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Résistance aux antibiotiques et recherche de nouvelles thérapeutiques
Les antibiotiques traditionnels ont des effets soit bactericides (=capacité à tuer les bactéries) soit bactériostatiques (=capacité à limiter la croissance des bactéries). Or des souches résistantes à un antibiotique apparaissent toujours quelques années après le début de l’utilisation de cet antibiotique, comme illustré par la figure suivante (Figure 6).
Le bacille P. aeruginosa est naturellement résistant à certains antibiotiques et a la capacité d’acquérir de multiples résistances (Strateva et al. 2009). Il possède en effet des pompes à efflux lui permettant de transporter des substances nutritives et d’exporter des substances toxiques dont les antibiotiques (Stover et al. 2000). De plus, l’importance de ce bacille dans des milieux pourtant très contrôlés comme les hôpitaux s’explique par une forte pression de sélection due à une utilisation massive de désinfectants et d’antibiotiques et à la forte capacité d’adaptation de P. aeruginosa dans des environnements très variés. A titre d’exemple, une étude a montré qu’après 4 jours de culture du microorganisme en présence de tétracycline, le taux d’apparition de mutants résistants à cet antibiotique augmente de 105 fois (Alonso et al. 1999). Enfin, la bactérie est capable d’acquérir des gènes de résistance dans l’environnement par des éléments d’ADN mobiles (de Bentzmann et al. 2011).
La résistance de P. aeruginosa aux antibiotiques rend son traitement difficile. Il est donc important d’étudier les facteurs de virulence de cette bactérie afin d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pour développer de nouveaux médicaments. Le traitement devrait être spécifique et adapté à chaque type d’infection (phase aiguë et chronique, organe infecté), ce qui implique aussi le développement d’outils de diagnostic rapides. Ces nouvelles molécules thérapeutiques, ayant la capacité de bloquer les facteurs de virulence de la bactérie, présenteraient l’avantage de réduire la pression de sélection en comparaison aux antibiotiques classiques et de préserver la flore humaine (Clatworthy et al. 2007).
Les facteurs de virulence de Pseudomonas aeruginosa
P. aeruginosa possède de nombreux facteurs de virulence qui lui permettent de s’adapter et de résister à des conditions environnementales très différentes, et de coloniser et attaquer divers hôtes, tels que les mammifères, les poissons, les végétaux, …. Les facteurs de virulence peuvent être protéiques ou chimiques, sécrétés ou bien associés à la bactérie (Mikkelsen et al. 2009 ; Bricha 2009).
Les facteurs de virulence à la surface bactérienne : rôle dans l’adhésion et la mobilité
Le flagelle
P. aeruginosa possède un flagelle unique et polaire lui permettant de se déplacer en milieu liquide. Ce type de déplacement, la nage (« swimming ») lui permet d’atteindre la paroi épithéliale à coloniser. L’adhésion à cette surface est en partie médiée par une interaction des sous-unités constituant le flagelle FliC avec des glycolipides des cellules épithéliales (les asialo-GM1). Ainsi, les souches bactériennes dépourvues de flagelles présentent une virulence plus faible que les souches sauvages, avec une diminution de la mortalité et de la morbidité lors d’infections pulmonaires chez les souris. Cependant, le flagelle est aussi très immunogène, ce qui implique une forte réponse immunitaire de l’hôte. Lors d’infections chroniques, les bacilles perdent généralement leur flagelle afin d’échapper au système immunitaire. Le flagelle est néammoins indispensable lors des premières étapes de l’infection pour envahir l’hôte (Bricha 2009 ; Feldman et al. 1998).
Les pili
En plus de nager en milieu liquide grâce au flagelle, les bactéries sont capables de se déplacer à des interfaces solides/liquides grâce aux pili de type IV. Cette sorte de déplacement, reposant sur la capacité de rétraction des pili, est appelée motilité par « twitching ». Cet appendice a donc un rôle dans l’invasion de l’hôte (Sato et al. 1988). Il est également le principal acteur de l’adhésion avec les cellules épithéliales, puisqu’il interagit avec des récepteurs de ces cellules (les glycolipides asialo-GM1 et GM2) (Sheth et al. 1994 ; Gupta et al. 1994). L’adhérence des bactéries médiée par le pilus est plus importante sur des cellules épithéliales pulmonaires possédant la mutation responsable de la mucoviscidose que sur des cellules épithéliales normales (de Bentzmann et al. 1996).
Les pili de type fimbriae, également appelés Cup (Chaperone Usher Pathway) ont un rôle dans l’adhésion des bactéries aux surfaces abiotiques et biotiques. Les bactéries possèdent souvent plusieurs copies du cluster de gènes codant pour ces Cup : les clusters cupA, cupB et cupC ont par exemple été identifiés dans la souche PA01, et un 4ème cluster cupD est présent dans l’isolat PA14. Chacune de ces copies serait activée pendant une seule étape de l’infection ou bien dans un environnement spécifique (chez un seul hôte ou dans un seul foyer infectieux) (Mikkelsen et al. 2009 ; Bricha 2009 ; Vallet et al. 2001).
Les lipopolysaccharides
Les lipopolysaccharides (LPS), présents à la surface de la membrane externe des bactéries, sont composés d’un lipide A hydrophobe, et d’une queue hydrophile formée par un corps de polysaccharides et l’antigène O.
Les lipides A peuvent avoir différentes acylations tandis que les antigènes O sont marqueurs de la spécificité des différents sérogroupes bactériens.
Les LPS sont essentiels à la virulence des bactéries (Goldberg et al. 1995). Ils sont également impliqués dans l’attachement des bactéries à des surfaces diverses selon leur taille et leur caractère plus ou moins hydrophobe (Filloux 2003 ; Makin et al. 1996). En particulier, l’adhérence aux cellules épithéliales eucaryotes est médiée par une interaction avec les récepteurs cellulaires Asialo GM1 (Gupta et al. 1994).
Enfin, ils ont un rôle dans la réponse immunitaire de l’hôte, et conduisent à l’apparition de symptômes tels que la fièvre, l’hypotension, …. Les lipides A sont reconnus par des composants du système immunitaire inné : les Toll-like receptors (le 4 notamment). De plus, une interaction avec la protéine CFTR des cellules eucaryotes, permettrait l’internalisation de P. aeruginosa dans les cellules épithéliales et une réponse rapide du système immunitaire. Chez les patients souffrant de mucoviscidose, cette protéine CFTR est mutée, ce qui conduirait à une moins bonne réponse immunitaire. De plus, chez ces personnes, P. aeruginosa peut échapper à la reconnaissance du système immunitaire en modifiant ses LPS. Par exemple, les acylations des LPS sont différentes et l’antigène O est absent (Gibson et al. 2003 ; Pier 2007).
Exopolysaccharides
P. aeruginosa produit trois types d’exopolysaccharides : les alginates, Psl et Pel. Tous sont importants pour la formation du biofilm lors d’infections chroniques. L’alginate, un polysaccharide linéaire composé d’acides mannuroniques et glucuroniques, a un rôle dans la structure des biofilms et dans l’attachement des bactéries aux cellules épithéliales (Kipnis et al. 2006 ; Doig et al. 1987). Sa présence conduit aussi à une diminution de l’efficacité des traitements antibiotiques et de la réponse immunitaire (Leid et al. 2005).
Le Psl est un polysaccharide riche en mannose et galactose essentiel à l’attachement des bactéries aux surfaces abiotiques et biotiques (Ma et al. 2007 ; Colvin et al. 2012 ; Ma et al. 2006) tandis que Pel, polymère riche en glucose similaire à la cellulose, est plus impliqué dans le développement tardif des biofilms (Ghafoor et al. 2011).
Les lectines
Les lectines LecA et LecB sont présentes dans le cytoplasme mais aussi au niveau de la membrane externe de P. aeruginosa (Tielker et al. 2005). Elles sont principalement impliquées dans les étapes précoces de l’infection, en participant à l’attachement des bactéries aux cellules hôtes. Elles se lient en effet spécifiquement au galactose et au fucose des cellules. Elles ont également un rôle dans la cytotoxicité puisque des mutants déficients en LecA ou LecB sont moins cytotoxiques in vitro sur des cellules épithéliales et conduisent à une atteinte du poumon, une charge bactérienne et une dissémination réduites in vivo. De plus, des inhibiteurs de lectines permettent d’atténuer la virulence des bactéries (Chemani et al. 2009).
Les facteurs de virulence sécrétés dans le milieu extracellulaire ou dans les cellules cibles : rôle dans la cytotoxicité et l’invasion bactérienne
P. aeruginosa possède un large spectre de facteurs de virulence sécrétés par des systèmes d’export spécialisés, dont les systèmes de sécrétion de types I, II, III, V et VI, qui lui permettent de s’adapter, de survivre et d’exploiter l’environnement hostile de l’hôte. Ces machineries sont représentées sur la Figure 8. Elles conduisent au transport de molécules dans le milieu extracellulaire ou bien directement dans les organismes cibles (cellule eucaryote, bactérie).
La neuraminidase
La neuraminidase est une enzyme sécrétée par P. aeruginosa dans le milieu extracellulaire. Lors d’infections par ce microorganisme, son activité de clivage des acides sialiques (possèdant une liaison2-3) permet d’augmenter l’accessibilité des récepteurs asialo-GM1 des cellules eucaryotes. Par conséquent, un plus grand nombre de bactéries peut adhérer à ces cellules. L’important rôle de cette enzyme dans l’adhésion est confirmé par la réduction considérable de l’attachement des bactéries à des cellules épithéliales lorsque la neuraminidase est inhibée (Davies et al. 1999 ; Wolska et al. 2006). Des infections réalisées in vivo sur des souris ont également démontré l’implication de la neuraminidase dans la colonisation initiale des poumons (Soong et al. 2006).
Les chromophores
Plusieurs chromophores sont sécrétés : la pyocyanine, la pyoverdine et la pyocheline. La pyocyanine est un pigment bleu qui a des effets toxiques sur les cellules hôtes. Elle attire les neutrophiles et provoque leur apoptose mais est aussi impliquée dans le stress oxydatif, car elle est capable d’oxyder le glutathion et d’inactiver la catalase, empêchant les réactions de détoxification des espèces réactives de l’oxygène (Bricha 2009 ; Kipnis et al. 2006). Lors d’infections pulmonaires de souris, la virulence des bactéries est atténuée en l’absence de pyocyanine (Lau et al. 2004). La pyoverdine et la pyocheline sont des sidérophores, leur fonction est de capter le fer et de le transporter. La pyoverdine pourrait également être impliquée dans la tolérance et l’homéostasie aux métaux (Schalk et al. 2012). De plus, la pyoverdine a un rôle dans la régulation de la sécrétion d’autres facteurs de virulence en plus de sa propre sécrétion : protéase IV, exotoxine A. L’activation de la transcription de ces facteurs de virulence dépend en effet de la concentration extracellulaire en pyoverdine (Kipnis et al. 2006 ; Bricha 2009).
Les protéines sécrétées par le Système de Sécrétion de Type I
Le SST1 est constitué d’une protéine de la membrane externe et d’un ABC transporteur dans la membrane interne, reliés par une protéine adaptatrice. Il permet de sécréter des protéines dans le milieu extracellulaire, en une seule étape.
Chez P. aeruginosa, il existe deux SST1 nommés Apr et Has. Le système Apr exporte AprA, une protéase alcaline (Bleves et al. 2010) dont l’activité est de dégrader les composants du complément, des cytokines et de chemokines (Laarman et al. 2012) ; (Matheson et al. 2006) ; (Leidal et al. 2003). Elle permet ainsi à la bactérie de limiter la réponse immunitaire. Cette protéase est importante dans les infections de la cornée, et probablement aussi lors d’infections pulmonaires aiguës. Elle est également capable de lyser de la fibrine. Or, la formation de fibrine au début des infections pulmonaires semble importante pour limiter l’étendue de l’inflammation (Kipnis et al. 2006). Le second système, Has, permet la sécrétion de l’hémophore HasAp, servant à l’utilisation du fer de l’hémoglobine (Strateva et al. 2011 ; Bricha 2009).
Les protéines sécrétées par le Système de Sécrétion de Type II
Le SST2 permet le passage à travers la membrane externe de protéines multimériques déjà repliées dans le périplasme. Ce système serait formé par une base de plusieurs protéines dans la membrane interne, prolongé par un large tube et un pseudopilus fonctionnant comme un piston. Chez P. aeruginosa, deux SST2 ont été identifiés : le système Xcp (pour Extracellular Protein) et le système Hxc (homologue à Xcp).
Le système Xcp sécrète plusieurs facteurs de virulence, comme indiqué dans le Tableau 1, notamment des protéases (Hoge 2010).
Les protéines sécrétées par le Système de Sécrétion de Type VI
Le SST6, fréquemment rencontré chez les bactéries à Gram négatif, partage de nombreuses homologies avec la queue du bactériophage T4. Sa structure et son mode d’action présenterait donc des similarités avec ce phage, comme illustré par la Figure 10 (Cotter 2011).
La contraction de la « queue » permettrait l’injection de toxines dans des bactéries ou cellules cibles (Filloux et al. 2008). Chez P. aeruginosa, 3 loci codant pour le SST6 ont été identifiés, et sont régulés de manière différente. Le système codé par le premier locus permet la translocation de trois substrats, appelés Tse1, 2 et 3, et ciblerait spécifiquement les bactéries (Cotter 2011).
Injection d’ADN dans la bactérie cible par le bactériophage T4 b) Injection de toxines par le SST6 de P. aeruginosa dans la bactérie cible (Cotter 2011)
L’injection de la toxine Tse2 dans le cytoplasme des bactéries voisines a pour effet l’inhibition de leur croissance. Cette toxine n’a pas d’effet sur P. aeruginosa car cette dernière possède aussi une « anti-toxine », appelée Tsi2, pour se protéger.
De même, les toxines Tse1 et Tse3 sont injectées dans le périplasme de la bactérie cible où elles dégradent le peptidoglycane. Par contre, elles n’ont pas d’effet sur P. aeruginosa que possèdent des « anti-toxines » Tsi1 et Tsi3 (Russell et al. 2011). Ce SST6 donne ainsi un avantage de croissance certain au bacille pyocyanique par rapport aux autres procaryotes (Bleves et al. 2010 ; Hood et al. 2010).
Régulation des systèmes de virulence
L’expression des multiples facteurs de virulence est finement contrôlée à différents niveaux : transcriptionnels, post-transcriptionnels et post-traductionnels. Ces mécanismes de régulation sont nombreux, comme le laisse prévoir la part importante (8%) du génôme de P. aeruginosa codant pour des protéines régulatrices (Winsor et al. 2011). De plus, les régulateurs transcriptionnels sont interconnectés (Galan-Vasquez et al. 2011), comme illustré par la Figure 11.
Deux mécanismes de régulation, le quorum sensing et les systèmes de régulation à deux composants, jouent un rôle majeur dans l’adaptation de la bactérie aux conditions environnementales (densité bactérienne, stress, …). Par exemple, il a été montré que la que la présence de mucus respiratoire humain dans l’environnement de la bactérie induit le SST6 (du locus 1) grâce à ces mécanismes (Cattoir et al. 2013).
Le quorum sensing est un système de communication entre les cellules via de petites molécules, les N-Acyl L Homosérine Lactones (AHL), sécrétées par les bactéries. A des densités cellulaires élevées, la concentration en AHL atteint un seuil au-delà duquel un complexe se forme entre l’AHL et un activateur de transcription, appelé protéine R. Cette interaction conduit à l’induction de la transcription de gènes cibles (Figure 12).
Chez P. aeruginosa, il existe plusieurs systèmes de quorum sensing formant un réseau de régulation complexe : le système Las, le système Rhl et un troisième système capable de synthétiser des AHL appelée PQS (pour Pseudomonas Quinolone Signal).
Le système Las repose sur l’activateur de transcription LasR et l’AHL nommée PAI-1 [N-(3-oxododecanoyl)-L-homosérine lactone] et produite par LasI. Il permet l’activation de l’expression des gènes codant pour LasI, l’élastase LasB, la protéase alcaline AprA, l’exotoxine A, et de l’autre système de quorum sensing Rhl. Il est important pour la formation de biofilm.
Le système Rhl est constitué par la protéine activatrice RhlR et la molécule auto-inductrice PAI-2 [N-butyryl-L-homoserine lactone], produite par RhlI. Son rôle est de réguler l’expression de rhlI, rhlAB (codant pour une enzyme nécessaire à la production de rhamnolipides) et de rpoS, lui-même impliqué dans le contrôle de l’expression de nombreux gènes du quorum sensing (codant pour l’exotoxineA, les lectines LecA et B, la pyocyanine, …) et du SST3.Enfin, la molécule de signalisation PQS est impliquée dans la régulation de l’expression de l’élastase, des rhamnolipides, de la pyocyanine (Strateva et al. 2011 ; Mattmann et al. 2010 ; de Kievit et al. 2000).
Les systèmes de régulation à deux composants sont également des acteurs essentiels de la régulation des facteurs de virulence. Ils sont constitués de deux protéines. La première est un senseur, généralement ancré dans la membrane interne et capable de capter des signaux extérieurs. Il transmet ensuite ce signal via une cascade de phosphorylation à une deuxième protéine, le régulateur de réponse cytoplasmique. Cette dernière est responsable de l’activation ou de la répression de gènes et ARN cibles en fonction de son état de phosphorylation.
L’un des systèmes à deux composants de la bactérie, impliquant les senseurs RetS, LadS et GacS et le régulateur GacA, est connu pour être impliqué dans le passage entre infection chronique et aiguë (Strateva et al. 2011).
Lorsque le senseur GacS est activé, il conduit à la phosphorylation de GacA. En réponse à cette phosphorylation, des petits ARN non codants, appelés RsmY et RsmZ, sont produits et se lient à la protéine RsmA, la rendant inactive. Sous sa forme inactive, cette protéine RsmA n’est plus capable de se lier aux ARNm codant pour des protéines impliquées dans la formation du biofilm ou dans la synthèse des exopolysaccharides. Ainsi, elle ne peut plus empêcher la traduction de ces protéines (Lory et al. 2009), qui sont donc exprimées lorsque RsmA est inactive (Ventre et al. 2006).
Au contraire, lorsque le senseur GacS est inactif, GacA est également inactif et les petits ARN régulateurs RsmY et RsmZ ne sont pas produits. La protéine RsmA est alors sous forme libre et active (Moscoso et al. 2011). Elle permet d’une part l’activation du SST3, et d’autre part la répression de l’expression des protéines associées aux infections chroniques (exopolysaccharides Pel et Psl, formation du biofilm, …) en interagissant avec l’ARNm correspondant (Figure 13). Dans ce cas, les bactéries ont les caractéristiques phénotypiques présentes lors des phases d’infections aiguës.
Les senseurs RetS et LadS agiraient de façon opposée sur le senseur GacS. En effet, RetS inhiberait le senseur GacS et les protéines produites seraient celles impliquées dans les infections aiguës, tandis que LadS activerait GacS pour activer la synthèse des protéines caractéristiques des infections chroniques (Figure 13).
Nouvelles stratégies thérapeutiques anti-infectieuses
Le développement de nouvelles méthodes pour lutter contre P. aeruginosa est indispensable, d’autant plus que des multi-résistances aux antibiotiques apparaissent. Comme détaillé précédemment, P. aeruginosa possède de très nombreux facteurs de virulence pour coloniser et infecter son hôte. Une perspective pour la découverte de nouvelles solutions pour lutter contre ce micro-organisme est donc le ciblage de ses différents facteurs de virulence. Le blocage de ces diverses « armes » bactériennes peut se faire à différents niveaux (Figure 14).
D’après (Clatworthy et al. 2007)
Au niveau de la régulation génétique tout d’abord, l’expression des gènes de virulence peut être inhibée. Par exemple les molécules de furanones halogénées répriment l’expression des gènes du quorum sensing (Zhu 2002 ; Hentzer et al. 2002). Le triphenyl agit très spécifiquement sur la protéine de quorum sensing LasR, en mimant une AHL (Muh et al. 2006). D’autres études sont cependant nécessaires afin d’identifier les molécules les plus stables possibles et sans effet sur les cellules eucaryotes.
L’inhibition de l’adhésion des bactéries aux cellules eucaryotes peut être obtenue via des pilicides empêchant la formation des pili et fimbriae (Ricard 2012). L’utilisation de sucres, tels que le xylitol, ou bien la combinaison d’extraits de canneberge avec de la ciprofloxacine (un antibiotique), permettent également d’empêcher l’adhésion des bactéries (Sousa et al. 2011 ; Noreddin 2012). Un autre moyen pour combattre P. aeruginosa est le blocage des appareils permettant la sécrétion des toxines, notamment les Systèmes de Sécrétion de Type II et III. Par exemple, des molécules pourraient être développées pour interagir avec ces sytèmes afin de les bloquer. Les toxines extracellulaires pourraient également être capturées pour empêcher leur accessibilité. Récemment, une classe de molécules, les hydrazones acylées de différents salicyaldéhydes, ont montré une bonne activité inhibitrice du SST3 de différentes espèces bactériennes comme Yersinia pseudotuberculosis, Chlamydia species ou Salmonella enterica (Nordfelth et al. 2005 ; Goguen 2009). Les stratégies d’inhibition du SST3 seront détaillées dans le paragraphe III-C. de ce chapitre.
Enfin, la fonction des toxines en tant que telle peut être inhibée, soit directement soit indirectement en agissant sur des facteurs importants pour l’activité de ces enzymes. Un inhibiteur de l’élastase LasB a ainsi été identifié (Cathcart et al. 2011).
Ces stratégies ont pour but d’empêcher la bactérie d’utiliser ses facteurs de virulence mais pourraient s’avérer moins efficaces chez les personnes immunodéprimées. Elles supposent aussi un traitement spécifique à chaque type d’infection et adapté au moment de l’infection (puisque différents facteurs de virulence sont activés au cours de l’infection). Leur principal avantage est la préservation de la flore humaine naturelle et une pression de sélection beaucoup plus faible que lors de l’utilisation d’antibiotiques classiques.
Le Système de Sécrétion de Type III
Présent chez de nombreuses bactéries, le Système de Sécrétion de Type III (SST3) permet la translocation d’exotoxines directement dans le cytoplasme de la cellule eucaryote cible. Il est un facteur majeur de virulence de P. aeruginosa, très actif lors d’infections aiguës, lorsque la bactérie se développe sous forme planctonique, mais également actif dans une moindre mesure lors d’infections chroniques (Mikkelsen et al. 2009 ; Diaz et al. 2011 ; O’Callaghan et al. 2011).
Origines du SST3
Le SST3 est conservé parmi de nombreuses bactéries Gram négatif, des pathogènes principalement mais aussi des symbiotes de mammifères, plantes et insectes. La relation établie entre la bactérie et la cellule dépend de l’activité des exotoxines injectées dans la cellule eucaryote. Chaque espèce bactérienne possède des exotoxines spécifiques (Dean 2011).
Le SST3 est ainsi présent chez Escherichia coli enterohémorragique (EHEC) ou enteropathogénique (EPEC), Salmonella typhimurium, Yersinia enterocolitica ou Shigella, microorganismes provoquant des maladies intestinales chez les humains. Peuvent également être citées Yersinia pestis, l’agent responsable de la peste, Salmonella typhi, cause de fièvre entérique, ou encore Bortedella, microorganisme associé à la coqueluche ou enfin Chlamydia trachomatis, à l’origine de maladie sexuellement transmissible (Coburn et al. 2007). Certaines bactéries, comme par exemple Pseudomonas syringae ou Xanthomonas spp., présentent une pathogénicité envers les plantes du fait de l’activité de leur SST3 (Buttner et al. 2009). Enfin, parmi les symbiotes possédant un SST3, les bactéries rhizobium sont impliqués dans le développement des nodules chez certaines plantes légumineuses (Schulz et al. 2006).
Chez les bactéries, le SST3 a probablement été acquis par transfert horizontal de gènes. En effet, les systèmes sont souvent codés dans des éléments extrachromosomiques ou dans des ilots de pathogénicité. De plus, les séquences d’ADN des SST3 ont souvent une teneur en Guanine et Cytosine différente de celle de l’ADN chromosomique, et sont souvent entourées de restes de séquences d’insertion, de gènes de bactériophages ou d’éléments transposables (Galan et al. 1999).
Chez P. aeruginosa, les trente-six gènes codant pour le SST3 sont localisés dans le chromosome bactérien. Les gènes codant pour les protéines impliquées dans l’assemblage du SST3 et dans sa régulation sont regroupés en cinq opérons. Les opérons sont des ensembles de gènes placés sous le contrôle d’un même promoteur. Ils sont donc transcrits en un seul ARN messager et régulés de la même façon. En général, les gènes d’un même opéron ont un rôle dans une même activité. Par contre, les gènes codant pour les exotoxines exoS, T, U, Y et les chaperonnes SpcU et SpcS sont dispersés sur le chromosome (Hauser 2009).
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Table des matières
OBJECTIFS DU TRAVAIL
CHAPITRE I : DONNEES BIBLIOGRAPHIQUES
I. PSEUDOMONAS AERUGINOSA
A. Description générale
B. Infections
II. LES FACTEURS DE VIRULENCE DE PSEUDOMONAS AERUGINOSA
A. Les facteurs de virulence à la surface bactérienne : rôle dans l’adhésion et la mobilité
B. Les facteurs de virulence sécrétés dans le milieu extracellulaire ou dans les cellules cibles : rôle dans la cytotoxicité et l’invasion bactérienne
C. Régulation des systèmes de virulence
D. Nouvelles stratégies thérapeutiques anti-infectieuses
III. LE SYSTEME DE SECRETION DE TYPE III
A. Origines du SST3
B. L’assemblage du système
C. Importance du SST3 lors d’infections et enjeux thérapeutiques
D. Régulation et activation du SST3
E. Hiérarchie d’assemblage du SST3
IV. L’ATPASE DU SST3
A. Caractéristiques de l’ATPase du SST3
B. L’ATPase est indispensable à l’activité du SST3
C. Rôle potentiel de l’ATPase
D. Applications
V. LA PROTEINE EXSB ET LE SST3
A. Localisation génétique de exsB
B. Homologies de ExsB avec des protéines de la famille des pilotines
C. Activité des pilotines
D. Rôle potentiel de ExsB dans le SST3 de Pseudomonas aeruginosa
CHAPITRE II : METHODOLOGIES MISES EN ŒUVRE
I. CULTURES BACTERIENNES ET CULTURES CELLULAIRES
A. Cultures bactériennes
B. Cultures cellulaires
II. BIOLOGIE MOLECULAIRE : DELETION ET INTRODUCTION DE GENES D’INTERET CHEZ PSEUDOMONASAERUGINOSA
A. Plasmides et souches de départ
B. Purification d’ADN plasmidique : mini ou midi préparations
C. Analyse de l’ADN sur gel d’agarose ou d’acrylamide
D. Amplification des fragments d’ADN par PCR
E. Mutagénèse dirigée
F. Délétion d’un gène : la SOE PCR
G. Clonage du fragment d’intérêt dans un plasmide
H. Transformation dans E. coli puis dans P. aeruginosa
I. Insertion chromosomique par conjugaison triparentale
J. Vérification de la présence de la séquence d’ADN souhaitée
III. CARACTERISATION BIOCHIMIQUE DES PROTEINES
A. Electrophorèse et Western blots
B. Purification des anticorps dirigés contre ExsB
C. Localisation des protéines d’intérêt
D. Recherche des partenaires de la protéine ExsB
E. Purification de l’ATPase PscN
F. Analyse par spectrométrie de masse des protéines présentes dans différents échantillons
G. Tests activité ATPase
IV. ETUDE DE L’ACTIVATION ET DE L’ACTIVITE DU SST3
A. Test d’activation du SST3
B. Tests d’expression et de sécrétion de protéines du SST3
C. Modèles d’infection in vitro
D. Modèles d’infection in vivo
E. Taux d’injection de la toxine ExoS-β-lactamase dans des cellules eucaryotes
F. Etude de la polarisation de l’injection : quantification de la toxine chimérique ExoS bla sécrétée dans le milieu extracellulaire lors d’infections
V. OBSERVATIONS MICROSCOPIQUES DES ECHANTILLONS BIOLOGIQUES
A. Observation par microscopie électronique de PscN partiellement purifiée
B. Comptage du nombre d’aiguilles
C. Immunomarquage
D. Observation des bactéries exprimant les protéines ExsB et PscC fusionnées aux étiquettes fluorescentes mCherry et sfGFP
CHAPITRE III : RESULTATS ET DISCUSSION
I. ETUDE DE L’ATPASE PSCN DU SST3 DE P. AERUGINOSA
A. Implication de l’activité de l’ATPase PscN dans le SST3
B. Purification de l’ATPase
C. Conclusion et perspectives
II. ETUDE DE LA PROTEINE EXSB
A. Caractérisation de la protéine ExsB
B. Effets de la délétion de exsB sur la virulence dans des modèles d’infection animaux
C. Rôle de ExsB dans l’activité du SST3 in vitro
D. Effet de la délétion du gène codant pour ExsB sur l’opéron de régulation du SST3
E. Rôle de ExsB dans l’activité du SST3 in vitro en prenant en compte l’effet de la délétion de exsB sur l’opéron de régulation
F. Effets de ExsB sur l’activité du SST3 dans des modèles d’infection de cultures cellulaires
G. Rôle de ExsB dans l’assemblage du SST3
H. Comportement de ExsB en l’absence de la sécrétine PscC
I. Conclusions et perspectives
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
ANNEXE 1 : TABLEAU DES PROTEINES DETECTEES PAR SPECTROMETRIE DE MASSE DANS LES FRACTIONS D’ATPASE PSCN PARTIELLEMENT PURIFIEES
ANNEXE 2 : ARTICLE SUR L’ACTIVITE DE FORMATION DES PORES DANS DES LIPOSOMES
ANNEXE 3 : ARTICLE SUR LA CARACTERISATION STRUCTURALE ET LA LOCALISATION MEMBRANAIRE DE LA PROTEINE EXSB DU SST3 DE P. AERUGINOSA
ANNEXE 4 : ARTICLE EN COURS DE REDACTION SUR L’ETUDE DU ROLE DE EXSB CHEZ P. AERUGINOSA
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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