Les feux en Abitibi, de la colonisation à aujourd’hui

Cadre régional

   Le secteur d’étude choisi comprend la majeure partie du canton d’Hébécourt (12 500 ha), localisé à quelques kilomètres au sud du lac Abitibi,dans la région du Sud-Ouest de l’Abitibi (fig. 1). Deux grandes zones physiographiques caractérisent cette région, soit la vaste plaine abitibienne vers le nord et une deuxième zone au relief plus accidenté vers le sud, traversée par la ligne de partage des eaux entre le bassin du Saint-Laurent et celui de la baie James (fig. 2). La première zone a été largement façonnée par l’action du lac preglaciaire Ojibway. Selon Richard (1980), la déglaciation a eu lieu il y a 9000 ans et le lac Ojibway a ensuite recouvert la région pendant un millénaire. Par un processus de triage et de décantation des matériaux fins, cette phase lacustre a permis la formation du «clay belt», cette immense nappe d’argile qui recouvre l’Abitibi et un vaste secteur de l’Ontario vers l’ouest. Atteignant 300 mètres d’altitude autour de La Sarre, la plaine abitibienne s’incline doucement jusqu’à la baie James, où elle vient se confondre avec les basses terres de la baie d’Hudson. Avec son relief plus accidenté, la deuxième zone constitue une sorte de frontière géographique entre la plaine abitibienne et le Nord du Témiscamingue. Ainsi, malgré la présence de secteurs aplanis recouverts d’argile lacustre, les cantons adjacents au tracé de la ligne de partage des eaux sont caractérisés par l’abondance de collines rocheuses dont l’altitude atteint parfois 450 mètres (fig. 2).

Le climat

   Le climat régional est du type continental avec des températures froides (moyenne annuelle de 0,6 C à La Sarre) et un total de précipitations annuelles peu élevé, soit 800 à 900 mm. Cependant, ces dernières surviennent principalement au cours de la période estivale, laquelle se présente donc comme une saison plutôt humide (Bergeron et al. 1983). Le climat des régions nordiques est d’ailleurs caractérisé par des hivers secs etdes étés humides ne favorisant pas l’occurrence de feux au cours d’années normales. Au contraire, les conditions sèches des régions méridionales en été, couplées à une plus grande fréquence d’orages électriques augmentent les risques d’allumage (Heinselman 1981). Néanmoins, l’occurrence de feux allumés par la foudre est documentée dans la région par les statistiques provenant de la Société de conservation du Nord-Ouest au cours des dix dernières années (Société de conservation du Nord-Ouest, données non publiées). L’importance relative de la foudre en tant que source d’allumage pour les feux sera abordée plus en détail dans la section portant sur l’historique de la colonisation en Abitibi.

L’ouverture de la région à la colonisation

   Avant 1908, l’Abitibi est une région pratiquement exempte de toute occupation permanente d’origine européenne. Les seules voies de pénétration possibles demeurent jusqu’alors les routes canotières parsemées de ·nombreux rapides en amont du lac Témiscamingue. La voie ferrée du «Temiskaming and northem Ontario railway» atteignit en 1903la région de Cobalt à quelques kilomètres à l’ouest du lac Témiscamingue où la découverte de minerai d’argent va attirer une nombreuse population de mineurs. Poussés par les perspectives de développement futur vers le Nord, les premiers prospecteurs, originaires pour la plupart de l’Ontario, vont atteindre l’Abitibi par voie canotière dès les premières années du vingtième siècle. L’ouverture de la voie du Transcontinental à partir de l’Ontario en 1910 va permettre l’accès des premiers cantons abitibiens à l’est de la frontière ontarienne. Les activités des prospecteurs vont s’intensifier au cours des années suivantes puis seront ralenties par le début de la guerre en 1914 (Jones 1948). La découverte de cuivre et d’or autour du lac Osisko dans le canton de Rouyn, en 1920, va déclencher un véritable déferlement de prospecteurs dans toute la région du Sud-Ouest abitibien, correspondant à la zone physiographique sillonnée par la ligne de partage des eaux. La «Noranda mines» complète la construction de sa grande fonderie en 1927, devenue depuis le symbole de la naissance de l’Abitibi minière.La construction du Transcontinental en 1910 marque également le début de la colonisation agricole et déjà, en 1913, l’Abitibi compte 329 habitants permanents dont 241 à Amos (Trudelle 1937). L’achèvement de la voie ferrée jusqu’à La Tuque est chose faite en novembre 1913 (Blanchard 1954). Dès lors, l’accès de l’Abitibi est rendu possible depuis Québec et les campagnes actives du clergé amènent un flot annuel de nouveaux colons à partir de 1914. En 1921, l’Abitibi présente une population de 13 172 personnes, occupant les cantons et localités agricoles adjacents au parcours de la voie ferrée.

Les feux en Abitibi, de la colonisation à aujourd’hui

historique général  Les débuts de la nouvelle colonie sont marqués par plusieurs feux de forêts, principalement le long de la voie du Transcontinental. Entre 1908 et 1912, la construction du chemin de fer et le défrichement des cantons adjacents entraînent l’allumage de feux si nombreux qu’ils ont menacé la sécurité des premiers villages agricoles (Piché 1942). En 1916, un incendie d’importance majeure provoque la mort de centaines de colons et de prospecteurs (Trudelle 1937). Le Nord de l’Ontario dans la région de Cochrane et une bonne partie de l’Abitibi autour du Transcontinental jusqu’à La Sarre sont alors la proie des flammes (Trudelle 1937; Piché 1942). A l’instar des premiers prospecteurs, les nouveaux colons considèrent souvent la forêt comme l’ennemie à abattre et le feu comme un puissant allié pour le défrichement. Caron (1919) exprime ainsi les effets bénéfiques du feu: Le feu de l’an dernier a si bien brûlé les débris laissés par l’ancien, que ces terres nous donnaient l’illusion de fermes ouvertes à la colonisation depuis 15 à 20 ans, et le défricheur, habitué à suer et à s’échiner dans les abattis de bois verts, s’extasierait certainement en face de ces terres, auxquelles il ne manque que la semence pour les faire produire. Cette perception positive de l’effet des feux rend probable le brûlage délibéré dans certains lots de colonisation ou de prospection, malgré l’interdiction des autorités. De plus, les colons effectuaient couramment le brûlage des déchets de coupe sur les lots de colonisation et le problème des feux d’abattis est soulevé dans les premiers rapports disponibles du ministère des Terres et Forêts du Québec pour les années 1918-1919. On mentionne alors la nécessité de contrôler cette pratique en obligeant les colons à se munir d’un permis de brûler, lequel pourra être émis lorsque les conditions météorologiques le permettront. Malgré ces mesures, l’Abitibi agricole du début a été sévèrement menacée par la perte de contrôle des feux d’abattis,notamment au cours des années 1920 et 1921. Le journal «L’Abitibi» d’Amos rapporte alors le problème à maintes occasions. Ainsi, le 24 juin 1920, dans une rubrique parue en première page, sous le titre «Les feux d’abattis», le journal expose les faits suivants: Le coup de vent de dimanche dernier a donné une violente impulsion aux feux d’abattis que la sécheresse de la quinzaine précédente maintenait à l’état latent un peu partout dans la région [ … ] Le feu s’est montré menaçant pour plusieurs villages. L’année 1921 sera également marquée par un début d’été sec propice aux incendies et «L’Abitibi» du 30 juin doit encore une fois constater «la puissance destructrice des incendies»: il y a eu du feu dans tous les cantons, la sécheresse ayant fait durer les feux d’abattis et ceux qui naissent le long du chemin de fer jusqu’à ce que des journées venteuses vinssent disperser l’élément destructeur dans toutes les directions. Deux ans plus tard, en 1923, les feux reprennent encore l’actualité en Abitibi, localisés cette fois plus au sud, dans les cantons miniers de la région de Rouyn. C’est ainsi que l’hebdomadaire d’Amos, rebaptisé «La Gazette du Nord» fait le bilan des feux de forêt, dans son édition du 28 juin 1923: Nous constatons avec plaisir que les dommages ne sont pas considérables dans les cantons colonisés [ … ] Le feu a causé des dommages considérables dans le voisinage des territoires miniers entre Rouyn et le Témiscamingue. Et le 2 août suivant, le journal précise un peu plus la localisation des incendies: Les feux allumés dans la région fréquentée par les prospecteurs ont fait des ravages dans une demi-douzaine de cantons, dans Rouyn, Joannès, Bousquet et Cadillac, entre autres. La période de 1920 à 1923 a été particulièrement marquante au chapitre des feux de forêts en Abitibi. Selon Piché (1942), « les incendies furent si considérables qu’on a craint pour l’existence même de la colonie». Ce fait est d’ailleurs confirmé par les rapports annuels du Service de protection contre les incendies (ministère des Terres et Forêts du Québec) et l’édition de 1925 doit lancer l’avertissement suivant: A l’heure actuelle, certaines parties de notre province sont plus exposées que d’autres aux incendies forestiers, par exemple les districts miniers du Témiscamingue et de l’Abitibi. C’est à Rouyn que se trouve le point central du danger [ … ] Notre propagande, nos avertissements n’ont pas pu détruire encore l’impression générale qui règne en ces lieux et qui se traduit entoute occasion par cette phrase: «il faut que cela brûle». Que ce soit dans le but de mettre un «placer» à découvert ou dans celui «de faire de la terre», aura-t-on toujours la patience de se servir d’un outil lent, alors que le feu reste un moyen expéditif bien que dangereux? Après la période 1920-1923, l’Abitibi semble avoir été relativement préservée d’incendies forestiers d’une ampleur exceptionnelle. Le problème des feux n’en demeure pas moins un sujet d’actualité, surtout au cours de la crise des années trente alors qu’on accusa les chômeurs d’allumer de nombreux incendies pour arriver à se procurer du travail dans la lutte contre l’élément destructeur («La Gazette du Nord», 24 juin 1932). On soupçonna également les compagnies de tirer un plus grand profit à exploiter les forêts brûlées dont les droits de coupe étaient diminués de 60% (Perron 1989). Le feu cause également des pertes de bois considérables en 1941 et en 1944 alors que des printemps exceptionnellement secs favorisent le déclenchement de feux au début de l’été. Depuis lors, aucun feu d’importance majeure n’a touché l’Abitibi, en partie à cause du contrôle effectif des feux à partir de 1950 (communication personnelle, Société de conservation du Nord-Ouest.
les sources d’allumage des feux
les causes d’origine humaine Les nombreuses références qui précèdent attestent l’importance des activités humaines pour l’allumage des feux au début de la colonisation en Abitibi. Les statistiques du Service de protection contre les incendies (rapports annuels, Service de protection contre les incendies, ministère des Terres et Forêts, Québec) pour les années 1922, 1923, 1924 et 1925 confirment d’ailleurs l’abondance des sources d’allumage anthropiques à l’échelle de la province au cours de cette période (tableau I). La négligence des prospecteurs, des voyageurs et des ouvriers forestiers et même les étincelles provenant des locomotives ont été à l’origine d’un nombre considérable d’incendies.Par conséquent, il est probable que certains secteurs ont subi une augmentation substantielle de la fréquence des feux, la présence continuelle des sources d’allumage humaines favorisant le déclenchement des feux à la moindre période de sécheresse. De plus, il est possible que l’inflammabilité du paysage forestier a été accrue par les nombreuses ouvertures où s’entassaient les déchets de coupe ou d’abattis. Plusieurs auteurs partagent en effet cette opinion selon laquelle les sites perturbés sont habituellement plus inflammables (Kourtz 1967; Heinselman 1981; Taylor 1971). L’apparition de feux plus fréquents au cours du mois de mai a pu être une autre conséquence importante des activités humaines au début de la colonisation abitibienne. En effet, alors que les feux naturels causés par la foudre surviennent surtout au cours des mois de juin, juillet, août et septembre (tableau II), les feux d’origine humaine, notamment les feux d’abattis, surviennent souvent en mai. L’Abitibi est alors une des régions les plus touchées par le problème des incendies causés par les feux d’abattis dans les lots de colonisation et les fonctionnaires du ministère le mentionnent d’ailleurs dès 1918 (rapport annuel du ministère des Terres et Forêts, Québec, 1918). Le problème ressurgit d’ailleurs de façon encore plus marquée dans les années 1930 alors que le gouvernement lance un mouvement de retour à la terre qui amène en Abitibi un bon nombre de citadins qui sont plus ou moins au fait des dangers que leur travail de défrichement peut faire courir à la forêt (rapport annuel, Service de protection contre les incendies, ministère des Terres et Forêts, Québec, 1931).
la foudre Les données qui apparaissent au tableau I semblent indiquer que la foudre a été à l’origine d’une proportion assez faible des feux répertoriés au Québec au début des années 1920 (moins de 10% en 1922, 1923 et 1924). Cependant, on observe un pourcentage plus élevé pour les feux dont l’origine est restée inconnue (41,3% en 1922; 22,6% en 1923; 19,0% en 1924 et 20,1% en 1925). L’auteur du rapport de l’année 1925 (ministère des Terres et Forêts,Québec, 1925, rapport annuel, Service de protection contre les incendies) signale que la plupart de ces feux sont survenus dans des endroits reculés et inaccessibles et qu’ils doivent être en majorité imputés à la foudre. De plus, le répertoire des superficies de feux se limite dans les années 1920 aux secteurs normalement accessibles. Aucun relevé aérien n’était encore effectué, du moins pour les secteurs éloignés des régions habitées et l’emploi des «hydro-avions» pour la détection des feux a débuté en 1918 seulement, principalement dans la région du Saguenay-Lac Saint-Jean (mi,nistère des Terres et Forêts, Québec, rapport annuel1918). Par conséquent, il est probable que les secteurs reculés de l’Abitibi n’ont pas été inclus dans la compilation des feux survenus au Québec au début des années 1920. La possibilité de feux majeurs allumés par la foudre dans ces secteurs reculés est attestée par les statistiques actuelles sur l’allumage des incendies dans les régions éloignées de la grande pessière boréale. En effet, dans la grande zone à protection restreinte s’étendant entre le Sie et le 53e parallèle, la foudre a été responsable de 87,4% des superficies incendiées au Québec au cours des années 1972 à 1985. Dans la région immédiatement au nord de l’Abitibi, malgré les travaux entrepris à la baie James dans les années 1970, les foyers d’incendie allumés par la foudre ont dévasté 83,2% des superficies de feux répertoriées au cours de la même période (ministère de l’Énergie et des Ressources, Québec, 1972-1985, Service de protection contre les incendies, données non publiées).

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Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIERES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
SECTEUR A L’ÉTUDE
1. Aspects physiques
1.1. cadre régional
1.2 cadre local
2. Le climat
3. La végétation forestière
3.1. description générale
3.2. historique post-glaciaire
3.3. les premières descriptions documentées
3.4. l’impact des Amérindiens
4. L’ouverture de la région à la colonisation
5. Les feux en Abitibi, de la colonisation à aujourd’hui
5.1. historique général
5.2. les sources-d’allumage des feux
6. L’exploitation forestière
6.1. historique régional
6.2 le canton d’Hébécourt
MÉTHODOLOGIE
1. La détermination de l’âge des forêts
1.1. le mode d’échantillonnage
1.2. la lecture des anneaux de croissance
2. Les cicatrices de feux 
2.1. aspects théoriques
2.2 l’échantillonnage
2.3 les analyses dendrochronologiques
3. Les superficies des feux
4. Les paramètres du régime de feux
4.1. la fréquence des feux
4.2 le cycle des feux
RÉSULTATS 
1. Années de feux répertoriées 
2. La cartographie des feux
3. Le recrutement après-feu 
4. Les superficies incendiées
4.1. les feux de grande superficie
4.2. les feux de moindre superficie
5. Le cycle des feux 
DISCUSSION
1. Le déclenchement des feux
2. Le patron de recouvrement des feux
3. L’intensité des feux 
4. Les paramètres du régime de feux
5. Pourquoi les feux ont-ils été plus nombreux dans le secteur est ?
6. Aspects méthodologiques
BIBLIOGRAPIITE
ANNEXE A. Les années de feu répertoriées dans la région du Sud-Ouest de l’Abitibi au début du siècle
ANNEXE B. Localisation des sites d’échantillonnage et naissance estimée de chacun des individus sondés

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