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Programme de développement
Les filaires ont un cycle de vie dixène caractérisé par 5 stades incluant 4 stades larvaires (L1, L2, L3, L4) suivis d’un stade adulte (mâles et femelles) (Figure 3). Le premier stade larvaire (L1) est aussi appelé microfilaire (Mf). Dans les filaires femelles adultes, les œufs présentent une fine membrane appelée gaine. Chez certaines filaires, les Mfs éclosent in utero (Mfs nues) alors que d’autres conservent la membrane de l’œuf (Mfs gainées) [4]. Les Mfs sont expulsées par les femelles et migrent, suivant les espèces filariennes, dans le sang ou la peau de leur hôte ; elles peuvent alors passer dans un arthropode hématophage au moment du repas sanguin de celui-ci [3,4]. Les vecteurs des filaires peuvent être des poux, des puces, des diptères (moustiques, simulies, ceratopogonidés, tabanidés) mais aussi des tiques et autres acariens [3,4] selon l’espèce filarienne considérée. Les microfilaires se retrouvent dans l’estomac du vecteur après le repas sanguin et doivent traverser l’épithélium de ce dernier pour poursuivre leur développement [8].
Le développement larvaire se poursuit dans le vecteur avec deux mues successives amenant au troisième stade, le stade infestant (L3). Ce développement s’effectue, selon l’espèce filarienne considérée, dans différents sites préférentiels : les tissus graisseux, les muscles, l’hémocèle ou encore les tubes de Malpighi [4]. Les larves qui atteignent l’hémolymphe vont ensuite migrer vers la tête de l’arthropode et les pièces buccales, les glandes salivaires ou l’hémocèle [4,9]. La croissance de la filaire se poursuit lorsque l’arthropode infecté transfère les L3 dans un nouvel hôte vertébré au cours d’un repas sanguin.
La localisation des filaires adultes est variable selon l’espèce considérée : certaines espèces s’installent dans les tissus cutanés et sous-cutanés, mais d’autres résident dans le système lymphatique, les cavités sériques, le système cardio-pulmonaire ou les tissus conjonctifs [4]. Malgré cette diversité dans la localisation finale, un comportement identique semble avoir été sélectionné chez les filaires : les L3 survivent en entrant dans un vaisseau lymphatique de la peau et ils migrent à travers l’hôte en utilisant ce système vasculaire [3,10,11]. Au sein de l’hôte vertébré, le développement des L3 continue avec deux mues supplémentaires permettant d’atteindre les stades adultes mâles et femelles [4].
Wolbachia
Wolbachia est une α-proteobacterie intracellulaire Gram-négative de l’ordre des Rickettsiales. Elle est présente chez les arthropodes mais on la trouve aussi chez les filaires. Sur les 85 espèces de filaires étudiées à ce jour, 52.9% sont infestées par une souche de Wolbachia [12]. En l’absence de description formelle d’espèces, les différentes souches de Wolbachia ont été classées en supergroupes représentant les subdivisions phylogénétiques majeures [13]. Plus de 10 supergroupes de Wolbachia infectent exclusivement les arthropodes, 3 supergroupes infectent spécifiquement les filaires (groupes C, D et J) et un groupe infecte les deux (groupe F) [12].
Au sein des filaires, Wolbachia a été identifiée principalement dans l’appareil reproducteur des femelles et dans les chordes latérales de l’hypoderme. [12,14,15]. La densité en Wolbachia varie en fonction des tissus colonisés et du stade de développement de la filaire. Du stade microfilaire au stade infestant, la quantité de Wolbachia est faible et est restreinte à quelques cellules des chordes latérales [15]. La quantité de Wolbachia augmente dans les chordes latérales des larves de stade 4 et des jeunes adultes. Dans les femelles fécondées, Wolbachia migre des chordes latérales vers les ovaires et les embryons [15,16]. La présence de la bactérie dans les gonades des filaires femelles est liée à sa transmission verticale, de la femelle à sa descendance.
Seules les espèces de Wolbachia appartenant aux supergroupes C et J semblent présenter une coévolution stricte avec leur hôte [12]. Les clades filariens hébergeant les supergroupes D et F présentent de nombreux cas de pertes secondaires et de transferts horizontaux de la bactérie [12]. Lorsque la bactérie est présente, la symbiose entre Wolbachia et les Onchocercidae est considérée comme mutualiste, car les deux partenaires bénéficient de l’association [17]. Wolbachia est nécessaire à la survie et la fertilité des filaires [18]. En effet, des traitements antibiotiques sur diverses espèces de filaires ont démontré que l’élimination de Wolbachia est associée à une apoptose des cellules germinales adultes et des cellules somatiques des embryons [19] ainsi qu’à une perte de la polarité antéropostérieure des embryons [20]
Filarioses humaines
Parmi les 600 espèces de filaires décrites, 8 infectent les humains et ont des localisations tissulaires distinctes. Wuchereria bancrofti (Cobbold, 1887), Brugia malayi (Brug, 1927) et B. timori (Partono et al. 1977) s’installent dans la circulation lymphatique et causent la filariose lymphatique. Onchocerca volvulus (Leuckart, 1893), Loa loa (Cobbold, 1894), Mansonella streptocerca (Macfie & Corson, 1922) et M. ozzardi (Manson, 1897) sont retrouvés dans les tissus cutanés et sous-cutanés. Enfin, M. perstans (Manson, 1891) s’installe dans les cavités sériques (cavités péritonéale pleurale, et péricardique). Toutes les filaires humaines à l’exception de Loa loa abritent Wolbachia (tableau 1).
Epidémiologie et coendémicité
Si des filaires animales sont présentes sur tout le globe, les filarioses humaines sont restreintes aux régions tropicales et subtropicales. Dans certaines régions d’Afrique, la filariose lymphatique, l’onchocercose, la mansonellose à M. perstans et/ou la loase sont co-endémique et certains patients peuvent présenter des multi-infections. De même, en Amérique latine, on peut retrouver des zones co-endémiques pour M. perstans et M. ozzardi, la filariose lymphatique et/ou l’onchocercose (Figure 4). Ces coïnfections sont importantes à connaître car elles peuvent entrainer des erreurs d’identification des parasites, soit parce qu’une espèce est minoritaire et non identifiée, soit par réaction croisée des kits de détection. Le problème majeur provient des coïnfections avec L. loa qui peut entraîner de graves complications lors des traitements.
En 2014, la filariose lymphatique était endémique dans 73 pays tropicaux et subtropicaux d’Asie, d’Afrique, d’Amérique centrale et du Sud et du Pacifique [25,26]. Environ 1 milliard de personnes vivent en zone d’endémie et les 68 millions de cas avérés de filariose lymphatique comprennent 36 millions de personnes présentant des symptômes tels qu’un hydrocèle ou un lymphoedème secondaire [26].
Onchocerca volvulus est endémique dans 31 pays d’Afrique et infecte environ 15,5 millions de personnes [27,28]. 99% des personnes infestées vivent en Afrique sub-saharienne, mais il existe encore quelques foyers en Amérique Latine (à la frontière Brésil-Venezuela) et au Yémen [29]. Il a été estimé que 187 millions de personnes vivent dans des zones où le parasite peut être transmis dont 500 000 en Amérique Latine [27,30]. 26 pays en Afrique présentent une coendémicité pour la filariose lymphatique et l’onchocercose [26].
Les infections par Loa loa sont restreintes aux forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest et du Centre ou elles représentent au moins 10 millions de cas [23,31-33]. Dans ces zones, de nombreux cas de co-infection avec O. volvulus, W. bancrofti et/ou M. perstans sont décrits [22,31,34,35].
Les mansonelloses sont relativement asymptomatiques et leur prévalence est, de ce fait, méconnue [22,24]. Cependant la forte incidence des coinfections avec M. perstans ou M. ozzardi, et la présence d’une Wolbachia du supergroupe F dans ces mansonelles [12,36,37] sont à l’origine d’un regain d’intérêt pour ces filaires [22,24,38,39].
Les infections par Mansonella ozzardi sont localisées exclusivement en Amérique Latine, du Mexique au Nord de l’Argentine et dans les Caraïbes. Suivant les régions, la prévalence varie entre 0 et 50% de la population qui est infestée rendant difficile l’estimation du nombre total de personnes infestées [24]. Au Brésil, M. ozzardi est retrouvée dans des régions d’Amazonie où est présente O. volvulus et induit régulièrement des erreurs d’identifications bien que les microfilaires soient morphologiquement très différentes ([4] et Tableau 1).
M. perstans est largement distribuée en Afrique et présente aussi des cas en Amérique latine. Au total, 33 pays d’Afrique subsaharienne semblent être endémiques pour la transmission avec un total d’environ 580 millions d’habitants à risque (Banque mondiale, 2008). Simonsen [22] estime que 114 millions de personnes pourraient être infestées par M. perstans en Afrique ce qui en ferait un des parasites les plus prévalent en Afrique. Au Cameroun, la prévalence de M. perstans est hétérogène : les zones forestières humides présentent une prévalence et une intensité de l’infection élevées, la prévalence pouvant atteindre 70% de la population ; en revanche, la prévalence est faible dans les zones de savane [40]. Au Ghana, plus de 30% de la population pourrait être infestée [41].
Programme de développement et biologie
Les filaires lymphatiques : Wuchereria bancrofti, Brugia malayi et B. timori
La filaire W. bancrofti est responsable de 90% des cas connus de filariose lymphatique et B. malayi est à l’origine de la plupart des cas restants (OMS et [18]). Les filaires sont transmises par des moustiques des genres Culex, Anopheles, Mansonia et Aedes lors d’un repas sanguin [42].
Après la piqure, les larves s’installent, muent et se reproduisent dans le système lymphatique. Les adultes de Wuchereria bancrofti se retrouvent généralement dans les vaisseaux lymphatiques ou les sinus des ganglions lymphatiques des membres inférieurs chez les patients et aussi dans les vaisseaux lymphatiques du scrotum chez les hommes [4,43]. Brugia malayi s’installe préférentiellement dans le système lymphatique de l’aine et des aisselles [44]. Les adultes peuvent survivre de 5 à 8 ans dans leur hôte [18].
Les microfilaires sont pondues dans les vaisseaux lymphatiques et migrent dans le sang. Chez des singes Semnopithèques (Presbytis melalophos et Trachypithecus cristatus) infestés avec des larves infestantes de W. bancrofti, la phase pré-patente dure 200-280 jours [45-47]. Les microfilaires de W. bancrofti et B. malayi ont une grande gaine dépassant des deux extrémités de la microfilaire [4] et mesurent entre 250 et 300µm de long. La partie postérieure des Mfs de B. malayi présente un noyau qui est absent chez W. bancrofti [4]. Les Mfs présentent également une périodicité circadienne qui a été associée au mode de vie du vecteur [48]. Les microfilaires se réfugient dans les capillaires pulmonaires pendant la journée et sont retrouvées dans le sang périphérique la nuit où elles sont accessibles au vecteur [49]. La périodicité serait contrôlée par les différences de concentrations en oxygène dans le sang entre les périodes de veille et de sommeil jouant sur la dilatation des capillaires sanguins [4,50]. Une étude in vitro a montré que les Mfs de B. malayi peuvent adhérer aux cellules endothéliales [50]. L’adhérence implique la gaine de la microfilaire et nécessite un environnement riche en oxygène ainsi qu’un flux élevé, comme ceux trouvés dans l’hôte pendant la journée [50].
Onchocerca volvulus
Les vecteurs de O. volvulus sont des mouches hématophages faisant partie du complexe Simulium damnosum. Ce complexe est composé d’espèces génétiquement différentes, mais qui ont une morphologie identique [51]. 63 espèces ont été définies sur la base de leurs variations chromosomiques [30]. Le vecteur nécessite des cours d’eau pour se reproduire et par conséquent l’infection se produit à proximité des rivières.
Le vecteur effectue une morsure superficielle en dilacérant la peau et les capillaires sanguins avec ses maxillaires et ses mandibules. Les L3 pénètrent dans la peau par la plaie due à cette morsure. Les filaires femelles adultes restent dans le tissu sous-cutané et des nodules cellulaires se forment autour d’elles, les onchocercomes. Les femelles adultes peuvent vivre plus de 10 ans au sein de ces nodules onchocerquiens [52]. Les femelles s’accouplent et sont fécondées par les mâles. Les microfilaires sont gainées et mesurent environ 300µm.
Elles sont pondues dans le nodule où elles sont retrouvées en grandes quantités [53]. Des vaisseaux sanguins et lymphatiques irriguent le nodule [53]. Aucune microfilaire n’est retrouvée dans les vaisseaux sanguins et quelques microfilaires sont retrouvées dans les vaisseaux lymphatiques [53], suggérant qu’elles pourraient les utiliser pour rejoindre le derme où elles sont accessibles aux simulies [53-55]. Dans le derme, les microfilaires ne sont pas observées dans les vaisseaux lymphatiques même si ces derniers sont anormalement dilatés [53]. Les microfilaires peuvent se retrouver dans les tissus sous-conjonctivaux de l’œil [56,57].
Loa loa
Les humains sont le seul hôte connu de Loa loa. Les mouches du genre Chrysops (majoritairement C. silace et C. dimidiate) sont les vecteurs de la loase [4]. Ces mouches vivent dans les forêts d’Afrique équatoriale et effectuent leur repas sanguin pendant la journée.
Après infection, les filaires pénètrent dans les tissus sous cutanés et maturent rapidement. Chez la gerbille, le stade adulte est atteint en 25 jours [58]. Ils migrent à travers les tissus sous-cutanés pendant toute leur durée de vie (jusqu’à 17 ans) [59]. Les infections expérimentales chez les primates non humains ont montré que la période pré-patente est d’environ 140 jours [60]. Les microfilaires sont retrouvées dans la circulation sanguine. Les microfilaires mesurent environ 290µm par 7.5µm et présentent une gaine et ont 3 noyaux caractéristiques dans la région terminale [4]. De plus, comme W. bancrofti, les Mfs de L. loa affichent une périodicité, mais celle-ci est inversée. Les microfilaires sont présentes dans le sang périphérique pendant la journée et résident probablement dans le tissu pulmonaire pendant la nuit bien que cela n’ait pas été formellement démontré [61,62]. Ces caractéristiques aident à différencier les microfilaires sanguines de L. loa de celles de W. bancrofti et de Mansonella perstans dont la distribution géographique chevauche celle de L. loa (Tableau 1).
Les mansonelles
Les trois espèces de mansonelles infectant les humains, Mansonella perstans (synonymes : Dipetalonema perstans, Tetrapetalonemaperstans, Acanthocheilonema perstans), M. ozzardi et M. streptocerca (synonymes : Dipetalonema streptocerca, Tetrapetalonema streptocerca), varient par leur distribution, leur spécificité vectorielle et leur site. Toutefois bien que les humains soient l’hôte principal, des infections ont été décrites chez d’autres primates et M. ozzardi a aussi été trouvé chez des oiseaux et des amphibiens [22,63,64].
Le cycle de vie des mansonelles est mal connu. M. streptocerca est spécifiquement transmis par la mouche Culicoides grahamii [65] mais plusieurs espèces de Culicoides peuvent transmettre les larves de M. perstans et M. ozzardi [66]. Les adultes de M. ozzardi ont initialement été décrits dans la cavité abdominale et dans les mésentères [4] mais leur localisation exacte est toujours incertaine car l’inoculation de larves de M. ozzardi dans des primates induit un développement sous-cutané du parasite [67]. Concernant M. streptocerca, les adultes résident dans le derme de la peau. Les adultes de M. perstans sont rarement observés, mais ils ont été occasionnellement récupérés dans les cavités sériques (péritoine, plèvre, péricarde) lors de chirurgies ou d’autopsies [22].
Les microfilaires des trois espèces sont dépourvues de gaine. Les Mfs mesurent environ 190-200µm de long par 4-5µm de diamètre. Les Mfs vivantes ont de fortes capacités de contraction et d’élongation ce qui fait que les tailles décrites varient beaucoup [22,68]. Les Mfs de M. streptocerca sont cutanées alors que celles de M. ozzardi et M. perstans sont sanguines [69].
Principales manifestations cliniques
La plupart des infections filariennes chez les vertébrés non humains sont considérées comme étant généralement asymptomatiques. Les signes cliniques n’apparaissent pas avant que les parasites n’aient atteint le stade adulte et ils dépendent des espèces ainsi que de la localisation des adultes et des microfilaires [17].
Les pathologies associées à W. bancrofti, B. malayi, O. volvulus et L. loa sont décrites ci-après :
Filarioses lymphatiques
Les symptômes des filarioses lymphatiques sont majoritairement dus à la présence des parasites adultes dans les vaisseaux lymphatiques. Certains patients présentent une filariose dite « occulte » avec des adultes mais pas de microfilaires sanguines. Cependant chez ces patients, des microfilaires sont parfois retrouvées dans les tissus où elles induisent des symptômes cliniques.
Symptômes associés aux adultes
Après leur installation dans le circuit lymphatique, les parasites adultes induisent une dilatation des vaisseaux lymphatiques, une baisse de la contraction des muscles des lymphatiques et une perte de la fonction des valves lymphatiques [43,70,71]. Au fur et à mesure que la filariose progresse et que les parasites meurent, une insuffisance lymphatique chronique se met en place, caractérisée par un ralentissement du flux lymphatique. Les symptômes se produisent le long d’un continuum allant de la dilatation lymphatique asymptomatique (environ 2/3 des patients) aux hydrocèles et aux lymphoedèmes secondaires (les lymphoedèmes primaires provenant de facteurs congénitaux) pouvant progresser vers l’éléphantiasis [43,72].
Les fonctions principales du système lymphatique sont l’élimination des molécules de haut poids moléculaire des espaces interstitiels et le transport des antigènes et des cellules immunitaires vers les ganglions lymphatiques. L’insuffisance lymphatique induit donc la rétention de protéines et l’augmentation du risque d’infections [73]. Le lymphoedème secondaire se forme suite à l’accumulation des protéines, qui augmente la pression oncotique, entraînant la formation d’un œdème riche en protéines qui stimule les fibroblastes. Ceux-ci sont à l’origine d’une fibrose cutanée hyperplasique avec un épaississement du derme et une accumulation de lobules graisseux dans l’hypoderme. Les infections bactériennes et fongiques sont une complication fréquente des lymphoedèmes filariens (Figure 5). Ceci conduit à l’éléphantiasis, un lympœdème irréversible même après la mort des parasites adultes 1995 [74].
L’hydrocèle est l’autre forme courante des infections par W. bancrofti chez des patients masculins. Elle consiste en l’accumulation de fluide entre les deux couches de la tunique vaginale dans le scrotum. Dans ce cas, l’élargissement des vaisseaux lymphatiques et leur obstruction ultérieure conduisent à la pathologie indépendamment des infections bactériennes [73,75]. Ces symptômes sont associés à la présence de parasites adultes dans les vaisseaux lymphatiques du scrotum [76,77].
Les filarioses pulmonaires, cardio-pulmonaires et pleurales
La présence de filaires dans l’environnement pulmonaire (poumon sensu stricto et/ou système cardio-pulmonaire et/ou cavité pleurale) a été décrite chez de nombreuses espèces de filaires dans un large éventail d’hôtes comprenant des oiseaux, des crocodiles, des chiens et les humains (Tableau 3). La plupart des études ont documenté la présence de vers adultes ou de microfilaires, mais très rarement des L3 du fait de leur faible nombre et du caractère transitoire de leur migration.
La/les voies de migration des filaires présentant des localisations pulmonaires ne sont pas connues mais pourraient s’expliquer anatomiquement : lors de la migration lymphatique les larves s’engageraient dans le canal thoracique et arriveraient ainsi dans la veine cave supérieure, le cœur droit puis les artères pulmonaires.
De là, suivant l’espèce filarienne considérée, les L3 pourraient s’installer dans la circulation sanguine pulmonaire (comme Dirofilaria immitis), pénétrer le tissu pulmonaire (comme certaines Oswaldofilariae de reptiles) ou rejoindre la cavité pleurale (M. perstans ou des espèces des genres Litomosoides). Chez d’autres espèces (par exemple B. malayi chez les rongeurs) la présence d’adultes dans les poumons est parfois décrite, elle pourrait être accidentelle et résulter de parasites emportés par le flux lymphatique à travers le canal thoracique jusqu’à la circulation sanguine pulmonaire [10].
La présence de filaires dans l’environnement pulmonaire est souvent considérée globalement asymptomatique comme chez M. perstans mais peut causer de graves pathologies dans les dirofilarioses pulmonaires dues aux adultes de D. immitis ou dans le Poumon Eosinophile Tropical induit par les microfilaires de W. bancrofti et B. malayi.
La biologie et les interactions avec les poumons de D. immitis et de M. perstans sont développées ci-après, de même que celles de Litomosoides sigmodontis, le modèle murin utilisé lors de cette étude.
Dirofilaria immitis
Biologie et cycle de vie
Les dirofilarioses sont dues aux filaires du genre Dirofilaria qui comprend une trentaine d’espèces [155]. D. immitis (Leidy, 1856) et D. repens (Railliet et Henry, 1911) sont les agents d’importantes filarioses canines en raison de leurs effets pathologiques et de leur forte prévalence et incidence [134]. D. immitis et D. repens présentent un large spectre d’hôtes comprenant de nombreuses espèces de mammifères [155] mais les chiens domestiques et sauvages sont les hôtes privilégiés de ces filaires. Les vecteurs sont des moustiques de la famille Culicidae [156] appartenant aux genres Culex, Aedes, Anopheles, Mansonia, Armigeres, Ochlerotatus, et Coquillettidia [157].
Les infections par D. immitis ont lieu dans les régions tropicales et tempérées du monde entier alors que la présence D. repens est restreinte à l’Europe, l’Afrique et l’Asie. De nombreux cas zoonotiques ont été décrits chez l’homme pour ces deux espèces. D. immitis est responsable des cas humains de dirofilarioses pulmonaires, majoritairement localisés en Amérique [134]. Dans ces zoonoses, les filaires ne finissent pas leur développement et meurent avant la production de microfilaires [158] [134] [155].
Chez le chien, les adultes de D. immitis vivent dans les artères pulmonaires et le ventricule droit du cœur. Les adultes sont identifiables 70 jours post infection dans ces localisations. Toutefois, la voie de migration qu’empruntent les L3 après inoculation dans la peau pour s’y rendre n’est pas connue. Lors d’autopsies de chiens et de furets infestés expérimentalement, la localisation des parasites à différents temps après infection a été étudiée dans la peau, les muscles, les cavités thoraciques et abdominales, le cœur et l’artère pulmonaire [159] [160] [161] [162]. La figure 8 synthétise les résultats de ces études. Le rendement parasitaire est relativement stable dans ces organes pendant 70 jours après l’inoculation des L3 avec une moyenne de 30% des larves inoculées qui sont retrouvées (les rendements un peu plus faibles dans les temps très précoces sont probablement dus au fait que les L3 sont plus difficiles à trouver que les L4 et les adultes). Durant cette période, les parasites ont été récupérés dans les tissus sous-cutanés et les muscles, parfois à distance du point d’inoculation, où ils semblent pouvoir se développer jusqu’au stade jeune adulte. [162]
Les résultats des dissections de chiens [160,161] et de furets ont été exprimés en % de l’inoculât initial et regroupés. Les parasites ont été recherchés dans le tissus sous cutané (rose), les muscles (bleu), les cavités sériques (violet) et les artères et le cœur (bordeau). Les stades parasitaires retrouvés et leur taille à différents temps après infection sont indiqués dans les flèches sous le graphe. Les résultats sont exprimés en moyenne + écart standard à la moyenne (SEM). n=1-6 par temps.
A partir de 70 jours après infection, le nombre de filaires dans la peau et les muscles chute alors que celui des parasites présents dans les artères pulmonaires et le cœur augmente progressivement et peut atteindre plus de 70% de l’inoculât initial ([160] et Figure 8).
L’hypothèse qui a alors été émise (Kume et Itagaki 1955 [159], Kotani et Powers 1982 [161], Figure 9 – Hypothèse 1) est que les L3 migreraient dans les tissus sous-cutanés et les muscles où seraient réalisées les 3ème et 4ème mues. Après 60 à 90 jours, les parasites adultes entreraient dans une veine et rejoindraient les artères pulmonaires et le cœur droit, portés par la circulation veineuse. Cette hypothèse pourrait être étayée par le fait que des jeunes adultes, récupérés après leur migration dans la circulation sanguine pulmonaire, sont capables de re-migrer vers les artères pulmonaires après une transplantation dans les tissus sous-cutanés de chiens non-infestés [159,163]. Il semble néanmoins étonnant qu’un parasite mesurant plusieurs centimètres arrive à pénétrer l’épaisse paroi des vaisseaux sanguins, sans engendrer de fortes hémorragies.
La limitation principale de ces études est que ni le système lymphatique, ni le tissu pulmonaire n’ont été analysés. En effet, l’idée d’un passage lymphatique avait été rejetée par Kume (1955) en argumentant que les larves du nématode Metastrongylus elongatus migrent par les lymphatiques en causant des hémorragies des ganglions lymphatiques. On sait aujourd’hui que de nombreuses filaires migrent à travers le circuit lymphatique sans induire de tels dégâts [10,164]. Il est donc possible, comme l’a suggéré Wenk (1967 [11]) que les larves pénètrent rapidement dans le système lymphatique avant de remonter le canal thoracique pour rejoindre la circulation sanguine pulmonaire. Dans ce cas là, les 30% de larves observées dans la peau/les muscles dans les temps précoces de l’infection correspondraient à celles qui ont échoué à pénétrer les vaisseaux lymphatiques et qui périraient progressivement après leur dernière mue; les 70% restants rejoindraient les artères pulmonaires où elle pourraient atteindre la maturité sexuelle.
Hypothèse 1 (Kume et Itagaki 1955 [159]) : après inoculation dans la peau, les L3 migrent dans les tissus sous-cutanés et les muscles où elles effectuent leurs mues en L4 puis en adultes avant de rejoindre la circulation veineuse qui transporte les parasites dans les artères pulmonaires. Les hypothèses 2 et 3 privilégient un passage lymphatique. Hypothèse 2 : les L3 pénètrent dans le circuit lymphatique où elles effectuent leurs mues, avant de rejoindre la circulation sanguine via le canal thoracique, puis les artères pulmonaires. Hypothèse 3 : les L3 pénètrent dans le circuit lymphatique et rejoignent rapidement la circulation sanguine. Les mues ont lieu au niveau des capillaires pulmonaires dans lesquels les larves sont piégées. Une hypothèse mixte entre de 2 et 3 est aussi envisageable.
Une fois dans le système lymphatique il existe encore au moins 2 options (Figure 9-hypothèse 2 et 3):
• Les parasites effectuent leurs mues dans le système lymphatique pour rejoindre la circulation sanguine avant leur dernière mue. Cela est d’autant plus probable que la migration d’adultes du circuit lymphatique vers la circulation sanguine a été décrite chez Monanema martini¸ notamment après des traitements [10,165].
• Les larves peuvent rejoindre directement la circulation sanguine pulmonaire par le canal thoracique et rester bloquées dans les capillaires pulmonaires. Ensuite les parasites continueraient leur développement dans les capillaires ou les alvéoles avant de remonter vers les artères pulmonaires. Cette hypothèse semble moins plausible car dans ce cas, il est probable que des symptômes respiratoires apparaitraient avant la dernière mue.
Ces deux hypothèses sont soutenues par la mue en L4 très précoce des larves de D. immitis (vers 2-3 jours p.i.). En effet, la plus grande taille des L4 pourrait permettre d’augmenter les chances qu’elles soient bloquées dans la circulation pulmonaire ou qu’elles se maintiennent dans le flux lymphatique. Il est aussi possible que D. immitis puisse utiliser différentes voies de migration pour atteindre les artères pulmonaires : une partie des larves pénètreraient rapidement dans la circulation lymphatique pour poursuivre leur développement et les autres matureraient dans la peau avant de migrer.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Filaires
1.1 Diversité des filaires
1.2 Biologie
1.3 Programme de développement
1.4 Wolbachia
2. Filarioses humaines
2.1 Epidémiologie et coendémicité
2.2 Programme de développement
2.2.1 Les filaires lymphatiques : Wuchereria bancrofti, Brugia/B. malayi et B. timori
2.2.2 Onchocerca volvulus
2.2.3 Loa loa
2.2.4 Les mansonelles
2.3 Principales manifestations cliniques
2.3.1 Filarioses lymphatiques
2.3.2 Onchocercose
2.3.3 Loase
3. Les filarioses pulmonaires, cardio-pulmonaires et pleurales
3.1 Dirofilaria immitis
3.2 Mansonella perstans
3.3 Litomosoides sigmodontis
4. Programmes multivalents visant à « traiter » les filarioses
4.1 Traitements à grande échelle ou traitements de masse (Mass Drug Administration, MDA)
4.1.2 Programmes de lutte contre l’onchocercose
4.1.3 Les traitements individuels
4.1.4 Considérations actuelles
4.2 Mode d’action des molécules ciblant les filaires
4.2.2 Diéthylcarbamazine
4.2.3 Albendazole
4.2.4 Tétracyclines
4.2.5 Traitements en cours d’évaluation
5. Cinétique de la « réponse immunitaire » chez les souris infestées par L. sigmodontis
5.1 « Réponse immunitaire » au site d’inoculation : apport des différents modèles
5.2 Migration des larves de L. sigmodontis vers la cavité pleurale
5.3 « Réponses immunitaires » dans la cavité pleurale lors de la phase pré-patente
5.4 « Réponse » dans la cavité pleurale au cours de la phase patente
6. Rappels anatomiques/histologiques sur les poumons, le cœur et les systèmes vasculaires
6.1 Plèvre et mésothélium
6.2 Le poumon, les bronches, les bronchioles et les cellules alvéolaires de type I et II
6.3 Vaisseaux sanguins et lymphatiques pulmonaires
6.3.1 Vascularisation sanguine pulmonaire:
6.3.2 Les lymphatiques des poumons et de la plèvre : le système pleuropulmonaire
6.4 Espace périvasculaire
6.5 Les macrophages pulmonaires
7. Dommages pulmonaires due aux anchylostomes
7.1 Cycle de vie des anchylostomes
7.2 Neutrophiles et amplification de la pathologie pulmonaire.
7.3 Macrophages : contrôle de sous populations de parasites et réparation des tissus
OBJECTIFS DE LA THESE
MATERIEL ET METHODES
1. Ethique
2. Parasites, souris et inoculation des larves /L3 de L. sigmodontis
2.1 Maintien du cycle de L. sigmodontis pour obtention des larves L3
2.2 Les souris de laboratoire
2.2.1 Souris BALB/c
2.2.2 Souris BALB/c IL4R/IL5 KO
2.2.3 Souris C57BL/6 S100A9-/-
2.3 Inoculation aux souris
2.4 Suivi de la présence ou non de microfilarires chez les souris
3. Autopsie des souris, collecte des filaires, prélèvement et fixation des poumons
3.1 Exsanguination et préparation du sérum
3.2 Lavage de la cavité pleurale
3.3 Evaluation du développement filarien
3.4 Lavage bronchoalvéolaire
3.5 Dénombrement des L3 dans les poumons
3.6 Préparation et fixation des poumons pour différentes analyses.
4. Les analyses histologiques et immunohistologique.sur coupes fines
4.1 Déshydratation, inclusion en paraffine, préparation des lames
4.2 Colorations histologiques
4.2.1 Coloration à l’Hémalun-Eosine (HE)
4.2.2 Coloration au Trichrome de Masson
4.2.3 Coloration à l’Acide Periodique-Schiff (PAS)
4.2.4 Colorations immunohistologiques avec révélation enzymatique
4.2.5 Marquage du S100A9
4.2.6 Marquage de la cytokératine 7
4.2.7 Marquage de la podoplanine
5. Immunohistochimie sur coupes épaisses
5.1 Préparation des coupes épaisses de poumons (Precision Cut Lung Slices ou PCLS).
5.2 Colorations immunohistologiques en fluorescence
6. Analyse des images obtenues par microscopie confocale
7. Microscopie électronique à balayage
8. Cytométrie en flux
8.1 Préparation des cellules
8.2 Identification des populations leucocytaires.
9. Analyse de transcrits de cytokines inflammatoires dans le poumon
9.1 Extraction des ARN totaux et rétrotranscription
9.2 Obtention des profils d’expression cytokiniques
9.3 Analyse in silico de réseaux biologiques
9.4 Validation des résultats de l’analyse transcriptionelle
9.4.1 Rétrotranscription
9.4.2 Conception des amorces
9.4.3 PCR quantitative
10. Purification des microfilaires à partir de sang de mérions hôtes de L. sigmodontis
11. Détection et quantification des microfilaires pulmonaires par PCR quantitative
11.1 Extraction de l’ADN
11.2 Préparation de la gamme
11.3 Détection des microfilaires et normalisation
12. Cultures cellulaires
12.1 Purification des neutrophiles de souris
12.2 Cultures de neutrophiles de souris
12.3 Culture et stimulation des splénocytes de souris
13. Dosage des cytokines et autres molécules inflammatoires par une méthode ELISA137
14. Dosage de l’ADN extracellulaire
15. Analyses statistiques
RESULTATS
CHAPITRE 1 : La migration des larves infestantes/L3 de Litomosoides sigmodontis chez la
souris BALB/c révèle l’existence de dommages pulmonaires transitoires … Erreur ! Signet non
défini.
Introduction
Résultats
1. Cinétique de la migration des L3; comparaison de différents modes d’inoculation
2. Le passage de L3 dans le poumon induit une inflammation caractérisée par des hémorragies locales, des « granulomes » et une accumulation de neutrophiles dans les espaces périvasculaires
3. Des processus inflammatoires physiologiques se déploient quelques heures après l’inoculation des L3.
4. Les neutrophiles murins exposés in vitro à des L3 peuvent produire des « NETs »
Discussion
CHAPITRE 2 : L’hétérodimère S100A8/A9 – calprotectine- favorise-t-il la survie de Litomosoides sigmodontis ?
Introduction
Résultats
1. S100A9, un marqueur de l’inflammation aigue chez les souris BALB/c infestées par L. sigmodontis ?
1.1 Augmentation précoce des transcrits s100a8 et s100a9 dans le poumon
1.2 La protéine S100A9 dans les Lavages Broncho Alvéolaires/LBA et fluides des cavités pleurales
1.3 Augmentation du nombre de neutrophiles S100A9+ dans les poumons
2. S100A9, un acteur dans le contrôle de l’établissement des L3 de L. sigmodontis ? Analyse des souris C57BL/6 déficientes en s100a9
2.1 L’absence de s100a9 se traduit par un moindre établissement des larves L3 Signet non défini.
2.2 L’absence de S100A8/A9 se traduit par une moindre recrutement cellulaire dans le LBA mais facilite celui dans la cavité pleurale
2.3 L’absence de S100A8/A9 augmente le nombre de cellules spléniques
2.4 Le profil cytokinique des cellules spléniques est caractérisé par une dominance proinflammatoire en l’absence de S100A8/A9
2.5 Observation de dommages des vaisseaux sanguins pulmonaires et de processus inflammatoires bronchiques indépendants du S100A8/A9 chez les souris C57BL/6
2.6 En l’absence de S100A8/A9, quelles fonctions pour les neutrophiles ?
Discussion
CHAPITRE 3 : Dommages pulmonaires prolongés chez les rongeurs chez lesquels est générée la descendance des microfilaires de Litomosoides
Introduction :
Résultats
1. Microfilarémie et dommages pulmonaires chez la gerbille
2. Analyse cinétique de la phase patente chez la souris BALB/c, localisation des parasites et distinction des souris en deux groupes selon la présence ou non de microfilaires
3. Analyse de profils de biomolécules-transcrits et protéines- au niveau des poumons
4. Production de mucus par l’épithélium bronchique de souris hôtes de microfilaires
5. Les macrophages périvasculaires augmentent chez les souris microfilarémiques
6. Dommages du mésothélium pleural chez les souris hôtes de microfilaires
7. Inflammation pleurale/bronchoalvéolaire exacerbée chez les souris microfilarémiques.
8. L’initiation des dommages pulmonaire chez les souris microfilarémiques signe-t-elle un profil de type 2,
Discussion
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
Valorisation des résultats
Annexes
Bibliographie
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