Les facteurs d’érosion de la biodiversité
Les principaux facteurs d’érosion de la biodiversité ont été définis par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, le MEA (Millennium Ecosystem Assessment 2005) et peuvent être regroupés sous le terme de « changements globaux » (Figure 2 ; voir aussi Figure 10). Ces facteurs anthropiques sont (1) la surexploitation des ressources vivantes (e.g. in Rosser and Mainka 2002), (2) l’altération des habitats naturels (e.g. in Fischer and Lindenmayer 2007), (3) le changement climatique (e.g. in Hughes 2000), (4) la pollution (e.g. in Reznick and Ghalambor 2001) et (5) l’introduction d’espèces (e.g. Lövei 1997). Certains de ces facteurs anthropiques de perte de biodiversité ont un caractère non aléatoire et peuvent mener à l’extinction ciblée des espèces de grande taille corporelle (Smith et al. 2003; Ray et al. 2013). En parallèle, un nombre croissant d’études ont montré qu’avant même l’extinction de ces espèces menacées, leurs traits phénotypiques (e.g. traits morphologiques, comportementaux, physiologiques…) pouvaient être modifiés par les activités anthropiques (Palumbi 2001; Bradshaw and Holzapfel 2006; Carroll et al. 2007; Allendorf and Hard 2009; Darimont et al. 2009). Par ailleurs les changements de traits ayant pour origine une modification de leur environnement par les activités humaines seraient présents dans tous les écosystèmes aquatiques et terrestres, sur tous les continents excepté l’Antarctique (Figure 3 ; Palkovacs et al. 2012). Le caractère non aléatoire de ces facteurs est détaillé dans la suite de cette section.
L’exploitation des ressources naturelles
La surexploitation est une des causes majeures et directes de perte sélective des espèces de grande taille et des grands individus au sein des espèces (Fenberg and Roy 2007; Hutchings and Fraser 2007). Les grandes espèces et les grands individus présentent en effet un intérêt économique évident pour l’Homme (Zimmermann et al. 2011) qui aura tendance à les chasser (e.g. Milner et al. 2007), les pêcher (e.g. Jennings et al. 1998; Law 2000) et les récolter préférentiellement (e.g. Law and Salick 2005). L’otarie du Japon (Zalophus japonicus) par exemple, fait partie des espèces de grande taille corporelle qui auraient été décimées par l’exploitation de leur fourrure (Sakahira and Niimi 2007). En milieu marin, le niveau trophique moyen des espèces actuellement pêchées est largement inférieur au niveau trophique moyen des espèces pêchées par le passé et n’a cessé de diminuer depuis 1950 (Pauly et al. 1998). Cette étude montre bien le caractère non aléatoire de la perte de biodiversité marine.
Par ailleurs, comme la taille corporelle est positivement corrélée à l’âge, l’augmentation du taux de mortalité provoqué par l’exploitation diminue la proportion des individus grands et âgés dans les populations. D’après Chris T. Darimont et ses collaborateurs (2009) les changements phénotypiques induits par l’exploitation des populations naturelles seraient trois fois plus rapide que ceux induit naturellement et plus rapide également que ceux induits par d’autres types d’activités anthropiques. De nombreux exemples sont documentés en milieu terrestre (Coltman et al. 2003; Jerozolimski and Peres 2003; Law and Salick 2005) et aquatique (Law 2000; Edeline et al. 2007; Hutchings and Fraser 2007). Par exemple la chasse préférentielle pendant plusieurs années des individus mâles ayant les plus grandes cornes d’une population de mouflons (Ovis canadensis) a significativement réduit la taille des cornes des individus mâles mais aussi la masse corporelle des individus de la population (Figure 4 ; Coltman et al. 2003).
L’altération des habitats
L’altération des habitats peut également concourir à accélérer la perte d’espèces de grande taille corporelle car ces dernières possèdent des caractéristiques qui les rendent particulièrement sensibles à cette pression anthropique (Pimm et al. 1988). Les espèces de grande taille corporelle ont souvent des besoins alimentaires importants, associés à des territoires d’alimentation plus grands que d’autres (Fischer and Lindenmayer 2007). Elles sont également souvent caractérisées par un faible taux de reproduction (Van Allen et al. 2012). Par conséquent, la perte ou l’altération de leur habitat va plus fortement les impacter. Par exemple le grand canard d’Oustalet (Anas oustaleti) qui vivait dans les îles Mariannes du Pacifique a complètement disparu suite à l’altération de son habitat. Les marais dans lesquels il vivait ont été drainés puis convertis pour une utilisation humaine (Young et al. 1996). L’altération des habitats, en particulier la fragmentation peut également favoriser une adaptation vers des tailles corporelles réduites, pour des espèces de grande taille corporelle chez qui la croissance serait limitée par un manque de ressources (van Valen 1973; Lomolino 2005). Ce patron d’adaptation a été reporté dans plusieurs cas pour des vertébrés, allant des mammifères (Foster 1964; Meiri et al. 2005) aux squamates (Boback and Guyer 2003).
Le changement climatique
Le réchauffement climatique serait également responsable d’une réduction des tailles corporelles moyennes (Hunt and Roy 2006; Daufresne et al. 2009; Van Buskirk et al. 2010; Gardner et al. 2011; Sheridan and Bickford 2011; Edeline et al. 2013), particulièrement bien illustré en milieu aquatique. D’après les théories métaboliques de l’écologie (Brown et al. 2004), l’énergie accumulée par un individu (i.e. la différence entre ce que l’individu ingère et ce qu’il dépense pour se maintenir en vie) augmenterait plus vite avec l’augmentation des températures chez les petits individus que chez les grands. Ce mécanisme pourrait rendre les petits individus plus compétitifs que les grands individus pour l’exploitation des ressources. L’étude statistique mené par Eric Edeline et ses collaborateurs (2013) corrobore cette prédiction et met en évidence le rôle indirect du réchauffement climatique sur la réduction des tailles corporelles moyennes des poissons d’eau douce.
Par ailleurs des études suggèrent que l’acidification des océans pourrait également réduire la taille corporelle moyenne des individus (Kelly et al. 2013; Kroeker et al. 2014; Sunday et al. 2014; Garilli et al. 2015; Ou et al. 2015). Les études dans ce domaine sont encore préliminaires, néanmoins Morgan Kelly et ses collaborateurs (2013) ont montré que le taux de croissance somatique d’oursins (Strongylocentrotus purpuratus) pourrait évoluer vers des taux de croissance lents en réponse à une augmentation de l’acidité des eaux .
Pour résumer, cette section montre que les facteurs anthropiques érodent non aléatoirement la biodiversité et menacent d’extinction plus particulièrement les espèces de grande taille corporelle. Néanmoins ces espèces pourraient s’adapter en diminuant leur taille corporelle moyenne en réponse aux pressions anthropiques (i.e. traits phénotypiques modifiés). Comme les pressions anthropiques agissent simultanément, elles peuvent interagir et accélérer ou ralentir l’adaptation. Si leurs interactions sont synergiques, le déclin de la taille corporelle moyenne des espèces de grande taille corporelle pourrait être accéléré. Quelques études récentes se sont intéressées à ces synergies (e.g. Genner et al. 2009; Shackell et al. 2010; Binzer et al. 2015).
L’adaptation des populations menacées par les pressions anthropiques
La notion de trait phénotypique
Les changements adaptatifs qui peuvent provenir d’une réponse à une des pressions anthropiques précédemment présentées se produisent localement au sein d’une population d’une espèce, au niveau des traits phénotypiques des individus qui la composent. Chaque individu est caractérisé par un phénotype, constitué d’un ensemble de traits phénotypiques, qui le définit. Le phénotype exprimé dépend des potentialités du génotype, éventuellement modulées par les interactions avec l’environnement. Autrement dit, la valeur d’un trait phénotypique est déterminée par le génotype et le contexte environnemental (Figure 5 ; Tirard et al. 2012). Ces traits phénotypiques peuvent-être morphologiques (e.g. taille, forme), physiologiques (e.g. masse corporelle, taux de croissance, taux d’hormones de stress) ou comportementaux (e.g. agressivité). Les traits d’histoire de vie représentent les traits phénotypiques impliqués dans le cycle de vie de l’individu : la fécondité, la taille à la naissance, l’âge et la taille à maturité, la sénescence en sont les principaux exemples. Ce sont les traits impliqués dans la survie et la reproduction d’un individu, dans sa fitness, qui peuvent être source d’adaptation d’une population à des pressions de sélection.
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Table des matières
Chapitre 1 : Introduction générale
1.1. La perte de biodiversité
1.1.1. Définition de la biodiversité
1.1.2. L’Érosion de la biodiversité
1.2. Les facteurs d’érosion de la biodiversité
1.2.1. L’exploitation des ressources naturelles
1.2.2. L’altération des habitats
1.2.3. Le changement climatique
1.3. L’adaptation des populations menacées par les pressions anthropiques
1.3.1. La notion de trait phénotypique
1.3.2. Le mécanisme d’adaptation
1.3.3. L’adaptation à la pression de sélection de pêche
1.4. Les conséquences d’une réponse adaptative pour les populations
1.5. Les conséquences écologiques de l’érosion de biodiversité
1.4.1. La diversité des interactions biotiques
1.4.2. Des effets trait-dépendant et densité-dépendant dans les réseaux d’interactions
1.6. La biodiversité et les sociétés humaines
1.7. Les objectifs et la structure de la thèse
Chapitre 2 : Matériels et méthodes
2.1. Les apports de la démarche expérimentale
2.1.1. Les différents types d’études en écologie
2.1.2. Le principe et les intérêts de la démarche expérimentale
2.1.3. L’étude expérimentale des mécanismes d’adaptations à la pêche
2.2. Le modèle biologique
2.2.1. Caractéristiques du médaka
2.2.2. Choix du médaka
2.3. Présentation des protocoles expérimentaux
2.3.1. Provenance des médakas sauvages
2.3.2. L’expérience de cascade trophique
2.3.3. L’expérience de sélection artificielle sur la taille corporelle
Chapitre 3 : Cascade trophique
3.1. Article : « Morphological drivers of trophic cascades »
Chapitre 4 : Sélection artificielle sur la taille corporelle
4.1. Article : « Direction specific phenotypic response to size – truncative selection »
Chapitre 5 : Discussion et perspective
5.1. Discussion
5.1.1. Conséquences écologiques
5.1.2. Conséquences évolutives
5.2. Perspective
Références bibliographiques
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