Une étude française publiée en 2015 présente l’alcool comme l’une des toutes premières causes d’hospitalisation : en 2012, 580 000 séjours liés à l’alcool ont été identifiés en hospitalisation en médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) ce qui représente 2,2% de l’ensemble des séjours, soit une augmentation de 11,3% par rapport à 2006. En psychiatrie, les hospitalisations pour un trouble induit par l’alcool représentent 10,4% du total des journées d’hospitalisation et 3,7% des actes ambulatoires. En SSR, les journées liées à l’alcoolisation excessive s’élèvent à 5,6% de l’activité totale. Le coût estimé représente 3,6% de l’ensemble des dépenses hospitalières .
Cette forte proportion d’hospitalisation liée à une consommation d’alcool, j’ai pu la constater au cours de mon exercice en tant qu’interne de psychiatrie. Ainsi, j’ai rapidement compris que l’addictologie serait régulièrement intriquée aux troubles psychiatriques. C’est pourquoi j’ai souhaité faire un stage en addictologie. De plus j’ai complété ma formation de Diplôme d’Etudes Spécialisées de psychiatrie par un Diplôme d’Etudes Spécialisées Complémentaires d’addictologie ainsi qu’une formation en trois ans de Thérapie CogniticoComportementale dont les résultats dans le domaine de l’addictologie sont tout à fait remarquables.
Au cours de mon semestre en addictologie, je devais chaque matin me rendre aux urgences ou à l’Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD) du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rouen, afin d’effectuer le travail de liaison en addictologie pour les patients présentant un trouble addictif : information, prévention, réduction des risques et proposition de prise en charge en addictologie en ambulatoire (Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, CSAPA) ou en hospitalisation. La grande majorité des avis concernait les patients adressés pour un trouble de l’usage de l’alcool (TUA). Rapidement, face à des situations complexes, je me suis demandé quels étaient les critères pertinents qui me permettraient de proposer une hospitalisation pour un sevrage alcool, quels critères seraient prédictifs de réussite.
LES FACTEURS EN LIEN AVEC LE TROUBLE D’USAGE D’ALCOOL
Les facteurs de risque de rechute
Pour aborder les facteurs de rechute, il est intéressant de s’arrêter sur la définition même de la rechute. Il n’existe pas dans la littérature de définition consensuelle de la rechute (3). Maffi (1997) évoque la rechute comme une partie de l’évolution normale d’une dépendance sans différence de substance. C’est aussi ce que considèrent Prochaska et DiClemente (1984, 2005) d’après leur modèle transthéorique de changement en étapes. Les expériences de rechute sont décrites comme inévitables dans le parcours de soins (Décamps, Scroccaro & Battaglia, 2009). Uehlinger et Carrel (1998), définissent trois niveaux de sévérité dans la rechute alcoolique :
– un écart (slip) : reprise d’un verre d’alcool après une période d’abstinence
– la reconsommation (lapse) : reprise répétée d’alcool sur plusieurs jours sans signes de dépendance avérée
– la rechute (relapse) : réinstallation de la dépendance à l’alcool.
Marlatt & Donovan (2008) font une distinction entre la prise initiale de produit qui par définition rompt l’abstinence, qu’ils appellent « chute », et la reprise complète d’une consommation pathologique qui définit « la rechute ».
Une méta-analyse récente montre qu’au plus 50% des personnes atteintes d’un TUA, après une période de suivi plus longue de plusieurs années, obtiennent une rémission (4). Alors que certaines études évoquent jusqu’à 90% de rechute. Une revue systématique de la littérature récente a examiné les déterminants de la rechute dans 321 études réalisées entre 2000 et 2019 (5). Les facteurs de risque et les facteurs protecteurs de rechute sont catégorisés comme suit :
Facteurs biologiques
❖ L’âge (> 40 ans) : l’âge avancé serait un facteur positif de rémission alors qu’un début plus jeune serait un facteur de risque de rechute
❖ Le sexe : certaines études ont montré que le sexe féminin était significativement associé à un meilleur pronostic. Un plus grand nombre d’études ne retrouvent pas d’association significative. Un ensemble d’études conseillent une vigilance accrue des consommations d’alcool chez les femmes car à niveau égal, les conséquences somatiques sont beaucoup plus sévères pour les femmes que pour les hommes (6).
❖ Le « cerveau » : les troubles cognitifs à travers un dysfonctionnement du système de récompense cérébrale, du réseau de contrôle exécutif et de l’insula, et d’autres régions, sont associés à une rechute beaucoup plus importante. Le Collège professionnel des Acteurs de l’Addictologie Hospitalière (COPAAH) a élaboré des recommandations dans le sens d’une prise en charge des troubles cognitifs afin d’améliorer la réussite d’un sevrage alcoolique (7).
❖ Les antécédents familiaux et génétiques : les antécédents familiaux et la génétique seraient associés à un plus grand risque de rechute. Un grand nombre d’études n’ont pas réussi à trouver d’association.
❖ La santé : une mauvaise santé physique est associée à un risque de rechute plus élevé
❖ Le sommeil : un sommeil de mauvaise qualité est associé à un risque de rechute plus élevé
❖ Les facteurs hormonaux et les biomarqueurs spécifiques de la consommation d’alcool (par exemple, les enzymes hépatiques) : l’augmentation de ces marqueurs est associée à un risque de rechute plus élevé .
Facteurs psychologiques
❖ La comorbidité psychiatrique : les troubles de l’humeur (dépression et troubles bipolaires) et le Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH), sont associés à un risque accru de rechute
❖ Le trouble de la personnalité : certaines études l’associent à un risque accru de rechute tandis qu’une revue systématique récente ne retrouve pas de lien significatif. Le pourcentage de troubles de la personnalité comorbides observés varie de 29 à 81% selon Bailly et Venisse (2001). La SFA affirme que les troubles de la personnalité et notamment la personnalité antisociale sont associés à un risque élevé de TUA.
❖ La gravité de l’addiction : la multiplication des symptômes du TUA est associée à un plus grand risque de rechute
❖ La durée d’abstinence : une durée d’abstinence plus importante est liée à un facteur de maintien du sevrage
❖ L’auto-efficacité personnelle : un niveau élevé d’auto-efficacité est associé à un risque de rechute plus faible et considéré comme un facteur protecteur
❖ Une autre addiction : l’utilisation de substances comorbides est liée à un plus grand taux de rechute
❖ Un antécédent de traitement, la capacité d’adaptation altérée et les déficits neurocognitifs : prédiraient un plus grand risque de rechute
❖ Les évènements de la vie : le stress et les traumatismes sont associés à des taux de rechute plus élevés
❖ Une perspicacité plus faible, moins de recherche d’aide, des objectifs de réduction d’alcool moins clairs, les attentes de résultats positifs, une faible motivation et les conséquences négatives liées à l’alcool, sont associés à un risque de rechute plus élevé
❖ L’impulsivité : ce facteur est inconstamment retrouvé comme facteur de risque de rechute. Une étude l’évoque même comme un facteur protecteur.
|
Table des matières
INTRODUCTION
ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES FACTEURS EN LIEN AVEC LE TROUBLE D’USAGE D’ALCOOL
A. Les facteurs de risque de rechute
1. Facteurs biologiques
2. Facteurs psychologiques
3. Facteurs sociaux
4. Facteurs spirituels
B. Facteurs de réussite de sevrage
II. QUANTITE D’ALCOOL CONSOMMEE, CONSOMMATION DECLAREE D’ALCOOL
III. LES TROUBLES COGNITIFS LIES A L’ALCOOL
IV. LA MOTIVATION AU CHANGEMENT : LE MODELE TRANSTHEORIQUE DE PROCHASKA ET DICLEMENTE
V. LA DEPRESSION : UN CO-FACTEUR REGULIER DE L’ADDICTION
VI. L’ESTIME DE SOI : UN AXE CENTRAL DE L’INTERVENTION
VII. LA QUALITE DE VIE COMME INDICATEUR DE SANTE
A. Définition de la qualité de vie
B. Les déterminants de la qualité de vie et de son évolution
C. La qualité de vie en psychiatrie
D. La qualité de vie dans le trouble d’usage d’alcool : une nouvelle échelle de mesure l’Alcohol Quality of Life Scale (AQoLS)
MATERIELS ET METHODES
I. CONCEPTION DE LA RECHERCHE
II. CRITERES D’EVALUATIONS
III. POPULATION
IV. DUREE DE LA RECHERCHE
V. DIAGRAMME DE L’ETUDE CHAS
VI. ANALYSES STATISTIQUES
RESULTATS
I. EVALUATION INITIALE
A. Patients : caractéristiques sociodémographiques et antécédents
B. Caractéristiques liées aux évaluations initiales
1. Evaluation de la consommation d’alcool : AUDIT
2. Stades de motivation : URICA
3. Troubles cognitifs : MoCA
4. La dépression : Beck Inventory Depression
5. Estime de soi : échelle de Rosenberg
II. EVALUATION FINALE
A. La consommation déclarée d’alcool par le TLFB
B. La qualité de vie
C. Le suivi
III. RESULTATS A 10-12 MOIS
DISCUSSION
I. LES FACTEURS ETUDIES
II. FORCES ET FAIBLESSES DE NOTRE ETUDE
III. PERSPECTIVES ET ACTIONS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE