La Visibilité
Étendue de la visibilité
Selon Veblen (1899) « Pour s’attirer et conserver l’estime des hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir, il faut encore les mettre en évidence, car c’est à l’évidence seule que va l’estime » (p. 27). Pour qu’un symbole puisse atteindre son objectif, c’est-à-dire sa signification sociale, il doit y avoir au moins deux agents :
– Le possesseur du symbole qui est généralement un consommateur désirant exprimer son identité par rapport aux autres.
– L’observateur du symbole. Ce qui implique qu’il y a un phénomène social qui s’instaure. La consommation de produits symboliques est une action collective (Hirschman 1983). Cette idée est basée sur le raisonnement selon lequel pour qu’un objet puisse fonctionner en tant que symbole, il doit y avoir une réalité partagée et visible parmi les consommateurs. En d’autres termes, les consommateurs et surtout ceux qui font partie du groupe de référence doivent partager entre eux une signification proche ou commune de la symbolique du produit.
Holman dans un article publié en 1981 discute des signaux de communication des consommateurs et illustre son idée en prenant comme exemple les vêtements. Holman précise que pour que les vêtements puissent servir de moyen de communication, il faut que deux conditions soient remplies :
– Qu’ils soient visibles. Cette idée avait déjà été évoquée par Robertson en 1971 qui a montré que les produits diffèrent dans leur degré de visibilité. Les vêtements qui ne sont pas visibles (ex : les sous-vêtements) ou les accessoires qui ne sont pas portés dans le but d’être vus (ex : extension de cheveux) ont un faible degré de visibilité. Par contre, les produits qui sont achetés dans le but d’être remarqués (ex : bijou) ont un degré de visibilité élevé. Holman poursuit son analyse en notant que les produits ou items qui ont une faible visibilité ne servent pas à lancer un signal de communication pour la simple raison que l’observateur ne peut pas les identifier. Toutefois, si nous transformons un vêtement défini à la base par la société à laquelle nous appartenons comme étant discret et non visible en un vêtement visible alors le processus de communication a lieu. Une illustration de cette idée serait le sous vêtement féminin débordant d’un jean consciemment.
– Qu’ils soient variables ou différents: si tout le monde montre le même produit, alors ce dernier perd toute signification envers un groupe social déterminé. En résumé, le comportement prend un sens s’il diffère dans une certaine mesure du comportement entre les individus d’un même groupe. La différence peut être dans la couleur, dans la texture, etc.
Pour Solomon (1983), l’apparence est un facteur important qui contribue à véhiculer un sens. Cette idée avait déjà été évoquée par Stone en 1962 qui établit que chaque transaction sociale est composée de deux parties: l’apparence ou la visibilité et le discours ou le verbal. Les vêtements ainsi que tout autre produit visible établissent un lien plus fort entre le « moi » et l’appropriation de rôles sociaux que le discours. Veblen avait d’ailleurs écrit « we may escape our discursive obligations, but not our clothed appearances » (1899, p.169). Le sociologue Williams (1956) a discuté de l’importance de la visibilité des produits en écrivant :
« Le type de rideaux que l’on trouvait aux fenêtres de la plupart des maisons du village variait en fonction du degré de visibilité de chaque fenêtre. Les rideaux les plus onéreux se trouvaient ou ils pouvaient être vus le plus clairement et étaient de loin supérieurs à ceux pendus aux fenêtres qui étaient cachées du public. De plus, il était d’usage pour ce genre de tissu qui a des motifs imprimés uniquement d’un côté, qu’il soit utilisé de façon telle que la décoration soit orientée vers l’extérieur. Cet emploi de tissus les plus en vogue et les plus coûteux de façon qu’ils soient le plus sûrement remarqués, est un moyen typique d’acquérir du prestige » (p.75). Il faut noter que la notion de visibilité peut être ajoutée à la fonction première de l’objet consommé. En d’autres termes, le produit acheté ne remplit pas uniquement la fonction d’être visible, il a aussi une fonction utilitaire. Pour Veblen, les objets ne sont jamais purement futiles ou utiles, les deux dimensions coexistent. Toutefois, si un produit n’est pas visible socialement, il ne peut pas intégrer la notion de « consommation ostentatoire », nous allons illustrer ce concept en étudiant dans ce qui suit le cas des produits de luxe.
Le cas du luxe ostentatoire
Veblen en utilisant le terme « consommation ostentatoire » en 1899 se référait aux individus désirant mettre en avant des évidences visibles sur leurs capacités à se procurer des objets luxueux montrant leur richesse ou leur pouvoir. Le travail de Veblen a été motivé par les excès de son époque. Solomon (1996) note que durant cette époque, des billets de 100 dollars étaient brûlés dans les soirées pour allumer des cigares. Dans son analyse, Veblen ainsi que de nombreux chercheurs après lui assimilèrent la consommation ostentatoire aux produits dits de luxe. Or, dans ce qui suit, nous démontrerons que la consommation ostentatoire ne se limite pas aux produits de luxe et que les produits de luxe ne sont pas tous considérés comme étant ostentatoires. De plus, nous consacrerons dans ce qui suit un chapitre qui traite spécifiquement du luxe ostentatoire.
Dubois et al. (2000) notent que les consommateurs de produits de luxe essayent souvent d’impressionner les autres en consommant des produits fortement visibles. Les produits ou services luxueux révèlent selon Dubois et Laurent un peu qui nous sommes. Ils nous permettent de tirer des conclusions sur leurs utilisateurs. Les consommateurs ont alors tendance à consommer ou à s’abstenir de l’achat de certains produits de luxe afin de véhiculer un certain message sur leur personne vis à-vis des autres (Dubois et al. 2000, p.22). D’ailleurs, la définition du luxe dans le Larousse stipule que le luxe est un mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’achat de biens ou services superflus par un goût de l’ostentation ou une recherche de bien-être. Dubois et al. (2000) évoquent les limites de la visibilité d’un produit de luxe, les auteurs précisent d’après leur analyse qualitative que dans le cas où le luxe devient très commun, le produit a tendance à perdre de sa valeur symbolique.
Sens et sémiotique
Les origines de la sémiotique remontent à l’ère présocratique. Hippocrate avait déjà écrit que les signes servent à transmettre des messages sur les statuts mentaux et physiques de la personne. Platon, Aristote, Poinsot, Locke ainsi que Leibniz et Vico ont tous discuté des symboles, des signes et de la communication mais ce n’est qu’au vingtième siècle que les recherches en sémiotique prirent vraiment du poids avec le philosophe américain Charles Pierce et le linguiste suisse Ferdinand Saussure qui définit la sémiologie comme étant la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale. La différence entre signe et symbole est plus que subtile et d’ailleurs plusieurs auteurs utilisent les deux mots en tant que synonymes. Durand (1964) notait qu’une extrême confusion « a toujours régné dans l’emploi des termes relatif à l’imaginaire. Image, signe, symbole, emblème, parabole, mythe, figure, icône, idole sont utilisés indifféremment l’un pour l’autre par la plupart des auteurs ». Pour plus de précision, nous allons détailler les différences de sens entre ces deux mots. Nous considérons que le signe -exemple signe de la main pour dire bonjours est le média, alors que le symbole est le message véhiculé par le signe (signifiant/signifié). Le signe est purement indicatif et visible à tous alors que le symbole renvoie à une réalité non représentable, invisible. Lalande (1962) donne la définition suivante du symbole; selon lui : « Le symbole est un signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir ». Nous pouvons dire que le signe est visible par tous, mais ce qu’il symbolise peut être hermétique, c’est-à-dire posséder un sens caché au plus grand nombre, à ceux qui ne possèdent pas les clés de lecture. Pour Jung (1964), « ce que nous appelons symbole est un terme, un nom ou une image qui, même lorsqu’ils nous sont familiers dans la vie quotidienne, possèdent néanmoins des implications, qui s’ajoutent à leur signification conventionnelle et évidente. Le symbole implique quelque chose de vague, d’inconnu, ou de caché pour nous».
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1- CONSOMMATION OSTENTATOIRE ET VARIABLES EXPLICATIVES, UN ETAT DE LA LITTERATURE
SECTION I- Définition de la consommation ostentatoire des produits de luxe
Chapitre 1- Signes
1.0 La visibilité
1.1 Etendue de la visibilité
1.2 Le cas du luxe ostentatoire
2.0 Sens et sémiotique
2.1 Symboles sociaux
2.2 Langage d’initiés ou compréhension de masse ?
Chapitre 2- Consommation sociale
2.1 Le groupe
2.2 Le Soi social
2.3 Consommation ostentatoire et consommation de statut
Conclusion du chapitre 1 et 2
Chapitre 3- Le luxe ostentatoire
3.1 Définition du luxe
3.2 Catégorisation du luxe
3.3 Caractéristiques des produits de luxe
3.4 Attitudes vis à vis du luxe
Conclusion du chapitre 3
SECTION II- Les variables explicatives de la consommation ostentatoire
Chapitre 4- La religion
4.1 Impact de la religion sur la consommation
4.2 Tableau d’interdits
4.3 Définition
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5- La classe sociale
5.1 Définition
5.2 Structuration sociale
5.3 Différentes mesures de la classe sociale
Conclusion du chapitre 5
Chapitre 6- La conformité aux normes du groupe
6.1 L’influence informationnelle
6.2 L’influence normative
Conclusion du chapitre 6
Chapitre 7- Le matérialisme
7.1 Origine et définition du matérialisme
7.2 Les différentes approches
7.3 Les différents types de matérialistes
7.4 L’influence du matérialisme
Conclusion du chapitre 7
Chapitre 8- La vanité
8.1 Définition
8.2 Les composants constitutifs de la vanité
Conclusion du chapitre 8
Partie II- CONTEXTE DE L’ETUDE
Chapitre 9 Le Liban
9.1 Les groupes confessionnels au Liban
9.2 Impact de la religion sur la vie pratique des Libanais
Conclusion du chapitre 9
PARTIE III- EXPLORATION DU CONCEPT DE CONSOMMATION OSTENTATOIRE
III.1 Objectifs et problématique de la recherche
III.2 Méthodologie de la partie III
Chapitre 10- Pré-recherches exploratoires
10.1 Entretien avec le concessionnaire de Ferrari/Maserati
10.2 Entretien avec la directrice marketing de Bang&Olufsen
Conclusion du chapitre 10
Chapitre 11- Entretiens qualitatifs avec des consommateurs
11.1 Méthode de la recherche
Chapitre 12- Méthode de l’étude qualitative
12.1 Formation du « corpus »
12.2 Recueil des données
12.3 Procédure de codage
12.4 Fiabilité
12.5 Résultats
Conclusion du chapitre 12
Sommaire
PARTIE 4- CONCEPTUALISATION, METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ET INSTRUMENTS DE MESURE MOBILISES POUR LA RECHERCHE
Chapitre 13- Synthèse de la littérature et de l’analyse qualitative
13.1 Confrontation de la littérature et de la partie qualitative
13.2 Variables prises en compte pour le modèle final
Chapitre 14- Proposition d’un cadre conceptuel de la recherche
14.1 Les hypothèses relatives aux variables antécédentes
14.2 Les variables relatives aux variables explicatives
Conclusion du chapitre 14
Chapitre 15- Opérationnalisation des construits
15.1 Choix de l’échantillon
15.2 Choix d’un questionnaire électronique
15.3 Choix du type d’échelle
15.4 Echantillon et collecte de données
15.5 Les différentes procédures de validation
Conclusion du chapitre 15
Chapitre 16- Validation des construits mobilises pour la recherche
16.1 La religion
16.2 L’ascension sociale
16.3 La conformité aux normes du groupe
16.4 Le désir de se sentir unique
16.5 La vanité
16.6 Le matérialisme
16.7 La tendance à la consommation ostentatoire
Conclusion du chapitre 16
Sommaire
PARTIE V- PRESENTATION, MISE EN PERSPECTIVE DES RESULTATS ET TEST DES HYPOTHESES
Chapitre 17- Les étapes à suivre pour une analyse factorielle confirmatoire
17.1 Nature des construits
17.2 Normalité des variables
17.3 Les étapes à suivre dans une analyse d’équations structurelles sous AMOS
17.4 Objectifs de la seconde collecte des données
17.5 Analyse factorielle exploratoire pour chaque construit
17.6 Analyse en composante principale portant sur tous les construits réflexifs
Chapitre 18- Analyse factorielle confirmatoire
18.1 Analyse factorielle confirmatoire sur chaque construit réflexif à 4 items
ou plus
18.2 Analyse factorielle confirmatoire sur l’ensemble des construits réflexifs
Conclusion du chapitre 18
Chapitre 19- Les résultats de la recherche
19.1 Justification du choix de la modélisation structurelle par approche PLS
19.2 Analyse des résultats
Conclusion du Chapitre 19
Chapitre 20- Analyse et discussion
Conclusion du chapitre 20
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
Liste des Tableaux
Liste des Figures
Liste des Annexes
Table des matières
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