Les feux de forêt : une problématique grandissante
Cependant, il semble qu’au-delà de certaines conditions environnementales, la caractérisation traditionnelle des incendies et de leur comportement ne soit plus pertinente et qu’une nouvelle stratégie doit s’imposer. Dans plusieurs régions du monde, en effet, les feux de forêts deviennent de plus en plus fréquents et violents (San-Miguel-Ayanz et al. 2013; Sharples et al. 2016). Cette évolution est le résultat du changement global, c’est-à-dire à la fois du réchauffement climatique accompagné d’épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et sévères (Goldammer and Furyaev 1996; Moritz et al. 2012), et du recul de pratiques ancestrales d’aménagement rural du territoire et de gestion forestière qui favorisent l’accumulation des combustibles et leur connectivité paysagère (Moreira et al. 2011; Gammage 2012).
Aussi, les incendies affectent des territoires où les enjeux humains sont nombreux (Bowman et al. 2017), notamment en raison des infrastructures et des interfaces forêts-habitats qui se sont multipliées. C’est le cas en particulier en Europe méditerranéenne, dans les états de l’ouest des Etats-Unis ou encore sur le littoral australien. Dans ces régions du monde, l’incendie est considéré comme un risque auquel il faut faire face avec l’objectif impérieux de protéger les populations. Les politiques publiques y consacrent une large part des moyens aux services incendie, chargés de lutter contre les feux.
La stratégie de lutte en France
En France, la zone méditerranéenne est la plus sensible aux incendies, avec près de 1700 départs de feux par an et 8200 ha brulés par an en moyenne (www.Promethee.com, statistiques 2013- 2017). Les moyens s’y articulent autour d’une stratégie qui a été élaborée dans les années 1990, suite à plusieurs grands incendies (Battesti 1997). Elle repose sur une méthode fine de prédiction du risque météorologique quotidien, sur la sensibilisation du public et sur des restrictions d’accès aux massifs les jours les plus à risque. Mais avant tout, la pièce majeure du dispositif est l’attaque rapide et massive des feux naissants (Direction de la Sécurité Civile 1994) : détection précoce des éclosions, pré-mobilisation des moyens terrestres et aériens et concentration de ces moyens dans les premières minutes.
Mon parcours professionnel m’a permis d’appréhender les impératifs et les mécanismes qui guident l’organisation de la lutte. Ainsi, fortement influencée par « l’attaque des feux naissants », la stratégie française est guidée par l’idée de déployer des moyens terrestres et aériens sur toute la périphérie du feu, quelque en soit la virulence (Direction de la Sécurité Civile 1994). De cette stratégie découle la structuration de plusieurs activités pour les sapeurspompiers, à savoir la prévention, la formation, l’anticipation et enfin l’organisation opérationnelle (Figure 2). Bien en amont de la lutte, la ‘prévention’ consiste notamment à aménager les massifs par la création et l’entretien de pistes et de points d’eau pour permettre aux camions de lutte de circonscrire les incendies (Département de l’Aude 2008). Aujourd’hui, on entretient les pistes existantes, par le débroussaillement notamment, plus qu’on en crée (Réseau Coupures de combustible 2009), et les priorités d’entretien se portent sur les pistes où les pompiers sont supposés pouvoir faire face au panneau radiant de l’incendie (Bisgambiglia et al. 2017). Concernant la formation, l’apprentissage des pompiers pour faire face aux feux de forêt est découpé en cinq niveaux, en fonction du niveau de responsabilité (Direction de la Sécurité Civile 2009). Effectuées sur le terrain ou en réalité virtuelle, ces formations visent toutes à acquérir une méthodologie et à développer des automatismes dans l’emploi des outils de lutte, qu’ils soient terrestres (camions et équipages) ou aériens (avions et hélicoptères). Compte-tenu de la place occupée dans ces formations par l’acquisition de la méthodologie, la découverte et la compréhension du comportement du feu n’y occupent, au final et peut-être contre toute logique, qu’une part minime.
L’anticipation, quant à elle, consiste à préparer les moyens de lutte à l’approche d’une période à risque. Les services d’incendie s’appuient dans le sud de la France sur l’Indice Forêt Météo, un indicateur originellement développé au Canada (Van Wagner 1987), qui a été adapté au contexte français et qui est actualisé chaque jour par Météo France pour prédire le risque d’ignition et une vitesse moyenne de propagation dans chacune des 119 zones, 668 km2 en moyenne, préalablement identifiées comme homogènes en terme d’influence météorologique (Météo France, Ordre de service feu de forêt 2016, non publié). Selon le niveau de risque ainsi défini, des pompiers sont mobilisés en renfort dans les casernes ou déployés dans les massifs. Des avions sont également placés en préalerte ou mis en vol pour des « guets aériens armés » (Etat-major interministériel de zone sud, Ordre zonal d’opérations feu de forêt 2017, non publié).
Enfin, l’organisation opérationnelle vise à déployer sur le terrain les moyens de lutte lorsqu’un feu est déclaré. Le déploiement obéit à une structure très hiérarchisée dans laquelle toutes les décisions sont prises par le commandant des opérations de secours, au sommet de la chaîne de commandement, en fonction des nombreuses informations qui émanent du terrain (Schaller 2004). Plusieurs éléments entravent la bonne application du processus décisionnel : nombre d’intermédiaires dans la chaîne (Figure 3), difficultés techniques de communication, latence liée à la mobilisation de groupes indissociables de véhicules pompe lourds transportant du personnel, du matériel et de l’eau. Compte tenu du processus décisionnel centralisé et de ces entraves, les personnels sur le terrain n’ont pas la flexibilité nécessaire pour réagir aux évolutions rapides des incendies qui ont échappé à l’attaque initiale et pris de l’importance, notamment lorsque ces feux développent des comportements dangereux.
La stratégie française d’attaque des feux naissants, telle qu’elle est déclinée à travers les différentes activités des sapeurs-pompiers, s’intéresse peu au comportement du feu et ne prévoit pas de modulation pour les grands incendies qui ont échappé à l’attaque initiale. Cette stratégie a certes conduit à une nette diminution des surfaces annuelles brulées (Turco et al. 2016) ; cependant, en France comme ailleurs, certains feux, particulièrement dévastateurs, continuent à parcourir le paysage (Curt and Frejaville 2017) et, régulièrement, des pompiers sont piégés (Chevrou 2005). Plusieurs sépultures sont érigées pour le rappeler dans les collines provençales où j’exerce ma profession et certains de mes collègues ont vécu des expériences tragiques (Maggiani and Maggiani 2012).
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Table des matières
Introduction
Les feux de forêt : une problématique grandissante
La stratégie de lutte en France
D’autres approches dans le monde
Caractérisation des conditions et comportements des feux dangereux en France
Les feux qui piègent les pompiers à travers le monde
Vocation opérationnelle du doctorat
Chapitre I: marqueurs des feux dangereux en France méditerranéenne
Résumé
What are the drivers of dangerous fires in Mediterranean France?
Abstract
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
Conclusion
Acknowledgements
Chapitre II: contribution de la météorologie et de la topographie dans les accidents de pompiers en Australie
Résumé
How do weather and terrain contribute to firefighter entrapments in Australia?
Abstract
Introduction
Method
Results
Discussion
Conclusion
Acknowledgements
Chapitre III: Comportements du feu dynamiques et accidents
Résumé
Dynamic fire behaviour conditions in firefighter entrapments
Abstract
Introduction
Data and methods
Results
Discussion
Conclusion
Acknowledgements
Discussion
Etudier et classer les feux : un défi relevé
Variabilité intercontinentale
Des comportements du feu dangereux aux accidents
Transposer l’expertise pour les pompiers
Prévention
Formation
Anticipation
Organisation opérationnelle
Retour d’expérience
Conclusion