Les fondements de la théorie staëlienne de l’engagement

Les écrivains engagés: le cœur de la République

Toutefois, indiquer des orientations aux écrivains pour qu’ils puissent accomplir l’exploit d’influencer les hommes en faveur de la vertu ne saurait suffire. Ces orientations participent en effet d’un but plus grand, celui de faire des littérateurs les gardiens de la future République. Ils doivent, pour être dignes de ce titre, prendre acte de leurs responsabilités dans la société et accepter de réguler et de dynamiser l’espace public. L’esprit des Lumières se discerne facilement derrière les grands espoirs que Madame de Staël place dans ses semblables; en effet, au sortir du XVIIIe siècle, un certain nombre de droits fondamentaux tendent à être reconnus philosophiquement pour tous, ce qui implique une nature humaine universelle susceptible de rassembler les hommes. À ce sujet, Georges Gusdorf affirme que «le fait nouveau, c’est la découverte d’une finalité commune, d’un dessein rassemblant tous les peuples dispersés sur la face de la terre. L’appartenance à l’humanité crée un devoir de quiconque envers quiconque; personne n’est tout à fait étranger à personne.

Et cette nouvelle alliance des hommes entre eux implique une mobilisation générale des énergies en vue de la promotion continue de la condition humaine » ». À partir du moment où existe cette nature humaine commune, il semble même primordial pour la plupart des penseurs du XVIIIe siècle, dont Madame de Staël, de militer pour ces droits fondamentaux, afin que tous les membres de la communauté deviennent conscients des prérogatives dont ils jouissent dans les rapports qu’ils entretiennent avec leurs institutions et leurs dirigeants. Les écrivains sont donc engagés dans la transformation du monde, au sens où ils sont les porteurs de cet éveil de l’humanité envers son propre destin; qui plus est, ils sont les garants de la morale, car eux seuls peuvent la magnifier par les sentiments qu’ils suscitent par leurs écrits. Dans un contexte où les hommes sont découragés par les terribles événements de la Terreur et où le lien social est distendu, la communauté doit être refondée sur des valeurs communes, et ces valeurs doivent être portées par des hommes et des femmes de lettres qui ont le talent nécessaire pour entrer en communication avec leurs semblables, qui ont une excellente connaissance du coeur humain et qui ont l’ambition de se rendre utiles à la société.

De cette manière, ils sont susceptibles d’éveiller chez leurs semblables la passion de la vertu publique et l’émulation contre l’indifférence et la peur. Surpasser la Terreur n’est toutefois pas chose facile, surtout dans un contexte où c’est la philosophie des Lumières qui est blâmée pour cette dérive. Madame de Staël propose audacieusement de remettre en perspective, d’un point de vue historique, ces événements extraordinaires en montrant qu’au cours des siècles, de tels éclats de violence ont toujours accompagné les grands changements, sans toutefois stopper la marche continue du progrès. À la suite de ce plaidoyer, elle propose un certain nombre de solutions pour permettre à ses contemporains de dépasser la Terreur; elle maintient, par exemple, qu’il faut encourager l’émulation et le désir de se rendre utile à toute la communauté, et que c’est par l’espoir de la gloire que l’on pourra susciter l’implication des citoyens dans leur société.

Du sentiment du coeur à la fraternité républicaine. Madame de Staël, héritière et critique de Jean-Jacques Rousseau. En soutenant la thèse de l’existence d’un sentiment bienveillant inscrit dans la nature profonde de l’homme, Germaine de Staël indique qu’elle est une lectrice de Rousseau. En témoigne notamment l’une de ses premières publications, les Lettres sur les écrits et le caractère de J J Rousseau (1788), où elle établit clairement que Rousseau est à l’origine de son oeuvre. D’une part, dans la préface à la première édition, elle affirme qu’elle a écrit ces Lettres parce qu’elle a «senti le besoin de voir [s]on admiration exprimée66 »; et, d’autre part, dans la seconde préface de 1814, elle explique ses débuts en ces termes: «ces lettres sur les écrits et le caractère de J. J. Rousseau ont été composées dans la première année de mon entrée dans le monde; elles furent publiées sans mon aveu, et ce hasard m’entraîna dans la carrière littéraire67 ».

Ainsi, non seulement Rousseau, par un concours de circonstances, aura-t-il été l’élément déclencheur de la reconnaissance du statut d’écrivaine de la jeune Madame de Staël, mais en plus, il a été pour elle une source d’inspiration de la plus haute importance. Elle tient effectivement son prédécesseur en haute estime, car elle considère que «les ouvrages dont le bonheur du genre humain est le but placent leurs auteurs au rang de ceux que leurs actions immortalisent68 », et c’est certainement cet exemple qui inspire ses propres essaIS. Malgré eux et malgré lui, Rousseau a toujours prétendu aimer profondément ses semblables, comme en témoigne l’incipit des Rêveries du promeneur solitaire (1782) : Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moimême. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. Ils n’ont pu qu’en cessant de l’être se dérober à mon affection

À la lecture de cette plainte, il est évident que Rousseau considère que le pire châtiment qu’il pouvait subir était d’être privé, par la force des choses, de la société de ses semblables, qu’il a aimés malgré tout d’un amour profond que seul leur coeur dénaturé, leur éloignement de leur condition d’homme aura pu ébranler. Néanmoins, cette amertume qui perce dans cet écrit de fin de vie ne dément pas cet amour des hommes qui est une des grandes forces de l’ oeuvre entière de Rousseau et qui se déploie dans une langue éloquente dont la maîtrise a toujours fasciné Madame de Staël, qui l’estime très habile à rendre ses pensées de façon à intéresser la sensibilité du lecteur. Cette qualité du style où s’allient clarté et dévoilement de soi s’affirme dans «une grande propriété des termes, une simplicité remarquable dans la construction grammaticale, [qui] donnent à son style une clarté parfaite: son expression rend fidèlement sa pensée; mais le charme de son expression, c’est à son âme qu’il le doieo ».

Dans ce commentaire se manifestent avec évidence, d’une part, les préférences esthétiques de Madame de Staël, avec ce goût néo classique qui favorise une forme épurée à même de permettre une communication dépourvue de ce faux éclat qu’apportent les ornements inutiles du rococo; et, d’ autre part, le fait que Rousseau, en mettant en scène sa propre subjectivité sensible dans son oeuvre, ouvre un véritable dialogue avec son lecteur, envisagé comme un semblable qui porte en lui les mêmes capacités à s’émouvoir. Les accents de la sincérité qui émanent de ses textes attirent l’attention et permettent à ses idées de bouleverser 1 ‘homme ou la femme qui les lit. Rousseau est habile à s’adresser à ses lecteurs d’une façon qui les convainc de la justesse de ses sentiments, toujours authentiques et bienveillants envers eux car, chez lui, « c’est l’amour des hommes et le souci d’en être aimé en retour qui galvanisent le style, donnant à l’oeuvre le magique pouvoir de l’entraînement des coeurs à la vertu7 ) ».

Une telle éloquence ne peut qu’être admirée par Madame de Staël, car elle est indissociable d’un mouvement véritable du coeur qui tend à rassembler les hommes dans une communauté de sentiments capable de rendre la vertu attrayante par la force de la parole. Toutefois, pour que cette éloquence si essentielle puisse être efficace, elle doit puiser ses forces dans des sentiments susceptibles d’exalter l’ esprit humain. Rousseau marque un moment phare du XVIIIe siècle, précisément en raison de cet appel vibrant à la sensibilité humaine qui traverse toute son oeuvre. Si le début du siècle a vu progressivement le sentiment s’émanciper de sa négativité, c’est vraiment avec lui que se développe un regard inédit sur la parole . intérieure qui habite l’individu; Rousseau, d’ailleurs, l’ affirme lui-même dans les premières lignes de ses Confessions: «Je forme une entreprise, dit-il, qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme sera moi72 ».

Il propose donc à ses contemporains un regard qui fait de l’introspection et de l’analyse de soi l’expression de la recherche d’une vérité profonde, inscrite dans la nature de l’homme, plutôt que la manifestation orgueilleuse d’un amour-propre manipulateur. La recherche de cette vérité est ce qui donne aux écrivains la possibilité d’approfondir leur connaissance du coeur de l’homme et d’ ainsi produire des oeuvres à même de pénétrer le for intérieur de leurs lecteurs et de les éduquer à la vertu. D’une part, si une forme classique et épurée inspirée de l’art antique permet d’établir avec dignité et efficacité un contact avec ces derniers, d’autre part, l’usage d’un sentiment partagé par tous garantit, quant à lui, la création d’un lien puissant entre l’artiste et son public. Madame de Staël fait de cette deuxième recommandation -l’appel au sentiment – un élément nécessaire à la revitalisation de l’ordre social par le concours des écrivains engagés; car, associée aux mouvements intérieurs naturels, aux « organes », comme l’écrit l’ auteure, « la vertu devient alors une impulsion involontaire, un mouvement qui passe par le sang, et vous entraîne irrésistiblement comme les passions les plus impérieuses 73 ». Cette force seule peut élever et exalter les coeurs, et intéresser le peuple de la République au bien commun.

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Table des matières

Remerciements
Les fondements de la théorie staëlienne de l’engagement en littérature
Introduction
Chapitre 1. Madame de Staël et l’inspiration néoclassique : une esthétique de l’élévation
Chapitre II. Du sentiment du coeur à la fraternité républicaine. Madame de Staël,
héritière et critique de Jean-Jacques Rousseau
Chapitre III. Les écrivains engagés: le coeur de la République
Conclusion
Bibliographie

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