« …je suis commerçante à Bamako, j’ai une place sur le marché de Sogoniko. Je fais 5 foires par semaine… Le samedi, je vais à la foire de Selingué, le dimanche à Kassela et le lundi, comme aujourd’hui, je viens à Tyélé. Le mardi, je ne voyage pas, ça me laisse le temps de vendre moi-même les produits sur ma place de Sogoniko. Selingué, Kassela et Tyélé sont de grosses foires, il y a souvent assez de produits à vendre. Le mercredi, je vais à la foire de Sidoba, le jeudi, je vais à la foire de Sirakorola. Puis, à nouveau, le vendredi, je reste à Bamako pour la vente aux ménagères ou aux détaillants. Je viens toujours le matin sur les foires et je repars toujours le soir.
Aujourd’hui j’ai acheté 400 kg d’oignons. J’achète souvent aussi de la papaye, du tamarin, du beurre de karité et de la poudre de néré. Ces produits se gardent bien, sauf pour les fruits. Mais ce n’est pas ma seule activité. Avant je faisais le commerce de l’igname en Côte d’Ivoire. Je n’ai pas laissé l’igname et je connais encore du monde qui en fait le commerce, je sais où les trouver (marché de Médine). Alors, lorsque je viens sur une foire, j’en amène toujours, avec de l’avocat, des pommes, parfois de la noix de coco et des balais, parce que les gens aiment ça ici. L’avocat et la pomme, c’est moi qui les ai introduits dans ce village, je suis fière de ça. Les gens ne connaissent pas toujours ces produits mais ça marche bien. » .
Mariame Diawara, commerçante foraine de Bamako, le 21 mai 2007 .
Au Mali, de nombreux marchés ruraux périodiques sont appelés « foires ». Ces dernières se multiplient dans l’ensemble du pays et en particulier à la périphérie des villes. Dans un rayon de 150 km autour de Bamako, on en recense par exemple près de 100, ce qui représente une densité exceptionnelle au regard des études menées dans la région (Chaléard, 1996 ; Ninot, 2003). Comme en atteste le témoignage de Mme Diawara ci-avant, ces lieux de négoce se caractérisent par la présence simultanée de consommateurs et de producteurs ruraux, ainsi que de grossistes et de vendeurs itinérants (les « forains ») venant de la ville. En périphérie de Bamako, nombre de ces forains sont ainsi des commerçants ayant déserté les marchés intra urbains fortement concurrentiels pour se tourner vers les foires périphériques.
Pour le consommateur, la foire est un lieu de rassemblement social tout autant qu’un lieu d’accès à des marchandises qui sont habituellement concentrées en ville. Pour le producteur, c’est le lieu d’écoulement des productions locales qui ne trouvent pas preneurs en quantité dans son milieu villageois ; c’est également l’occasion de saisir les conditions du marché et d’acquérir des informations sur la demande de la ville et les opportunités qui s’offrent à lui. Pour le grossiste urbain, c’est la possibilité d’acquérir en une fois une quantité importante de produits, y compris venant de loin, et, pour ce faire, de fidéliser un ensemble de producteurs. Enfin, c’est le lieu privilégié des marchands forains ruraux ou urbains qui, passant de foires en foires, offrent tous types de marchandises et repartent avec des produits agricoles ou d’artisanat qu’ils revendent aux consommateurs ruraux au gré de leurs déplacements.
Etudier les foires en périphérie de Bamako – cadre théorique et méthodologique
« Le Lieu d’échange est donc une sorte de terrain neutre à l’écart des lieux habités, et la période de la vente est un instant de paix, au milieu d’une forme d’existence dont la norme est, sinon le combat, au moins l’indifférence hostile. » .
Alain Allix (Allix, 1923, p. 1) .
L’analyse de la littérature sur les foires révèle de nombreux paradoxes. Si la foire est toujours définie en référence au commerce dans le cadre d’un grand marché périodique, en revanche, ses caractéristiques restent le plus souvent floues. Les critères permettant de la distinguer du marché périodique ordinaire sont peu précis et les informations sur son rayon d’attraction moyen, l’échelle concernée, ses fonctions spécifiques, sa taille, le public qui s’y rend varient suivant les sources. Nous avons été confrontés à ce flou sémantique lors des premières recherches sur le terrain. En effet, en périphérie de Bamako, l’usage du mot « foire », qui n’a pas de traduction équivalente en bambara ou dans les langues des ethnies majoritaires, nous a interpellés au point qu’il nous a semblé important d’approfondir cette question.
Définir la foire
Le terme de foire nous est familier. Son emploi est courant dans les dictionnaires où les définitions sont classiques . Cependant, ce terme recouvre différentes réalités. Les expositions universelles seraient un type de foire internationale. Les fêtes religieuses réhabilitées dans le folklore local, les foires au bétail, la foire de Paris ainsi que les « Grader’s Giant Cabbage Contest » et les souks seraient des foires ou des marchés forains (Troin, 1975 ; BeaujeuGarnier, Delobez, 1977 ; Trésor de la Pourquoi considérer cette notion de foire ? Commençons par en donner une définition simple, celle qui a été retenue pour aborder cet objet de recherche sur le terrain, en accord avec la littérature sur le sujet.
Un terme familier à l’emploi courant : la foire, un lieu d’échange périodique
La foire est un lieu d’échange, c’est un marché dans son sens courant
Tout d’abord, la foire se définie par sa fonction de lieu d’échange. L’échange est selon Levy et Lussault « l’interaction sociale entre au moins deux opérateurs, caractérisée par un transfert d’objets, matériels ou idées, d’un opérateur à un autre, (…) transfert fondé sur un principe d’équivalence entre ce qui est donné et reçu » (Levy, Lussault, 2003, p. 284). L’élément déterminant de l’échange est le contact entre deux opérateurs de milieux de production différents, ce qui explique l’intérêt de l’échange . Notre définition de la foire renvoie à cette notion d’échange de surplus que chacun peut offrir dans une région donnée. Les pratiques d’autoconsommation, très courantes dans de nombreuses sociétés rurales des pays du Sud comme au Mali, n’empêchent pas l’échange.
Le lieu dédié à l’échange est le marché . Le marché en économie est le lieu de confrontation de l’offre et de la demande. Il nous intéresse ici comme lieu d’échange. C’est son sens premier, mais les nombreuses réflexions économiques ont complexifié son usage. La communauté scientifique reconnaît au marché une réalité spatiale comme lieu d’échange, mais y voit également un mécanisme d’échange, qui dans le cas présent n’a pas obligatoirement de réalité spatiale et qui est l’objet de nombreuses théories.
Les lieux d’échange ne sont en effet pas toujours institutionnalisés. Ils prennent parfois des formes non matérielles (échange d’information, flux financiers virtuels). C’est d’ailleurs ce sens plus abstrait, sur lequel les économistes se sont penchés, qui a donné naissance à la seconde utilisation sémantique de « marché ». Dans ce cas, c’est le mécanisme de fonctionnement du marché qui importe. Il n’est donc plus forcément situé dans l’espace et n’a plus de lien direct avec les activités de production.
|
Table des matières
Introduction générale
PARTIE 1
DE BAMAKO A LA DYNAMIQUE DE SON SYSTEME D’APPROVISIONNEMENT DEPUIS SA PERIPHERIE : SAISIR LE PHENOMENE D’ACCROISSEMENT DES FOIRES
PARTIE 2
LES FOIRES : UNE INTERFACE ENTRE LA VILLE DE BAMAKO ET SA PERIPHERIE QUI ORGANISE LES ECHANGES
PARTIE 3
LA PLACE DES FOIRES DANS LES TRANSFORMATIONS DE L’ESPACE RURAL A PROXIMITE DE BAMAKO
Conclusion
GLOSSAIRE
ANNEXES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES MATIERES