Les forces dynamiques de coupe et les vibrations associées
Coupe orthogonale et zones de cisaillements
La coupe dite orthogonale est la configuration la plus exploitée dans la littérature. À cette échelle, la formation du copeau (chute de matière arrachée par l’action de l’outil) et le mécanisme de coupe sont réduits à un problème à deux dimensions.
Afin de solliciter en cisaillement la couche superficielle, l’énergie de coupe est concentrée sur l’arête en bout de l’outil. Les forces de coupe ainsi introduites sont manifestées par la résistance de la couche aux mouvements de la fraise et combinent :
• Les forces mécaniques au niveau des arêtes de coupe. Résultantes des résistances de la couche superficielle au déplacement relatif,
• Les forces de frottement autour des arêtes de coupe. Résultantes des résistances passives de la surface neuve au déplacement relatif, caractérisées par le coefficient de frottement.
Par convention, (très reprise dans la littérature), on distingue trois zones dans lesquelles s’exercent ces forces, à savoir (Altintas, 2000) :
1- Une première zone (de cisaillement primaire ZCP) se trouvant entre la surface libre et la pointe de l’outil: incluant le plan de cisaillement (aussi appelé la zone de glissement plastique) et la pression à la pointe de la dent,
2- La deuxième zone (cisaillement secondaire ZCS) localisée sur la face de coupe de l’outil: incluant les frottements critiques à l’interface copeau-outil,
3- La troisième zone est localisée sur le flanc de la face de coupe (en dessous de la face de dépouille) : caractérisée par les frottements à l’interface matériau-flanc d’outil.
Vibrations forcées
Durant le fraisage, les phases de coupe se succèdent très rapidement. Dans ce système à vibrations forcées, la fréquence et l’amplitude des vibrations sont reliées aux paramètres d’usinage et à la stratégie de fraisage, comprenant:
• La géométrie de l’outil et le nombre de dents (selon l’engagement radial, des dents peuvent, soit, toujours être dans la matière usinée, ou successivement),
• L’engagement de l’outil,
• La stratégie de fraisage,
• Etc.
C’est d’ailleurs sur ce point, consistant à trouver la stratégie d’usinage induisant le moins de vibrations, que les efforts de Wanner se sont concentrés (Wanner, Eynian, Beno, & Pejryd, 2012). L’auteur a conçu un montage pour la coupe des parois minces, très sensible aux vibrations, équipé d’un capteur piézoélectrique. Les signaux dynamiques ont été collectés lors du surfaçage d’une plaque en Inconel 718, Les trois cinématiques de coupe induisent des dynamiques distinctes. Les résultats, synthétisés sur le graphique de la figure 1.6, montrent un comportement optimal en avalant. Ce mouvement roulant est donc moins propice aux grandes amplitudes vibratoires. Par ailleurs, avec une hauteur de plaque importante, en porte à faux, la sensibilité aux vibrations devient automatiquement plus importante. Néanmoins des profondeurs axiales plus faibles peuvent compenser cette précédente tendance (Wanner, Eynian, Beno, & Pejryd, 2012). Enfin, à noter que les points critiques se focalisent sur l’entrée et la sortie de la paroi mince .
Vibrations régénératives
La diminution de la profondeur axiale permet d’atténuer la vibration induite. Mais elle évite aussi les phénomènes de vibrations autoentretenues (« chatter » en anglais). En pratique, lorsque les vibrations forcées se rapprochent de la fréquence propre du système, les amplitudes des vibrations croissent et le système de coupe devient instable. C’est alors que les vibrations auto-entretenues surgissent et provoquent les mécanismes de broutement. Citons dans cette partie de la revue le diagramme de stabilité d’une unité d’usinage issu des modélisations dynamiques d’un système donné. Actuellement, ceux développés par Altintas (Altintas, 2000) pour l’usinage d’une pièce rigide sont les références les plus utilisées. Ainsi, dans ces modélisations, les vibrations auto-entretenues sont provoquées par l’outil, considéré comme l’élément le moins rigide de l’unité d’usinage.
Les phénomènes dissipatifs accompagnant le processus de coupe
Les situations thermiques et leurs conséquences sur la surface usinée
La génération de chaleur est le principal phénomène dissipatif de l’énergie incidente sur le matériau. Fondamentalement, l’échauffement est une conséquence des forces de frottement et des déformations plastiques. Ces effets thermiques, ainsi générés, se dissipent de différentes manières, à savoir :
• Dans la pièce, le copeau et l’outil par conduction,
• Dans l’environnement par convection et rayonnement.
L’élévation de la température modifie le mode de contact tribologique et surtout entre en interaction avec les autres phénomènes physiques (Hans Jorg, Bergmann, & Gras, 2003). En conséquence, l’intégrité de la couche superficielle diffère selon la situation thermique produite. De plus, l’adoucissement temporaire procuré par la hausse de la température modifie la forme des zones de coupe et augmente la ductilité (Abukhshim, Mativenga, & Sheikh, 2005).
La température comme enjeu de robustesse du procédé
Les activités des différentes grandeurs physiques fondamentales en usinage mécanique produisent des effets thermiques. Ces derniers effets modifient la configuration du processus de coupe, et tiennent un rôle central sur l’intégrité de la surface usinée. Autrement dit, l’échauffement est un phénomène essentiel permettant d’apprécier la situation tribologique et la sévérité des conditions de coupe (Hans Jorg, Bergmann, & Gras, 2003). Par conséquent, optimiser la robustesse du procédé de fraisage est possible en maîtrisant la température générée durant la coupe. Ainsi, via les jeux d’interactions des facteurs procédés, atténuer l’échauffement peut limiter la dégradation des grandeurs comme la rugosité, les contraintes résiduelles, l’usure, etc. Traditionnellement, pour arriver à cet objectif de robustesse, un liquide de coupe est utilisé. C’est évidemment le plus connu des artifices pour évacuer la chaleur accumulée, mais il concourt aussi à la lubrification, à la limitation de l’usure de l’outil et à l’évacuation des particules et copeaux. Même s’il y a un risque de chocs thermiques, les procédés par voie humide gagnent en robustesse, performance et sont moins sensibles aux variabilités et dérives de la qualité. D’ailleurs, pour pallier à ces chocs thermiques potentiels, une étude a visé le développement d’un système de refroidissement directement introduit dans le cylindre de la fraise. Pour ainsi dissiper la chaleur beaucoup mieux à travers l’outil et modifier sa répartition de chaleur entre l’outil et le matériau (Zhu, Shuang Peng, Yin, Jen, Cheng, & Yen, 2014).
L’arête rapportée et ses conséquences sur la coupe
De nombreuses formes d’usure apparaissent lors de la coupe. Cependant, dans la littérature, on définit deux modes, regroupant (Cordebois, 2003) :
• Usure par adhésion, manifestée par le transfert de matière entre les solides antagonistes (pour l’aluminium le transfert va du matériau usiné vers l’outil),
• Usure par abrasion, provoquée par un enlèvement de matière sur l’outil à cause de particules dures. C’est le cas du silicium dans les alliages d’aluminium de fonderie.
L’usure provoquée par les forces de frottement est un phénomène d’importance qui témoigne de la résistance passive de la surface aux mouvements de l’outil. Le contexte d’usinage des alliages d’aluminium, qui ont un grand allongement à la rupture sous haute température, fait surtout intervenir de l’usure par adhésion que l’on reconnaît par le collage sur la pointe de l’outil. La formation de cette arête rapportée (« built-up edge » en anglais) .
Causant un changement à l’interface, l’adhésion de contact initiée par la montée en température se traduit par une modification de la géométrie effective de l’outil. Et, par suite de conséquence, des efforts de coupe, de l’écoulement du copeau et de la température ellemême. Ajoutons aussi que la face de coupe maintenant recouverte peut devenir encore plus collante, ou glissante pour le copeau. Enfin, si la croissance continue, des bouts se détachent et forment des petit tas détériorant l’état de surface (Korkut & Donertas, 2005) (Cordebois, 2003).
Un autre facteur, s’ajoutant à la température, favorise grandement la formation des arêtes rapportées. C’est l’affinité très forte existant entre l’aluminium et le cobalt, ce dernier faisant partie de la composition des outils carbures. Le copeau d’aluminium vient littéralement se souder au couteau pour nettoyer le bout de l’outil de son cobalt. De plus, cette pénétration, provoquant une expansion des amas de cobalt, induit des micros arrachements sur l’arête de coupe (Calatoru, Balazinski, Mayer, Paris, & L’Espérance, 2008). Suite à ces observations, l’application d’un revêtement sur l’outil carbure, agissant comme une barrière avec l’aluminium, prend ici tout son sens. Citons, l’étude de Tsao (Tsao, 2009) qui relève une nette amélioration avec l’application des revêtements à base de titane sur les outils; pour l’usinage en bout d’Al6061-T651 (en avalant à sec).
Par ailleurs, Tsao constate, à l’aide d’un plan d’expériences, que c’est le diamètre de la fraise (autrement dit, la vitesse de coupe) qui explique 40,8% de la variabilité de l’usure sur les flancs radiaux. Le type de revêtement titane explique 18,4% de la variance, les autres facteurs de géométrie de l’outil (angle d’hélice et dépouille sur le flanc), l’épaisseur du copeau et le facteur de bruit expliquent le reste.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 REVUE DE LA LITTÉRATURE
1.1 Introduction à la revue de littérature
1.2 Présentation générale du fraisage et de l’outil coupant
1.2.1 Notions sur l’unité de fraisage
1.2.2 L’outil coupant et sa géométrie
1.3 Les forces dynamiques de coupe et les vibrations associées
1.3.1 Coupe orthogonale et zones de cisaillements
1.3.2 Vibrations forcées
1.3.3 Vibrations régénératives
1.4 Les phénomènes dissipatifs accompagnant le processus de coupe
1.4.1 Les situations thermiques et leurs conséquences sur la surface usinée
1.4.2 La température comme enjeu de robustesse du procédé
1.4.3 L’arête rapportée et ses conséquences sur la coupe
1.4.4 Notions sur les modélisations de la chaleur en usinage
1.4.4.1 Les bases théoriques de l’échauffement par frottement
1.4.4.2 Approches et hypothèses utilisées pour la modélisation théorique en usinage
1.5 Caractéristiques de la température mesurée proche de la zone de coupe
1.5.1 Intensité du flux de chaleur associée au frottement
1.5.2 Mobilité de la source de chaleur et périodicité du flux thermique
1.5.2.1 Évolution des températures lors des contacts successifs outil-surface
1.5.2.2 Température en bout de l’outil lors d’une révolution complète
1.5.3 Caractère « isotherme » de la source mobile de surface
1.5.3.1 Température sur la surface immédiatement après le surfaçage
1.5.3.2 Température en sous-couche le long d’une passe unidirectionnelle
1.6 L’échauffement mesuré sous des conditions variables de coupe
1.6.1 Influence de la géométrie de la fraise sur la température
1.6.1.1 Impact de l’angle de coupe
1.6.1.2 Impact du diamètre de la fraise et du « uncut chip thickness »
1.6.2 Influence de la vitesse de coupe
1.6.3 Influence du liquide de coupe
1.6.4 Influence de l’engagement de l’outil dans la matière usinée
1.6.5 Influence de l’avance de l’outil sur la température de surface
1.6.6 Influence de l’usure en bout de l’outil
1.7 Influence de la température sur l’intégrité des surfaces usinées
1.7.1 Influence de l’usure abrasive sur les contraintes résiduelles
1.7.2 Influence de la situation thermique sur les contraintes résiduelles
1.7.3 Hétérogénéité de la distribution des contraintes résiduelles en surface
1.8 Bilan de la revue de littérature
CHAPITRE 2 DÉFINITION DES OBJECTIFS ET CONCEPTION DES EXPÉRIMENTATIONS
2.1 Objectif de la recherche et définition des objectifs d’étapes
2.1.1 Mise au point d’un dispositif d’instrumentation thermique de la pièce usinée
2.1.2 Distribution de la température sous la surface usinée par fraisage
2.1.3 Mesures des températures locales sous des conditions de coupe variables
2.1.4 Synthèse des objectifs et déroulement du projet de recherche
2.2 Méthode d’instrumentation et caractéristique de la chaîne d’acquisition
2.2.1 Propriétés métrologiques ciblées pour la chaîne d’acquisition
2.2.2 Recherche de la bonne technologie
2.2.3 Présentation de la technologie d’instrumentation choisie
2.2.3.1 Caractéristiques du montage d’instrumentation mis au point
2.2.3.2 Caractéristiques de la carte d’acquisition sélectionnée
2.3 Matière, outil et unité de fraisage
2.3.1 Généralités sur l’alliage Al2024-T3 constituant le revêtement
2.3.2 Montage d’usinage et unité de fraise
2.3.3 Outil de coupe sélectionné
2.4 Expériences conçues et opérations d’usinage investiguées
2.4.1 Rainurage et contournage de la plaque instrumentée
2.4.2 Distribution des thermocouples sous les surfaces usinées
2.4.2.1 Localisation des thermocouples le long de la trajectoire d’usinage
2.4.2.2 Position transverse des thermocouples
2.4.3 Position axiale des thermocouples sous la surface usinée
2.4.3.1 Opération de contournage et position des thermocouples
2.4.3.2 Opération de rainurage et position des thermocouples
2.5 Insertion des thermocouples – hypothèses sur le temps de réponse
2.5.1 Temps de réponse du thermocouple type K utilisé
2.5.2 Interface entre l’aluminium 2024 et le ciment thermique
2.6 Présentation de quelques acquisitions de mesure
2.6.1 Phénomène thermique évalué lors de la passe de l’outil de coupe
2.6.2 Réponse impulsionnelle de la température
CHAPITRE 3 TEMPÉRATURES MESURÉES DANS LES REVÊTEMENTS SOUS DIFFÉRENTES CONDITIONS DE COUPE
3.1 Plan d’expériences et variance des facteurs contrôlés
3.2 Présentation des températures mesurées en sous-couche lors de l’usinage
3.2.1 Résultats issus des expériences de rainurage
3.2.2 Résultats issus des passes de contournage
3.3 Présentation de la méthode graphique utilisée pour les comparaisons
3.4 Variabilité de mesure – répétabilité du dispositif d’instrumentation
3.4.1 Répétition de l’expérience d’usinage
3.4.2 Répétition des points de mesure pour une même passe d’usinage
3.5 Distribution des températures transversales à l’avance rectiligne de l’outil
3.5.1 Cas de l’arc d’engagement partiel – Passe de contournage
3.5.2 Cas de l’arc d’engagement total – Passe de rainurage
3.5.3 Identification d’une « bande chaude » sous la surface rainurée
3.5.4 Évolution de la température entre l’ébauche et la finition
3.6 Échauffements locaux et changement de trajectoire de fraisage
3.6.1 Comparaison des températures internes entre le rainurage et le contournage
3.6.2 Interpolation linéaire pour l’usinage du coin
3.6.3 Échauffement dû à la plongée dans la matière pour l’usinage des poches
3.7 Analyses de la variance des températures et régressions
3.7.1 Analyses de la variance mesurée à la ligne médiane lors des rainurages
3.7.2 Régressions vers un modèle quadratique simple
3.7.3 Interprétation du comportement thermique sous la « bande chaude »
CONCLUSIONS
ANNEXE