Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
DIFFICULTÉS ALIMENTAIRES CHEZ L’ENFANT ET LIEN AVEC LES CAPACITÉS OLFACTIVES
Difficultés alimentaires chez l’enfant tout-venant
La notion générale de « difficulté alimentaire » regroupe différents types de difficultés. Grâce à des entretiens semi-dirigés menés auprès d’une vingtaine de mamans d’enfants tout-venant, des psychologues ont extrait quatre difficultés fréquemment rencontrées : le manque d’appétit, le manque de plaisir à manger, la néophobie et la sélectivité. Ces deux dernières difficultés portent sur la variété des aliments acceptés par les enfants. La néophobie correspond au refus de manger des aliments inconnus et la sélectivité est le refus de manger certains aliments qu’ils soient connus ou non (Rigal, Chabanet, Issanchou et Monnery-Patris, 2012).
Les mêmes auteurs ont établi un questionnaire évaluant le degré de ces quatre difficultés et ont interrogés 502 mamans d’enfants. Grâce aux réponses, ils ont pu établir une forte corrélation entre les items concernant la néophobie et ceux relatifs à la sélectivité. Cela laisse supposer que ces deux difficultés partagent des critères communs. D’autres auteurs vont dans ce sens et considèrent qu’elles appartiennent à un même continuum allant de la néophobie à la haute sélectivité en passant par la sélectivité moyenne (Krezner et al., 2015). La néophobie serait un comportement normal de méfiance face à l’inconnu, apparaissant entre 18 et 24 mois et dont la résolution se ferait naturellement après des présentations répétées des aliments rejetés. Dans le cas de la sélectivité, ce type d’expositions multiples n’aiderait pas les enfants. Ceux étant moyennement sélectifs n’auraient pas de souci de croissance, ni d’apport nutritionnel contrairement aux enfants hautement sélectifs qui ne mangeraient pas plus de 15 aliments différents (Krezner et al., 2015).
Troubles alimentaires d’origine sensorielle
D’autres auteurs ont suggéré que les difficultés de type « haute sélectivité », rencontrées chez certains enfants, pouvaient être liées à une sensibilité sensorielle particulière, par exemple au goût, à la texture ou à l’odeur des aliments (Chatoor, 2009). Les enfants hypersensibles présentent ce que certains auteurs appellent une aversion alimentaire sensorielle. Ce sont des enfants qui peuvent déclencher nausées ou vomissement à la simple vue ou odeur d’un aliment et qui refusent plus largement toute expérience sensorielle nouvelle (Chatoor, 2009). Les aversions alimentaires sensorielles seraient dues à une trop grande réactivité des mécanorecepteurs (neurones sensibles aux mouvements) ou des chimiorécepteurs du toucher, du goût et de l’odorat (Senez, 2015).
Les difficultés alimentaires ont, dans certains cas, été reliées à une hyposensibilité avec comme répercussions une tendance à garder les aliments en bouche, à faire des grosses bouchées, à montrer une nette préférence pour les aliments épicés et les boissons gazeuses, à avoir des pertes salivaires fréquentes et même à présenter des risques d’étouffement à cause des grandes quantités ingérées. C’est ce que certains auteurs qualifient de dormance sensorielle (Tessier citée dans Havardt et Carreau, 2009).
Une sensorialité troublée pourrait donc être mise en lien avec des difficultés alimentaires de type néophobie voire de sélectivité. Quelques études se sont plus particulièrement intéressées aux liens entre troubles olfactifs et difficultés alimentaires.
Liens entre troubles olfactifs et difficultés alimentaires
Les enfants présentant un trouble du spectre autistique sont considérés par certains auteurs comme étant un exemple extrême de haute sélectivité (ou aversion alimentaire sensorielle). Ils présentent d’un côté une hypersensibilité à certaines sensations sensorielles (odeurs, lumières, bruits) et présentent d’un autre côté des difficultés alimentaires (90% des cas) dont la plupart s’apparentent à de la sélectivité (Krezner et al., 2015). Ainsi, plusieurs études portant sur les liens qu’entretiennent les troubles de l’odorat avec les troubles du comportement alimentaire se sont penchées sur ces enfants. Une étude a notamment mis en évidence chez eux une plus grande sensibilité aux odeurs en lien avec des préférences alimentaires plus marquées (Nadon, Feldman, Dunn et Gisel, 2011). Une autre étude a mis en avant une corrélation négative entre catégorisation hédonique des odeurs et néophobie alimentaire chez les enfants autistes : les enfants qui qualifient des odeurs comme étant peu plaisantes alors qu’elles étaient considérées comme attractives par les auteurs sont ceux qui présentent des scores de néophobie plus élevés. Cette étude a également mis en avant que les enfants qui ont des difficultés à classer les odeurs dans des catégories du type « j’aime » ou « je n’aime pas » sont aussi plus néophobes (Luisier et al., 2015). Il existerait donc un lien entre la dépréciation de certaines odeurs et le refus d’aliments nouveaux. Plus précisément, la néophobie pourrait être mise en lien avec une difficulté à exprimer son attrait / aversion pour une odeur.
Dans son étude sur les variations interindividuelles des comportements olfactifs chez les enfants, Ferdenzi a comparé des scores de néophobie (recueillis grâce à un questionnaire rempli par les parents) avec des résultats obtenus par les enfants à des tests olfactifs. Cette étude met en évidence que les enfants néophobes déprécient davantage l’odeur de l’acide isovalérique (odeur associée à la malpropreté), ce qui conforte le lien entre appréciation hédonique des odeurs et néophobie retrouvé chez les enfants autistes. En revanche, lorsqu’elle compare les scores de néophobie aux scores obtenus au questionnaire ECOLE, elle conclut que le groupe des enfants les moins sensibles aux odeurs comprend plus d’enfants néophobes (67%) que le groupe des enfants les plus sensibles aux odeurs (45%). Plus précisément, son étude montre que les enfants néophobes ont de moins bonnes connaissances sémantiques sur les odeurs et qu’ils détectent et identifient moins facilement les odeurs dans leur environnement. Selon elle, il est possible que ce soit le rejet de nouveaux aliments qui freine l’acquisition de connaissances olfactives variées car les enfants sont exposés à une moins grande variété d’odeurs et d’arômes (Ferdenzi, 2007). Cela va dans le sens de recherches menées chez l’adulte.
Dans une étude incluant 37 femmes ayant des troubles du comportement alimentaire (anorexie ou boulimie), les chercheurs ont diagnostiqué une hyposmie (faible sensibilité olfactive) chez une grande partie d’entre elles : 44,4% des anorexiques et 57,8% des boulimiques. Ces résultats sont significativement plus élevés que dans la population contrôle dans laquelle seulement 5% de cas d’hyposmie ont été relevés. Les auteurs soulignent que même si l’hyposmie est certainement une conséquence plutôt qu’une cause des troubles du comportement alimentaire, cela n’en est pas moins un facteur important de renforcement et de maintien des troubles qu’il est nécessaire de prendre en compte (Dazzi, De Nitto, Zambetti, Loriedo et Ciofalo, 2013).
Une perte de l’odorat à l’âge adulte est responsable dans 69% des cas d’une diminution du plaisir à manger (Croy, Nordin et Hummel, 2014). De nombreuses personnes tentent de compenser l’hyposmie en ajoutant à leurs plats des épices et du sel ou en jouant sur les couleurs, les textures et même la quantité : jusqu’à 20% d’entre eux déclarent manger plus qu’avant. Mais dans la plupart des cas, on observe une diminution de l’appétit, des difficultés à cuisiner et la consommation involontaire de nourriture avariée (Croy et al., 2014).
Ainsi, les études laissent supposer que des troubles olfactifs sont parfois en lien avec des difficultés alimentaires. Dans ce travail, nous nous intéressons à ce lien chez les enfants nés avec une fente palatine (associée ou non à une fente labiale) car ils sont plus à risque de présenter une déficience olfactive. De plus, ces enfants rencontrent des difficultés alimentaires au début de leur vie.
LES FENTES FACIALES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR L’ODORAT ET L’ALIMENTATION
Embryologie et types de fentes
Les fentes labiales et palatines sont les malformations congénitales de la face les plus fréquentes. Elles concernent un enfant sur 700 en Europe et 25 nouveaux cas par an en Normandie. En général, la fente est une malformation isolée mais elle peut être associée à une autre malformation, dans 25% des cas, ou à un syndrome, dans 5% des cas (Vernel-Bonneau et Thibault, 1999).
Les fentes sont dues à une anomalie de mésodermisation des cellules faciales au cours du développement embryonnaire. Le nouveau-né présentera une fente labiale si le défaut de fusion a lieu au cours de la 7ème semaine de fécondation ; c’est-à-dire pendant la fermeture du palais primaire, lorsque les bourgeons nasaux internes et les maxillaires se rejoignent entre le nez et la bouche pour former la lèvre supérieure. La fermeture se faisant de la gencive vers la lèvre, la fente (uni- ou bilatérale) peut être labio-alvéolaire ou labiale. La fente palatine est due quant à elle à un défaut de fusion plus tardif (12ème semaine), lorsque les bourgeons maxillaires se soudent du palais dur vers la luette pour former le palais secondaire. La fente sera alors vélaire ou vélo-palatine avec une luette bifide ou absente. Dans certains cas de fentes vélaires, il y a une fente uniquement au niveau des muscles avec une fermeture de la muqueuse palatine. Ce sont des fentes sous-muqueuses. L’anomalie de mésodermisation peut être présente à la fois au cours de la 7ème semaine, lors de la fermeture du palais primaire et également pendant la 12ème semaine, lors de la fermeture du palais secondaire. Le nouveau-né présentera alors une fente totale uni- ou bilatérale (Vernel-Bonneau et Thibault, 1999).
De leur naissance et jusqu’à la fin de leur croissance, les enfants sont opérés à de nombreuses reprises. Certains actes chirurgicaux peuvent entraîner une diminution de l’odorat. C’est le cas de la rhinoplastie (chirurgie esthétique du nez) et de la septoplastie (correction de la déviation de la cloison nasal) mais aussi de l’anesthésie générale (Allis&Leopold, 2012). Il n’est pas exclu qu’au cours de certaines opérations chirurgicales, les neurorécepteurs olfactifs des enfants puissent-être lésés.
Les conséquences sur l’odorat
Les personnes qui naissent avec une fente ont plus de risques de présenter un trouble olfactif. En utilisant un test d’identification et de reconnaissance de dix odeurs, Richman (1988) a mis en évidence que le sens de l’odorat était significativement affecté chez des garçons de 7 à 22 ans nés avec fente palatine et/ ou fente labiale. Plus récemment, une étude menée chez 45 enfants de 12 à 18 ans a montré un seuil de détection olfactif plus élevé chez ceux ayant été opérés d’une fente totale unilatérale : ces derniers nécessitent une concentration plus élevée en odorant pour détecter l’odeur de banane par rapport à des enfants du même âge nés sans malformation (Grossmann et al., 2005). Bien que la chirurgie apparaisse comme un facteur de risque logique, ce n’est pas le seule à être mis en cause pour expliquer la prévalence des déficits olfactifs dans cette population (Allis & Leopold, 2012).
Au niveau anatomique, dans le cas des fentes labiales, on observe des déformations nasales, notamment une asymétrie de la columelle et une mauvaise projection du bout du nez. Cela est à l’origine d’un flux d’air nasal réduit, lui-même corrélé à une plus grande prévalence des déficits olfactifs (Anastassov, Joos et Zollner, 1998). Au niveau neuro-anatomique, des chercheurs ont mis en avant une réduction significative du volume du cortex orbito-frontal chez des adultes nés avec une fente labiale et/ ou palatine non syndromique par rapport à un groupe contrôle (Nopoulos et al., 2005). Or, le cortex orbito-frontal constitue une partie des cortex olfactifs secondaires (Gottfried et Zald, 2005) et joue un rôle important dans des tâches de familiarité et de jugement hédonique des odeurs (Royet et Plailly, 2012). Des causes génétiques seraient également à l’origine des déficits olfactifs observés chez les personnes nées avec une fente. Des mutations du gène FGFR1 ont été retrouvées chez certains patients opérés pour cette malformation (Riley et al., 2007). Or, ce gène est à la fois impliqué dans le développement des bulbes olfactifs (Hebert, 2003) ainsi que dans le développement du système olfactif et de la morphogénèse du palais (Dodé et al., 2007). Récemment, des études ont montré que le risque de présenter un déficit olfactif est multiplié par trois chez les parents d’enfants porteurs de fente (May, 2011). De plus, il existe chez les parents, un lien entre hyposmie et phénotype facial particulier, à savoir un rétrécissement du pont nasal (Roosenboom et al., 2015). Ainsi, Roosenboom suggère qu’une capacité olfactive réduite peut être considérée comme un phénotype des fentes non-syndromiques.
La prévalence de troubles olfactifs est particulièrement élevée dans cette population et cela peut être expliqué par l’association de différents facteurs. Qu’en est-il du comportement alimentaire de ces enfants ?
Les conséquences sur l’alimentation
On sait que les nourrissons nés avec une fente oro-faciale rencontrent des difficultés d’alimentation importantes telles que des prises alimentaires, et donc de poids, insuffisantes, un reflux nasal et de la fatigue (Bénateau et Gilliot, 2010). Malgré leurs difficultés précoces, il manque encore des informations sur l’évaluation des comportements alimentaires lorsque ces enfants grandissent. A notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à cette question chez ces enfants après la fermeture du palais, c’est-à-dire après 12 mois environ.
Pourtant, comme nous l’avons vu, beaucoup d’enfants sont concernés par des difficultés alimentaires à un moment de leur développement. Les chiffres vont de 25 à 45% chez les enfants « typiques » et jusqu’à 80% chez les enfants souffrant d’un trouble du développement (Bernard-Bonnin cité dans Mouren-Siméoni, Doyen et Le Heuzey, 2011). Il s’agit donc d’une problématique fréquemment rencontrée faisant l’objet de nombreuses consultations pédiatriques et dont les enfants nés avec fente faciale ne font certainement pas exception.
A partir de ces constats, on peut se demander s’il existe un lien entre capacités olfactives déficientes et difficultés alimentaires chez les enfants opérés d’une fente.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
1. L’ODORAT ET SON RÔLE DANS L’ALIMENTATION
1.1 Le fonctionnement de l’odorat : un sens chimique
1.2 L’importance de l’odorat dans le développement alimentaire de l’enfant
1.3 Évaluer la perception des odeurs chez les enfants : présentation du questionnaire de Ferdenzi
2. DIFFICULTÉS ALIMENTAIRES CHEZ L’ENFANT ET LIEN AVEC LES CAPACITÉS OLFACTIVES
2.1 Difficultés alimentaires chez l’enfant tout-venant
2.2 Troubles alimentaires d’origine sensorielle
2.3 Liens entre troubles olfactifs et difficultés alimentaires
3. LES FENTES FACIALES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR L’ODORAT ET L’ALIMENTATION
3.1 Embryologie et types de fentes
3.2 Les conséquences sur l’odorat
3.3 Les conséquences sur l’alimentation
PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES
MÉTHODOLOGIE
1. POPULATION
2. MATÉRIEL
2.1 Stimulations odorantes
2.1.1 Connaissance des odeurs
2.1.2 Jugement d’intensité
2.1.3 Hédonisme
2.1.4 Sensibilité trigéminale
2.2 Questionnaire ECOLE adressé aux enfants pour auto-évaluation
2.2.1 L’attentionportée aux odeurs
2.3 Questionnaire parental pour hétéro-évaluation
2.3.1 Difficultés alimentaires comportementales
2.3.2 Difficultés alimentaires sensorielles
3. MÉTHODE
3.1 Recrutement des participants
3.2 Passation du protocole
4. ANALYSES STATISTIQUES
4.1 Analyses descriptives des résultats aux tests sensoriels olfactifs et sélection des odeurs les plus pertinentes
4.2 Étude des liens entre olfaction et alimentation
RÉSULTATS
1. RÉSULTATS DESCRIPTIFS DES ENFANTS AUX TESTS SENSORIELS OLFACTIFS ET SÉLECTION DES ODEURS LES PLUS PERTINENTES
2. CORRÉLATIONS ENTRE SCORES OLFACTIFS ET ALIMENTAIRES
3.1 Liens entre connaissance des odeurs et difficultés alimentaires
3.2 Liens entre jugement d’intensité et difficultés alimentaires
3.3 Liens entre hédonisme et difficultés alimentaires
3.4 Liens entre sensibilité trigéminale et difficultés alimentaires
3.5 Impact de l’attention portée aux odeurs sur les difficultés alimentaires
DISCUSSION
1. APPORTS DE CE TRAVAIL
1.1 Liens entre connaissances olfactives et difficultés alimentaires
1.2 Liens entre jugement d’intensité et difficultés alimentaires
1.3 Liens entre hédonisme et difficultés alimentaires
1.4 Liens entre sensibilité trigéminale et difficultés alimentaires
1.5 Impact de l’attention portée aux odeurs sur les difficultés alimentaires
2. PERSPECTIVES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Télécharger le rapport complet