Les faiseurs de notes

Le discours normatif des dictionnaires

ย  ย L’Ancien Rรฉgime connaรฎt depuis le XVIe siรจcle une profusion de publications de dictionnaires, mouvement qui s’amplifie particuliรจrement au Grand Siรจcle et se poursuit jusqu’ร  la Rรฉvolution. Ils participent ร  une volontรฉ de clarification et de mise en ordre de la langue, symbolisรฉe notamment par les รฉditions successives du dictionnaire de l’Acadรฉmie franรงaise ร  partir de 1694, entreprise qui ne s’effectue pas sans critique ni rรฉsistance 187. Les articles de ces ouvrages, qui se veulent objectifs et normatifs, rรฉvรจlent par le choix des mots, du contenu de leurs dรฉfinitions et des exemples illustratifs la vision du monde de leurs auteurs. Ces derniers portent le reflet de la culture dominante des รฉlites lettrรฉes. Nous avons utilisรฉ pour cette partie les grands dictionnaires de langue du XVIIIe siรจcle que sont le Furetiรจre (1690), le Richelet (รฉdition de 1706), le Trรฉvoux (1771) et les ouvrages de l’Acadรฉmie franรงaise (cinq premiรจres รฉditions, 1694, 1718, 1740, 1762 et 1798). Que dรฉcouvre-t-on en lisant lโ€™entrรฉe ยซ musicien ยป de tous ces dictionnaires de langue ? Pour Furetiรจre, un musicien est ยซ celui qui chante ou qui sait bien la musique, qui compose la musique ยป. Le Richelet le dรฉfinit comme ยซ celui qui sait la musique. Celui qui sait la musique et qui gagne sa vie ร  la montrer, ou ร  la chanter ยป. Quant ร  l’Acadรฉmie, elle dรฉsigne comme musicien ยซ celui qui sait l’art de la musique ou qui l’exerce. Excellent musicien, savant musicien. On s’en sert plus ordinairement pour signifier celui qui fait profession de chanter ou de composer en musique ยป. Enfin, l’article du Trรฉvoux dรฉcrit un musicien comme suit :ย  ยซ C’est proprement celui qui possรจde la science de la musique par le raisonnement. Rameau รฉtait un excellent musicien. Dans l’usage ordinaire, nous appliquons รฉgalement ce mot ร  ceux qui composent la musique, qu’on appelle aussi compositeurs, et ร  ceux qui l’exรฉcutent. ยป Ces quatre dรฉfinitions possรจdent plusieurs points communs. Tout d’abord, chacun des dictionnaires s’accorde sur le fait qu’un musicien possรจde une compรฉtence spรฉcifique, un savoirfaire spรฉcial, celui de la maรฎtrise musicale : il ยซ sait ยป la musique. Dans l’esprit des auteurs, cette maรฎtrise est d’abord d’ordre thรฉorique, spรฉculatif et intellectuel, ce que souligne particuliรจrement le Trรฉvoux. Le musicien doit idรฉalement connaรฎtre la musique ยซ par le raisonnement ยป, ce qui fait de lui le thรฉoricien de son art, un ยซ savant ยป (dictionnaire de l’Acadรฉmie). L’exemple illustratif choisi par ce mรชme Trรฉvoux reflรจte parfaitement cette opinion en mentionnant Rameau. Plus cรฉlรจbre musicien franรงais de son temps, Jean-Philippe Rameau (1683-1764) est trรจs connu pour son travail de thรฉorisation de l’harmonie dans une approche purement mathรฉmatique. La musique constitue ici avant tout une science des sons, sur laquelle il convient de disserter afin d’en percer les secrets et d’atteindre le bonheur, notamment par le biais de la gรฉomรฉtrie. Le Trรฉvoux affirme ainsi ร  l’article ยซ musique ยป que cette derniรจre se place ร  l’imbrication de la physique et des mathรฉmatiques . Une telle vision thรฉoricienne englobe de maniรจre naturelle les amateurs.

Une image nรฉgative hรฉritรฉe du passรฉ

ย  ย La musique occupe beaucoup les esprits au XVIIIe siรจcle. En plus de tenir une place essentielle dans la sociabilitรฉ et la vie culturelle des รฉlites, elle se retrouve rรฉguliรจrement au cล“ur des dรฉbats passionnรฉs qui agitent pรฉriodiquement la rรฉpublique franรงaise des lettres. Le dernier siรจcle de l’Ancien Rรฉgime connaรฎt en effet de nombreuses querelles liรฉes ร  la musique โ€“ les lullystes contre les ramistes, la guerre des Bouffons et les gluckistes contre les piccinnistes en sont les exemples les plus connus206. Ces querelles, qui se cristallisent autour du genre musical de l’opรฉra, mettent en jeu des questions d’identitรฉ nationale ร  travers la notion de goรปt, avec un tiraillement constant entre la fidรฉlitรฉ inflexible au style franรงais (symbolisรฉ par Lully, ensuite par Rameau) et l’ouverture aux influences extรฉrieures, d’abord italiennes, puis germaniques 207. Elles se teintent de politique en sous-tendant des oppositions ร  l’autoritรฉ royale versaillaise et n’ont alors plus rien de frivole208. Les philosophes รฉcrivent รฉgalement รฉnormรฉment sur la musique. L’Encyclopรฉdie comporte ainsi pas moins de 800 articles consacrรฉs ร  cet objet sur environ 71 800, soit un peu plus d’un sur cent (1,15 %)209. Son grand maรฎtre dโ€™ล“uvre, Denis Diderot, produit en outre plusieurs ล“uvres en rapport avec l’art musical (Projet pour un nouvel orgue ; Le Neveu de Rameau ; Les Leรงons de clavecin). Le musicologue anglais Charles Burney, qui le rencontre ร  Paris en 1770, estime qu’aucune science ne l’intรฉresse autant que la musique 210. Le principal philosophe soucieux de cet art demeure bien entendu Jean-Jacques Rousseau, qui ravive la querelle des Bouffons en 1753 avec sa Lettre sur la musique franรงaise et propose une somme thรฉorique monumentale dans son Dictionnaire de musique onze ans plus tard. Lui-mรชme se considรฉrait avant tout comme musicien avant de bifurquer vers la philosophie ร  la suite du succรจs du Discours sur les arts et les sciences. Encensรฉe, critiquรฉe, abondamment commentรฉe, la musique ne laisse personne indiffรฉrent parmi les รฉlites du siรจcle des Lumiรจres. Mais qu’en est-il des musiciens ? En dehors de quelques rares grands compositeurs ou virtuoses, les musiciens ordinaires ne jouissent pas d’une image des plus positives. Les philosophes ne les estiment guรจre. Rousseau, surtout, a des mots trรจs durs envers eux dans sa correspondance en 1754 : ยซ Les musiciens ne sont point faits pour raisonner sur leur art : c’est ร  eux de trouver les choses ; au philosophe de les expliquer. ยป Il renchรฉrit dans le Dictionnaire de musique : ยซ Les anciens musiciens รฉtaient des poรจtes, des philosophes, des orateurs du premier ordre. Tels รฉtaient Orphรฉe, Terpandre, Stรฉsichore, etc. Aussi Boรจce ne veut-il pas honorer du nom de musicien celui qui pratique seulement la musique par le ministรจre servile des doigts et de la voix ; mais celui qui possรจde cette science par le raisonnement et la spรฉculation. Et il semble, de plus, que pour s’รฉlever aux grandes expressions de la musique oratoire et imitative, il faudrait avoir fait une รฉtude particuliรจre des passions humaines et du langage de la nature. Cependant, les musiciens de nos jours, bornรฉs, pour la plupart, ร  la pratique des notes et de quelques tours de chant, ne seront guรจre offensรฉs, je pense, quand on ne les tiendra pas pour de grands philosophes. ยป Selon Rousseau, le musicien ne possรจde pas les capacitรฉs intellectuelles nรฉcessaires ร  une rรฉflexion approfondie sur la musique. ร‰tant trop sot, il se contenterait de l’exรฉcuter sans la comprendre. On retrouve ici la dรฉvalorisation de la pratique au profit du raisonnement, dรฉjร  observรฉe dans le discours normatif des dictionnaires. Les musiciens formeraient ainsi des personnages grossiers et incultes qui, de toute maniรจre, ยซ lisent peu ยป. Aussi sรฉvรจre que puisse paraรฎtre le jugement du philosophe genevois, son avis semble partagรฉ par la majoritรฉ de ses contemporains. Dans un dialogue cรฉlรจbre avec le jeune Andrรฉ Grรฉtry en 1766, Voltaire affirme par exemple qu’un musicien brille rarement par son esprit . Ce mรชme Grรฉtry rรฉsume trente-cinq ans plus tard la vision qui rรฉgnait parmi les รฉlites de l’Ancien Rรฉgime au sujet des musiciens : ยซ Sous l’Ancien Rรฉgime, les artistes รฉtaient humiliรฉs par le peu de considรฉration dont ils jouissaient, non pas comme artistes, mais comme hommes. Dans ce qu’on appelait le beau monde, nous n’รฉtions que de sublimes marionnettes dont les nobles daignaient s’amuser. [โ€ฆ] les musiciens exรฉcutants n’รฉtoient guรจre regardรฉs que comme des instruments de musique, bons ร  dรฉposer dans le mรชme รฉtui aprรจs qu’ils avaient jouรฉ leur sonate. ยป Au-delร  de l’exagรฉration propre ร  la diabolisation du rรจgne des rois de la part d’un compositeur au service du Consulat et protรฉgรฉ par Napolรฉon, ce tรฉmoignage rend assez bien compte du mรฉpris aristocratique dans lequel baignaient gรฉnรฉralement les musiciens. La comparaison peu flatteuse qui assimile les interprรจtes ร  leurs instruments est dรฉjร  effectuรฉe ร  l’identique au dรฉbut du XVIIIe siรจcle par un noble, le comte de Fiesque, auquel Grรฉtry emprunte peut-รชtre les propos : ยซ On ne peut avoir tout en partage, les meilleurs musiciens bien souvent n’ont que cela par devers eux. Monsieur le comte de Fiesque, qui avoit une trรจs belle voix et qui faisoit souvent sa partie avec eux, me disoit que hors de leur chant c’รฉtoient de sottes gens, qui n’avoient pas un grain de bon sens, pas mรชme dans leurs propres affaires. Il disoit aussi qu’il faisoit d’eux, comme des instruments de musique qu’on met dans l’รฉtui, le concert fini, c’est-ร -dire, qu’il ne falloit les voir que quand on en avoit besoin. ยป Pour une partie des aristocrates, les musiciens ne reprรฉsentent ainsi que des outils, de simples excroissances de leur voix ou de leur violon, qu’il convient de manier uniquement comme des objets, ne valant guรจre mieux. S’agit-il d’ailleurs rรฉellement d’รชtres humains ? On en viendrait presque parfois ร  en douter en lisant certains รฉcrits. Par exemple, ร  en croire Grรฉtry, les musiciens sont considรฉrรฉs comme ยซ des bรชtes qui ne savent que sentir ยป. L’origine le plus souvent populaire de ces derniers dessert en outre leur rรฉputation auprรจs des nobles, qui lient leur extraction avec leur caractรจre supposรฉ vulgaire. Comme il n’y a rien ร  attendre d’une pareille compagnie, les contacts entre aristocrates et musiciens doivent se limiter au strict cadre professionnel. Cette tendance nobiliaire ร  rรฉduire l’homme ร  sa fonction en niant son humanitรฉ s’observe aussi dans le cas des domestiques, pour qui l’humiliation constitue la pitance quotidienne ร  la mรชme รฉpoque.

Une influence instrumentale

ย  ย Aujourd’hui, l’imaginaire collectif lie parfois le caractรจre du musicien ร  son instrument, comme si l’instrument faรงonnait le musicien ou, plutรดt, comme si le second choisissait le premier en fonction de sa personnalitรฉ. L’instrumentiste ressemblerait ainsi ร  son instrument par un curieux phรฉnomรจne de capillaritรฉ. Par exemple, le hautboรฏste de l’orchestre classique possรฉderait systรฉmatiquement un mauvais caractรจre, tandis que le tromboniste se rรฉvรฉlerait au contraire expansif et jovial, en accord avec le timbre de son instrument. Rรฉtrospectivement, la question se pose pour la pรฉriode รฉtudiรฉe : l’instrument que manie le musicien a-t-il un impact sur l’image de celui-ci au XVIIIe siรจcle ? Au Moyen ร‚ge, les instruments de musique sont classรฉs en deux catรฉgories suivant le critรจre de l’intensitรฉ sonore : les instruments ยซ hauts ยป et les instruments ยซ bas ยป. Luc Charles-Dominique a montrรฉ de quelle maniรจre cette rรฉpartition sous-tend des images symboliques diffรฉrenciรฉes en fonction des usages sociaux des instruments. Les instruments hauts โ€“ cor, trompette, trompe, hautbois, tambour, flรปte, etc. โ€“ personnifient en effet le pouvoir, celui du roi, des princes ou encore de la municipalitรฉ, dont ils servent de blason sonore. De l’autre cรดtรฉ, la discrรฉtion des instruments bas associe ces derniers, moins bruyants, aux dรฉtenteurs du savoir en favorisant, par leur calme, la spรฉculation intellectuelle, la crรฉation poรฉtique et la spiritualitรฉ en gรฉnรฉral . Cette distinction dichotomique รฉvolue au cours des Temps modernes pour aboutir ร  une opposition entre instruments polyphoniques et instruments monodiques au XVIIe siรจcle, la prรฉfรฉrence des รฉlites allant aux premiers du fait des esthรฉtiques de la sagesse, de la raison et de la connaissance rattachรฉes ร  l’harmonie. Ce triomphe de l’harmonie, qui perdure et se poursuit au siรจcle suivant, place les instruments ร  clavier au sommet de la hiรฉrarchie instrumentale et valorise fortement les musiciens qui en jouent. Le clavecin, en particulier, devient le symbole de l’aristocratie ; plus qu’un instrument, il constitue un vรฉritable โ€“ et coรปteux โ€“ meuble d’ornement qui s’intรจgre parfaitement au dรฉcor des riches rรฉsidences nobiliaires. C’est cependant l’organiste qui tire le mieux son รฉpingle du jeu grรขce ร  l’aura de son instrument, comme en tรฉmoigne Titon du Tillet en 1732 : ยซ L’orgue doit รชtre regardรฉ comme le premier et le roi de tous les instruments, puisqu’elle seule les contient tous, et qu’elle peut fournir elle seule des chล“urs de musique, qu’ร  peine vingt voix et vingt autres instruments ensemble pourraient remplir avec la mรชme force et faire un aussi grand effet. ยป En outre, il existe indubitablement au siรจcle des Lumiรจres un symbolisme social rattachรฉ ร  chaque instrument โ€“ comme le clavecin aristocratique prรฉcรฉdemment citรฉ โ€“, symbolisme que l’historien peut observer par exemple au dรฉbut de la Rรฉvolution. L’imagerie de 1789 comporte en effet des estampes reprรฉsentant des personnages des trois ordres, chacun jouant d’un instrument qui le caractรฉrise dans un dรฉsir de conciliation sociale. Ces allรฉgories de la concorde mettent un violon entre les mains du Tiers-ร‰tat, un hautbois dans celles de la noblesse et un serpent dans celles du clergรฉ. Le violon du Tiers รฉvoque les mรฉnรฉtriers de ville, tandis que le hautbois fait rรฉfรฉrence ร  l’armรฉe dans laquelle fait carriรจre la noblesse et que le serpent se trouve รฉtroitement associรฉ ร  lโ€™ร‰glise.

Des diffรฉrences selon les employeurs

ย  ย Au cours de sa plus ou moins longue carriรจre, le musicien est amenรฉ ร  travailler au service de diffรฉrentes personnes ou institutions au sein de lieux variรฉs. De la mรชme maniรจre que son instrument influence le regard portรฉ sur lui par la sociรฉtรฉ, son employeur modรจle en partie l’image . ร€ titre de comparaison, les cordes sont aujourd’hui toutes prรฉsentรฉes avant les vents sur les programmes de concert contemporains, dรฉnotant une รฉvolution du classement du prestige des familles instrumentales en leur faveur depuis le XVIIIe siรจcle (LEHMANN [Bernard], L’orchestre dans tous ses รฉclats…, op. cit., p. 242-244). L’ordre de prรฉsentation des musiciens de l’Orchestre Rรฉgional Avignon-Provence sur son site institutionnel suit la mรชme logique de prรฉรฉminence des cordes sur les vents pour la saison 2016-2017 que ses contemporains ont de lui. La notoriรฉtรฉ de cet employeur rejaillit en effet directement sur la personne du musicien et dรฉtermine par une sorte de porositรฉ sa rรฉputation propre. Par exemple, tout comme le roi de France se trouve au sommet de la hiรฉrarchie sociale d’Ancien Rรฉgime, les musiciens attachรฉs ร  sa maison constituent l’รฉlite de leur profession ; nous avons vu prรฉcรฉdemment que ce sont eux qui sont principalement mis en avant ร  l’intรฉrieur des exemples illustratifs des dictionnaires de langue, et notamment dans ceux des ouvrages de l’Acadรฉmie franรงaise. Beaucoup de musiciens sont considรฉrรฉs par leurs employeurs ร  l’instar de simples serviteurs. Nous avons dรฉtaillรฉ plus haut les cas des musiciens dโ€™ร‰glise et des membres des orchestres aristocratiques, mais il s’agit รฉgalement de la situation des trompettes travaillant pour les municipalitรฉs. Ainsi, le trompette de la communautรฉ de Marseille est explicitement dรฉcrit comme le ยซ domestique ยป des รฉchevins au cours d’un contentieux de ces derniers avec le viguier en 1732. De mรชme, ceux de la municipalitรฉ d’Aix se trouvent enregistrรฉs ร  la capitation sous le titre de ยซ trompette et serviteur de la ville ยป, tandis que ceux de Toulon font partie des ยซ serviteurs de la communautรฉ ยป. Par ailleurs, le trompette exerce souvent en parallรจle la fonction de valet de ville dans les petites villes provenรงales, renforรงant de ce fait son image de serviteur des รฉdiles : ce cas s’observe, par exemple, ร  Apt, Grasse et Forcalquier. Ce statut relativement dรฉgradant de domestique s’accompagne nรฉanmoins aussi d’un avantage indรฉniable pour les musiciens โ€“ outre la rรฉmunรฉration โ€“, celui de jouir symboliquement du prestige associรฉ ร  l’institution ou au personnage qu’ils servent et dont ils rรฉcoltent les miettes. Jouer dans l’orchestre d’un aristocrate et รฉvoluer au sein de sa sphรจre de patronage reprรฉsente pour un musicien une vรฉritable manifestation extรฉrieure de rรฉussite sociale en le rattachant directement au groupe รฉminent du second ordre dont il bรฉnรฉficie alors de l’aura, mรชme si ce n’est que de maniรจre attรฉnuรฉe. Dans la mรชme veine, le trompette municipal constitue le porte-parole des consuls dont il transmet les avis et les ordonnances ร  la population ; il est, en quelque sorte, le reprรฉsentant visuel et sonore de l’autoritรฉ publique, ce qui lui assure un prestige certain parmi ses concitoyens .

L’influence de la province. Le cas des musiciens provenรงaux

ย  ย La caractรฉrisation des peuples par des clichรฉs selon leur origine gรฉographique reprรฉsente une habitude courante ร  l’รฉpoque moderne โ€“ et au-delร . Les stรฉrรฉotypes nationaux continuent de fleurir au XVIIIe siรจcle, s’ancrant dans la lignรฉe d’une longue tradition รฉrudite remontant ร  l’Antiquitรฉ oรน les Grecs s’opposaient dรฉjร  aux ยซ barbares ยป335. Ils nourrissent la plume des voyageurs et se renforcent en se transmettant le long des lignes des rรฉcits de ces derniers. Le stรฉrรฉotype de l’Italien, par exemple, figure au dรฉbut ou ร  la fin de plusieurs guides de voyage. ร€ lโ€™รฉchelle infranationale, les habitants du royaume de France se voient aussi coller des รฉtiquettes toutes faites suivant leur province de provenance. Le Gascon est ainsi frรฉquemment assimilรฉ ร  un hรขbleur haut en paroles tandis que le Provenรงal se rรฉvรฉlerait invariablement gai et festif. Les musiciens n’รฉchappent pas ร  cette influence de leurs racines sur les reprรฉsentations dont ils font l’objet. Pour les Parisiens, les musiciens savoyards sont le plus souvent des personnages dรฉbraillรฉs qui manient grotesquement la vielle dans la rue, tout comme les montagnards en gรฉnรฉral. Les meilleures voix viendraient d’Italie, pays du bel canto, alors que la suprรฉmatie instrumentale serait plutรดt aux mains des Allemands dans la seconde moitiรฉ de la pรฉriode340. Le Fribourgeois Jean Henri Naderman, luthier de la reine, passe par exemple pour l’un des meilleurs facteurs de harpe de Paris en 1779. Les Italiens demeurent nรฉanmoins les plus grands disciples d’Euterpe aux yeux de leurs contemporains du siรจcle des Lumiรจres, ce dont tรฉmoigne Charles Burney en 1771 : ยซ La musique est aujourd’hui l’art que l’on cultive le plus, et le seul dans lequel les Italiens puissent encore se vanter d’รชtre supรฉrieurs au reste de l’Europe. ยป Quelle place occupent les musiciens provenรงaux et comtadins dans la collection de ces stรฉrรฉotypes gรฉographiques ? Comment leur province d’origine influence-t-elle leur image dans le reste du pays ? Il convient de prรฉciser d’emblรฉe que, de la mรชme maniรจre qu’Avignon et le Comtat se confondent couramment avec la Provence dans l’esprit des observateurs extรฉrieurs, les musiciens pontificaux ne se distinguent guรจre de leurs confrรจres provenรงaux, avec lesquels ils sont le plus souvent allรจgrement mรฉlangรฉs par leurs contemporains. Nous n’avons ainsi relevรฉ aucun exemple de caractรฉrisation d’un musicien par rapport aux enclaves de lโ€™ร‰glise, au contraire de leurs collรจgues mรฉridionaux dont les origines sont frรฉquemment relevรฉes. La Provence, en effet, รฉvoque un style musical particulier en dehors de sa zone gรฉographique, ร  un point tel qu’Andrรฉ Bourde a pu parler de l’existence d’une vรฉritable ยซ provenรงalitรฉ ยป musicale. Cette ยซ provenรงalitรฉ ยป รฉmergerait dans les deux premiers tiers du Grand Siรจcle avant de prendre son essor au dรฉbut du XVIII e siรจcle et de s’รฉpanouir jusqu’ร  la Rรฉvolution. Sans nier l’existence de traits musicaux typiques de cette rรฉgionโ€“ bien au contraire โ€“, nous nous mรฉfions de cette notion de ยซ provenรงalitรฉ ยป, qui ne se rรฉvรฉlait pas exempte d’une certaine vision idรฉologique chez Andrรฉ Bourde344. Nous prรฉfรฉrons par consรฉquent la mettre de cรดtรฉ afin de ne pas risquer de tomber dans une stรฉrile et dithyrambique auto-cรฉlรฉbration localiste. Nous rejoignons l’avis plus nuancรฉ de Jean-Christophe Maillard qui, s’interrogeant sur l’existence d’une musique mรฉridionale franรงaise et notamment provenรงale, concluait ร  une dรฉclinaison originale et un enrichissement du style national par le Sud, mais sans toutefois marquer de profonde diffรฉrence ni de rรฉelle divergence

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Table des matiรจres

Introduction
Prologue โ€“ La Provence et les ร‰tats pontificaux rhodaniens au XVIIIe siรจcle
La Provence
Les ร‰tats enclavรฉs de lโ€™ร‰glise
Images et reprรฉsentations des territoires
Premiรจre partie : Les musiciens imaginรฉs
Chapitre 1 โ€“ Les musiciens vus par leurs contemporains
I. Des images plurielles suivant les observateurs
1. Le discours normatif des dictionnaires
2. Une image nรฉgative hรฉritรฉe du passรฉ
3. La vision ambivalente de lโ€™ร‰glise
II. Les stรฉrรฉotypes attachรฉs aux figures de musicien
1. Une influence instrumentale
2. Des diffรฉrences selon les employeurs
3. L’influence de la province. Le cas des musiciens provenรงaux
III. Le musicien au XVIIIe siรจcle. Artiste ou artisan ?
1. De la distinction entre artiste et artisan
2. De l’artisan ร  l’artiste : une promotion sociale collective ?
Chapitre 2 โ€“ Les musiciens vus par eux-mรชmes
I. Le regard sur soi
1. La pluralitรฉ des apprรฉciations personnelles
2. Lโ€™affirmation dโ€™une identitรฉ professionnelle
3. Tous musiciens ?
II. Le regard sur les confrรจres
1. Les regards sur les collรจgues musiciens
2. Les regards sur les musiciens extรฉrieurs
III. Un esprit de corps musicien ?
1. Le rรฉpertoire musical, facteur fรฉdรฉrateur
2. Un esprit de corps limitรฉ aux collรจgues
Chapitre 3 โ€“ Les musiciens vus par l’historien
I. Le vocabulaire usitรฉ dans les sources
II. Combien sont-ils ?
1. Pesรฉe globale
2. La rรฉpartition des musiciens selon leur domaine dโ€™activitรฉ
3. La place des femmes dans le corpus
III. Comment se rรฉpartissent-ils dans le temps ?
1. Des effectifs musicaux en hausse au fil de la pรฉriode
2. Une รฉvolution numรฉrique diffรฉrenciรฉe selon les citรฉs
Deuxiรจme partie : Les musiciens au travail
Chapitre 4 โ€“ Devenir musicien : muer son talent en profession
I. Se former
1. Apprendre en famille
2. Les leรงons d’un maรฎtre
3. Les structures musicales spรฉcialisรฉes
Sur les bancs de la maรฎtrise
Lโ€™opportunitรฉ hospitaliรจre marseillaise
Lโ€™รฉcole musicale de la troupe
II. Acquรฉrir un instrument
1. Fabriquer, acheter et entretenir
2. Les instruments jouรฉs
Chapitre 5 โ€“ Se faire engager. Les employeurs des musiciens provenรงaux et comtadins
I. Le musicien au service du pouvoir
1. Lโ€™ร‰glise
Les corps de musique des รฉglises provenรงales et pontificales
Maรฎtres de chapelle, choristes et instrumentistes
Offices quotidiens et grandes fรชtes du calendrier liturgique
Le choc rรฉvolutionnaire
2. La municipalitรฉ
Le personnel musical des communautรฉs
Fรชtes ordinaires et rรฉjouissances extraordinaires
Les trompettes et crieurs publics
3. L’armรฉe et les organes policiers
Lโ€™armรฉe de terre
La Marine royale
Les autres forces armรฉes
II. Le musicien au service d’institutions culturelles รฉmergentes
1. Les acadรฉmies de musique
2. Le thรฉรขtre
III. Le musicien indรฉpendant
1. Les associations de musiciens
2. Les occasions privรฉes
3. La rue
Chapitre 6 โ€“ Gagner sa vie. Les stratรฉgies professionnelles des musiciensย 
I. Assurer et multiplier ses sources de revenus
1. Des stratรฉgies musicales multiples
2. Diversifier son panel dโ€™offres musicales : la polyactivitรฉ
3. Se tourner vers dโ€™autres secteurs professionnels : la pluriactivitรฉ
II. De l’art de choisir son adresse de rรฉsidence
III. Vivre de la musique ? Le niveau de vie des musiciens
1. Aisance ou prรฉcaritรฉ ?
2. Des revenus fluctuants en fonction des catรฉgories
Troisiรจme partie : Espaces et mobilitรฉs des musiciens
Chapitre 7 โ€“ Les musiciens dans l’espace social
I. Le cercle de la famille
1. Le milieu familial dโ€™origine
2. Le choix du conjoint : une faible endogamie musicale
3. La descendance : sโ€™รฉlever dans la sociรฉtรฉ par la musique ?
II. La toile des amis et des frรฉquentations
1. Les musiciens entre eux
2. Les frรฉquentations hors du monde de la musique
III. Un musicien et ses rรฉseaux au XVIIIe siรจcle : le cas de Jean-Baptiste Valliรจre
1. Un organiste en sa famille
2. La vie musicale provenรงale ร  travers le rรฉseau ego-centrรฉ de Valliรจre
3. Le relais ร  Paris : lโ€™abbรฉ Frison
Chapitre 8 โ€“ Les musiciens en mouvement
I. Les circulations musiciennes
1. Les motivations des mobilitรฉs musiciennes
2. De lโ€™international au local : des dรฉplacements variรฉs ร  toutes les รฉchelles
Les musiciens รฉtrangers
Entre France, Provence et ร‰tats du pape
3. L’รฉvolution des circulations au cours du siรจcle
II. Usages professionnels et consรฉquences sociales de la mobilitรฉ
1. Lโ€™usage professionnel des mobilitรฉs
Les circulations occasionnelles sans installation
2. Lโ€™impact social de la mobilitรฉ sur les musiciens
III. Les espaces musicaux et leurs mutations
1. Lโ€™attractivitรฉ musicale des territoires
2. Lโ€™influence des circulations musiciennes sur lโ€™articulation des territoires
Conclusion
ร‰tat des sources
Bibliographie

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