Les formes de désignations des agents de la situation de communication

Les formes de désignations des agents de la situation de communication

En ce qui concerne les actants, il faut, dans un premier temps, différencier les énoncés dans lesquels ce sont les locuteurs qui s’expriment en leur propre nom ou au nom du groupe qu’ils représentent et ceux où ce sont les destinataires qui sont mentionnés. Lorsque les émetteurs s’expriment, ils utilisent alors soit le pronom de la première personne du singulier (l’individu seul) soit celui de la première personne du pluriel (la communauté politique partageant les mêmes idées ou les députés dans leur globalité voire les destinataires non présents dans l’hémicycle à qui s’adresse le message) ; les récepteurs immédiats sont quant à eux désignés par le pronom de la deuxième personne du pluriel. Raphaël Micheli dansson ouvrage portant sur les débats parlementaires autour de l’abolition de la peine de mort opère pour sa part cette distinction dans l’analyse des émotions mises en discours (2010 : 200).

Le « je » comme sujet de l’énonciation

Dans ces mentions, le « je » se dissocie du groupe auquel il appartient et à plus forte raison de ses adversaires politiques dans le but d’exprimer entre autres sa volonté, son souhait, son désir, sa préférence, son appréciation, ses craintes. Il est donc amené dans certaines parties de son discours à se distinguer de la posture intégrative qu’il adopte ailleurs. Au-delà de défendre son propre point de vue, le parlementaire est le représentant de ceux qui l’ont élu, il paraît donc légitime qu’il fasse entendre sa voix, que celle-ci devienne audible pour ces mêmes auditeurs. Analysons donc les pronoms personnels sujets de la première personne du singulier puisque « l’analyse des pratiques de présentation de soi commence nécessairement par l’examen des personnes grammaticales » (Amossy : 2010 103).
Nous remarquons sur les graphiques que globalement, ce sont les députés opposés au projet de loi qui utilisent le plus le pronom de la 1 ère personne du singulier (51 occurrences contre 40 pour leurs adversaires/plus de 56% pour les uns contre près de 44% pour les autres). Comment l’expliquer? Nous pouvons avancer les raisons suivantes:
– dans la mesure où les députés opposés au projet de loi ne sont pas majoritaires au sein de l’Assemblée, ils se servent de l’hémicycle comme d’une tribune politique qui leur permet de se positionner au sein de leur propre famille politique (on connait les dissensions qui existent au sein de l’UMP suite à l’échec de la candidature de Sarkozy auposte de président de la République).
– exprimer un point de vue individuel plutôt que groupal peut être une stratégie d’obstruction dans le déroulement des débats: il faut s’imposer face au groupe majoritaire donc occuper tout le temps laissé pour ces discussions.
– certains députés ont été témoins d’événements en lien avec ces débats parlementaires: comme nous le verrons dans la seconde partie de notre mémoire, l’argument du témoignage nécessite donc avant tout l’emploi de la 1 ère personne du singulier.
– dans la mesure où les discours de ces députés sollicitent avant tout des modalités affectives, faire parler ses propres sentiments et non pas ceux d’un groupe peut se révéler payant auprès de l’électorat visé et renforcer le lien d’empathie/de sympathie et le sentiment d’appartenance entre le locuteur et ce public.
N’oublions pas d’ailleurs que le député de retour dans sa circonscription devra rendre des comptes à ses électeurs.
-l’utilisation de la 1 ère personne du singulier peut aussi être tout simplement liée à la personnalité du locuteur qui préfère se mettre en avant plutôt que faire entendre la voix de son groupe.
– à contrario, les député.e.s de la majorité préfèrent se retrancher derrière leur groupe politique d’appartenance. Dans la mesure où ils sont majoritaires à l’Assemblée et où ils ont soutenu la candidature de François Hollande et donc les propositions qu’il a faites lors de la campagne présidentielle, ils doivent montrer qu’ils sont soudés, qu’ils font cause commune, qu’ils sont solidaires du gouvernement et qu’ils se rangent derrière la position idéologique de leur « chef ».
Si l’on s’intéresse à la répartition cette fois-ci au niveau du camp majoritaire, ce sont, Mme Buffet (11 occurrences) et M. Coronado (15 occurrences/à relativiser cependant puisque les pronoms de la 1 ère personne du pluriel font à peu près jeu égal avec ceux de la 1 ère personne du singulier) qui mettent le plus en avant leur personne alors que M.Assaf, lui, préfère s’inclure dans l’éthos collectif. Quelles explications peut-on avancer?
En ce qui concerne Mme Buffet :
 elle a déjà occupé des fonctions ministérielles et elle a étéréélue en 2012 en tant que députée: on peut alors penser que cette singularisation par l’emploi du « je » vise à souligner qu’elle possède déjà une longue expérience politique et qu’elle met celle-ci au service de cette cause.
 Mme Buffet souhaite se positionner par rapport au groupe auquel elle appartient(Ce groupe de 15 députés, « La Gauche démocrate et républicaine » est en effet composé à l’Assemblée Nationale des représentants des partis suivants : « Parti communiste français », « Parti de gauche », « Mouvement pour la Réunion », « Mouvement indépendantiste martiniquais », « Parti socialiste guyanais », « Divers gauche ») et ainsi faire entendre sa voix (dans l’éventualité d’un repositionnement de ces partis lors d’élections ultérieures?).
 Mme Buffet utilise plutôt le langage de l’affect et elle fait pour cela parler ses propres sentiments et ses propres émotions.
Dans le camp des opposants au projet de loi, ce sont MM. Perrut (8 occurrences), Gosselin (25 occurrences/à relativiser puisque le pronom « nous » est aussi très présent dans son discours) et Bompard (7 occurrences) qui se mettent le plus en avant. Ily a donc de leur part une forte prise en charge du discours. Il y a pour reprendre une expression de Dominique Béhague utilisée au sujet de Ségolène Royal « hyper-personnalisation de l’intervention par utilisation du pronom « je » [et] cela donne un discours identitaire avec mise en scène du Moi » (2012 : 166).
 M. Perrut et M. Gosselin se présentent comme des personnalités non dénuées d’affects: « je suis attaché » à plusieurs reprises ou « je respecte » dans le discours du premier. D’ailleurs l’utilisation de la conjonction « comme » suivie du pronom personnel de la deuxième personne du pluriel « vous » vise à s’identifier au discours des députés de la majorité, les deux hommes se présentant comme des humanistes éprouvant de l’empathie et défendant à priori des valeurs communes avec le groupe adverse mais pour mieux s’en dissocier dans la dernière partie du discours. On pourrait interpréter cette utilisation du pronom « je » comme une marque de sincérité ou au contraire comme un procédépurement rhétorique; dans ce cas, on relèverait les reprises anaphoriques « je suis » « comme vous » « attaché ». Cet emploi du pronom « je » pourrait aussi être perçu comme une marque de singularisation par rapport aux discours des autres députés du même groupe politiquequi eux, préfèrent insister sur leur divergence plutôt que leur convergence d’avec les discours de la majorité. On notera d’ailleurs la dissociation effectuée par Perrut vis-à-vis du groupe politique auquel il appartient dans cette surprenante formulation : « c’est la raison pour laquelle ni moi ni mes collègues ne pourront vous suivre sur cette voie ».
 M. Bompard ne fait partie d’aucun groupe parlementaire (on remarquera d’ailleurs la faible occurrence de « chers collègues » dans son discours), il doit donc assumer et affirmer seul sa position idéologique ; on retrouve là ce que l’on peut percevoirdans les discours d’extrême-droite c’est-à-dire la position du chef, de celui qui estomnipotent ; il est, aussi, selon nous, véritablement dans une mise en scène (les mots et phrases polémiques l’attestent). Par ailleurs, en centrant le discours sur Soi, c’est une façon aussi de se démarquer des autres.
Pour résumer, nous pouvons indiquer que la première personne du singulier est utilisée par les  deux camps dans la mise en valeur de l’éthos du/de la députée mais ce sont les députés opposés au projet de loi qui ont le plus à cœur de se prendre comme sujet de leur propre discours. Comme leurs adversaires, ils se placent dans l’agir (œuvrer pour que le projet de loi ne soit pas voté, continuer à manifester dans la rue aux côtés de ceux qui le rejettent) et leur prise de position est symbolisée par l’emploi de verbes d’opinion et deprédicats d’état (le jugement porté sur l’autre camp est sévère) qui nous livrent leurs états d’âme et leurs craintes.
Les partisans du projet de loi, eux, se présentent comme ceux pour qui l’adoption du projet de loi est vitale; ils mettent en avant les actions qui ont été menées, celles qui le sont encore en vue du vote et qui le seront lors de l’application du projet de loi sur le terrain. Leur opinion sur leurs adversaires est tout aussi négative. Dans le cadre des débats, rappelons que le discours polémique vise à attaquer l’autre en vue d’obtenir l’adhésion du tiers qu’on prend à témoin. Enfin, nous nous sommes aperçu que certains préféraient parfois mettre en valeur un éthos individuel plutôt que collectif pour des raisons diverses : valoriser un éthos de chef, faire parler ses sentiments personnels pour une situation qui nous touche particulièrement (l’auditoire s’identifiera alors à l’homme ou à la femme et pas forcément au parti dontil est membre), mettre en avant sa propre expérience professionnelle (éthos de compétence), se positionner à l’intérieur du groupe politique dans lequel on est (peut-être une démarche opportuniste), faire obstruction aux débats (pas nécessairement valorisant pour celui qui le fait).

La construction d’un éthos collectif

Lorsque le locuteur ne parle pas qu’en son nom propre, il le fait à la fois au nom de son groupe (d’ailleurs ce terme apparaît dans certaines interventions) mais aussi au nom de la représentation nationale. On emploie alors la forme « nous » qui peut non seulement se trouver en position de sujet mais aussi en position d’objet. On notera également l’usage important du déterminant possessif « notre » et de sa forme au pluriel « nos ». La personne est parfois contenue dans la forme verbale (c’est le cas de l’impératif).
1 ère personne du singulier était majoritairement employé par les députés opposés au projet de loi, ici, ce sont les partisans du projet de loi qui agrémentent davantage leurs discours du « nous » même si l’écart entre les deux camps est moins marqué que précédemment. La situation est presque équilibrée. Chez les partisans du projet de loi, ce sont M. Coronado (18 occurrences) et Mme Taubira (23 occurrences) qui emploient le plus cette forme alors que chez leurs adversaires, ce sont M. Gosselin (25 occurrences) et M. Tian (15 occurrences) qui en font un usage plus important. Quelles explications pouvons-nous donner?
En ce qui concerne Mme Taubira, ceci s’explique par le fait que la garde des sceaux dans son rôle de membre du gouvernement vient défendre auprès des parlementaires le projet de loi que ce même gouvernement a initié; il faut donc qu’elle s’exprime au nom de ce dernier.
C’est bien l’image d’une équipe gouvernementale unie autour de ce projet qu’il faut montrer aux parlementaires car ce projet doit apparaître comme étant fédérateur (que ce soit d’ailleurs au niveau des représentants politiques ou au niveau de la société toute entière) et faire oublier les dissensions qui se manifestent parfois de façon violente verbalement (espace public, assemblée nationale) ou physiquement (espace public). Il n’est donc pas question pour Mme Taubira de se démarquer par l’emploi du « je » des engagements gouvernementaux.
En ce qui concerne M. Coronado, on renverra là aussi au fait que le groupe écologiste, ayant approuvé les propositions de François Hollande et faisant partie de la majorité parlementaire, tient à se montrer solidaire des actions du gouvernement et donc préfèrene parler que d’une seule voix.
En ce qui concerne les opposants au projet de loi, on renverra au fait que certains députés préfèrent s’inclure dans un éthos collectif car ils ne voient peut-être pas réellement ce qu’une énonciation à la 1 ère personne du singulier peut ajouter comme plus-value au discours ainsi tenu. Là encore, c’est peut-être l’effet « masse » autour de son chef de parti qui joue le plus. S’exprimer à la 1 ère personne du singulier, c’est aussi s’exposer et il se peut que certains députés ne souhaitent pas cela.
Dans ces quatre exemples, l’énonciateur s’inclut dans un groupe où figure une personnalité politique ou plus généralement la société toute entière.
Nous retrouvons les modalités suivantes: boulestiques (volonté), aléthiques (nécessité/possibilité/impossibilité), déontiques (obligation/interdiction/permission) ainsi que des verbes de parole et ceux exprimant des actions. Lorsque nous analysons les actes de langage liés au pronom « nous » nous pouvons faire les remarques suivantes en ce qui concerne les partisans du projet de loi:
– les verbes utilisés dans les discours liés au pronom de la première personne du pluriel se placent plutôt dans le cadre de l’action, du désir et du souhait. Ils expriment également quelquefois l’opinion et le jugement ainsi que la concession – Mme Untermaïer, elle, ne concède rien à la partie adverse – (quand c’est le cas, c’est pour souligner le côté pédagogique et c’est ce que nous rencontrons avant tout dans le discours de Mme Taubira : elle tente de comprendre la position de ceux qui sont circonspects quant à ce projet deloi tout en se positionnant comme celle qui vient expliquer ce projet de loi en vue de son adoption). Nous sommes donc à la fois dans des modalités affectives mais aussi dans l’agir. Nous avons également remarqué qu’à de nombreuses reprises, dans les discours des partisans du projet de loi, le futur était utilisé: c’est ainsi une manière de se positionner dans l’après-projet de loi (futur prophétique ou conjectural). Il est à noter enfin (ce que l’on ne relevait pas dans le discours de Mme Taubira) l’utilisation de verbes de perception permettent de rendre sensible, perceptible, concret le message à faire passer. Le discours de M. Assaf est celui qui utilise le plus les formes impersonnelles et les présentatifs: le député présente des faits qui semblent indiscutables, qui paraissent être des évidences mais aussi peut-être est-ce là un signe de modestie (le projet de loi est au service des citoyens et pas des parlementaires). Retrouvons-nous les mêmes actes de langage dans les discours des opposantsau projet de loi?
– l’emploi du « nous » se place dans l’agir en insistant sur ce qu’il aété possible ou pas de faire, sur ce qu’il est encore possible de faire: « nous redonnerons », « nous sommes allés », nous porterons », « nous continuerons », « nous n’en finirons pas », « nous allions saluer »
– il exprime aussi une volonté et une obligation de la part du locuteur: «nous devons », « nous voulons ».
– il se place dans l’activité langagière: « nous affirmons », « nous le disons», « nous débattons »
– il est un moyen de montrer les sentiments des locuteurs ainsi que leurs jugements et opinions: « nous sommes scandalisés », « nous aspirons », « nous respectons », « nous redoutons », « nous dénonçons »
En guise de synthèse, nous noterons que le « nous » est étroitement lié à l’éthos de chef : on se range derrière la position commune décidée soit par le Premier ministre et le Chef de l’Etat pour la garde des sceaux (l’emploi du « je » serait donc déplacé, le projet doit être fédérateur, dans le cas contraire, la partie adverse pourrait se servir de cettedissension pour discréditer l’autre camp), soit par le chef de son parti. Comme le note Ruth Amossy (2010 : 162).

La construction de soi à travers l’autre

Les locuteurs ne sont pas les seuls participants à la situation d’énonciation puisqu’ils prennent la parole devant des interlocuteurs qui soit partagent leur point de vue soit s’y opposent. La plupart du temps, c’est par l’usage de l’embrayeur « vous » qu’ils interpellent ces derniers.
On s’aperçoit dans le corpus que l’adresse à l’allocutaire prend très souvent la forme du blâme voire de l’invective, à deux exceptions près quand Mmes Buffet et Untermaier adressent des compliments à la garde des sceaux.
Nous nous apercevons également que certains députés manient davantage cette arme argumentative et en particulier ceux de l’opposition (83 occurrences contre16 pour leurs adversaires) et ce sont MM. Bompard et Fromantin qui sont les plus véhéments ce qui montre bien que l’hémicycle est le lieu de vives tensions où il est important pour se positionner, de discréditer l’autre ou son action politique.
Les embrayeurs ne sont pas les seuls termes se rapportant aux allocutaires. En effet, nous pouvons aussi trouver des groupes nominaux contenant des noms communs, des noms propres, des propositions subordonnées périphrastiques, la plupart du temps ces termes visent à disqualifier l’autre ou les autres. On rencontre aussi des pronoms indéfinis. Les allocutaires sont surtout définis en fonction de leur bord politique (« l’opposition »), relevons quelques-uns de ces termes.
Dans le cadre du débat parlementaire, le « je » ne peut prendre la parole qu’à l’intention d’un « tu », d’un « vous ». C’est ce qu’ont bien compris les député.e.s de chaque camp qui ne se privent pas d’interpeller l’autre bord pour critiquer ses choix : les parlementaires opposés au projet de loi concentrent leurs critiques sur les décisions prises par le Gouvernement (que ce soient sur la mise en place du temps programmé, sur la gestion des manifestations de rue, sur son positionnement idéologique dans ce projet de loi mais aussi plus globalement sur la politique qu’il mène depuis le début du mandat présidentiel de François Hollande). Les partisans du projet de loi, eux-aussi, rendent leurs adversaires responsables de la dégradation de la situation dans notre pays : par leurs attitudes et leurs paroles, les députés hostiles au projet de loi non seulement se rendraient complices des actes homophobes et des agressions à l’encontre de certains élus mais aussi mettraient en danger le fonctionnement républicain des institutions. Parfois, ces allocutaires sont désignés non par une personne grammaticale mais par la fonction qu’ils occupent (c’est une manière de souligner l’incompétence de l’adversaire politique qui ne se serait pas montré à la hauteur de lacharge que les citoyens lui ont confiée) ou même par le nom de l’incriminé ce qui a pour effet d’accentuer la diatribe (on vise une personne en particulier). Comme nous le verrons ci-après en étudiant les éléments constitutifs des discours, des termes désignant l’autre sontparfois contenus dans les apostrophes.

Les éléments constitutifs des discours (séquences d’ouverture et de clôture/interruptions)

Les rituels d’ouverture et de clôture

Nous avons déjà pu noter l’importance du rôle du président de l’Assemblée nationale. Cela nous pousse à nous exprimer sur les séquences d’ouverture des discours puisque comme le souligne Marc Abélès, « [le protocole d’ouverture] pose d’emblée le président dans sa prééminence, et comme arbitre incontesté du débat. C’est à lui ques’adressent en premier ceux qui prennent la parole, selon la formule consacrée : « Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés. » (2001 : 233).
Tous les discours à deux exceptions près commencent en effet ainsi. Seuls les discours de la garde des sceaux et de celui de M. Fromion s’écartent du modèle imposé. L’une débute son allocution en entrant directement dans le vif du sujet : « Voilà que nous nous retrouvons pour la deuxième lecture de ce projet », l’autre ne fait qu’interpeller la garde des sceaux : « Madame la garde des sceaux ». On peut supposer dans le deuxième cas que les attaques vont essentiellement porter sur la ministre de la justice ; cette adresse serait donc le prélude à un discours offensif contre elle. Les autres discours contiennent des formules d’adresse qui sont plus ou moins longues en fonction du nombre de personnes désignées : de deux éléments dans le discours de M. Roman (président/collègues) à huit dont un absent dans le discours de M. Tian (président/garde des sceaux/ministre déléguée chargée de la famille/ministre délégué chargé des relations avec le Parlement/président de la commission des lois/présidente de la commission des affaires sociales/rapporteur/collègues) avec mention ou pas du mot affectif « chers » (plutôt ritualisé comme signe de politesse à une exception près, dans le discours de M. Assaf où là le mot a une réelle charge affective : « cher ami, Erwann Binet »). L’antéposition de l’adjectif est un marqueur significatif de la relation interpersonnelle qui s’établit entre le locuteur et le destinataire de l’apostrophe : « interpeller, c’est construire une sphère interpersonnelle au sein de laquelle l’instance d’énonciation prédique non seulement la présence d’autrui, mais aussi son positionnement en tant que coénonciateur, et asserter de la sorte qu’il a toute sa place dans l’espace intersubjectif ainsi élaboré » (Détrie : 2006 : 8).
Avant d’aborder en détail le cas des apostrophes, soulignons que les séquences d’ouverture (qui contiennent donc des actes de langage à placement imposé comme les salutations) permettent l’amorce de l’échange et leurs fonctions sont « d’assurer l’ouverture du canal, d’établir le contact physique et psychologique, de faire connaissance avec l’autre ou de manifester sa reconnaissance de l’autre, de « donner le ton », d’opérer une première mais décisive « définition de la situation » » (Kerbrat-Orecchioni : 1990 : 221). Elles peuvent également dans leur formulation annoncer directement le thème central dudiscours qui sera énoncé (le mariage et l’adoption aux couples de même sexe).
Dans cette séquence de clôture qui feint d’adresser des remerciements au camp adverse, nous avons un emploi antiphrastique du remerciement qui vaut alors pour un anti-remerciement ce qui est contraire au rituel de politesse. Pour conclure, on peut rappeler que les séquences d’ouverture et de clôture sont fortement ritualisées et qu’elles occupent des fonctions diverses. Les premières contiennent des formules de politesse convenues sous la forme d’apostrophes dont la fonction principale est de faire exister l’autre en montrant qu’on le ratifie comme allocutaire. Ainsi, les député.e.s des deux bords mentionneront, par ordre d’importance, ceux à qui le message s’adresse : le président de l’Assemblée nationale aura la prééminence, puis seront cités d’autres personnages ayant joué un rôle clef dans l’élaboration du projet de loi puis sa présentation au Parlement. Ce seront la garde des sceaux, la ministre déléguée chargée de la famille, le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, le président de la commission des lois, la présidente de la commission des affaires sociales et enfin comme la situation de communication nécessite la présence d’allocutaires, ces formules depolitesse s’adresseront aussi aux autres députés présents dans l’hémicyle. Par ailleurs, pour les opposants au projet de loi, citer les statuts de chacun permet de situer la chaîne des responsabilités dans les décisions qui ont été prises (et donc de sous-entendre que les postes occupés ne l’ont pas été correctement), pour leurs adversaires, il en est de même sauf qu’ici c’est pour qu’on se souvienne de ceux qui ont pris des décisions courageuses à un moment difficile. Les séquences de clôture, pour leur part, ont pour but d’apporter une conclusion au discoursainsi énoncé, mais aussi de réaffirmer son positionnement idéologique : pour les uns, des actes à visée euphorisante seront réalisés, on se réjouira alors d’avoir joué un rôle important dans ce processus législatif en vue de l’adoption du projet de loi et on formulera des voeux de bonheur aux couples gays (tout en rappelant le rôle que ces élus seront amenés à jouer dans la célébration des mariages). Pour les autres, on appellera les militants anti-mariage pour tous à continuer le combat en participant à d’autres manifestations de rue et on réitérera son opposition au texte de loi.

Les apostrophes

Avant de nous intéresser aux différentes fonctions que les apostrophes peuvent remplir dans notre corpus, examinons la place que chacune d’entre elles occupe et les éléments constitutifs de chacune d’elles à travers le tableau ci-dessous.

Les interruptions

Quelques remarques à présent au sujet des interruptions de parole que nous avons relevées au sein de notre corpus notamment à partir du tableau ci-dessus. Nous avonsdans un premier temps noté que les discours étaient interrompus à de nombreuses reprisesmais parfois dans des proportions très différentes : le discours d’Assaf n’est entrecoupé que d’une interruption, celui de Buffet de cinq interruptions, d’autres, en revanche, totalisent plus de quinze interruptions : 18 pour le discours de Bompard, 26 pour celui de Taubira ce qui montre l’intérêt que suscite cette discussion (la présentation du projet de loiprovoque de nombreuses réactions – positives ou négatives – de la part des auditeurs directs) mais aussi souligne avec acuité l’antagonisme qui règne entre les deux camps sur cette question. Les propos de M. Bompard sont, pour leur part, parfois si provocants qu’ils ne peuvent entraîner qu’une réaction de la part des interlocuteurs. Fait notable : seul le discours deM. Fromantin n’est à aucun moment interrompu. Faut-il y voir le signe d’une lassitude dans cette stratégie d’obstruction que représente l’interruption intempestive ou celui d’un certain fatalisme (le projet de loi sera de toute façon voté puisqu’il est majoritairement approuvé alors à quoi bon défendre coûte que coûte un point de vue antagoniste) ?

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Table des matières
Introduction
Sigles et abréviations
Partie I- Un éthos construit dans une interaction spécifique
Chapitre 1- Les spécificités de la situation de communication
Chapitre 2- Les formes de désignations des agents de la situation de communication
Chapitre 3- Les éléments constitutifs des discours…
Chapitre 4- Des actes préservant ou menaçant la face des interactants
Chapitre 5- Des discours polémiques
Partie II- Éthos et stratégie argumentative
Chapitre 6- Les arguments de communauté à travers les lieux etles valeurs argumentatives
6.1- Des valeurs communes ou sources de dissensions ?
6.2- Les lieux de l’argumentation
Chapitre 7- Les arguments d’autorité
7.1- Les formes d’autorité
7.2- L’argument d’autorité direct
7.3- L’argument d’autorité indirect
Chapitre 8- De l’amalgame à l’argument ad hominem
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
Table des matières

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