Les fonctions exécutives et leur développement
Le terme «fonctions exécutives» fait généralement allusion aux habiletés dites de haut niveau impliquées dans la résolution de problème, le raisonnement, la prise de décision ainsi que la planification (Diamond, 2013). En neuropsychologie, les fonctions exécutives se définissent généralement comme un ensemble d’opérations mentales nécessaires pour diriger ses actions vers un but donné lors de situations nouvelles ou complexes alors que les habiletés automatisées ne suffisent pas (Meulemans, Collette, & Van der Linden, 2004; Miyake et al., 2000; Van der Linden, 1999). Selon Godefroy, Roussel-Pierronne, Routier, et Dupuy-Sonntag (2004), les premiers modèles concevaient les fonctions exécutives comme une seule unité qui prenait part au traitement de l’information. Le modèle du système attentionnel superviseur (SAS) de Norman et Shallice (1986) et celui de l’administrateur central de Baddeley et Hitch (1974) en sont des exemples. Passant d’une conception unitaire à un modèle fractionnaire, Chevalier (2010) souligne que des chercheurs envisageraient maintenant les fonctions exécutives selon plusieurs composantes indépendantes et interreliées à la fois.
Ce seraient les travaux de Miyake et al. (2000) qui auraient apporté un nouvel éclairage en proposant un modèle intégratif des fonctions exécutives, c’est-à-dire à la fois unitaire et fractionné. Selon leur modèle, les fonctions exécutives se différencieraient progressivement au cours de l’adolescence en passant d’une seule unité à des composantes distinctes. Actuellement, les chercheurs s’entendraient sur une structure multi-dimensionnelle du fonctionnement exécutif (Catale & Meulemans, 2011). Cela se déclinerait en plusieurs habiletés, mais elles ne feraient pas consensus. Par exemple, Gioia, Isquith, Guy, et Kenworthy (2000) les classent selon deux catégories : celles relevant du comportement comme le contrôle de l’inhibition, la flexibilité cognitive, le contrôle émotionnel, l’activation et celles relevant de la métacognition comme la mémoire de travail, la planification, l’organisation, l’autosurveillance. À cela, d’autres auteurs ajoutent le maintien de l’attention (Denckla, 1996; Goldstein, Naglieri, Princiotta, & Otero, 2014), la gestion du temps (Dawson & Guare, 2010; Kaufman, 2010) et la fluidité verbale ou graphique (Monette & Bigras, 2008). S’appuyant sur les travaux de Miyake et al. (2000), certains auteurs considèrent néanmoins l’inhibition, la mémoire de travail ainsi que la flexibilité cognitive comme des composantes dites fondamentales à la base des habiletés de haut niveau comme le raisonnement, la résolution de problème et la planification (Diamond, 2013; Friedman et al., 2006).
Le rôle des fonctions exécutives dans le processus d’écriture
Au cours des trente dernières années, le processus d’écriture a été examiné selon une perspective cognitive (Hayes, 1996, 2006, 2012; Hayes & Flower, 1980; Kellogg, 1996; McCutchen, 1996), une perspective sociale (Nystrand, 2006; Zimmerman & Reisemberg, 1997) et une perspective développementale (Bereiter & Scardamalia, 1987; Berninger & Swanson, 1994; Berninger & Winn, 2006). Selon Chanquoy et Alamargot (2002), les travaux de Hayes et Flower (1980) auraient été déterminants et auraient influencé les recherches subséquentes. En effet, ces derniers seraient les premiers à concevoir l’activité d’écriture comme une démarche de résolution de problème impliquant un processus cognitif itératif, c’est-à-dire une série d’opérations mentales alternant dynamiquement entre trois phases : la planification, la mise en texte et la révision. Ce qui signifie par exemple qu’un scripteur pourrait réviser le contenu de son texte écrit jusqu’à présent, planifier à nouveau ses idées et poursuivre la rédaction. Plus précisément, la planification concerne les habiletés liées à la réflexion visant la génération des idées et leur organisation en fonction d’un but spécifique (Hayes & Flower, 1980; Hayes & Nash, 1996). La mise en texte renvoie aux habiletés liées à la génération du texte en utilisant les unités du langage avec fluidité (utilisation des mots et syntaxes des phrases, etc.) et à leur transcription en les orthographiant correctement (Berninger & Swanson, 1994). La révision comporte deux habiletés : la relecture pour identifier tout problème de cohérence dans les idées et la détection des erreurs afin de corriger la qualité du français (Hayes, 1996). Bref, la production de texte est considérée comme un processus cognitif de haut niveau coordonné et régulé par une instance de contrôle (Hayes & Flower, 1980).
Dans leur revue des principaux modèles rédactionnels, Chanquoy et Alamargot (2002) soulignent que le modèle de Hayes et Flower (1980) a fait l’objet de nombreuses critiques puisqu’il s’agissait d’un modèle d’expert. D’une part, ces auteurs soulèvent que ce modèle ne mettait pas suffisamment l’accent sur le développement de la compétence à écrire, que le processus de mise en texte était peu décrit et qu’il n’expliquait pas suffisamment le rôle de la mémoire dans le processus d’écriture. C’est pourquoi, Berninger et Swanson (1994) se sont intéressés plus précisément au processus de mise en texte alors que d’autres ont tenté d’expliciter le développement de la compétence en écriture (Bereiter & Scardamalia, 1987; Berninger & Swanson, 1994). Enfin, certains ont étudié le rôle des fonctions exécutives (Berninger & Winn, 2006) et, en particulier, la mémoire de travail dans le processus d’écriture (Hayes, 1996, 2006; Kellogg, 1996; McCutchen, 1996).
La réduction des impacts négatifs liés à des fonctions exécutives insuffisantes
D’abord, Dawson et Guare (2010) proposent de réduire les impacts négatifs liés à des fonctions exécutives insuffisantes en intervenant sur l’environnement de la tâche d’écriture. Une fois que les besoins individuels des élèves ont été bien ciblés, les enseignants devraient être en mesure d’ajuster leur enseignement en soumettant des tâches présentant un défi réaliste, près de leur capacité, et en leur fournissant le niveau de soutien approprié pour effectuer la tâche demandée. De cette façon, ils porteraient une attention particulière à la maturation du cerveau et aux habiletés exécutives développées ou à acquérir (Berninger & Richards, 2002). Ce soutien devrait toutefois faire l’objet d’une diminution progressive de façon à favoriser le transfert des habiletés (Guare 2014).
Selon le modèle de Dawson et Guare (2010), l’enseignant devrait analyser et intervenir sur l’organisation physique et sociale de la classe. Lorsque l’environnement est stressant ou comporte trop de stimuli, cela crée de l’interférence en mémoire de travail ce qui augmente la charge cognitive nécessaire à la tâche nuisant ainsi à l’efficacité des fonctions exécutives (Kaufman, 2010). Pour ce faire, il pourrait maintenir un environnement propice aux apprentissages pendant que les élèves travaillent, réduire les distractions en limitant le matériel au strict nécessaire ou encore offrir une supervision appropriée pendant la tâche limitant ainsi les situations anxiogènes ou les sources de frustration (Dawson & Guare, 2010; Kaufman, 2010). En effet, il peut être nécessaire de fournir une plus grande assistance aux élèves lors de l’apprentissage d’un nouveau genre de texte ou lorsque ceux-ci présentent des difficultés d’apprentissage (Schute, 2008). À cet égard, Kellogg et Whiteford (2009) soulignent que ces derniers peuvent facilement être dépassés par la complexité et les nombreuses demandes simultanées.
De plus, l’enseignant devrait analyser et modifier la nature des tâches proposées de façon à assurer une certaine progression dans le niveau de complexité (Dawson & Guare, 2010; Guare, 2014). Par exemple, cela pourrait se faire en ajustant la complexité ou la longueur de la tâche d’écriture ou en adaptant le temps préalablement fixé pour réaliser le travail. Il pourrait également rendre disponible un facilitateur procédural rendant les étapes de la tâche plus explicites. Ce dispositif de soutien temporaire contribuerait à réduire la charge cognitive en aidant l’élève à gérer les nombreuses tâches simultanées en libérant de l’espace dans la mémoire de travail (Graham et al., 2007).
Par ailleurs, la nature des interactions pendant que les élèves réalisent la tâche pourrait être ajustée pour augmenter le niveau de soutien, c’est-à-dire clarifier les attentes, fournir des rétroactions, effectuer des renforcements et faire des rappels verbaux et non verbaux concernant les notions ou les stratégies utiles (Dawson & Guare, 2010). En effet, le fait d’avoir des attentes claires aiderait l’élève à canaliser ses ressources en mémoire de travail et à se fixer des buts alors que les rappels verbaux contribueraient à soutenir l’attention et à contrôler les inhibitions pour maintenir un certain rythme au cours de la réalisation de la tâche (Gagné et al., 2009). En plus de réduire la charge cognitive, l’assistance apportée par l’enseignant, par ses interactions avec les élèves, aiderait à limiter les sources de frustration, soutiendrait la motivation et permettrait aux élèves d’ajuster rapidement leurs stratégies à la situation (Kaufman, 2010; Kryza,2014).
Le développement des habiletés associées aux fonctions exécutives
Selon Berninger et Richards (2002), il importe d’aider les élèves à développer les habiletés associées aux fonctions exécutives et à les rendre plus efficaces étant donné que la maturation des zones préfrontales et frontales du cerveau se fait tout au long de l’adolescence. De ce fait, Graham et al. (2007) ainsi que d’autres auteurs (Dawson &Guare, 2010; Kaufman, 2010; Meltzer, 2007, 2010) s’entendent sur la nécessité d’enseigner explicitement des stratégies liées au processus d’écriture, c’est-à-dire des moyens personnels utilisés avec un certain niveau de conscience pour atteindre un but dans une résolution de problème (Bosson, Hessels, & Hessels-Schlatter, 2009; Cartier, 2010). Selon Rosenshine (1986), l’enseignement explicite est une méthode permettant de morceler les tâches complexes et dont l’enseignement se réalise généralement en trois étapes : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome. Ce serait à travers ces étapes que l’élève s’approprierait le langage interne nécessaire à la gestion du processus d’écriture et qu’il démontrerait plus de flexibilité cognitive dans le choix de ses stratégies (Graham & Harris, 1996; Graham et al., 2007). Par exemple, le modelage effectué par l’enseignant rendrait explicite le raisonnement verbal déployé (autoinstruction) lors de l’utilisation d’une stratégie. Lors de la pratique guidée, l’élève est amené à mettre en œuvre la stratégie alors que l’enseignant fournit les rétroactions nécessaires pour assurer la réussite lors de la pratique autonome tout en favorisant le contrôle de l’inhibition.
Le modèle Self-Regulated-Strategy-Development (SRSD) élaboré par Graham et ses collaborateurs (Graham & Harris, 1996; Graham et al., 2007) est particulièrement reconnu pour soutenir les fonctions exécutives des élèves lors du processus d’écriture. Dans ce modèle, les élèves reçoivent un enseignement explicite et direct de stratégies d’écriture, de connaissances nécessaires pour employer ses stratégies et de procédures associées à l’autorégulation du processus d’écriture. Il comprend six étapes souples et récursives pouvant être adaptées aux besoins des élèves de la classe :développer les connaissances antérieures, discuter de la stratégie, modéliser la stratégie, mémoriser la stratégie, soutenir par la pratique guidée en prévoyant une diminution des mesures de soutien, et pratique autonome.
L’utilisation d’une approche compensatoire
Il arrive que l’enseignement explicite de stratégies ne soit pas suffisant pour certains élèves pouvant présenter un déficit sévère ou un trouble neurologique entrainant une dysfonction exécutive (Dawson & Guare, 2010; Gagné et al., 2009; Kaufman, 2010).
Dans ces cas, alors que les difficultés persistent malgré les interventions, il peut être souhaitable d’adopter une approche compensatoire, c’est-à-dire d’entrainer l’élève à utiliser des outils pour soutenir les fonctions exécutives (Fasotti & Spikman, 2004;Gagné et al., 2009). Dans le but que les élèves démontrent leur compétence en écriture, diverses adaptations sont recommandées pour permettre aux élèves d’allouer leurs ressources cognitives nécessaires lors de la mise en œuvre du processus d’écriture.
D’une part, certaines adaptations viseraient simplement à soutenir le déploiement des fonctions exécutives lors du processus d’écriture. D’abord, Kaufman (2010) suggère de diviser la tâche en petites séquences, car cela limiterait les demandes simultanées pendant le processus d’écriture. Ensuite, il propose d’accorder du temps supplémentaire pour réaliser la tâche d’écriture. En effet, selon Gagné et al. (2009), certains élèves auraient besoin d’un peu plus de temps pour mobiliser leurs fonctions exécutives adéquatement. Toutefois, cette mesure devrait s’accompagner d’autres interventions et donner l’occasion à l’élève d’exploiter efficacement des facilitateurs procéduraux, des stratégies et des listes de vérification ayant déjà fait l’objet d’un enseignement en classe (Kaufman, 2010).
D’autre part, certaines adaptations viseraient à compenser les habiletés de bas niveau comme la calligraphie et l’orthographe nuisant à la transcription des idées lorsqu’elles ne sont pas suffisamment automatisées (Berninger & Amtmann, 2003;Berninger & Winn, 2006). Pour surmonter des difficultés associées à la calligraphie, les élèves pourraient utiliser une fonction de dictée vocale ou un traitement de texte (Kaufman, 2010). En effet, l’utilisation d’un traitement de texte favoriserait le processus d’écriture et améliorerait la qualité des productions écrites, mais, encore faut-il, selon MacArthur (2006), que le scripteur soit habile à l’exploiter.
Pour dépasser des difficultés relatives à l’orthographe, les élèves pourraient également exploiter des logiciels d’aide à la rédaction. Ces logiciels fournissent une rétroaction immédiate à l’élève concernant l’orthographe et la grammaire, ce qui permet à ce dernier d’allouer ses ressources cognitives aux autres aspects de son texte (MacArthur, 2006). D’autres outils comme la reconnaissance vocale ou le prédicteur de mots seraient également aidants (Berninger & Amtmann, 2003). Toutefois, Berninger et Winn (2006) effectuent quelques mises en garde concernant l’ensemble de ces outils technologiques : ceux-ci devraient être exploités seulement si le doigté est suffisamment automatisé et que les logiciels sont suffisamment maitrisés pour ne pas créer une charge cognitive supplémentaire.
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE I Problématique
1.1. Les fonctions exécutives et leur rôle central dans la réussite scolaire
1.2. L’écriture au cœur de la réussite scolaire au secondaire
1.3. La production de texte : un processus cognitif complexe
1.4. La question de recherche
CHAPITRE II Cadre théorique
2.1. Les fonctions exécutives et leur développement
2.2. Le rôle des fonctions exécutives dans le processus d’écriture
2.3. Les pratiques d’enseignement prenant en compte les fonctions exécutives impliquées dans le processus d’écriture
2.3.1. La considération des besoins individuels
2.3.2. La réduction des impacts négatifs liés à des fonctions exécutives insuffisantes
2.3.3. Le développement des habiletés associées aux fonctions exécutives
2.3.4. L’utilisation d’une approche compensatoire
2.4. Les objectifs de la recherche
CHAPITRE III Méthodologie
3.1. L’approche méthodologique
3.2. La planification de la collecte de données
3.2.1. Le choix des participants et le recrutement
3.2.2. Les considérations éthiques
3.2.3. Le choix des méthodes et des outils de collecte de données
3.3. Le déroulement de la collecte de données
3.4. Le traitement et analyse des données
3.4.1. L’approche inductive
3.4.2. La démarche d’analyse utilisée
3.5. Les critères de rigueur méthodologique
CHAPITRE IV Résultats
4.1. La présentation des participants
4.2. Les pratiques d’enseignement du processus d’écriture qui tiennent compte des fonctions exécutives
4.2.1. La considération des besoins individuels
4.2.2. La réduction des impacts négatifs liés à des fonctions exécutives insuffisantes
4.2.3. Le développement des habiletés associées aux fonctions exécutives
4.2.4. L’utilisation d’une approche compensatoire
4.3. Les connaissances sur le processus d’écriture
4.3.1. La conception du processus d’écriture
4.3.2. Les habiletés associées au processus d’écriture
4.4. Les connaissances sur les fonctions exécutives
4.4.1. La nature des fonctions exécutives
4.4.2. Le rôle des fonctions exécutives dans le processus d’écriture
CHAPITRE V Discussion
5.1. Les pratiques d’enseignement du processus d’écriture qui tiennent compte des fonctions exécutives
5.1.1. La considération des besoins individuels
5.1.2. La réduction des impacts négatifs liés à des fonctions exécutives insuffisantes
5.1.3. Le développement des habiletés associées aux fonctions exécutives
5.1.4. L’utilisation d’une approche compensatoire
5.2. Les connaissances au sujet du processus d’écriture
5.3. Les connaissances au sujet des fonctions exécutives
5.4. La portée des résultats de la recherche
5.4.1. Les forces et les limites de la recherche
5.4.2. Les retombées de la recherche
5.4.3. Des pistes pour d’éventuelles recherches
Conclusion
Références
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