Les fondements généraux de la problématique énergétique
La libéralisation et l’unification du marché intérieur de l’énergie (électricité et gaz), associée à certaines dérégulations des prix nationaux au sein de l’Union européenne, ont accentué les risques de distorsions économiques et l’incertitude sur les tarifications à venir. A cette nouvelle situation économique s’ajoutent simultanément les conséquences liées à la perspective désormais avérée d’un changement climatique (GIEC, 2007) et à l’impératif d’adopter un développement durable .
Bouleversement du contexte énergétique mondial
L’observation des consommations énergétiques mondiales depuis un siècle met en évidence le rôle fondamental du charbon, du pétrole et du gaz naturel dans le développement de nos civilisations industrielles. L’utilisation de ces énergies qualifiées de « fossiles » ou de « carbonés » s’est intensifiée pendant la phase de reconstruction économique des pays dévastés par la seconde guerre mondiale, leur permettant d’atteindre une croissance moyenne de 5% par an entre 1947 et 1974. Ni les deux « grands » chocs pétroliers (de 1973 à 1974 et de 1979 à 1981) .
La hausse brutale et non anticipée du prix du pétrole, générée par les deux chocs pétroliers, incitera toutefois les pays industrialisés à abandonner leur modèle économique fondé sur l’absolue disponibilité des ressources énergétiques et à adopter de nouvelles politiques énergétiques intégrant la continuité des approvisionnements et la recherche d’autonomie. Les stratégies énergétiques se façonneront autour de deux principaux objectifs : la diversification des sources d’approvisionnement et la maîtrise de l’énergie. Mais le modèle culturel économique fondé sur l’hégémonie de l’offre énergétique va se maintenir au gré des fluctuations erratiques du prix de l’énergie, ne permettant pas aux différentes politiques axées sur la maîtrise de l’énergie de s’imposer véritablement : « la maîtrise de l’énergie est très dépendante d’une structure d’impulsion permanente » (Martin et al, 1998). Elle est même considérée comme un frein à la croissance et ne bénéficie pas d’investissements en rapport avec l’enjeu (Lamblin, 2006). La diversification des ressources en énergie semble d’ailleurs avoir certains effets pervers sur la recherche d’économie d’énergie. La nucléarisation de la production d’électricité en France a permis ainsi de faire croire à une certaine abondance (Pautard, 2007) : le chauffage électrique se développe et l’isolation thermique des bâtiments est délaissée contrairement à l’Allemagne qui, produisant son électricité à partir de centrales classiques (charbon et gaz), mène une politique efficace d’incitation dans ce domaine dès les années 1970.
L’émergence, au début des années 2000, de nouvelles puissances économiques a définitivement modifié le marché énergétique mondial et le modèle énergétique des pays industrialisés en créant une incertitude sur les réserves disponibles et leur accessibilité dans l’avenir. Leur forte croissance économique provoque une augmentation incessante de la demande énergétique globale. Les économies d’énergie générées par les pays développés, dans le cadre de nouvelles politiques nationales dans le domaine, ne pourront probablement pas compenser cette hausse. Il ne semble pas réaliste de supposer une diminution de la consommation énergétique dans les pays en développement. Seule une aide substantielle fondée sur le transfert de technologies et de capitaux permettrait d’envisager cette perspective, mais les évènements passés récents s’opposent à présager d’une telle évolution (Merlin, 2005) .
Les principaux risques dans le domaine énergétique
La diversification des ressources énergétiques est devenue une action publique prioritaire. Ce concept de mix énergétique (éventail des énergies à disposition) permet d’associer de manière plus pertinente une énergie à un type d’usage. Il concourt au développement de production énergétique décentralisée et à l’utilisation des énergies renouvelables. Le contexte n’est plus propice à une action limitée au seul champ de l’offre : il faut désormais composer avec la demande.
Il s’agit d’opérer un véritable changement de paradigme pour adapter les politiques énergétiques publiques à l’incertitude qui entoure désormais la demande énergétique et ses évolutions : « la culture de la demande doit se substituer à la culture de l’offre » (Gayral, 2005). Les principaux déterminants de cette incertitude sont connus et correspondent à la population, au PIB par habitant, au progrès technique, aux effets de structure (tertiarisation, délocalisation, taille des ménages, pyramide des âges, espérance de vie,…), aux comportements, aux actions des pouvoirs publics (décisions politiques, réglementation, infrastructure…) et aux prix des énergies ou aux autres coûts d’usage (Boissieu, 2006). Excepté la population qui reste relativement prévisible, tous les autres facteurs restent particulièrement difficiles à prendre en compte sur une très longue période. La modélisation des situations énergétiques d’un pays ou d’une région du Monde reste un exercice complexe puisque l’incertitude inhérente à la demande domestique croit avec le temps.
La réflexion énergétique doit se mener en considérant les risques induits par des facteurs ou des évènements exogènes. En dehors des risques économiques et techniques, il existe aujourd’hui trois types de risques particulièrement préoccupants dans le domaine énergétique (Chevalier et al, 2008) :
• les risques de nature géopolitique (instabilité politique d’une minorité d’états contrôlant 80% des ressources en hydrocarbure) ;
• les risques afférents à la régulation (environnement fonctionnel des industries de production des énergies de réseau) ;
• les risques liés au changement climatique (incertitudes des effets d’un phénomène désormais avéré qui devraient modifier les besoins et l’utilisation énergétique).
La discipline urbanistique ne peut directement intervenir sur les deux thématiques géopolitique et industrielle. Elle propose, en revanche, une grille d’analyse pertinente pour l’étude des phénomènes induits par l’utilisation locale de l’énergie, c’est-à-dire l’ensemble des utilisateurs implantés sur un territoire donné. L’utilisateur ne dispose pas des leviers lui permettant de maîtriser le prix des énergies. Son seul moyen d’action sur la dépense énergétique consiste à réduire le niveau d’incertitude pesant sur le coût énergétique en maîtrisant son besoin et sa demande énergétique. L’existence des risques géopolitiques et industriels sera prise en compte de manière contextuelle et ne fera pas l’objet de développement particulier. Nous nous consacrerons à l’analyse du segment de la demande énergétique à l’échelle des territoires urbanisés.
L’imbrication des scénarios climatiques et énergétiques
Les études climatiques actuelles ont montré l’existence, depuis plusieurs décennies, d’un réchauffement brutal des couches basses de notre atmosphère inférieures à 8000 mètres d’altitude (GIEC, 2001). Il s’agit d’un phénomène avéré et étayé (Cf. Annexe 4) par de multiples mesures de la température observées sur l’ensemble des continents de la planète : « le réchauffement du système climatique est sans équivoque » (GIEC, 2007). Les travaux scientifiques du GIEC et, plus particulièrement, l’élaboration des scénarios d’émissions, s’appuient sur une base de données quantitatives qui n’a jamais cessé de croître depuis les années 1990 avec le développement des moyens de calcul. Les scénarios, établissant les concentrations du CO2 (en ppm) dans l’atmosphère, découlent des scénarios d’émissions et fournissent les données d’entrée des modèles climatiques pour le calcul des projections climatiques. Les scénarios d’émission ont vocation à fournir une « représentation plausible de l’évolution future des émissions de substances susceptibles d’avoir des effets radiatifs, fondée sur un ensemble cohérent et homogène d’hypothèses relatives aux éléments moteurs […] et à leurs interactions principales » (GIEC, 2007). La base de données a connu trois grandes phases de développement successives à l’occasion de chaque publication majeure du GIEC (Crassous, 2008) : La première version, en 1998, comptait plus de 400 scénarios, puis sa version actualisée regroupera plus de 500 scénarios en 2001 pour atteindre près de 900 scénarios en 2007, dont les 40 nouveaux scénarios « SRES » (« Special Report Emission Scenarios ») répertoriés dans le rapport spécial du GIEC . Certaines projections climatiques du quatrième rapport sont fondées sur ces nouveaux scénarios d’émissions ordonnés en quatre catégories (A1, A2, B1 et B2) selon les mêmes facteurs d’évolution (démographique, sociétale, économique et technologique).
L’énergie a une place prépondérante dans les mesures d’adaptation et d’atténuation proposées par le GIEC pour la stabilisation et la réduction des émissions de CO2 : «Les contributions que pourront apporter les diverses technologies restent très incertaines. Cependant, selon l’ensemble des scénarios de stabilisation évalués, 60 à 80 % du recul des émissions au cours du siècle proviendraient de l’approvisionnement et de la consommation énergétique ainsi que des procédés industriels. […] L’efficacité énergétique joue un rôle prépondérant dans de nombreux scénarios pour la plupart des régions et des échelles de temps. Pour les bas niveaux de stabilisation, les scénarios mettent davantage l’accent sur l’utilisation de sources d’énergie à faible teneur en carbone, comme les énergies renouvelables, l’énergie nucléaire et le recours au piégeage et au stockage du CO2 (PSC). » .
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Table des matières
Introduction générale
I L’énergétique d’un parc immobilier d’envergure nationale
Introduction
I.1 Le cadre de la réflexion : l’intégration de la nouvelle donne énergétique dans le secteur du bâtiment
I.1.1 Les fondements généraux de la problématique énergétique
I.1.1.1 Bouleversement du contexte énergétique mondial
I.1.1.2 Les principaux risques dans le domaine énergétique
I.1.1.3 L’imbrication des scénarios climatiques et énergétiques
I.1.2 Les engagements de l’Union européenne pour l’atteinte du « Facteur 4 »
I.1.2.1 Le protocole de Kyoto : le cadre de référence d’un engagement international
I.1.2.2 Le choix européen d’une division par quatre des émissions de GES
I.1.2.3 L’énergie au centre du « Facteur 4 » européen et français
I.1.3 Le bâtiment identifié comme un levier majeur de l’amélioration de l’efficacité énergétique
I.1.3.1 A l’échelle mondiale
I.1.3.2 Au sein de l’Union européenne
I.1.3.3 Le cas de la France
I.2 La définition du concept de parc immobilier national en France
I.2.1 L’interprétation classique : un ensemble de locaux liés par une caractéristique commune
I.2.1.1 La notion de parc immobilier
I.2.1.2 Les principales sources d’information immobilière dédiées au parc immobilier national
I.2.1.3 Une nomenclature immobilière générale articulée autour de la notion de local
I.2.1.4 L’analyse de cycle de vie (ACV) du bâtiment
I.2.1.5 La dynamique immobilière à l’échelle du local
I.2.2 L’élargissement du concept de parc à la notion de patrimoine
I.2.2.1 Les éléments constitutifs du patrimoine immobilier
I.2.2.2 L’analyse sémantique de la notion de « parc »
I.2.2.3 Introduire la dimension patrimoniale en recentrant le parc sur l’immobilier
I.2.2.4 La finalité de l’ouvrage : produire un service immobilier
I.2.3 L’objet de notre recherche : les grands parcs immobiliers de dimension nationale
I.2.3.1 Analyser l’objet immobilier national pour interpréter le parc immobilier général
I.2.3.2 Définir le parc immobilier autour d’une caractéristique propre : son propriétaire
I.2.3.3 Définir l’envergure nationale d’un parc à partir de son système de gestion
I.2.3.4 Limiter le périmètre des activités considérées dans notre modèle de parc immobilier
I.2.3.5 Considérer un environnement essentiellement urbanisé
I.3 Le cadre énergétique du bâtiment
I.3.1 Les concepts énergétiques de référence
I.3.1.1 Les choix sémantiques
I.3.1.2 Les différentes formes d’énergie
I.3.1.3 Les unités de mesures de la consommation énergétique
I.3.1.4 Les services énergétiques
I.3.1.5 La dépense énergétique
I.3.2 L’efficacité énergétique dans le bâtiment
I.3.2.1 La consommation énergétique dans les bâtiments
I.3.2.2 Le processus de transformation des énergies au sein d’une entité immobilière
I.3.2.3 La typologie des actions d’efficacité énergétique
I.3.2.4 La réglementation thermique : le cadre énergétique de référence pour le bâtiment
I.3.2.5 Les labels énergétiques : un levier d’action énergétique pour la construction
I.3.2.6 L’incitation aux économies d’énergie : l’exemple des certificats d’économie d’énergie
I.3.2.7 Les systèmes d’information dédiés au domaine énergétique
I.3.3 L’environnement énergétique urbain du bâtiment
I.3.3.1 Le milieu urbain concentre les besoins énergétiques
I.3.3.2 Le parc immobilier est intégré au fonctionnement du système urbain
I.3.3.3 L’énergétique d’un milieu urbain
I.3.3.4 L’existence de phénomènes énergétiques spécifiquement urbains
I.4 L’efficacité énergétique dans le domaine immobilier
I.4.1 Le contrat de performance énergétique (CPE) : l’introduction de la performance
I.4.1.1 La définition du CPE
I.4.1.2 Le principe de fonctionnement du CPE
I.4.1.3 La mise en œuvre des CPE dans les bâtiments publics
I.4.1.4 Les apports du CPE pour notre réflexion
I.4.2 L’écoquartier : une approche énergétique urbaine à l’échelle d’un site immobilier
I.4.2.1 L’ambiguïté autour du concept d’écoquartier
I.4.2.2 L’écoquartier : un projet d’aménagement urbain
I.4.2.3 L’absence de définition formelle
I.4.2.4 L’exemple d’une approche méthodologique : la démarche HQE²R
I.4.2.5 Le domaine énergétique au centre de la conception de l’écoquartier
I.4.2.6 L’apport des écoquartiers pour notre réflexion
I.4.3 La maîtrise de la demande énergétique : le domaine d’action d’un parc immobilier
I.4.3.1 Le concept de maîtrise de la demande énergétique
I.4.3.2 La MDE : un objectif énergétique adapté au parc immobilier
I.4.3.3 L’interaction complexe des dispositifs techniques et humains
Conclusion
II Définition et analyse d’un modèle de système immobilier
Introduction
II.1 Le concept de système
II.1.1 La systémique : un outil de réflexion pour une démarche globale
II.1.1.1 La théorie systémique
II.1.1.2 L’approche systémique : une réponse aux limites des modèles analytiques
II.1.1.3 La systémique : une discipline consacrée à l’analyse de la complexité
II.1.2 L’approche sémantique : un premier pas vers le concept
II.1.2.1 Une pluralité lexicale autour de la notion d’ensemble
II.1.2.2 Vers une définition conceptuelle du système
II.1.2.3 Le choix d’une orientation systémique
II.1.3 Les notions fondamentales définissant le concept
II.1.3.1 L’unité globale organisée
II.1.3.2 Une complexité générée par l’interrelation
II.1.3.3 L’évolution dans un environnement
II.1.3.4 Une organisation guidée par une finalité
II.1.3.5 Les six concepts élémentaires de l’approche systémique
II.1.4 La description structurelle et fonctionnelle du système
II.1.4.1 Une frontière permettant de distinguer le système parmi son environnement
II.1.4.2 Un flux d’échange entre le système et son environnement
II.1.4.3 Des réservoirs de ressources internes pour l’adaptation système
II.1.4.4 Une hiérarchisation des systèmes suivant leur niveau de complexité
II.2 La modélisation des systèmes
II.2.1 Le modèle cybernétique de la « boite noire » de Norbert Wiener
II.2.1.1 Le principe de la « boite noire » : comprendre le système en étudiant son comportement
II.2.1.2 Le principe de la boucle rétroactive : la finalisation par régulation
II.2.1.3 Les limites de la cybernétique : l’occultation des phénomènes internes
II.2.2 Le modèle canonique du système général
II.2.2.1 Le principe de « systémographie »
II.2.2.2 La description du système général
II.2.2.3 Le modèle canonique universel OID
II.2.2.4 L’élaboration d’une matrice d’évolution des systèmes à partir du modèle OID
II.2.2.5 L’exploitation de la matrice d’évolution des systèmes
II.2.3 Les sous-systèmes de la forme canonique OID
II.2.3.1 Les systèmes sociaux : l’organisation et la société
II.2.3.2 Les systèmes d’information
II.2.3.3 Le processus d’évolution au sein de la forme OID
II.2.4 L’analyse fonctionnelle
II.2.4.1 L’application aux systèmes
II.2.4.2 Le principe de la démarche
II.2.4.3 Le choix d’une méthode d’application : la méthode APTE
II.3 L’application du concept pour la définition d’un système immobilier
II.3.1 L’interprétation systémique du parc immobilier
II.3.1.1 Une première référence systémique immobilière : la ville
II.3.1.2 La définition du système « parc immobilier »
II.3.1.3 La déclinaison du projet systémique en finalités particulières
II.3.1.4 La description de l’environnement immobilier
II.3.1.5 Un système ouvert
II.3.2 L’intégration d’une ressource humaine assurant l’adaptation du parc immobilier
II.3.2.1 L’intégration d’une organisation assurant le fonctionnement du parc immobilier
II.3.2.2 Adjoindre le système de gestion patrimoniale au système « parc immobilier »
II.3.2.3 L’application du modèle canonique OID au système de gestion patrimoniale
II.3.3 Définition du système immobilier
II.3.3.1 Le positionnement des individus dans le système immobilier
II.3.3.2 Distinguer le propriétaire
II.3.3.3 Sortir les utilisateurs
II.3.3.4 Un système dual
II.3.3.5 Définir l’échelle focale à adopter pour analyser le système immobilier
II.4 Analyse fonctionnelle du système immobilier (méthode APTE)
II.4.1 1ère phase de la méthode : identifier toutes les données du problème
II.4.1.1 Définition du système immobilier
II.4.1.2 Définition du besoin : la finalité du système immobilier
II.4.1.3 Les acteurs concernés
II.4.1.4 Le milieu extérieur (l’environnement fonctionnel)
II.4.1.5 L’horizon temporel
II.4.1.6 Les ressources fonctionnelles
II.4.2 2ème phase de la méthode : analyse fonctionnelle externe
II.4.2.1 Rechercher la fonction globale du système
II.4.2.2 Rechercher l’ensemble des fonctions de service du système gestion patrimoniale
II.4.2.3 Rechercher l’ensemble des fonctions de service du système parc immobilier
II.4.3 3ème phase de la méthode : analyse fonctionnelle interne
II.4.3.1 Choix de la granularité spatiale
II.4.3.2 Analyse structurelle du parc immobilier
II.4.3.3 Analyse structurelle de la gestion patrimoniale
II.4.3.4 Les fonctions de conception
Conclusion
Conclusion générale