LES FONDEMENTS DU POUVOIR
Dans En attendant le vote des bรชtes sauvages dโAhmadou Kourouma, comme dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, le personnage de dictateur est quelquโun qui a un dรฉsir profond dโaccรฉder au pouvoir et en fait sa prรฉoccupation majeure. Il fait fi des lois et des procรฉdures lรฉgales รฉtablies par la dรฉmocratie pour devenir Prรฉsident de la Rรฉpublique. La plupart des dictateurs utilisent des mรฉthodes trรจs violentes ou bien ont recours ร des pratiques religieuses pour accรฉder au pouvoir. Nous pouvons citer parmi ces mรฉthodes : les coups dโEtat, le recours aux pratiques mystiques. Une fois quโils ont accรฉdรฉ ร la magistrature suprรชme, ces personnages crรฉent des instruments qui leur permettent de gรฉrer leurs pays dโune maniรจre arbitraire : parti unique, prison politique dans laquelle tant dโopposants et dโinnocents sont incarcรฉrรฉs.
les modes dโaccession au pouvoir
Les coups dโEtat
Les coups dโEtat sont orchestrรฉs dans beaucoup de pays africains par des officiers de lโarmรฉe qui peuvent รชtre des colonels, des commandants etc. Ce sont eux qui sont chargรฉs dโassurer la sรฉcuritรฉ du Chef de lโEtat quโils accompagnent partout dans le pays et mรชme durant ses voyages ร lโรฉtranger. Ces officiers de lโarmรฉe nationale ont ร leur disposition, toutes les armes nรฉcessaires pour garantir lโintรฉgritรฉ territoriale et la sรปretรฉ nationale. Cโest pourquoi ils sโarrogent le droit dโassassiner le Prรฉsident de la Rรฉpublique qui ne rรฉpond pas ร leurs aspirations ou tout simplement quand ils veulent que celui-ci quitte le fauteuil prรฉsidentiel pour cรฉder la place ร un autre. Dans ce cas, ils nโhรฉsitent pas ร tirer sur le Chef de lโEtat, dรจs quโils en ont lโoccasion, surtout durant les cรฉrรฉmonies de fรชtes nationales, les prรฉparatifs de voyage pour lโรฉtranger ou en temps ordinaire, quand ils font irruption dans le palais prรฉsidentiel. Cโest ce que disaient des romanciers comme Kourouma et Labou Tansi. Dans En attendant le vote des bรชtes sauvages par exemple, un soldat du nom de Bedio, jugeant que Koyaga ne se prรฉoccupait plus de lโintรฉrรชt du peuple qui rรฉclame un changement, nโavait pas hรฉsitรฉ ร tirer sur lui lors dโune cรฉrรฉmonie de fรชte nationale. Le narrateur rapporte les faits en ces termes :
ยซ Cโest quand vous commencez ร passer en revue la section chargรฉe du salut aux couleurs que le coup รฉclate. Il est parti dโune dizaine de mรจtres de vous (โฆ) Le soldat Bedio tire sur vous. Presque ร bout portant, il tire sur vousโฆ et vous rate. ยป (Kourouma, 1998 : 285) .
Cette scรจne nous rappelle lโassassinat du Prรฉsident รฉgyptien Anouar El-Sadate, le 6 octobre 1981, alors quโil assistait ร un dรฉfilรฉ militaire au Caire. Dans La Vie et demie aussi, le commandant a un dรฉsir profond dโaccรฉder au pouvoir et il ne tarde pas ร lโassouvir lorsquโune occasion se prรฉsente. Le coup dโEtat est pour lui un moyen commode pour devenir Prรฉsident de la Rรฉpublique. Celui-ci est appelรฉ dans le rรฉcit ยซ Le Guide Suprรชme ยป du pays. Tuer une personne nโest pas un dรฉlit pour lui car il veut absolument accรฉder au pouvoir suprรชme, quel que soit le prix ร payer. Cโest lโexemple de Kakara-Mouchata qui assassine lui-mรชme son quart de frรจre le Guide Henri-au-Cลur-Tendre pour devenir Prรฉsident de la Rรฉpublique de la Katamalanasie, sous le nom de Jean-Oscar-Cลur-de-Pรจre. Voulant se faire innocenter, il donne une autre version des faits : il accuse le colonel Kapitchianti dโavoir tuรฉ le Guide et le condamne ร mourir par fusillade. Cโest ce que nous fait savoir le narrateur en disant :
ยซ Ce fut Kakara-Mouchata, le quart de frรจre du guide Henri-au-Cลur-Tendre qui assassina celui-ci ร lโasile, mit le meurtre au compte du colonel Kapitchianti quโil fit fusiller place de lโindรฉpendance avant de prendre la radio nationale et le nom de rรจgne de Jean-Oscar-Cลur-de-Pรจre. ยป (Labou Tansi, 1979 : 126) .
En accรฉdant au pouvoir suprรชme par un coup dโEtat, Jean-Oscar-Cลur-de-Pรจre nโa pas pensรฉ au peuple ร qui il aurait pu demander son avis, par rรฉfรฉrendum ou consultation รฉlectorale. Lorsque le peuple souverain choisit un Chef dโEtat, cโest lui qui doit conduire lโรฉlu au Palais prรฉsidentiel. Jean-Oscar-Cลur-de-Pรจre nโa agi que dans son seul intรฉrรชt. Cette mรฉthode dโinvestiture est utilisรฉe par la plupart des chefs dโEtat dans les pays ร rรฉgime non dรฉmocratique. Le scรฉnario de la prise de pouvoir nous rappelle un cas rรฉel ; celui du Congo dont la capitale รฉtait Lรฉopoldville. Il sโagit de Joseph-Dรฉsirรฉ Mobutu qui avait renversรฉ le Prรฉsident Joseph Kasa-Vubu le 24 septembre 1965, par un coup dโEtat militaire, pour sโautoproclamer Prรฉsident de la Rรฉpublique dรฉmocratique du Congo.
Le recours aux pratiques mystiquesย
Le recours aux pratiques mystiques ou magiques comme protection contre dโรฉventuels adversaires est un phรฉnomรจne trรจs rรฉcurrent dans En attendant le vote des bรชtes sauvages et dans La Vie et demie. Dans ces deux romans, lโobjectif pour les personnages de dictateurs est dโaccรฉder au pouvoir ou de sโy maintenir le plus longtemps possible. Cโest pourquoi ils ont recours aux marabouts et fรฉticheurs pour avoir des protections mystiques.
Dans la plupart des sociรฉtรฉs africaines, le recours aux pratiques mystiques est considรฉrรฉ comme une tradition qui existait bien avant lโarrivรฉe des colonisateurs. Ces pratiques sont lโลuvre des ยซ marabouts-fรฉticheurs ยป qui utilisent des livres saints pour en extraire des formules magiques. Ceux-ci ne sโembarrassent pas de la religion musulmane qui interdit de faire certaines pratiques. Cโest ainsi quโAbdoulaye Bertรฉ distinguait deux types de marabouts dans son article intitulรฉ ยซ Lโimage du marabout dans le roman nรฉgro-africain francophone ยป (Ethiopique nยฐ 66-67), qui sont:
ยซ (โฆ) marabouts ยซ rรฉguliers ยป (lorsquโils tiennent ร lโobservance stricte des rรจgles coraniques) et marabouts ยซ sรฉculiers ยป (lorsquโils choisissent de vivre avec leur siรจcle, dans le monde, hors des grandes contraintes religieuses). ยป (Bertรฉ, 2001 : 138)ย .
Les hommes politiques nโhรฉsitent pas dโavoir recours ร des guides religieux comme ceux que Bertรฉ appelle les ยซ marabouts sรฉculiers ยป. Ces derniers acceptent de les aider ร accรฉder au pouvoir ou de sโy maintenir, moyennant fortes rรฉcompenses. Les officiers de lโarmรฉe et les anciens combattants, voulant organiser des coups dโEtat, ont recours ร ces rebouteurs, avant dโaffronter leurs adversaires. Dans En attendant le vote des bรชtes sauvages par exemple, des responsables politiques utilisent ces pratiques mystiques pour rรฉaliser leurs desseins. Les officiers de lโarmรฉe ou les anciens combattants aussi, utilisent ces pratiques mystiques, lorsquโils dirigent des rรฉbellions contre le Chef de lโEtat en fonction.
Lโexemple de Koyaga est assez illustratif. Cet ancien combattant a pu arrรชter le Prรฉsident de la Rรฉpublique du Golfe, du nom de Fricassa Santos, grรขce ร des pratiques mystiques. Il a rรฉussi son combat surnaturel grรขce ร la sorcellerie de sa mรจre Nadjouma, dรฉtentrice dโune mรฉtรฉorite. Le marabout Bokano a lui aussi jouรฉ un rรดle important, grรขce ร lโusage quโil fait du Coran. Le romancier ivoirien utilise lโintertextualitรฉ en faisant appel aux caractรฉristiques dโun genre littรฉraire oral qui est le conte. Il emprunte le merveilleux pour nous montrer que la magie de son personnage principal Koyaga est si efficace que celui-ci peut se mรฉtamorphoser en animal pour se dรฉbarrasser dโun adversaire trรจs dangereux, sโil nโa pas le pouvoir de lโaffronter directement. Cโest ainsi que, encerclรฉ par des policiers qui voulaient lโarrรชter ร la gare, Koyaga se transforma en un coq pour ne pas รชtre reconnu. Le narrateur nous rapporte les faits en ces termes :
ยซ Koyaga rรฉcite une des priรจres magiques que le marabout lui a apprises : il se transforme en un coq. Le Haoussa voit le coq sous son banc ; il le croit รฉchappรฉ dโun de ses paniers. Vigoureusement le marchand se saisit du coq, lโenfouit et lโenferme dans le panier. ยป (Kourouma, 1998 : 90) .
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Table des matiรจres
Introduction
Premiรจre partie : les fondements du pouvoir
Chapitre 1 : les modes dโaccession au pouvoir
1) Les coups dโEtat
2) Le recours aux pratiques mystiques
Chapitre 2 : les instruments du pouvoir
1) Le parti unique
2) La prison politique
Deuxiรจme partie : lโexercice du pouvoir
Chapitre 1 : les crimes contre lโhumanitรฉ
1) La violence physique
2) Les exรฉcutions
Chapitre 2 : les crimes รฉconomiques
1) Le gaspillage des ressources nationales
2) La corruption
Troisiรจme partie : la dรฉchรฉance du dictateur
Chapitre 1 : la crise politique
1) La rรฉsistance de lโopposition
2) Lโรฉchec des nรฉgociations
Chapitre 2 : la dรฉlivrance du peuple
1) Les soulรจvements populaires et les guerres internes
2) Le dรฉclin du rรจgne
Conclusion
Bibliographie