Depuis septembre 2008, la crise financière a considérablement bouleversé les équilibres de l’activité économique. Depuis, les marchés européens se caractérisent par un certain attentisme, par des offres relativement semblables et par une demande limitée. La pression concurrentielle s’exacerbe et les attentes de performance commerciale deviennent donc de plus en plus fortes (Barth, 2006). Dans ce contexte, deux grandes stratégies sont observables sur les marchés et au sein des entreprises. La première consiste à défendre, avec toutes les forces de l’organisation, les positions actuelles et d’asseoir la rentabilité sur les clients existants. Cette stratégie défensive, pour une entreprise, rencontre les limites de l’évolution de son marché. Si la moitié des clients disparaissent, de par la crise économique actuelle, l’entreprise sombre avec eux. La seconde stratégie, à l’inverse, vise la conquête de nouvelles parts de marché par la prise de position chez les clients des concurrents ou par la recherche de nouvelles cibles de clientèles. Cette seconde stratégie est caractérisée par une démarche volontairement extensive. Elle s’explique, aujourd’hui, par la nécessité pour les entreprises d’élargir la base de leur clientèle par des tactiques offensives de prises de positions. Cela s’explique par une contraction de la demande de leurs clients passés. La vie des entreprises s’illustre par cette obligation d’appliquer des stratégies extensives pour garantir leur futur. S’interroger sur l’expression des stratégies extensives au sein des marchés actuels, nous pousse à réfléchir depuis des bases économiques. Selon les fondements de la théorie économique, le marché est centré sur l’efficience de l’allocation des ressources. Cette efficience a pour objet de révéler un mode de fonctionnement des marchés qui maximise leurs tailles plutôt que de ne rechercher qu’une seule répartition des parts. Le libre jeu des mécanismes de marché est de nature à assurer cette allocation optimale des ressources. Le bon fonctionnement des marchés est apprécié par leur capacité à assurer le « bien être social » dans l’acception de la théorie économique (Moati & Corcos, 2005 p.2).
La fluidité de l’offre et de la demande est l’une des conditions de l’efficience des marchés. Garantir cette fluidité signifie favoriser la libre concurrence dans le sens où il est fondamental de s’assurer que les clients puissent librement s’adresser aux fournisseurs en mesure de proposer les offres les plus compétitives. Le principe de la libre concurrence est « le droit pour chaque compétiteur de choisir librement les moyens pour conquérir, conserver et développer sa clientèle » (Auguet, 2000, p.11).
Une autre condition de l’efficience des marchés est le bon fonctionnement du système des prix comme mécanisme de coordination entre l’offre et la demande. Son application permet d’orienter les ressources vers les usages qui maximisent les rendements et les volumes produits (Moati & Corcos, 2005). Dans le contexte actuel, la fluidité de l’offre et de la demande, ainsi que le mécanisme du système des prix sont garantis, facilités et favorisés par les efforts des acteurs pour conquérir de nouveaux clients pour le compte des entreprises et par la prospection commerciale physique de leurs forces de vente. La prospection commerciale se justifie par des raisons rationnelles. Accroître le nombre de ses clients renforce la rentabilité d’une entreprise. Cela permet de faire supporter les coûts fixes de la structure sur un socle plus large de clients. Ces actions, volontairement extensives, renforcent les économies d’échelle. Recruter d’autres clients permet d’accroître les volumes de production et garantit de pouvoir agir sur les prix de revient et donc sur les prix de vente. Cela renforce l’avantage concurrentiel clients.
Les fondements transactionnels de la vente initiale
L’objectif de la section est d’asseoir notre raisonnement sur les bases de l’approche économique. Cela, afin de comprendre les mécanismes en action, lors d’une transaction initiale. L’intérêt de la démarche est de nous positionner au niveau des agents économiques lors d’un premier transfert du droit de propriété en échange d’une ressource. Les agents sont, tour à tour, un client et un vendeur mais leurs caractéristiques économiques sont identiques. Nous définissons, lors du point 1, ces caractéristiques en mouvement au sein du marché. Cela nous permet de mieux comprendre le phénomène de la prise de décision pour ces deux agents. Ce choix est effectué sur la base d’un calcul entre les coûts et les perspectives de gains consécutifs à la transaction. Nous développons ce processus décisionnel, lors du point 2, afin d’éclairer les facteurs en jeu, et plus particulièrement, celui de la rationalité limitée qui conduit à la recherche d’une solution satisfaisante aux dépens d’un optimal trop coûteux. C’est notre point 3. A l’aide de la théorie des jeux développée au cours du point 4, nous postulons que la décision individuelle peut conduire à un gain réciproque pour les deux acteurs. La coopération est naturellement privilégiée car elle est porteuse d’un bénéfice plus certain. C’est sur ces bases que nous définissons, lors du point 5, la transaction initiale dans sa perspective économique puis dans sa dimension marketing.
L’axiomatique libérale et la transaction initiale
Pour la micro économie standard, « le noyau dur » se compose de quatre axiomes (Gomez, 1994, p.50):
1. Les individus sont libres et autonomes.
2. Leur rationalité est substantive.
3. Ils recherchent à maximiser leur utilité.
4. Le marché est la forme la plus efficiente de coordination (selon l’optimal de Pareto).
Les agents, autonomes, échangent à tâtons, leurs offres et leurs demandes. De ce processus répétitif se constitue une coordination, le marché. De l’intensité des enchères, se définit le prix auquel l’échange se réalise. Il synthétise in fine toute l’information du marché. Une coordination sociale ex post s’exerce du libre jeu des échanges.
Ce noyau dur est entouré d’un ceinture protectrice en charge d’interpréter le réel. Ainsi,
1. la rationalité est limitée,
2. l’autonomie des agents peut leur permettre de hiérarchiser leurs décisions selon des interdépendances,
3. l’acteur maximise ex post sa relative fonction d’« utilité » (Gomez, 1994, p.52),
4. les marchés sont imparfaits de par l’intervention de l’État.
« Le marché permet, à lui seul, d’ajuster et de coordonner tous les comportements économiques. Il nécessite un ordre, des règles et des contrôles. Le rôle de la puissance publique est d’être la garantie régulatrice nécessaire aux lois du marché. Le marché est une institution au sein de laquelle joue la main invisible » (Gomez, 1994, p.52). La coordination des acteurs est mécanique. Les contrats, les marchandages et les calculs privés composent le marché. L’agent se socialise en adhérant au marché et donc au collectif. Mais le marché demeure-il le moyen le plus efficace pour organiser le social quand il existe les entreprises ? Pour Coase (1937, p.137), « il existe un coût lié à l’utilisation du mécanisme des prix ». C’est « le coût de transaction » qui est « censé synthétiser » (Gomez, 1994, p.52) les trois éléments ci-après:
1. le coût d’information, de négociation et de conclusion de contrat qui garantissent « la découverte des prix adéquats » (Coase, 1937, p. 139).
2. l’impossibilité d’établir des contrats explicites « en raison de la difficulté à prévoir,plus la durée du contrat conclu pour la fourniture d’une marchandise ou d’un service est longue, moins il devient possible et, en fait, souhaitable pour l’acheteur, de spécifier les devoirs de l’autre partie contractante » (Coase, 1937, p.141).
3. « l’existence de taxes, de barrières tarifaires sur le marché » (Gomez, 1994, p.53).
Les coûts de transaction sont les coûts de recours au marché. La mécanique des ajustements offre – demande s’enrichit des « transactions » et précise les conditions nécessaires préalables aux échanges (Gomez, 1994, p.53). Avec le postulat des coûts de transaction, la firme devient une institution alternative au marché. La pratique des marchés implique un coût adéquat. Le marché est le mode d’organisation idéal compatible avec la présence des entreprises. L’entreprise devient le résultat d’une alternative rationnelle aux calculs d’agents autonomes. La firme est une forme particulière de marché, la firme appartient à une forme particulière, le marché relationnel. Le coût de transaction explique la préférence pour l’organisation contre le marché. Pour Williamson (1975, 1979, 1991), les coûts de transaction sont :
1. les coûts d’information et de négociation,
2. les coûts de « self rider », lorsqu’un agent engage des actions qui bénéficieront à d’autres sans que ceux-ci en supportent le poids (Gomez, 1994, p.53)
3. les coûts liés à l’opportunisme, aux ruptures abusives de contrats et aux interprétations non identiques de contrats implicites .
De ses travaux, l’axiomatique se formule (Favereau, 1989):
1. les agents sont libres et autonomes
2. ils sont rationnels (mais leur rationalité est limitée) et informés (mais l’information est coûteuse).
3. La maximisation de l’utilité constitue une fonction de leur comportement.
4. Le marché est la meilleure forme de coordination mais il existe plusieurs formes de contractualisation. La firme appartient à une forme particulière, le marché «relationnel ».
Cela suppose un calcul entre coût de transaction, le marché externe, et le coût d’organisation, le marché interne. Les agents sont donc « libres et rationnels » et ce sont les contrats qui régissent juridiquement toutes les relations c’est-à-dire les échanges dans la firme comme sur le marché (Gomez, 1994, p.54). « Tout est échange et tout est contrat » (Gomez, 1994, p.54). La dimension de l’échange permet d’appréhender les relations entre les agents. Cela fait place à une certaine coordination qui conduit à envisager les interdépendances créées sous le jour d’un aspect social. « La coordination des agents se pratique spontanément sur le marché. Le modèle considère une collection d’acteurs animés de désirs contradictoires et armés de rationalité, et observe la manière par laquelle ils finissent par constituer une société. » (Gomez, 1994, p.54).
La transaction initiale, une décision calculée
Au moment où deux parties envisagent d’échanger, chacune des parties a des objectifs distincts, des exigences mais aussi une somme de caractéristiques à offrir. « un épargnant A a une certaine quantité d’un bien à sa disposition qui a une valeur moindre pour lui qu’une quantité donnée d’un autre bien possédé par un autre épargnant B qui estime la valeur de la même quantité d’un point de vue inverse » (Menger, 1871, p.179). En ajoutant, à cette analyse, les coûts de transaction, Alderson obtient la « loi de l’échange » selon laquelle « la puissance accrue de l’assortiment du fournisseur constitué au terme de la transaction doit être plus grande que le coût de transaction » (Alderson, 1965, p.84). Cela est aussi vrai pour le client.
Un client décide de s’engager dans une transaction quand il estime que la valeur produite par l’achat est supérieure à l’ensemble des coûts (prix compris). Un fournisseur lui aussi doit évaluer la valeur qu’il reçoit. Ces deux parties n’échangeront que si elles évaluent cette valeur de façon positive. Un client évalue le gain d’une transaction par la valeur Vc. C’est la valeur que le client estime pouvoir tirer de cet échange. Cette valeur provient de la différence entre les avantages perçus (Ac) et les coûts à long terme (Cc). On peut donc écrire que l’équation de valeur (Day, 2000) est Vc = Ac – Cc. Pour augmenter la valeur client (Vc), le fournisseur peut jouer sur deux stratégies, soit de renforcer la perception des avantages pour le client (Ac) issus de l’achat ou soit de faire baisser les coûts pour le client (Cc). Il est important, pour le fournisseur, de savoir si ces stratégies produisent des coûts supplémentaires qui « alourdiraient » l’équation.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie : L’approche de la problématique par la littérature
Chapitre 1 – Les déterminants transactionnels de la vente initiale
Introduction au chapitre 1
Section 1 – Les fondements transactionnels de la vente initiale
Section 2 – Les antécédents transactionnels de la vente initiale
Section 3 – La vente initiale transactionnelle
Rappel des points-clés du chapitre 1
Chapitre 2 – Les déterminants relationnels de la vente initiale
Introduction au chapitre 2
Section 1 – De l’échange à la vente initiale
Section 2 – Les antécédents relationnels de la vente initiale
Section 3 – La vente initiale relationnelle
Rappel des points-clés du chapitre 2
Chapitre 3 – L’approche combinant les perspectives transactionnelles et relationnelles de la vente initiale
Introduction au chapitre 3
Section 1 – La relation client – vendeur
Section 2 – L’interaction dyadique client – vendeur
Section 3 – Les variables médiatrices de la vente initiale
Section 4 – La vente initiale
Rappel des points-clés du chapitre 3
Deuxième partie : La méthodologie de recherche
Chapitre 1 – Le modèle conceptuel et les hypothèses de recherche
Introduction au chapitre 1
Section 1 – La phase qualitative exploratoire
Section 2 – Les résultats de l’étude exploratoire
Section 3 – La formulation des hypothèses et la formalisation du modèle conceptuel
Rappel des points-clés du chapitre 1
Chapitre 2 – L’étude quantitative confirmatoire
Introduction au chapitre 2
Section 1. La démarche de construction du questionnaire
Section 2 – La validation des instruments de mesure
Section 3 – Les choix méthodologiques pour le test des hypothèses
Rappel des points-clés du chapitre 2
Troisième partie : L’analyse empirique de la vente initiale
Chapitre 1 – Les résultats de la recherche
Introduction au chapitre 1
Section 1- Le test des hypothèses des antécédents unidimensionnels de la vente initiale pour les acheteurs
Section 2 – Le test des hypothèses des antécédents multidimensionnels de la vente initiale pour les acheteurs
Section 3 – Le test des hypothèses des médiateurs de la vente initiale pour les acheteurs
Section 4 – Le test du modèle par la méthode des équations structurelles pour l’échantillon des acheteurs
Section 5 – Le test des hypothèses des étapes de la vente initiale pour les acheteurs
Section 6 – Le test des hypothèses des antécédents de la vente initiale pour les vendeurs
Section 7 – Le test des hypothèses des variables multidimensionnelles de la vente initiale pour les vendeurs
Section 8 – Le test des hypothèses des médiateurs de la vente initiale pour les vendeurs
Section 9 – Le test du modèle par la méthode des équations structurelles pour l’échantillon des vendeurs
Section 10 – Le test des hypothèses des étapes de la vente initiale pour les vendeurs
Rappel des points-clés du chapitre 1
Chapitre 2 – La discussion et la mise en perspective des résultats
Introduction au chapitre 2
Section 1 : La discussion des résultats
Section 2 : La mise en perspective managériale
Section 3 : Apports théoriques, limites et voies de recherche
Conclusion générale
Bibliographie