Les figures du surnaturel dans la mythologie et le folklore irlandais

le « surnaturel » et la définition du « mythe »

   Le dictionnaire définit le surnaturel comme « ce qui se trouve en dehors du domaine de l’expérience », « qui échappe aux lois naturelles ». Depuis toujours l’homme s’est donné pour but de connaître le monde qui l’entoure, de transformer ce qui est mystérieux en objet de savoir. De nombreuses approches ont cherché à donner un sens à l’univers. L’une, rationnelle, et somme toute récente, cherche à expliquer les conditions dans lesquelles l’acte de création a pu avoir lieu, et la façon mécanique dont la vie a évolué jusqu’à la forme que nous lui connaissons de nos jours: démarche scientifique, fondée sur la chronologie et le raisonnement abstrait (création de « modèles »). L’autre remonte à l’aube de l’humanité: c’est une approche religieuse qui insiste sur l’origine divine, excluant le hasard, de l’univers qui nous entoure et dont l’homme fait partie; cette genèse divine de l’humanité a pour prolongement une vision eschatologique qui définit les conditions dans lesquelles l’univers tel qu’il est sera transformé ou détruit. L’ensemble de ces récits, qui forment un tout cohérent, se range sous l’appellation commune de « mythe ». Ce concept est doté de caractéristiques très précises, dont l’absence de cadre spatio-temporel, ces deux notions étant la conséquence de la création achevée, dans laquelle l’homme est inclus. Ce dernier ne peut percevoir les réalités qui le dépassent qu’à l’aide de cette grille de concepts, tandis que les dieux évoluent dans l’éternité, même si la transcription de la cosmogonie doit être rendue intelligible à l’homme: toutes les données du mythe sont, ainsi, un peu métaphoriques. Elles forment ce que l’on peut nommer les données « surnaturelles », qui se présentent de diverses manières selon la civilisation choisie. Le mythe, sous-ensemble d’un concept plus vaste, la « mythologie », est « une espèce de langue », selon Louis Gernet, et il en dit beaucoup sur l’organisation mentale profonde de la pensée, de la société, d’un peuple donné, ce qui ne veut pas dire qu’il reflète la réalité concrète de cette société: il en demeure « l’idéal », et continue d’en structurer la pensée: rien , dans le mythe, ne se rapporte à l’histoire ou à tout autre évènement. C’est ainsi que Georges Dumézil, s’appuyant sur un ensemble de disciplines telles que l’histoire des religions, la philologie comparée et la sociologie, a pu dégager, dans un ensemble aux racines linguistiques communes, les peuples dits « indo-européens », un fond commun d’organisation sociale, que l’on trouve dans le mythe, sans pour autant nier les divergences qui font la spécificité de chaque peuple considéré (ces divergences forment des « champs idéologiques »). Ce fond commun, il l’a désigné sous la notion de « tripartition », qui structure la société indo-européenne en trois fonctions sociales:
– la souveraineté, qui se scinde en deux aspects, l’un clair, régi par le contrat, qui établit des relations pacifiques, voire juridiques, entre les dieux et entre les hommes (représenté dans la mythologie védique par Mitra), l’autre violent, sombre et magique, représenté par Varuna, sans que l’on puisse séparer totalement ces deux pôles, car le védique associe fréquemment les deux termes en un double duel grammatical « Mitra-Varuna » (« les deux, Mitra et Varuna »). Dans l’organisation sociale védique, cette fonctionest assumée par les brahmanes, par les druides chez les Celtes;
– la fonction guerrière, qui comprend aussi la force physique, et que recouvre toute classe militaire;
– la troisième fonction, productrice et féconde, qui doit servir, et nourrir les deux autres (« agriculteurs », artisans, marchands).
Tout ceci se traduit dans une organisation sociale en trois classes correspondantes, mais la clarté du schéma varie beaucoup selon la société envisagée. Il est clair que cette organisation est avant tout une structure de pensée, et il est alors légitime de la rechercher dans des textes « sacrés », mais aussi littéraires (certaines épopées). Selon le résumé que fait Jean-Pierre Vernant de la méthode de mythologie comparée de Dumézil, « on va de l’idéologie religieuse aux écrits littéraires, au lieu de traiter littérairement des phénomènes religieux et des traditions mythiques ». La société celtique, telle qu’on la trouve en Irlande au 8ème siècle de notre ère lors de la rédaction des premiers manuscrits, entre dans le cadre défini par Georges Dumézil:
– la langue, le vieil-irlandais, est indo-européenne, bien que les récits confiés au parchemin décrivent probablement une sociéte antérieure à la rédaction; on explique ce décalage par le tabou absolu que la classe sacerdotale celtique, les druides, a fait peser sur l’écriture, bien qu’elle n’en ignorât point l’usage3. Le tournant dans l’usage généralisé de l’écriture vient de la christianisation de l’Irlande, « qui a fait du Livre la Révélation, la Vie et l’Exemple. Les filid convertis, successeurs de St Patrick, ont su en tirer la conclusion nécessaire, et ils ont gardé consciemment ou non, jusque dans les textes les plus élaborés, dans la présentation des récits, la marque d’oralité foncière de leur tradition nationale. Même déchue, la culture celtique a ainsi respecté envers et contre tout le principe traditionnel immuable de la supériorité de la pensée sur la parole, de la parole sur le texte et du texte sur l’image ».

Les PN/don/ et /échange/

   Selon deux proverbes irlandais, « the cow is one of the pleasant trees of Paradise », et « the cow is leather and meat, milk and butter ». La première valeur du bétail est « économique », essentiellement la production de denrées alimentaires et de matière première transformable (cuir et corne). La vache assure pour sa part la production de lait (et de ses dérivés alimentaires), cependant que le taureau assure la fécondité des vaches. C’est ainsi que dans des récits postérieurs au XIIème Siècle, les deux fonctions sont sublimées et représentées par deux bovins surnaturels, la vache « Glas Goibhneann »2 et le taureau « Tarbh Conraidh ». Ce dernier est à l’origine, selon le folklore, de la fécondité des vaches de la région de Beara (Sud-Ouest de l’Irlande):
-« Every cow who heard his bellow calved within a year »1 Quant à la Glas Goibhneann, plusieurs variantes du même récit lui attribuent le « pouvoir-produire » du lait en quantités énormes:
– » The legend told of her all over Ireland describes how she filled with milk every pail put under her by her unnamed owner. However, a jealous woman claimed that she had a vessel which the Glas could not fill, and accordingly she brought a sieve and began to milk the great cow. The Glas yielded a continuous stream of milk, enough to fill a lake, but it all ran through the sieve. Eventually she became exhausted by the effort and died ». Vache et taureau sont détenteurs d’un /pouvoir-faire/ surnaturel qui s’inscrit dans un PN/don/, car lait et veaux sont produits indépendament de l’identité de leur propriétaire. Ce sont des /donateurs/ S au sens strict puisque l’objet de leur « don » est dispensé sans discrimination. Il faut peut-être y voir la représentation concrète de la générosité de la nature, puisque ce « don » s’accomplit dès lors que le « donataire » (tout aussi anonyme) entre dans la zone d’influence géographique de ce /pouvoir-faire/. Mais ce bétail est également un objet O de deux PN très proches, celui du /don/ et celui de l’/échange/, puisqu’il constitue, pour les Celtes, un équivalent à notre monnaie, car leur hiérarchie sociale n’était pas fondée sur la propriété foncière, mais sur la possession de têtes de bétail. C’est ainsi que la reine Medb du Connacht se dispute avec son mari Ailill, dans l’épisode inaugurant la Tàin Bò Cuailnge intitulé « La Dispute sur l’Oreiller », les époux recensent leurs richesses respectives car Medb prétend être plus riche que son époux, qui serait dans ce cas entretenu sur bien de femme:
– » Then the lowliest of their possessions were brought out, to see who had more property and jewels and precious things: their buckets and tubs and iron pots, jugs and wash-pails and vessels with handles »(…) Puis, leur bétail (ovins et bovins) sont comptés:
-« But there was one great bull in Ailill’s herd, that had been a calf of one of Medb’s cows – Finnbennach was his name, the WhiteHorned – and Finnbennach, refusing to be led by a woman, had gone over to the king’s head. Medb couldn’t find in her herd the equal of this bull, and her spirits dropped as though she hadn’t a single penny ».
De même, les impôts et tributs dûs au « suzerain » étaient payés en récoltes et têtes de bétail. Le roi Cairbre Lifeachair l’avait injustement exigé des gens du Leinster, malgré sa promesse d’y renoncer, et le nom de ce tribut est précisément le Bòraimhe (« tribut en bétail »), traditionnellement dû au roi suprême d’Irlande par les roi de provinces. Le bétail est à la fois un objet d’échange et/ou de don, dont on nomme l’équivalent en or ou en esclaves4. On voit donc l’importance de ce bétail dans une configuration aussi vaste que celle de l' »économique », tant par cette valeur de « circulation monétaire » que par la richesse en « production » qu’un tel animal procure. Cette production, réalisée par la seule fécondité des vaches ou non, est centrale dans le récit, tiré de la Seconde Bataille de Mag Tured, de la « construction du fort du Dagda »: ce dernier construit le fort à la demande du roi Bres des Fomoire, qui oppresse les Tuatha De Danann, et réclame un salaire:
« -I require that you gather the cattle of Ireland in one place. The king did as he asked and (the Dagda) chose a heifer from among them. This seemed foolish to Bres for he thought that the Dagda might have chosen something more. » Cependant, après la défaite finale des Fomoire, « the Dagda brought forth his heifer. The heifer began to low to her calf and that lowing summoned back all the cattle of Ireland which the Fomoire had demanded as tribute during the kingship of the malevolent Bres »6 Dans cet extrait , le « bovin » occupe deux postes dans le PN /appropriation/ que représente la construction du fort: d’une part, la « vache » est le sujet opérateur S2 de ce PN, mais son objet O est également le bétail des Tuatha Dé Danann, représentant non seulement leur richesse, mais, par le tribut qu’il symbolise, leur sujétion aux Fomoire. Se libérer de ce tribut signifie retrouver richesse et suprématie. A ce propos, le « mugissement » de la vache constitue son /pouvoir-faire/, son « pouvoir-augmenter » le nombre de bovins (comme le Tarbh Conraigh) en même temps que, prenant la prééminence sur les autres vaches, elle les appelle et les « faitvenir » (elle « agit » sur les autres). Le /don/ du bétail, parmi d’autres types de cadeaux, fait partie de l’obligation de générosité du roi envers ses sujets. Le « bovin » a alors sa place de choix dans un tel pactole, et à lui seul il vaut un certain nombre d’ esclaves, comme l’extrait de The Tain nous l’a montré. D’ailleurs, au cours de la dispute entre les deux époux, Medb met l’accent sur la nécessité pour un roi de se montrer prodigue de dons en vers ses sujets: il doit être sans jalousie, sans peur ni avarice (« cen ét, cen omun, cen néoit »). Le terme « avarice » doit s’entendre ainsi:
–  » Le roi n’a pas le droit d’être avare, surtout si son épouse ne l’est pas. De toute manière l’avarice est un défaut qui échoit normalement à la troisième et non à la deuxième fonction. Le roi est fait pour donner beaucoup plus que pour recevoir et le roi avare, tel Bres dans le récit du Cath Maighe Tuireadh, finit très mal sa carrière » Cette générosité du roi n’est pas gratuite: le roi, moteur immobile de la société, garantit, par le respect strict de ses interdits religieux et de son obligation de courage (2ème fonction) d’absence de jalousie (ou âpreté au pouvoir, 1ère fonction) et d’avarice (3ème fonction) le bon fonctionnement du monde: abondance de bétail et de récoltes, beau temps et paix. Ce rapport entre vassal et roi est illustré dans celui du roi Conaire Mor et Da Derga:
– » (Da Derga) came to me, indeed, seeking gifts, and he did not leave empty-handed. I gave him one hundred cows from my herd, one hundred close-fitting mantles, one hundred grey pigs, one hundred flashing weapons, ten gilded brooches, ten great vats for drinking, ten brown horses, ten servants, ten steeds, thrice nine hounds all equally white with silver chains, one hundred horses fleeter than herds of wild deer. Indeed nothing was counted against him, and, were he to come again, he would receive still more ». La générosité du roi trouve son corollaire dans l’abondance et la fécondité du taureau, car leur rôle narratif à tous deux est bien de « donner » paix et abondance. Ce lien entre taureau /donateur/ et personnage royal est explicite dans un des rites d’élection du roi, le Tarbfes (« Festin du Taureau »). Ainsi que nous le décrit The Destruction of Da Derga’s Hostel, elle se déroule de la façon suivante:
– » The men of Eriu then assembled at the bull feast: a bull was killed, and one man ate his fill and drank its broth and slept, and an incantation of truth was chanted over him. Whoever this man saw in his sleep became king; if the man lied about what he saw in his sleep he would die (…) The bull-feaster had in his sleep seen a naked man coming along the road to Temuir at daybreak, and bearing a stone in his sling. » L’absorption de viande et de bouillon de taureau ne confère pas la voyance toute seule, puisque le /pouvoir-faire/ se partage entre le sacrifice, l’incantation et la qualité de « voyant » (trait caractéristique de la classe sacerdotale). Mais cela contribue à resserrer le parallèle entre « taureau » et « roi ». Par ailleurs, le mot « tarbh » est parfois employé dans des métaphores royales. Ainsi un roi victorieux et puissant est-il désigné sous le terme de « taureau de combat »

Cheval et figures du « parcours » en milieu /aquatique/

   Le cheval, nous l’avons vu, est le sujet opérateur d’un PN/parcours/, parfois lié à un PN/dressage/. Ce « trajet » est double: pendant le « dressage » le cheval parcourt l’espace d’une façon erratique, tout en passant en revue certains points de jonction entre le monde humain et le Sid, tandis qu’une fin le dressage accompli,il surmonte obstacles et difficultés de terrain au service de son maître. Dirigé, le cheval n’en demeure pas moins, thématiquement, un « guide », dont la « rapidité » et le « pouvoir-surmonter-les obstacles » sont un élément du /pouvoir-faire/ attribué au guerrier. De plus, son lien naturel avec l’eau en fait un véhicule idéal pour le héros enpartance, ou de retour de, vers l’Autre Monde, en quoi il est semblable au « bateau ». Ainsi: Oisìn, fils de Finn chef des Fianna, est entraîné par une belle femme du Sid, Niamh, à sa suite dans l’Autre Monde. Niamh lui apparaît de la manière suivante:
– » And it was not long till they saw coming towards them from the west a beautiful young woman, riding on a very fine slender white horse. A queen’s crown she had on her head, and a dark cloak of silk down to the ground having stars of red gold on it (…) And in her hand she was holding a bridle having a golden bit, and there was a saddle worked with red gold under her. And as to the horse, he had a wide smooth cloak over him, and a silver crown on the back of his head, and he was shod with shining gold ». Lorqu’Oisìn, subjugué, accepte de la suivre, il monte en croupe:
– » And with that he kissed Finn his father and bade him farewell, and the rest of the Fianna, and he went up then on the horse with Niamh. And the horse set out gladly, and when he came to the strand he shook himself and he neighed three times, and then he made for the sea. And when Finn and the Fianna saw Oisìn facing the wide sea, they gave three great sorrowful shouts. And as to Finn, he said: »It is may grief to see you going from me, and I am without a hope…ever to see you coming back to me again ».86
Ces deux passages méritent quelques éclaircissements:
– Le cheval surnaturel traversant les flots se différencie de ceux de Cù Chulainn car il n’est pas l’objet d’un /don/ émanant du monde surnaturel, il accompagne simplement la belle « messagère ». Son harnachement est égal en somptuosité au vêtement de la jeune fille, indiquant que la monture rehausse le prestige de la cavalière.
– Les attributs du cheval, « blancheur » et « luminosité », n’ont aucun rapport avec la configuration de la « guerre ». Cependant, le /lumineux/ est parfois associé au « triomphe », tant militaire que social, de son cavalier. Or Niamh est plusieurs fois qualifiée de « reine », et elle se dit fille d’un roi du Sid.
– Plus important pour notre propos, on peut observer un parallèle textuel entre les trois hennissements du cheval (semblables à ceux que pousse la jument de Faha appelant ses poulains) et les trois cris douloureux des Fianna voyant s »éloigner Oisìn. Le hennissement est manifestement un signal précédant le « trajet » vers le Sid, annonciateur d’un voyage qui est aussi un changement d’univers. Quant aux cris des Fianna, ils n’expriment pas seulement la tristesse, mais bien le deuil, que Finn évoque dans ses dernières paroles à son fils. Ces trois cris sont en tout point identiques à ceux que les guerriers poussent près de la tombe de l’un des leurs, fraîchement tué:
– » Then the company of the Fianna that were there gave three great heavy shouts, keening for Diarmuid »;
-« When (Grania’s) people heard of the death of Diarmuid they gave three great heavy cries in the same way, that were heard in the clouds and the waste places of the sky »;
-« And (Angus Og) and his people gave three great terrible cries on the body of Diarmuid »;
-« but when the full light came on the morrow, they knew them to be their own people…and they gave three great heavy cries, keening the friends they had killed in mistake »;
-« And all that was left of the Fianna gave three sorrowful cries after Osgar, for there was not one of the Fianna beyond him, unless it might be Finn or Oisìn ».
Ce qu’expriment ces trois cris, c’est la certitude des Fianna de ne jamais revoir Oisìn vivant, parce que le voyage vers l’Autre Monde, pour grande qu’y soit la félicité promise, n’en est pas moins un voyage à travers la mort. Le rôle que joue le cheval n’est donc pas accessoire. En effet, il transporte les guerriers élus vers un sort des plus heureux,et il est de ce fait un « psychopompe » traversant les flots de la mort. Il n’est pas gratuit qu’il joue un rôle identique à celui de la « barque », celui de protéger son passager de tout contact avec l’eau, ou, s’il s’agit d’un retour sur terre, avec le sol. Trois extraits nous en montrent la signification:
– Oisìn, marié à Niamh, est saisi de nostalgie pour l’Irlande et les siens, et demande à la jeune femme de la laisser partir un moment. Niamh lui donne les conseils suivants: « If you once get off the horse while you are away, or if you once put your foot to the ground, you will never come back again… you will be an old man, blind and withered, without liveliness, without mirth, without running, without leaping ».
-Dans un récit bien plus ancien, Connla, fils du roi Conn aux Cent Batailles, est attiré par une belle jeune femme, qui lui demande de le suivre dans l’Autre Monde, où le temps n’aura plus d’emprise sur lui, et où ils vivront à deux dans la félicité. Avant de s’éloigner une première fois dvant les incantations des druides, elle lui lance une pomme magique, dont il se nourrit pendant un mois, à la suite de quoi la femme revient: « C’est sur un siège élévé que Condle est assis, entre la mort à brève écheance et l’attente d’un trépas effrayant. Les vivants, ceux de la vie éternelle, t’invitnet et t’attendent parmi les hommes de Tethra(…) C’est pour cette raison que tu as un désir plus grand de t’éloigner d’eux sur les vagues pour que nous allions sur une barque de verre et que nous atteignions le Sid de Boadach (…) Quand la femme eut fini de parler Condle sauta loin d’eux et ils furent dans la barque de verre, dans le coracle de cristal pur. Ils les virent de plus en plus loin, aussi loin que l’oeil pouvait suivre. Ils s’éloignèrent alors sur la mer. On ne les a plus vu depuis ce moment-là et on ne sait pas où ils sont allés ».
– Bran, parti avec quelques compagnons vers le Sid, atteignent l’Autre Monde. Puis la nostalgie les saisissant, ils remontent en barque vers l’Irlande:
« Ils partirent néanmoins et la femme leur dit qu’aucun d’entre eux ne devait toucher terre (…) Ils partirent alors et arrivèrent à l’assemblée du ruisseau de Bran. On leur demanda qui était venu sur mer. Il dit: »Je suis Bran, fils de Febal ». »Nous n’avons pas connaissance de lui », dit l’autre, « c’est dans nos anciennes annales qu’il y a la navigation de Bran ». (Un de ses compagnons) Nechtan sauta de sa barque. A peine eut-il touché la terre d’Irlande qu’il tomba en cendres comme s’il avit été en terre pendant de nombreuses centaines d’années. Bran chante alors ce couplet: Le fils de Collbran a eu la grande folie de lever la main contre l’âge. Il a été jeté un flot d’eau claire sur Nechtan, sur le fils de Collbran. Bran fit part ensuite à l’assemblée de toutes ses aventures depuis le début jusqu’à ce moment-là et il écrivit ces couplets en ogam. Ensuite il leur dit adieu et on ne sait où il est allé à partir de ce moment-là ». De ces divers extraits, nous relevons que cheval et bateau ont en commun d’être des /contenants/ « protecteurs » tant du cavalier que du navigateur. Tant que ces derniers demeurent dans la barque, ou sur le cheval, aucun des effets de décalage temporel qui surviennent lorsqu’ils reviennent dans notre univers soumis au temps, rien ne peut leur arriver, les effets de ce décalage ne peuvent se faire sentir. Ceci est un trait commun à tous les animaux surnaturels, car prendre la forme animale revient à retourner à un état primordial, hors des contingences humaines. Le passage vers l’/éternité/ que symbolise le Sid est représenté par le passage à travers le monde /aquatique/, frontière normale entre les deux univers. Le deuxième passage est d’ailleurs éloquent. La jeune fille évoque la situation humaine de Connle en le montrant prisonnier d’un choix terrible: soit il refuse de la suivre et le « trépas effrayant », lot de tous les hommes, l’attendra au terme de sa vie terrestre, soit il accepte un autre « trépas » qui est de la suivre, et après cette mort il renaîtra aux plaisirs éternels du Sid. Il s’opère un renversement de valeurs dans le texte, puisque, selon les termes de la messagère, ce sont les hommes qui sont, dans leur finitude, « morts ». Elle les oppose aux êtres surnaturels qu’elle qualifie de « vivants ». Mais l’obtention de cette félicité passe par la mort terrestre, ce qui explique le combat que livre le roi Conn pour l’arracher à sa langueur, qui montre l’emprise qu’a la femme sur Connle, et les cris de deuil que poussent les Fianna lors du départ d’Oisìn.  Si la femme se confond avec la mort, le cheval-vaisseau est l' »auxiliaire », le transport par lequel la frontière /aquatique/ des deux univers est franchie. C’est un animal psychopompe, dont le folklore conserve quelques traits, sous forme de superstitions:
-« … much lore represents horses as being very close to the otherworld. They can, for instance, see ghosts which remain unseen to the human eye, and many accounts tell of a horse stopping at a particular place and not moving despite the efforts of its rider or driver.If one looks forward between the two ears of the horse, it is claimed that the spirit or shade which has caused it to halt can be seen »;
-« When a horse that had been sold for some time returned to his old owner’s home, this was taken as a herald of death. One should never remove a horse’s shoe when he was dead. He still had journeys to go ».La problématique de ce type de récit, et la tension qu’ils expriment, est superbement résumée par Fr. Le Roux et Ch.J. Guyonvarc’h en ces termes:
-« La mort n’était pas, pour les Celtes, la délivrance d’une vie de souffrances ou la punition d’une multitude de mauvaises actions. C’était, pour reprendre l’expression de Lucain, le milieu d’une longue vie. Le thème le plus élégant, l’un des plus attachants – l’un des plus mystérieux aussi – de la littérature mythologique insulaire est celui des déesses, ou plus simplement des femmes, que l’on envoie ou qui viennent chercher et entraîner dans leur éternelle félicité les mortels à qui elles ont donné leur amour (…) En outre… le thème est tragique car ce véritable ange de la mort qu’est la femme de l’Autre Monde emmène chaque fois le vivant dans un pays d’où, normalement, on ne revient jamais ».Les Druides, opus cit., p. 284 Cet aspect du cheval est clairement montré dans des textes mythologiques, puique les chevaux de Cù Chulainn, notamment le Gris de Macha, savent que leur maître part pour son dernier combat et évitent de se faire atteler au char. Néanmoins, le folklore a inversé les rôles entre le cheval et l’homme sur lequel la femme du Sid a jeté son dévolu. Ce dernier est le seul à pouvoir voir la femme, comme nous l’apprend le texte d’Echtrae Condle, tandis que, dans le conte populaire, seul le cheval possède cette compétence, ce qui ne détruit pas le lien du cheval au monde surnaturel. Ce lien est d’ailleurs si fort qu’un récit comme Teig O’Kane and the Corpse emprunte certains traits inhérents au cheval psychopompe. Teig, jeune noceur, se trouve pris par la nuit de retour d’une beuverie. Une troupe de lutins l’encercle, et le force à prendre un cadavre sur son dos et à aller l’enterrer dans un cimetière parmi un liste de quatre, mission qu’il doit impérativement accomplir avant le lever du jour. Au début, Teig est plus que réticent, et les lutins lui mettent d’autorité le corps sur les épaules, dans une séance semblable à un « dressage » de cheval:
– » He rose, foaming at the mouth and cursing, and he shook himself, thinking to throw the corpse off his back (…) He could not throw it off, any more than a horse can throw off its saddle (…) When the grey little man had done speaking, his comrades laughed and clapped their hands together. »Glic! Glic! Hwee! Hwee! » they all cried, »go on, go on, you have eight hours before you till daybreak, and if you haven’t this man buried before the sun rises, you’re lost ». Le cheval /aquatique/ sert donc de lien, de « transport », entre le monde humain et le Sid, dans la mesure où les récits lui attribuent un rôle thématique de « psychopompe ». Le cheval peut ainsi relier figurativement l’/aquatique/ et la /mort/, relation arc-boutée sur le PN/trajet/. Mais le cheval a cette capacité ambigüe de passer d’un état /sauvage/ au statut /domestique/, et que ce passage est représenté en surface par deux procédés: le « trajet » effréné du « dressage », course à travers l’espace terrestre /connu/, épreuve qualifiante pour le guerrier qui prouve ainsi sa valeur, et une sorte de « neutralisation », méthode dans laquelle interviennent des éléments naturels antithétiques de l’/aquatique/.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
Ière Partie : Le BESTIAIRE 
INTRODUCTION
CHAPITRE UN : LE BETAIL
Introduction
A/ fonction narrative
1. PN/don/ et/échange
2. PN/métamorphose/et « royauté »
B/ Analyse paradigmatique : le « bovin » et » l’aquatique. »
1. Couleur
2. Aspect guerrier
3. le /royal/
4. le /plroductif/
5. l’/aquatique/
CHAPITRE DEUX : LE PORC CELTIQUE
A/ composante narrative
1. PN /engraissement/
a- nourriture de l’engraissement
a-1/ l’/animal/
a-2/ le /végétal/
b- durée de l’engraissement
2. Mise à mort et préparation
a- Mise à mort
b- préparation culinaire
c- consommation du porc et ambivalence du festin
B/ Analyse paradigmatique
CHAPITRE TROIS : LE CHEVAL ET LE LAPIN 
A/ Analyse narrative
1. PN /combat/
2. PN /parcours/
3. PN/métamorphose/
B/ Analyse paradigmatique
1. les couleurs : le /rouge/
2. le /Gris/ et le /Noir/
3. le cheval et le /lumineux/
a- /igné/+/destructeur/ : le feu « chthonien »
4. Le cheval et l’/aquatique/
a- naissance du « cheval »
b- figures du « parcours » en milieu « aquatiqueé
c- la neutralisation du cheval /aquatique/
C/ Une dérivation folklorique du cheval : le Lapin
1. Analyse narrative
2. Analyse paradigmatique
CHAPITRE QUATRE : LE CHIEN & LA PROBLEMATIQUE DE LA FRONTIERE 
A/ Analyse de la fonction narrative
B/ Analyse paradigmatique
1. Le /Lumineux/=/chatoyant/+/igné/
2. Isolement du chien : à la frontière de deux univers
a- Isolement, individualité
b- Le chien et la « frontière »
b-1/ Nature de la frontière : la délimitation
b-2/ fonction discriminatrice du chien
* ressources sensorielles
* l’utilisation des éléments
* position dans l’espace
* parcours concentrique dans l’espace
CHAPITRE CINQ : LE BESTIAIRE SAUVAGE
Remarques préalables
1. Nature de l’Autre Monde
2. Justification du corpus d’animaux
I – LE CERF
A/ fonction narrative
1. le PN/chasse/ vs PN /poursuite/
2. Le PN/métamorphose/
a- rapidité
b- poursuite
c- disparition
B/ Quelques traits figuratifs inhérents au Cerf
1. le code esthétique
2. figures du /terrestre/
a- /Espace/ connu/+/continu/
b- le /plat/ vs le /souterrain/
II – LE SANGLIER
A/ fonction narrative
1. PN/métamorphose/
2. PN /rencontre/
3. PN /attaque/ et configuration de la « guerre »
III – LE LIEVRE
A/ Composante narrative : Introduction
1. PN /métamorphose/
2. PN /vol/
3. PN /poursuite/
B/ Analyse figurative paradigmatique
IV – SYNTHESE GENERALE DU BESTIAIRE SAUVAGE
CHAPITRE SIX : L’OISEAU SURNATUREL
A/ Au niveau narratif
1. L’oiseau et la métamorphose
2. Rôle narratif
a- l’oiseau « Naturel »
b- l’oiseau « Surnaturel »
b-1. le « guide »
b-2. Le « messager »
B/ Au niveau figuratif
1. L’univers de l’oiseau : l’/aquatique/
2. traits caractéristiques de l’oiseau
a/ le /mélodieux/
b/ l’enluminure
b-1/ le /paraître/: /lumineux/+/beau/
b-2/ du /lumineux/ au /destructeur/
c/ figures du /vol/
c-1/ le vol « horizontal »
c-2/ le « vol » et la « direction »
2ème PARTIE : LES « CONTENUS » HUMAINS
CHAPITRE SEPT : LA FEMME DU SID
A/ Introduction : Evolution de la notion dans le vocabulaire irlandais
B/ Rôle narratif de la femme du Sid
1. PN /métamorphose/ interne
2. PN /don/ du /pouvoir-faire/ magique et /don/du savoir
3. PN /vol/ et PN /échange/
a- /vol/
b- /échange/
c- /agression/
c1/ la femme sujet opérateur d’un PN /affronter/
c2/ La magie comme /pouvoir-faire/
c3/ La magicienne,destinatrice d’un PN /affronter/
C/ Analyse figurative
1. figures féminines de la « conjonction »
2. figures féminines de la « disjonction »
a- savoir surnaturel et configuration du « filage »
b- femme, fil magique et « vieillissement » l’agression surnaturelle
b1/ la femme, destinatrice d’un PN /partir/
b2/ L’eau et le « vieillissement »
c/- une figure folklorique de la /disjonction/ et du /savoir surnaturel/ : la Banshee
D/ Conclusion
CHAPITRE HUIT : LE GUERRIER ET LE RUSTAUD
Introduction
A/ Dimension narrative : le PN/combattre/
1. Conception de la guerre et rôle du « champion »
2. PN /combattre/
a- relation entre le « guerrier » et le « juge »
b- opposition entre « guerrier » et « rustaud »
b1/ le défi
b2/ l’affrontement
B/ Analyse paradigmatique des traits du Guerrier et du Rustaud
1. le /paraître/
a- la « taille »
b- /beau/ vs /laid/
c- configuration des « vêtements »
d- Equipement : éléments du /p.f./ du Guerrier et du Rustaud
e- les « métamorphoses »
e1/ le Guerrier
e2/ le Rustaud
C/ Synthèse
3ème PARTIE : FIGURES DU TEMPS ET DE L’ESPACE
CHAPITRE NEUF : LE TEMPS
Introduction
A/ Analyse narrative
1. le temps atmosphérique
a- les éléments
b- PN/guerrier vs PN/fécondation/
c- le cycle des 4 saisons
2. le temps chronologique
a- le manipulateur et le temps
b- Effets de l’a-temporalité sur le sujet d’état
b1/ la suspension du temps
b2/ l’accélération du temps
3. Le temps et la transmission du « savoir » la Prophétie
4. Conclusion
B/ Analyse figurative paradigmatique
1. le temps atmosphérique : l’abondance et la configuration du festin
a- le pôle /estival/ et /abondant/
b- le pôle /hivernal/ et /disette/
b1/ « boeuf » et « porc » vs le « cheval »
2. Sid et temps chronologique : figures du « chaudron » et de la « massue »
a- Chaudron, cheval et barque
b- l’eau
c- barque vs cheval
d- barque vs chaudron
e- la massue du Dagda
e1/ l’arme : massue, lance, hache
e2/ le bois : massue et baguette
e3/ baguette et coudrier (« coll »)
CHAPITRE DIX : L’ESPACE
A/ Fonctions narratives
1. PN /trajet/
a- l’invitation
b- la contrainte
c- divers aspects du /p.f./: le don d’objets magiques [ ou d’animaux servant au « trajet »- ]
c1/ contexte du /don/
c2/ le contenu du /don/
d- L’espace parcouru: la frontière
d1/ l’eau comme « pouvoir-atteindre le Sid
d2/ l’/aquatique/ comme contenant du Sid
d3/ le parcours /terrestre/: un /p.f./ aux propriétés [différentes]
2. PN /métamorphose/
a- phase de « mise en présence »
b- transformation, dilatation
B/ Analyse figurative paradigmatique
1. remarques préliminaires
2. le voyage /terrestre/: localisation du monde surnaturel
3. le point de jonction : le « tertre »
4. L’île et la traversée de la mer
a- localisation
b- traversée des flots
c- l’île
c1/ proximité
c2/ centre
c3/ nombre
5. figures contradictoires du Sid
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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