Les milieux polaires
Les écosystèmes Arctique et Antarctique sont très importants pour le maintien du climat planétaire vu leur capacité à réfléchir la lumière, mais relativement peu étudiés compte tenu de la rudesse du climat et de la difficulté de l’échantillonnage en hiver. Ces régions polaires sont principalement caractérisées par la présence de glace annuelle et pluriannuelle (notamment dans l’Arctique pour cette dernière), contribuant ainsi à jouer un rôle important dans la circulation globale océanique et la régulation du climat planétaire. En hiver, l’étendue maximale de la glace de mer peut atteindre 7 % de la superficie totale de la Terre, ce qui en fait l’un des plus grands biomes de la planète (Dieckmann et Hellmer 2010). L’étendue maximale des glaces de mer de l’Arctique varie de 15,7 x 106 km2 en mars à 3,41 x 106 km2 en septembre (Dieckmann et Hellmer 2010, NSIDC 2012). Au début du printemps, moins de 50 % de cette étendue est composée de glace de première année d’une épaisseur moyenne généralement inférieure à 2 m (Dieckmann et Hellmer 2010). En Antarctique, l’étendue du couvert de glace varie de 18,8 x 106 km2 en septembre à 3,6 x 106 km2 en février. La glace de première année y est dominante dans une proportion supérieure à 80 % avec une épaisseur moyenne de 0,5 m (Wadhams 2000). Au cours des dernières décennies, le climat de notre planète a été mis à rude épreuve avec l’ augmentation de la population mondiale, la production de gaz à effets de serre et le réchauffement global. Les régions polaires demeurent très sensibles aux variations de la température. La température de l’océan Arctique a augmenté de 0,7°C depuis le début des années 1950 (Hassol 2004), favorisant un amincissement (Serreze et al. 2007, Haas et al. 2008) et une diminution de l’ étendue des glaces de mer (Comiso 2002, Comiso et al. 2008). Selon les images-satellite, la diminution de l’étendue minimale des glaces a varié entre 9 et 10 % par décennie entre 1979 et 2006 (Comiso 2002, Stroeve et al. 2007). D’ici 2100, la modélisation du climat prédit que la température atmosphérique de l’Arctique aura augmenté de 4 à 7°C, favorisant un océan libre de glace en été et conduisant par le fait même à un changement majeur de l’écosystème marin (ACIA 2005, Holland et al. 2006). Un modèle récent prévoit d’ailleurs la disparition quasi complète des glaces pluriannuelles de l’Arctique d’ici 2040 (Holland et al. 2006, Kerr 2007). Le mois de septembre 2007 a enregistré la plus faible étendue de la couverture de glace de l’Arctique avec 4,12 x 106 km2 , abaissant ainsi de 24 % l’ancienne valeur minimale de 2005 (Comiso et al. 2008) (Figure 1). Un nouveau record a été établi en septembre 2012 avec une étendue de 3,41 x 106 km2 (Figure 1). Cette diminution du couvert de glace pourrait affecter le climat atmosphérique et les différents écosystèmes de l’océan Arctique, causant l’augmentation de température des océans via l’absorption des rayons solaires (NSIDC 2012).
La formation de la glace de mer et son biotope
La glace de première année de l’océan Arctique se forme généralement en octobre pour atteindre une épaisseur maximale d’environ 2 m au début du printemps. À l’automne, les cristaux de glace se forment dans la colonne d’eau lorsque la température diminue sous le point de congélation, soit autour de -l,86°C. Ensuite, ces cristaux remontent vers la surface, ce qui favorise la consolidation de nouvelle glace (Petrich et Eicken 2010). Lors de sa formation, la glace de mer emprisonne différentes particules et molécules, comme les ions, ies seis (ou saumure) et ies gaz, ce qui influence la structure et les propriétés de la glace de mer (Weeks et Ackley 1982). Figure 1 : Variation de l’étendue des glaces de mer de l’Arctique en septembre entre 1979 et 2012. La droite indique une diminution de 12 % de l’étendue des glaces par décennie (Tirée du site web du National Snowand Ice Data Center, NSIDC). À l’ automne, une glace de texture granuleuse se forme ayant une épaisseur d’environ 5 cm (Petri ch et Eicken 2010) (Figure 2). Cette glace est habituellement caractérisée par la présence de cristaux de formes diverses et d’orientation aléatoire. Lorsque la glace épaissit,les cristaux s’alignent verticalement et forment une texture uniforme dénommée glacecolumnaire, ou columnar ice en anglais (Figure 2). À la base de cette couche de glace seforme l’interface lamellaire, ou lamellar interface en anglais, correspondant à une couche de glace très poreuse ayant une température tout juste sous le point de congélation de l’eau de mer. Cette couche dite squelettique, ou skeletal layer en anglais, possède des caractéristiques stables assurant le développement d’une importante concentration d’algues microscopiques à la base de la glace de mer (Figure 2).Lors de la formation de la glace de mer en automne, les eaux de surface ne foisonnentpas tellement en cellules phytoplanctoniques provenant des floraisons antérieures. Toutefois, des cellules autotrophes et hétérotrophes encore présentes dans les eaux superficielles sont emprisonnées dans la glace de mer lors de sa formation (Riedel et al. 2007a, R6zanska et al. 2008). Les protistes de plus grande taille (2:4 /lm) sont plus facilement incorporés dans la glace de mer que les cellules picophytoplanctoniques (Riedel et al. 2007a, R6zanska et al. 2008). L’incorporation de cellules continue durant la période hivernale (Niemi et al. 2011). À la fin de l’hiver et au début du printemps, l’augmentation saisonnière de l’irradiance favorise le développement d’une communauté d’algues dans la couche squelettique à la base de la glace. Les échanges de nutriments entre les eaux de surface et la couche inférieure de la glace permettent le développement et l’accumulation des algues dans les centimètres inférieurs de la glace de mer (Cota et al. 1991 , Michel et al. 1996).
Les facteurs du milieu influençant le développement des algues de glace
Le développement des algues de glace est contrôlé par un ensemble de variables environnementales comme la lumière, les nutriments, l’espace disponible (i.e., la porosité de la glace), le broutage et les processus reliés à la fonte de la glace (Lavoie et al. 2005). Homer et Schrader (1982) ainsi que Gosselin et al. (1985) ont clairement démontré que la biomasse des algues commence à s’accumuler à la base de la glace au printemps lorsque al. (2009) ont observé ce même phénomène à la fin de l’hiver dans la baie de Franklin. Audelà de ces valeurs, les algues répondent à une augmentation saisonnière de l’intensité lumineuse en modifiant leurs propriétés photosynthétiques (Gosselin et al. 1985, 1990, Michel et al. 1988, Cota et Home 1989). Toutefois vers la fin du printemps, une intensité lumineuse trop élevée peut nuire au développement de certaines espèces sciaphiles à la base de la glace, car elles sont alors photoinhibées (Michel et al. 1988). La couverture de neige joue un rôle important dans la transmission de la lumière à la base de la glace. La neige contrôle le climat planétaire en réfléchissant les rayons lumineux grâce à son albédo élevé, gouvernant par le fait même la température atmosphérique (Mundy et al. 2007). La neige permet également de contrôler les flux de chaleur entre l’ océan et l’ atmosphère. Un couvert de neige épais diminue le taux de croissance de la glace et réfléchit plus d’énergie solaire, et vice-versa, affectant par le fait même la biomasse des algues colonisant la base de la glace (Gosselin et al. 1986, Mundy et al. 2007)En plus de la lumière atteignant les niveaux inférieurs de la glace de mer, les apports en éléments nutritifs sont aussi très importants dans le développement des algues sympagiques (Gosselin et al. 1985, 1990, Smith et al. 1997). Au début de la période de croissance, les algues de glace sont limitées par la lumière et, à mesure que la saison progresse, elles deviennent limitées en éléments nutritifs (Gosselin et al. 1990, Lavoie et al.2005, Pogson et al. 2011). Le silicium et l’azote dissous sont deux nutriments qui peuvent limiter la croissance des algues de glace dans l’Arctique canadien (Cota et al. 1990,Gosselin et al. 1990, Smith et al. 1990). Une forte stratification de la colonne d’eau sous la glace de mer réduit les apports de nutriments de la couche profonde vers les eaux de surface. Sous les grandes étendues de glace, le cisaillement, la marée et les ondes internes peuvent réapprovisionner périodiquement la couche de surface en nutriments (Gosse lin et al. 1985, Cota et al. 1991). À la lisière de la glace, des remontées d’eau profonde peuvent survenir sous l’action de vents forts dominants et continus s’exerçant sur une assez grande superficie d’ eau libre de glace (Buckley et al. 1979), comme dans une polynie ou une zone marginale de glace (Mundy et al. 2009, Tremblay et al. 2011).La croissance algale peut aussi être limitée par la disponibilité de l’espace dans le réseau de capillaires et de pochettes à saumure qui caractérise la couche squelettique de la glace de mer. Lors de la fonte de la neige et de la glace, la percolation qui se produit à travers la colonne de glace favorise la libération des algues de glace dans la colonne d’eau (Michel et al. 1996, Fortier et al. 2002, Ralph et al. 2007). Le broutage des algues par les protozoaires flagellés et ciliés (Sirrie Ngando et al. 1997), les dinoflagellés hétérotrophes (Michel et al. 2002), les copépodes planctoniques (Falk-Petersen et al. 2009) et la méiofaune (Nozais et al. 2001) influence également la dynamique algale. Cette source de nourriture est importante pour les brouteurs pélagiques, Il surtout lorsque l’océan est couvert de glace, devenant alors la principale ressource alimentaire disponible (Runge et Ingram 1988). Étant donné que la floraison des algues deglace devance la floraison du phytoplancton, les brouteurs ont donc accès plus tôt à une abondante source de nourriture, favorisant ainsi le développement des niveaux trophiques supérieurs de la colonne d’eau. La sédimentation des algues de glace peut également être très importante pour les organismes benthiques. La consommation des algues provenant de la glace ainsi que l’augmentation de la disponibilité de l’oxygène, via la bioturbation, accroît le taux de respiration de la faune épi benthique (Renaud et al. 2007).Les polynies arctiques et le chenal de séparation circumpolaire En plus de l’omniprésence des glaces de mer caractérisant les régions polaires, on y retrouve en hiver ou au printemps des zones d’eaux libres entourées de glace de mer qui se forment d’ une année à l’ autre au même endroit, dénommées polynies (Stirling 1997). Dans l’océan Arctique, la zone libre de glace située entre le pack arctique et la glace côtière se nomme chenal de séparation. Compte tenu de la forte productivité biologique des polynies, ces zones sont souvent qualifiées d’oasis arctiques. On dénombre une soixantaine de polynies dans l’ hémisphère Nord (Smith et Barber 2007), dont quelques-unes fort bienconnues comme la polynie Northeast Water au nord-est du Groenland (Pesant et al. 1996), la polynie des Eaux du Nord entre le Groenland et l’île d’Ellesmere (Michel et al. 2002) et la polynie de l’île Saint-Laurent dans la mer de Béring (Springer et al. 1996). Il y a aussi celle qui nous préoccupe ici à savoir la polynie du cap Bathurst qui est située dans le golfe Amundsen à quelque 150 km à l’est de l’embouchure du fleuve Mackenzie en mer de Beaufort (Smith et Barber 2007). Cette polynie fait également partie du système de chenal de séparation circumpolaire présent dans l’hémisphère Nord (Arrigo et van Dijken 2004).Cet écosystème particulier joue un rôle primordial dans la dynamique de la glace de mer arctique et procure un habitat favorable au printemps à d’importantes populations d’oiseaux et de mammifères marins (Dickson et Gilchrist 2002).Les eaux de la polynie du cap Bathurst ont une hydrographie assez particulière représentée par trois différentes masses d’eau en hiver (Cannack et al. 2004). Les eaux de surface polaires, généralement pauvres en nutriments, sont caractérisées par une température et une salinité inférieures à celles de la couche intennédiaire d’origine Pacifique. Cette masse d’eau intennédiaire est froide (ca. -l,SOC), salée (ca. ~ 33) et très riche en nutriments, avec des concentrations en nitrate, phosphate et acide siliciqueatteignant respectivement 15, 2 et 30 !lM (Cannack et al. 2004). Quant à la couche d’ eau plus profonde d’origine Atlantique, elle présente une température (- 0,9 à 2,3°C) et une salinité (34,8 à 34,9) plus élevées que celles des masses d’eau supérieures (McLaughlin et al. 2002). En hiver, le couvert de glace de mer empêche le vent de mélanger la couche de surface polaire avec les eaux intennédiaires d’origine Pacifique (Cannack et al. 2004, Tremblay et al. 2008). Au printemps et à l’ été, des événements d’ upwelling peuvent survenir grâce à la bathymétrie abrupte du plateau continental de la mer de Beaufort et aux forts vents dominants (Williams et Cannack 2008). Ces événements pennettent de transporter des eaux d’origine Pacifique riches en nutriments vers la surface, intensifiant d’ autant plus la floraison phytoplanctonique à la lisière des glaces côtières du golfe Amundsen (Mundy et al. 2009). Plusieurs travaux ont été menés à l’automne 2003 ainsi qu’à l’hiver et au printemps 2004 sur la dynamique des bactéries hétérotrophes et des protistes autotrophes et hétérotrophes de la glace de mer sur le plateau du Mackenzie, le golfe Amundsen et la baie de Franklin lors du projet, Étude des échanges sur le plateau arctique canadien / Canadian Arctic Shelf Exchange Study (CASES) (Riedel et al. 2006, 2007a, b, 2008, luul-Pedersen et al. 2008, Rozanska et al. 2008, 2009). Dans le cadre du programme de recherche, Étude du chenal de séparation circumpolaire / Circumpolar Flaw Lead (CFL) system study, de l’Année polaire internationale 2007- 2008, la présente étude a porté sur la dynamique des algues de glace dérivante de la polynie du cap Bathurst et de la glace côtière située à la lisière sud de cette polynie entre le 17 mars et le 2 juin 2008.
Chlorophyll a biomass
Ouring the first half of May, the bottom ice chI a biomass and protist abundance were significantly higher along the landfast ice than the values recorded in the drifting ice (Table 1). Bottom ice chI a biomasses ranged from 0.02 to 102 mg m2 in landfast ice against 0.29 to 20.6 mg m2 in drifting ice (Table 1). In March, chI a biomass was low «10 mg m2 ) up to the beginning of May in drifting ice, but reached a maximum value of 102 mg m – 2 in landfast ice. Ouring the bloom, most of the chlorophyll a was contained in cells >20 /-lm in size, with values higher than 50 mg chl a m2. The biomass of cells <5 /-lm in size reached a maximum value of20 mg chI a m2 for the same period (Figure 2). After 16 May, chI a biomass was less than 2 mg m – 2 in both land fast and drifting ice as a response to melting processes.
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Table des matières
AVANT-PROPOS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
-Les milieux polaires
-La formation de la glace de mer et son biotope
-Les organismes colonisant la glace de mer
-Les facteurs du milieu influençant le développement des algues de glace
-Les polynies arctiques et le chenal de séparation circumpolaire
-Les objectifs de la recherche
CHAPITRE 1 LA REMONTÉE DES EAUX FAVORISENT L’ACCUMULATION D’ALGUES DE GLACE: DÉVELOPPEMENT POTENTIEL DE NOUVELLES ZONES PRODUCTIVES
1.1 RÉSUMÉ EN FRANÇAIS
1.2 INTRODUCTION
1.3 MATERIALS AND METHODS
1.4 RESULTS
-Physical and chemical characteristics
-Chlorophyll a biomass
-Protist abundance and diversity
-Pico- and nanoalgae
1.5 DISCUSSION
-Cell abundance and community composition
-Ice algal biomass and potential accumulation
-What is explaining the high ice algal biomass value at the landfast ice edge zone in 2008?
-Future studies and implications
1.6 CONCLUSIONS
2. CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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