L’amélioration de la qualité des eaux d’un bassin versant ne saurait être envisagée sans une réflexion et une modification des pratiques qui s’exercent sur le territoire. L’usage agricole, en particulier, est à l’origine d’un certain nombre de transferts de nutriments (azote et phosphore) et de produits phytosanitaires jusqu’aux eaux de surface et de sub-surface, par l’intermédiaire des eaux de ruissellement et de drainage. Comprendre le devenir de ces éléments et les mécanismes d’assimilation dans les différents compartiments – eau, sol, plantes, air – s’avère donc primordial afin de mettre en place des mesures permettant la limitation de leurs impacts. Les zones humides apparaissent comme un moyen intéressant de réduction de la pollution hydrique issue des pratiques agricoles, de part leur fonction « épuratrice ». Elles peuvent être une interface tampon entre les terres agricoles et les cours d’eau, et ainsi participer à la rétention et le traitement des fertilisants et pesticides. Cependant, il est clair que les zones humides naturelles ne peuvent à elles seules répondre à cet enjeu, notamment dans les secteurs fortement exploités où elles ne sont pas ou peu présentes. Ainsi, la création de zones tampons humides artificielles s’avère être un moyen intéressant pour traiter les eaux chargées en effluents agricoles, avant leur restitution à la masse d’eau. Par ailleurs, si les zones humides peuvent être utilisées comme mesure curative, il est important de mettre en place un certain nombre de mesures préventives en amont, comme la limitation des intrants agricoles. En effet, la création de zones humides n’a d’utilité que si des techniques préventives garantissent des transferts raisonnables. Leur efficacité vis-à-vis d’une forte pollution reste restreinte, et le coût de leur mise en place bien plus important que celui d’un changement des pratiques agricoles.
LES PESTICIDES
DEFINITIONS
Dans la littérature, les pesticides sont généralement intégrés dans les produits phytosanitaires. Un produit phytosanitaire est « une substance active ou association de plusieurs substances chimiques, minérales ou organiques, d’origine naturelle ou issues de la chimie de synthèse, et servant à tuer ou repousser les pathogènes, les parasites, les plantes concurrentes ou les organismes nuisibles des cultures, afin de protéger les plantes et d’en augmenter le rendement (SAC, 2008). On entend ainsi par « phytosanitaires » l’ensemble des produits phytopharmaceutiques, des produits antiparasitaires et des pesticides. Le projet Artwet, qui sera présenté par la suite, définit un pesticide comme étant « une substance ou un mélange de substances destiné(e) à lutter contre un organisme nuisible, qu’il s’agisse d’insectes, de rongeurs ou autres animaux, de plantes indésirables, de champignons ou micro-organismes tels que bactéries ou virus. Le terme pesticide désigne ainsi les herbicides, fongicides, insecticides et diverses autres substances utilisées pour combattre les organismes nuisibles ». Dans la réglementation nationale et européenne, les pesticides et phytosanitaires concernent la même catégorie de substances. La différenciation de ces deux termes n’est pas bien définie, c’est pourquoi dans la suite de ce rapport le terme « produits phytosanitaires » sera employé au même titre que « pesticides ».
LES FAMILLES DE PESTICIDES
Il existe un très grand nombre de molécules, et donc un très grand nombre de pesticides. On peut les classer en fonction de leur cible : bactéricides, insecticides, fongicides, herbicides, etc. Toutefois, ces derniers peuvent également être classés en fonction de leurs familles chimiques. On distingue six familles principales : les organophosphorés, les organochlorés, les carbamates, les triazines, les pyréthrynoïdes et les urées substituées.
Les organophosphorés
Cette famille regroupe des pesticides dont la molécule agit sur l’acétylcholinestérase, enzyme essentielle aux transferts nerveux chez les insectes, la plupart des animaux, et l’homme. Ils sont utilisés majoritairement en milieu agricole comme insecticides. Les organophosphorés bloquent de manière irréversible cette enzyme, et sont donc caractérisés par une toxicité très importante, tant pour les espèces visées que pour les utilisateurs. Par ailleurs, leur grande facilité de dégradation – dans l’air et le sol – réduit le risque de retrouver les organophosphorés dans les eaux de surface, à l’inverse de familles de pesticides plus persistantes dans l’environnement. Toutefois, le risque d’intoxication lié à ces insecticides demeure un constat non négligeable pour adopter une logique de réduction de l’utilisation de ces composés.
Les organophosphorés les plus courants sont : le parathion, le malathion, le méthyl-parathion, le chlorpyrifos, le diazinon, l’OMPA, le TEPP, la phosphidrine, le dichlorvos et le phosmet. On retrouve également entre autres l’acéphate, l’azinphos-méthyl, le diméthoate, le disulfoton, et le phosalone, utilisés couramment.
Les organochlorés
Les organochlorés sont également utilisés en milieu agricole comme insecticides. Ce sont d’ailleurs les plus puissants et les plus efficaces. Cette famille regroupe les composés chimiques dont on a substitué un à plusieurs atomes d’hydrogène par des atomes de chlore. Les organochlorés sont extrêmement persistants dans les sols – on les appelle également POPs (Polluants Organiques Persistants) – et possèdent une forte neurotoxicité. Ces composés ont en effet la particularité de se concentrer dans les tissus biologiques, et de perturber la transmission de l’influx nerveux. C’est pourquoi un certain nombre de ces produits ont été interdits d’emploi dans les pays industrialisés. On retrouve comme pesticides organochlorés : le DDT, le chlordane, le pentachlorophenol, le HCB (hexa chlorobenzène), l’aldrine, la dieldrine, le lindane, le metolachlore, etc.
Les carbamates
Les carbamates agissent selon le même mécanisme d’action que les organophosphorés, dont ils présentent des caractéristiques similaires. Ce sont principalement des insecticides et des fongicides, ainsi que quelques herbicides. Leur toxicité apparaît également moins importante que celle des pesticides organophosphorés. On peut classer les carbamates selon l’acide dont ils dérivent. On distinguera ainsi les carbamates à proprement parler (acide carbamique) comme l’asulame, les thiocarbamates (acide thiocarbamique) comme le diallate et le triallate, les biscarbamates (acide biscarbamique) comme le desmédiphane, etc.
Les triazines
La plupart des triazines sont utilisées comme herbicides, bien que cette famille ait une large gamme de groupes-cibles. Comme son nom l’indique, cette famille de pesticides regroupe trois composés : l’atrazine, la simazine et la terbuthylazine. Ils possèdent un caractère sélectif, leur métabolisation étant variable d’une plante à une autre. Leur toxicité et leur rémanence dans l’environnement ont entrainé l’interdiction d’utilisation de certaines substances, comme l’atrazine depuis 2003. Outre ces trois composés, on peut classer dans cette famille l’ensemble des dérivés des triazines, tels que le chlorure et l’acide cyanurique, la mélamine, l’irgarol, etc.
Les pyréthrynoïdes
Fréquemment utilisés en raison de leur bonne efficacité et de leur toxicité modérée, les pyréthrynoïdes sont employés comme insecticides. Ce sont des composés de synthèse, qui se basent sur la pyréthryne naturelle contenue dans certaines plantes, ayant la propriété de s’attaquer au système nerveux des insectes. S’ils restent « modérément dangereux » pour l’homme, la toxicité de ces pyréthrynoïdes demeure importante. Ces composés portent en suffixe la particule « thrine ». On retrouve ainsi la cyperméthrine, la cyfluthrine, la permethrine, etc.
DE L’UTILISATION MASSIVE A LA PRISE DE CONSCIENCE
L’utilisation de pesticides en Europe est liée à la croissance démographique du 19ème siècle. En effet, l’agriculture n’est plus alors vivrière, mais cherche à répondre à la demande de la population mondiale non agricole par une production alimentaire massive (ArtWet, 2010). L’intensivité de l’agriculture a été de paire avec un emploi de produits phytosanitaires destinés à l’amélioration des rendements. Ce n’est qu’à partir des années 1960 qu’a émergée une prise de conscience collective des risques liés à l’utilisation massive de pesticides. Il faudra attendre les années 80 pour que soit scientifiquement mis en évidence l’impact potentiel de ces produits sur la santé humaine. Par ailleurs, la nocivité des pesticides sur l’environnement a également été démontrée, plus particulièrement au niveau des écosystèmes aquatiques. De surcroit, le parallèle entre qualité de l’eau et santé humaine a été un des déclancheurs de cette prise de conscience. Certaines molécules ont ainsi été interdites, comme le Dichloro Diphényl Trichloroéthane (DDT) et certains organochlorés (SAC, 2007). Toutefois, l’apparition constante de molécules plus efficaces et garantissant de meilleurs rendements a entrainé un renouvellement rapide des pesticides utilisés. Ce constat explique le retard de mise au point de protocoles d’analyse par les organismes de surveillance de la qualité de l’eau (DOMANGE, 2001). Il faudra attendre la Directive Cadre Européenne sur l’Eau de 2000 pour mettre en œuvre une politique de réduction de l’usage de pesticides à l’échelle européenne, afin de préserver la qualité de l’eau et la santé humaine. La France demeure le premier consommateur européen de produits phytosanitaires, avec plus de 34% de la quantité de substances utilisées en Europe en 2001. Elle est par ailleurs le 4 ème consommateur mondial, devant les Etats-Unis, le Brésil et le Japon (FIGURE 1 : PRINCIPAUX MARCHES PHYTOPHARMACEUTIQUES EN EUROPE ET DANS LE MONDE EN 2006).
LEGISLATION RELATIVE AUX PHYTOSANITAIRES
La réglementation relative à la mise sur le marché et l’utilisation des pesticides en Europe se fonde sur des directives européennes. Elle fixe les conditions d’autorisation des phytosanitaires, et établit les procédures pour l’évaluation scientifique des substances actives. En raison de la faiblesse de données écotoxicologiques pour la plupart des substances, la législation suit pour les eaux superficielles le principe de précaution (SAC, 2007). Au niveau des eaux souterraines, la directive 80/68/CEE du 17 décembre 1979 concernant la protection des eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses imposait déjà aux états membres la prise de mesures nécessaires pour limiter les transferts de polluants prioritaires dans le sol et le sous-sol. Cette directive sera abrogée d’ici 2013 par l’article 22 de la Directive Cadre européenne sur l’Eau (DCE) du 23 octobre 2000, qui précise la liste de familles et groupes de substances considérés comme prioritaires (site internet de l’INERIS). La mise sur le marché et le suivi post-homologation des produits phytosanitaires et des substances actives qui les composent ont été strictement encadrés et harmonisés au niveau européen par la directive 91/414/CEE concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, mise en application en 1993 (site internet de l’ORP). Les substances actives autorisées sont inscrites à l’annexe 1 de la directive. La commission européenne a présenté le 12 juillet 2006 une stratégie concernant l’utilisation durable des pesticides, ainsi qu’un projet de directive cadre instaurant un « cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation durable des pesticides », et la volonté d’une « harmonisation européenne de la mise sur le marché et de l’utilisation des pesticides » (site internet du MEDDTL). Ainsi, la directive de 1991 a été abrogée le 21 octobre 2009 par l’adoption d’une nouvelle législation appelée « le paquet pesticides ». Cette réglementation vise à « réduire de façon sensible les risques liés aux pesticides ainsi que leur utilisation, et ce dans une mesure compatible avec la protection des cultures » (site internet de l’ORP). Elle entrera en vigueur le 14 juin 2011. Ce « paquet pesticides » comprend deux réglements et deux directives :
➤ Règlement 2009/1107/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ;
➤ Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ;
➤ Directive 2009/127/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 modifiant la directive 2006/42/CE concernant les machines destinées à l’application des pesticides ;
➤ Règlement 2009/1185/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 relatif aux statistiques sur les pesticides.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. LES PESTICIDES
2. LES BANDES ENHERBEES : UNE REPONSE LIMITEE FACE AU DRAINAGE
3. LES ZONES HUMIDES : INTERETS ET JUSTIFICATIONS
4. LES ZONES TAMPONS HUMIDES ARTIFICIELLES
5. PROJETS ET ETUDES EXPERIMENTALES
6. EFFICACITE DES ZONES HUMIDES AGRICOLES
7. PERSPECTIVES DES ZONES HUMIDES AGRICOLES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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