectare (Baroni Urbani et al., 1978). Aux États-Unis, une espèce de fourmi invasive, Linepithema humile compte 200 millions d’ouvrières et 130 000 reines par hectare (Horton, 1918). On estime que les fourmis ont, à chaque instant, sur l’ensemble de la planète, une population oscillant entre 1 et 10 millions de milliards d’individus. Même si une fourmi ne pèse en général que 1 à 10 mg, la biomasse de la myrmécofaune excède la biomasse des hommes (Hölldobler & Wilson, 1990; Passera & Aron, 2005). Dans la forêt amazonienne, leur poids sec représente quatre fois celui des vertébrés terrestres (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens) (Holldobler & Wilson, 1994). Par leur nombre et leur comportement, elles ont donc un rôle écologique important : ce sont des espèces « clés de voûte » ou « Keystones species » (Hölldobler & Wilson, 1990).
Rôles écologiques
Grâce à leur nombre, les fourmis exercent un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes (Wilson, 1987) et conditionnent la vie de certaines espèces animales et végétales (Holldobler & Wilson, 1994). Certaines fourmis assurent la dispersion de nombreuses espèces végétales en perdant des graines lors de leur transport jusqu’au nid. Elles consomment plus de 90% des animaux morts qui ont une taille comparable à la leur et sont les principaux prédateurs des insectes et des araignées (Hölldobler & Wilson, 1990). En Allemagne, en 1952, WELLENSTEIN estime entre 8 et 14 millions le nombre d’insectes capturés par les ouvrières d’un seul nid d’importance moyenne de Formica polyctena (Wellenstein, 1952). Ces fourmis maintiennent de véritables « îles vertes » autour de leurs nids en capturant et consommant les chenilles défoliatrices (Passera & Aron, 2005; Wellenstein, 1952). Elles participent ainsi au maintien de la forêt. Au Mexique, dans les champs de blé et les plantations cacaoyères, on trouve un grand nombre de nids d’Ectatomma spp. (2 700 à 11 200 nids/ hectare). Leurs ouvrières capturent environ 260 millions de proies/hectare/an (Lachaud et al., 1996; Passera & Aron, 2005). En accumulant dans leurs nids les restes des animaux et des plantes qu’elles consomment, les fourmis contribuent à enrichir les sols (carbone, azote et phosphore). En Argentine, les ouvrières de Camponotus punctulatus remuent 2 100 kg de terre/hectare/an, contribuant ainsi de manière importante à la redistribution des sols (Folgarait, 1998). Certaines fourmis remuent plus de terre que les lombrics (Lyford, 1963) et, ce faisant, maintiennent en circulation de grosses quantités de nutriments, essentiels aux écosystèmes terrestres (Holldobler & Wilson, 1994).
La présence de certaines fourmis peut modifier complétement un paysage. Ainsi, les espèces moissonneuses du genre Pogonomyrmex, originaires d’Amérique du sud, construisent de grands dômes avec une importante quantité de terre excavée. Ces dômes sont dépourvus de végétation et peuvent atteindre un rayon de 2,7m. Vivant dans des zones arides, ces fourmis modifient sensiblement, par leurs travaux de « terrassement », les caractères chimiques du sol. À cela s’ajoute la densité des nids, qui peut être très importante. Ainsi, jusqu’à 20% de la surface du sol peut être dépourvue de végétation (MacMahon et al., 2000). Pour ces raisons, les fourmis sont considérées comme de véritables ingénieurs des écosystèmes.
Les fourmis font partie des organismes dominants de la planète par leur répartition, leur abondance et leur impact sur la vie des autres constituants de la biomasse (Hölldobler & Wilson, 1990). Le caractère social de ces insectes semble être la raison de leurs succès écologiques. Leur petite taille est compensée par leur nombre et leur collaboration à toutes épreuves (Holldobler & Wilson, 1994). Les fourmis arrivent ainsi à effectuer des tâches qu’un insecte solitaire de leur taille ne peut réaliser.
Organisations sociales et communautaires
L’existence d’une coopération dans la réalisation des tâches est un caractère commun aux organismes sociaux. Lors de cette coopération, chacun des individus du groupe acquiert un bénéfice. Certains animaux, comme les fourmis, ont un mode de socialité encore plus poussé.
Eusocialité
Les fourmis font partie des animaux ayant développé un mode de vie de type eusocial (authentiquement social) comme certaines abeilles (certains Apidae & Halictidae), certaines guêpes (quelques Sphécidae et Vespidae) et tous les termites (Isoptera). Les insectes eusociaux forment des sociétés souvent complexes, mises en place grâce à la combinaison de trois caractères biologiques (Michener, 1969; Wilson, 1971):
– la cohabitation d’au moins deux générations d’adultes dans un même nid. Si bien que les descendants aident leurs parents pendant une partie de leur vie,
– la coopération lors des soins portés aux jeunes par les adultes,
– et une division de la colonie en caste : une caste « royale » reproductrice et une caste d’ «ouvrières» non reproductrice.
Il existe donc un biais reproducteur en faveur de certains individus. Les ouvrières contribuent à l’élevage des jeunes aux dépends de leur propre reproduction (Crozier, 1979). Ce comportement est désigné sous le nom d’altruisme de reproduction (Hamilton, 1964). La division en caste reproductrice et non-reproductrice de la colonie permet une séparation des tâches. Là où les reines sont à l’abri des prédateurs dans le nid, pérennisant ainsi la colonie, les ouvrières effectuent les tâches courantes de soins au couvain (Holldobler & Wilson, 1994; Hölldobler & Wilson, 1990) et celles dangereuses de récolte de la nourriture. La perte d’ouvrières récolteuses n’a quasiment aucune incidence sur la colonie. Elles seront rapidement remplacées par des sœurs. Tant que la reine vit, la colonie continuera à exister (Hölldobler & Wilson, 1990; Passera, 2006; Passera & Aron, 2005).
Organisation des communautés
Les différents genres et espèces de fourmis se différencient par leur morphologie, la taille de la colonie, leurs comportements et par certains caractères de leur biologie tels que le rythme d’activité, le régime alimentaire, le mode de dispersion, le choix des sites de nidification… (Bernard, 1968, 1983; Holldobler & Wilson, 1994; Hölldobler & Wilson, 1990; Passera, 2006; Passera & Aron, 2005). Ces différentes caractéristiques vont leurs permettre d’exploiter différentes niches écologiques. Le succès écologique d’une espèce sera plus ou moins important selon les interactions avec les autres espèces de la communauté et le milieu considéré. Leur place dans la communauté dépendra de l’importance de ce succès écologique. Cet assemblage de la communauté est dit organisé lorsque leurs interactions entre individus se traduisent par un assemblage trop régulier pour être le fruit du hasard (Davidson, 1998; Savolainen & Vepsalainen, 1988). Les espèces constituant une communauté peuvent être classées suivant leurs traits fonctionnels ; d’espèces dominantes aux espèces subordonnées (Hölldobler & Wilson, 1990). Ces classifications sont basées suivant l’abondance des individus dans une colonie, leurs comportements interspécifiques ainsi que leurs habiletés à trouver et monopoliser les ressources alimentaires.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME