LES FACTEURS DE RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT SE CUMULENT DÉSORMAIS ET NOTAMMENT EN PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

La politique tarifaire appliquée en France et les appels d’offres pratiqués par les hôpitaux amènent à des contingentements

La fixation des prix et la rigidité de l’enveloppe dédiée aux médicaments sont des facteurs importants d’insécurité
La politique de prix des médicaments et des produits de santé fait que la France exerce, dans de nombreuses classes thérapeutiques, les prix parmi les plus bas d’Europe. De façon encore plus radicale, ces prix sont, « dans 93% des cas », inférieurs au prix moyen observé dans un groupe de cinq pays européens constitués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, selon le plan d’actions du Leem sur les pénuries de médicament.
Cette politique est récurrente depuis plusieurs décennies. En effet, Claude Le Pen, économiste de la Santé, évoque, dès 1995 dans la Revue d’économie financière39, un écart des prix entre pays dû aux différents systèmes de régulation des prix.
Alors que l’Allemagne et les Pays-Bas (considérés comme pays d’Europe du Nord) exercent le système du « prix de référence » pour les officines, c’est à dire que les médicaments, jugés interchangeables, sont classés dans des groupes thérapeutiques et un remboursement plafonné par l’assurance maladie est unilatéralement appliqué pour chaque groupe, généralement équivalent au prix le plus bas ou au prix médian dans celui-ci 40. Les pays d’Europe du Sud, dont la France fait partie, ont recours à un système de fixation administrative avec des négociations systématiques entre laboratoires pharmaceutiques et pouvoirs publics.
S’agissant des hôpitaux, les prix sont fixés librement et dépendent des appels d’offres effectués. Pour l’Allemagne et les Pays-Bas, le prix doit être uniforme entre les différents établissements. Il est à préciser que, même si les pays du Nord, et en particulier l’Allemagne, exercent toujours des prix plus élevés que la France, ces pays ont mis en place des négociations et disposent d’une taxe sur la valeur ajoutée plus élevée sur les médicaments, à 7% contre 2,1%41.
Par ailleurs, en France, la fixation du taux de remboursement et du prix du médicament dépend, avant tout, de deux paramètres que sont, respectivement, le Service Médical Rendu (SMR) et l’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR) :
– Le SMR est fixé par la Commission de Transparence et permet de déterminer si le médicament présente suffisamment de paramètres pour être pris en charge par « la solidarité nationale »42. Quatre niveaux ont été définis : important, modéré, faible ou insuffisant.
– L’ASMR intègre la notion de comparaison par rapport aux traitements actuellement disponibles, et la valeur ajoutée que ce nouveau traitement peut apporter. L’évaluation se fait selon cinq niveaux, de I (majeur) à V (insuffisant). Ainsi, le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) peut déterminer le prix en se basant sur ce critère, ainsi que sur les volumes prévus.
En outre, il est important de tenir compte, comme cela a été précisé dans la précédente partie, des perspectives de consommation et des stratégies thérapeutiques exercées dans chaque pays. En effet, les marchés structurés peuvent être perçus différemment, avec, par exemple, une antibiothérapie plus développée en France, ou des traitements courants du cœur plus développés en Allemagne ou au Royaume-Uni. Ainsi, la loi du marché étant faite de telle façon que, plus le volume des ventes sera important, plus le prix unitaire sera faible.
En plus de déterminer le prix et le remboursement des nouveaux médicaments, le CEPS effectue, en principe, une réévaluation systématique des médicaments remboursés tous les cinq ans. Cette réévaluation peut être également faite dans différentes hypothèses : un nouveau produit faisant partie de la même classe thérapeutique et apportant une avancée dans la prise en charge de la maladie, une perte de brevet effective accompagnée de l’arrivée des génériques sur le marché. La négociation du prix ne tient pas compte uniquement de l’apport au système de santé, mais d’une logique « médico-économique » qui se développe de plus en plus, comme l’indique le rapport du Sénat. Cependant, cette réévaluation du prix ne tient en aucun cas des coûts de production et de mise à niveau des sites industriels.
Du point de vue de l’Assurance Maladie, au moment du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), sont fixés un Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) et son pourcentage d’évolution d’une année à l’autre. Depuis de nombreuses années, celui-ci se situe entre 2,3% et 2,5% afin d’éviter une augmentation qui devrait être naturellement43,44 autour des 4%. De plus, il est déterminé une enveloppe destinée aux remboursements des médicaments.
Comme l’atteste ce tableau édité par la cour des comptes, dans son rapport sur la fixation des prix des médicaments45, et en se basant sur les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS)46, les dépenses de médicament n’ont pas évolué entre 2008 et 2015, alors que de nouveaux médicaments innovants, et donc plus chers, sont arrivés sur le marché et prennent donc une part de cette enveloppe de plus en plus importante.
Tout ceci nous montre que le fait que le maintien de l’enveloppe destinée au remboursement des médicaments n’évolue pas, que des paramètres comme l’inflation ou les coûts associés aux médicaments ne soient pas pris en compte et que le système de solidarité permet aux patients d’accéder aux traitements les plus innovants ont pour impact de faire baisser le prix des médicaments les plus anciens.
La gestion des appels d’offres au sein des Hôpitaux élimine les concurrents
Nous avons pu voir que, pour le marché hospitalier, les prix sont fixés librement et ne dépendent que de l’appel d’offres effectué par l’établissement hospitalier ou le Groupement Hospitalier Territorial (GHT). Ils sont effectifs lorsque le montant estimé de la commande est supérieur ou égal à 221 000 € Hors Taxes. Ces appels d’offres sont soumis à la directive européenne47 014/24/UE sur la passation des marchés publics, garantissant trois principes : liberté́d’accès à la commande publique, égalité́ de traitement des candidats et transparence des procédures d’achats.
Dans le contexte actuel d’optimisation des coûts et de contrôle de l’ONDAM évoqué précédemment, les différents groupements hospitaliers se réunissent au sein de centrales d’achats ou de groupements de commandes. Ainsi, les établissements hospitaliers disposent d’arguments de négociation auprès des laboratoires pharmaceutiques afin d’obtenir de grandes quantités de médicaments et produits de santé au meilleur prix. La cour des comptes, dans son rapport d’observations des achats hospitaliers de 2017 effectués par l’AGEPS48, permet de comprendre les procédures d’achats mises en place. L’Agence Générale des Équipements et Produits de Santé (AGEPS), est en charge de fournir la quasi-totalité des produits de santé aux différents établissements des hôpitaux publics de l’AP-HP. Elle utilise avant tout deux procédures d’achats, à savoir la mise en concurrence et les marchés négociés sans concurrence, avec des écarts de prix significatifs et des possibilités de négociation plus ou moins importantes.
Les problèmes résultant des appels d’offres sont nombreux et proportionnels à la taille des marchés visés. Un nombre limité d’acteurs de l’industrie pharmaceutique est en capacité de répondre à l’entièreté de l’appel d’offres. Les laboratoires pharmaceutiques peuvent ainsi se retrouver en situation de monopole et casser l’accès des plus petites structures pharmaceutiques aux gros appels d’offres. Par ailleurs, l’intégralité des commandes ne reposant que sur un fournisseur, et compte tenu des problèmes de production et de qualité évoqués précédemment, le risque de rupture est fortement augmenté. Dans ce cas, de nombreux contrats comprennent une « clause d’achat pour compte », définie par le Leem comme clause contractuelle stipulant que, si un médicament est en rupture, c’est au fournisseur ayant remporté le marché de fournir les quantités demandées, même s’il les paie plus cher en s’approvisionnant auprès d’un autre fournisseur. Certaines auditions réalisées par le Sénat pour la rédaction de son rapport évoquent des prix augmentés de 500 à 2000%. Cela est donc autant délétère pour les laboratoires que les hôpitaux. De surcroît, la Direction Générale de l’Offre de Soins a mis en place un programme de gestion des achats hospitaliers, appelé programme « Performance hospitalière pour des achats responsables ». Celui-ci a contribué, selon les rapports du Sénat et de l’Académie nationale de Pharmacie, à une « massification progressive des achats hospitaliers ».

La distribution et le phénomène d’exportation à l’étranger des stocks français

Il s’agit d’aborder les comportements qui peuvent être retrouvés chez les professionnels en bout de la chaîne logistique, à savoir les grossistes-répartiteurs et dépositaires et les pharmaciens d’officine et hospitaliers.
Difficiles à estimer, la distribution et le comportement des différents acteurs agissent aussi sur les pénuries
Du point de vue de la distribution, des informations erronées ou une mauvaise mise à jour des systèmes d’information sur les quantités de médicaments disponibles peuvent créer des situations de tension, et fausser la gestion des commandes effectuées par les officines et les établissements hospitaliers. De plus, les problèmes au niveau du transport et de respect de la chaîne du froid, bien que minoritaires et rares, peuvent être relevés et avoir des conséquences.
Le phénomène des ruptures d’approvisionnement s’amplifiant depuis de nombreuses années, les pharmaciens ont adapté leur comportement vis à vis des commandes et des gestions des stocks de l’officine. Ainsi, le Sénat évoque-t-il des pratiques de stockage sur-calibré : les officines pouvant accueillir, tant financièrement que structurellement, de plus grands volumes de produits et craignant des futures ruptures ou tensions, vont commander une quantité de produits supérieure à la demande de leur patientèle.
Le poids du marché parallèle du médicament sur les ruptures d’approvisionnement n’est plus marginal
L’exportation à l’étranger est communément appelée le marché parallèle du médicament. Il s’agit d’un cas rencontré depuis de nombreuses années et ce, dès la mise en place du marché unique européen en 1992 et la libre circulation des marchandises au sein de l’espace Schengen. Ainsi, Claude Le Pen, en 1995, l’évoquait déjà. Des chiffres plus récents publiés par l’EFPIA montrent les pourcentages de recours aux médicaments issus de l’importation.
Ces « échanges » sont réalisés par les réseaux de distribution qui s’internationalisent de plus en plus. Ces situations se concentrent autour de mouvements d’importations des pays pratiquant une régulation des prix vers les pays appliquant un prix de référence. En effet, l’EFPIA a indiqué, dans son rapport sur les tensions d’approvisionnement, que les pharmaciens allemands doivent compter au moins 5% des médicaments issus d’importations parallèles dans leur chiffre d’affaires. Le Quotidien du Pharmacien ajoute même « qu’Ils peuvent être sanctionnés s’ils n’en importent pas assez et, à l’inverse, obtenir une prime s’ils dépassent leur quota obligatoire d’importations »49. La Commission Européenne adopte une réponse contrastée face à ces situations qui mettent en difficulté certains pays, en premier lieu les pays d’Europe central comme la Slovaquie et la Pologne et en second lieu la France et l’Italie. Face à cela, certains pays, en raison de leur tentative d’interdire presque entièrement ces ventes, ont même fait l’objet d’une procédure d’infraction. La commission Juncker a clôturé ces procédures et appelé les pays à passer par un « dialogue structuré » pour trouver des solutions50. Ainsi, elle rappelle que cette pratique est légale et que les pays sont en droit de prendre des mesures de restriction « à titre exceptionnelle ». De plus, pour la Commission, les ruptures sont causées par les politiques tarifaires appliquées par les États membres.
Cependant, comme l’évoque le Quotidien du Pharmacien dans un article nommé « Ruptures de stock : les contradictions européennes »51, la Pharmacovigilance estime que les importations parallèles peuvent entrainer des ruptures d’approvisionnement provoquant des effets iatrogènes. L’article reprend aussi les propos du commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton suite à la demande de clarification d’une députée européenne. Il a confirmé la légalité de ces pratiques et le droit des pays de les restreindre. Il a également affirmé que les importations peuvent contribuer « à prévenir les ruptures d’approvisionnement » grâce au rééquilibrage des marchés. De son côté, l’Union fédérale des syndicats allemands de pharmaciens (ABDA) considèrent que les obligations d’importations pour les pharmacies allemandes entrainent plus d’inconvénients que d’avantages.
En France, l’ANSM a défini une obligation de déclaration pour les établissements pharmaceutiques souhaitant procéder à ces exportations. De plus, le Sénat rappelle que, conformément à la loi de modernisation du système de santé, ces pratiques ne peuvent pas concerner les « médicaments figurant sur la liste des MITM en rupture ou tension d’approvisionnement »52. Cependant, compte tenu des difficultés inhérentes à l’anticipation des demandes, même si un MITM est suffisamment disponible à un instant T, son exportation, même faible, peut créer une tension du fait de nombreux facteurs aléatoires, comme le retard dans les délais de livraison.
Ainsi, ce marché parallèle permet de mettre en avant l’évolution des mouvements d’importations et d’exportations des médicaments en Europe et dans le monde depuis 50 ans.
Un article53, rédigé par des chercheurs du Centre d’études prospectives et d’informations internationales et de l’Université Paris Dauphine, permet d’apporter de nouveaux éléments, à savoir que, la France connaît une stagnation de ses exportations, alors que certains pays comme la Belgique, l’Allemagne, la Suisse et l’Irlande les augmentent et tiennent une place centrale dans les échanges inter-régionaux, surtout en direction des États-Unis.
De plus, il y est détaillé les chiffres d’affaires de chaque pays sur le marché des produits pharmaceutiques. On peut y voir la place toujours importante de l’Europe dans les exportations, même si elle s’érode et une progression de la Chine et de l’Inde. Cependant, on note une augmentation des importations pour toutes les régions du monde, et en particulier en Asie.
Par ailleurs, les pourcentages évoqués représentent les flux d’argent entre pays et leurs interprétations doivent prendre en compte le fait que les pays européens produisent avant tout les médicaments innovants, ayant un coût et une valeur ajoutée plus élevés. Ainsi, bien que ce flux d’argent soit important, les médicaments anciens, ayant des coûts moins élevés, représentent, en fait, des quantités très importantes.

Les facteurs de ruptures d’approvisionnement se cumulent désormais et notamment en période de crise sanitaire

Le précédent chapitre nous a permis d’appréhender l’ensemble des causes selon un critère conjoncturel, en tenant compte d’un contexte économique particulier, de recommandations de santé publique évoluant régulièrement et d’une demande grandissante en produits de santé d’une part ou, selon un critère structurel, avec une augmentation des problèmes de qualité et une base réglementaire rigide, sans cesse modifiée et entrainant des problèmes d’adaptation d’autre part. Par ailleurs, ces différents critères montrent une importante complexité du sujet, avec de nombreux liens de causalité entre eux de manière directe ou indirecte, et l’implication de toutes les parties prenantes du cycle du médicament. En effet, une simple réflexion selon les étapes de fabrication et de distribution du médicament, en ne montrant que les problèmes de manière individuelle, ne permet pas de comprendre l’entièreté du problème et de le résoudre.
Un cercle vicieux se met alors en place. Une cause va provoquer des conséquences qui vont elles-mêmes constituer la cause d’autres événements. Nous sommes donc confrontés à un problème à la fois complexe et surtout multifactoriel.
Ainsi, pour ce chapitre, nous examinerons, dans un premier temps, ces liens de causalité en partant des dynamiques du marché qui agissent sur toutes les étapes en amont de la mise à disposition du médicament. Dans un second temps, nous présenterons la situation des ruptures d’approvisionnements au sein de l’Europe. Enfin, nous évoquerons le cas de la pandémie du Coronavirus, qui a mis en lumière l’ensemble des problèmes de la chaîne de production et de distribution des médicaments et produits de santé face à une situation d’urgence sanitaire.

Les causes présentées sont responsables de conséquences en cascade

Des besoins en médicaments toujours en hausse

La demande mondiale de médicaments est en hausse depuis de nombreuses années, elle est due
à un développement économique et sanitaire de régions du monde n’ayant pas accès auparavant à ces produits. De plus, l’avènement de nouvelles campagnes de santé publique au niveau national, européen et international a aggravé ce phénomène.
Bien qu’il s’agisse d’un véritable progrès dans la qualité de vie des personnes, la capacité actuelle de production n’est pas suffisante pour répondre aux besoins de toutes les populations, que ce soit en situation dite « normale » ou de pandémie. Ainsi, se produit-il des contingentements, définis comme étant la décision de limiter la distribution d’un médicament lorsque les quantités ne sont pas suffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins.
Ces situations sont inévitables et le rapport d’information du Sénat les détaille, témoignant ainsi d’une mauvaise entente entre les laboratoires pharmaceutiques et les grossistes-répartiteurs, qui ont tendance « à se renvoyer la responsabilité des ruptures ».
De plus, les contingentements peuvent être faits en fonction de l’attractivité du pays, comme l’évoque le Leem lors de son audition pour le même rapport du Sénat. La situation des importations/exportations complexifie davantage les stratégies d’allocations des stocks et des échanges entre pays.

La pression sur les prix est toujours plus importante

Dans un contexte d’arrivée de nouveaux traitements innovants, avec un coût très élevé, et une enveloppe destinée à leur remboursement ne pouvant évoluer, une pression de plus en plus importante s’exerce sur les médicaments les plus anciens, se traduisant par une baisse de prix. Cependant, nous nous rendons compte que de nombreux médicaments anciens restent indispensables devant un manque d’alternative supérieure. En effet, selon le rapport de la Commission de Transparence de la HAS (Haute Autorité de Santé) de 201654, il est à noter, d’une part, une baisse des ASMR I à III, signifiant une amélioration importante à modérée et, d’autre part, un nombre important d’attributions d’ASMR V à des médicaments (194), qui ne peuvent « être admis au remboursement » que si le médicament produit une économie dans le coût du traitement55. De plus en plus de pays, soucieux de faire des économies, ont entamé la même démarche.
En outre, alors que le prix de nombreux médicaments est revu à la baisse chaque année, les coûts de revient de ces mêmes médicaments n’ont pas diminué, en raison de la nécessité constante de mettre aux normes les sites de production ; ce qui affecte donc la rentabilité des médicaments. Ainsi, nous pouvons avoir un arrêt de commercialisation du médicament, ou, pour conserver une certaine rentabilité, un phénomène de mondialisation de la production pharmaceutique. Cela concerne, avant tout, les Ingrédients Pharmaceutiques et Principes Actifs. De plus, les coûts associés à la production étant importants, on note une spécialisation des sites de production, qui ne peuvent ainsi produire qu’un nombre très spécifique de spécialités pharmaceutiques. En cas de problème de qualité, le laboratoire fabricant n’aura pas ou très peu de solutions de repli pour assurer l’approvisionnement.
Cette situation se ressent ainsi lors des appels d’offres formulés par les établissements hospitaliers, qui effectuent des commandes en grande quantité afin d’obtenir le prix le plus bas auprès d’un unique fournisseur et souhaitent avoir des conditionnements sous forme injectable, qui est plus compliquée à produire.

Développement des normes sur la qualité et la protection de l’environnement

Les industries pharmaceutiques, sous-traitants et façonniers font face à des coûts de production restant élevés et doivent réaliser des investissements importants afin d’être en conformité. Cela est dû à une « complexification » du cadre réglementaire et un développement accru des normes environnementales, pouvant avoir pour conséquence de revoir les procédés de fabrication et ainsi amener à des variations d’AMM touchant à la qualité et à la sécurité du médicament.
Dans l’exemple spécifique des vaccins, le temps de production est particulièrement long et il est consacré, à hauteur de 70%, aux contrôles qualités et ce, à chaque étape de cette production. Ainsi, le comité vaccin du Leem, en 2018, estimait que « chaque variation réglementaire entrainait, pour 50% de la population mondiale, le risque d’avoir une rupture d’approvisionnement.56

Quelle est la situation des pénuries dans les autres pays européens ?

De nombreux rapports indiquent que le phénomène des ruptures d’approvisionnement est un problème qui ne concerne pas que la France et des situations similaires ou différentes se retrouvent dans de nombreux pays. Il peut être donc intéressant de comparer ces situations entre les différents pays d’une même région du monde par exemple, comme l’Europe.
Des instances européennes ont effectué de nombreuses études afin de faire un état des lieux de ces ruptures et de décrire l’état d’esprit des différents acteurs. On peut citer par exemple les rapports rédigés par le PGEU (Groupement Pharmaceutique de l’Union Européenne), l’EAHP (Association Européenne de Pharmacie Hospitalière) et l’EFPIA (Fédération Européenne des Industries Pharmaceutiques). Il y est décrit les principales causes, le ressenti des professionnels et apporté différentes propositions.
Au-delà de ces instances, le cabinet de conseil IQVIA a publié un livre blanc57 sur les ruptures d’approvisionnement, en y recensant les données chiffrées provenant de 11 pays européens et en comparant les modèles de gestion des pénuries. Il reprend les informations citées dans les rapports mentionnés ci-dessus. Les enseignements essentiels de cette étude sont les suivants :
– L’absence de données françaises dans cette étude. Cela est expliquée par l’impossibilité d’analyser les données de ruptures collectées par l’ANSM car soit elles ne sont pas disponibles soit elles sont de mauvaise qualité. Cette remarque a également été formulée par Jacques Biot dans son rapport ;
– Le manque d’harmonisation entre les pays européens sur la définition d’une rupture d’approvisionnement. Par exemple, de nombreux pays n’intègrent que quelques sous-catégories des ruptures, comme le problème de distribution ou de production et un nombre limité intègrent bien les différents types ;
– L’existence d’une situation très disparate entre pays, avec un nombre de médicaments déclarés en rupture variant énormément. En effet, alors que certains pays comme le Danemark et la Suède déclarent respectivement 122 et 474 références en tension, l’Italie déclare avoir 2360 références en rupture. Il est à préciser que l’Italie, comme d’autres pays, a mis en place des notifications préalables sur les médicaments exportés susceptibles de se retrouver en rupture afin d’anticiper au mieux les futures tensions d’approvisionnement ;
– Les génériques commercialisés par plusieurs sources d’approvisionnements sont les plus concernés par les ruptures. En outre, il n’existe qu’un nombre très limité de pénuries « pan-européennes », c’est à dire concernant plusieurs pays en même temps.
Compte tenu de ces informations, le cabinet estime qu’une meilleure utilisation des données et une certaine transparence sont des moyens efficaces pour une meilleure gestion des tensions d’approvisionnement. Il prend l’exemple de l’agence nationale du médicament du Danemark qui effectue, toutes les deux semaines, une estimation des quantités nécessaires et les transmet aux différents fabricants. En échange, elle s’assure que les quantités soient suffisantes et que des alternatives soient disponibles auprès des hôpitaux et des laboratoires pharmaceutiques.
L’examen de la situation des pénuries au niveau européen confirme qu’il s’agit d’un problème fréquent dans différents pays. Il peut être sous-évalué ou surévalué en fonction des disparités dans la définition des ruptures ou de la qualité aléatoire des données disponibles.
Selon IQVIA, ces dernières ne permettent pas d’indiquer la cause de chaque rupture et d’accompagner la mise en place de solutions. De plus, toujours selon IQVIA, les sources des données utilisées actuellement feraient preuve de partialité dans leurs critères d’inclusion.

La situation de pandémie mondiale observée avec la Covid-19 a amplifié les conséquences des ruptures et créé de nouvelles causes

La crise du Coronavirus a été révélatrice de l’ensemble des problèmes et comportements ayant entrainé des ruptures d’approvisionnement sur les médicaments les plus indispensables et les dispositifs médicaux nécessaires pour combattre le virus.

Que s’est-il passé durant cette pandémie ?

Nous pouvons décrire les cas ayant été les plus relayés et discutés au cours de cette crise sanitaire, avec, d’une part, les problèmes d’approvisionnement en masque et, d’autre part, les ruptures observées sur les médicaments utilisés lors de la réanimation, pour un traitement symptomatique ou comme potentiel traitement guérisseur.
S’agissant des masques, nous pouvons y voir des similitudes avec les ruptures rencontrées avec les médicaments, en raison de la production importante des masques hors des frontières de l’Europe. En effet, avant cette crise, la Chine et Taïwan étaient en quasi-monopole, produisant « 80% des masques de la planète »58. Une interview59 du Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, permet de comprendre que les problèmes de gestion des masques sont liés également à un changement de doctrine concernant les stocks d’État, une mauvaise estimation des besoins et un problème de prévision des pandémies ou crises sanitaires.
En effet, Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, évoque la stratégie de l’État en terme de gestion des stocks. En 2009, avec la pandémie de la grippe H1N1, le stock était d’un milliard de masques dits « dormants ». En 2018, devant le mauvais état d’une majorité de ces masques, il a été décidé de changer de stratégie et de mettre en place un stock dynamique afin d’éviter la péremption de tous les masques dans une même période et ne commander que 100 millions de masques, devant être livrés entre octobre 2019 et mars 202060.
Concernant les médicaments indispensables en réanimation , les besoins en curare, propofol et midazolam, considérés comme des médicaments anciens, ont été multipliés par 20 en France, 58Keren Lentschner, Mise sous tension par l’urgence sanitaire, le gouvernement place les fabricants de masques en surchauffe, 20 mars 2020, Journal le Figaro ce qui équivaut à la demande mondiale, laquelle, selon le laboratoire Médipha Santé, a bondi de 2000%61. Nous retrouvons donc le problème de la hausse constante des demandes et la diminution de l’outil de production. La directrice générale adjointe de l’ANSM estime même qu’une augmentation de la production nationale n’aurait pas permis de contenter l’ensemble des besoins pour la France62. Par la suite, ce même laboratoire évoque les problèmes intrinsèques au curare, avec une date de péremption courte empêchant la constitution d’importants stocks, expliquant ainsi la fonte très rapide des doses présentes et un approvisionnement délicat nécessitant un contrôle de la température entre 2°C et 8°C.
D’autres catégories de médicaments, comme les antalgiques, ont été confrontées à des tensions d’approvisionnement dans les pharmacies d’officine. En effet, suite à la publication de plusieurs études et d’une annonce du Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, d’une possible aggravation de la COVID-19 en cas de prise d’anti-inflammatoire non stéroïdien, la demande mondiale de paracétamol a été en hausse de 20% selon le laboratoire Sanofi, qui produit le Doliprane63. Il en a été de même pour les substituts nicotiniques suite à la diffusion d’une étude prônant un pouvoir protecteur de la nicotine. Dans ces deux cas, l’État a dû mettre en place une restriction de vente afin d’éviter d’éventuelles pénuries. Ainsi, le comportement des patients et populations face au virus peut être également un facteur entrainant des tensions d’approvisionnement.
Puis, s’est posé le cas des antibiotiques, produits en très grande majorité en Chine et en Inde64 démontrant ainsi les problèmes de la production mondialisée des médicaments avec les cas de restrictions d’exportations qui ont eu lieu. Nous pouvons citer en exemple l’Inde, considéré comme le premier fabricant de génériques au monde65, qui a restreint l’exportation de 13 substances actives, dont le paracétamol et certains antibiotiques.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

I. LISTE DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
II. REMERCIEMENTS
III. TABLE DES MATIÈRES
IV. LES RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT : PROBLÈME DE SANTÉ PUBLIQUE ?
V. LES RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT : DÉFINITIONS ET PRINCIPALES CAUSES
A. DÉFINITIONS
1. Rupture et tension : différences
2. Supply Chain et position de chaque partie prenante
3. Médicament d’Intérêt Thérapeutique Majeur
4. Autorisation de Mise sur le Marché (AMM)
B. LES PRINCIPALES CAUSES
1. La perte des brevets et le désengagement des industries
2. Des réglementations complexes et rigides
3. De nombreux maillons défaillants dans la chaîne de production
4. L’augmentation de la consommation mondiale de médicaments et de génériques est également source de tensions
5. La politique tarifaire appliquée en France et les appels d’offres pratiqués par les
hôpitaux amènent à des contingentements
6. La distribution et le phénomène d’exportation à l’étranger des stocks français
VI. LES FACTEURS DE RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT SE CUMULENT DÉSORMAIS ET NOTAMMENT EN PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE
A. LES CAUSES PRÉSENTÉES SONT RESPONSABLES DE CONSÉQUENCES EN CASCADE
1. Des besoins en médicaments toujours en hausse
2. La pression sur les prix est toujours plus importante
3. Développement des normes sur la qualité et la protection de l’environnement
B. QUELLE EST LA SITUATION DES PÉNURIES DANS LES AUTRES PAYS EUROPÉENS ?
C. LA SITUATION DE PANDÉMIE MONDIALE OBSERVÉE AVEC LA COVID-19 A AMPLIFIÉ LES CONSÉQUENCES DES RUPTURES ET CRÉÉ DE NOUVELLES CAUSES
1. Que s’est-il passé durant cette pandémie ?
2. Pourquoi cette crise sanitaire a tant exacerbé les problèmes d’accès aux produits de santé ?
VII.LA PLACE ET LE SENTIMENT DU PATIENT : POURQUOI LES RUPTURES SONT UNE PARTIE ENTIÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE ?
A. LES CONSÉQUENCES SUR LES PATIENTS ET PROFESSIONNELS DE SANTÉ SONT NOMBREUSES
ET AMÈNENT À DES SENTIMENTS D’INCOMPRÉHENSION
B. QUE RECOUVRE LA NOTION DE « SANTÉ PUBLIQUE » ?
C. DE LA « SANTÉ PUBLIQUE » À LA « POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE »
VIII. COMMENT RENFORCER LA RÉPONSE DES PARTIES PRENANTES AUX PROBLÈMES DE RUPTURE D’APPROVISIONNEMENT ?
A. DES SOLUTIONS EXISTENT ACTUELLEMENT MAIS NE RÉPONDENT PAS AUX BESOINS
1. Dispositifs de gestion des stocks
2. Une coopération européenne insuffisante
3. Pourquoi ces mesures sont-elles insuffisantes ?
4. Les États-Unis ont mis en place des mesures permettant de diminuer le nombre de médicaments en rupture
B. DE NOMBREUSES PROPOSITIONS PROVIENNENT DES RAPPORTS D’ENQUÊTE ET DU CONTEXTE ACTUEL
1. Mise en contexte des rapports
2. Regard critique sur les propositions des différents rapports
Propositions réglementaires
– Il faut redéfinir les médicaments indispensables et essentiels, ainsi que les critères de leur intégration en tant que MITM
– L’accès à l’information et aux données doit être revue pour mieux comprendre les ruptures, leurs causes et anticiper leurs solutions
– La révision des procédures d’appel d’offres semble indispensable
– Une simplification des demandes des variations minimes d’Autorisation de Mise sur le Marché est réclamée par les industries de santé
– Les innovations autour de nouveaux moyens de production et méthodes de synthèse de principes actifs et d’excipients sont intéressantes sur le long terme mais présentent quelques limites
Propositions économiques
– Le soutien à l’industrialisation
– La révision de certains articles de l’accord-cadre entre le CEPS et le Leem et du PLFSS permettrait de donner des leviers de production et/ou de commercialisation de spécialités pharmaceutiques indispensables
Propositions induites par la crise sanitaire de la COVID-19
– La nationalisation de certaines industries et la création d’un pôle public dumédicament est une idée qui se développe, mais qui ne répond pas à des objectifs viables, et est contre-productive.
– Des investissements et un plan de relance ont été annoncés et s’accompagnent de premiers exemples de réindustrialisation
– Renforcer la coopération européenne permettrait de mieux préparer les crises sanitaires et de renforcer la puissance de négociation des pays.
– D’autres pays, comme les États-Unis, mettent en place des mesures que l’on peut qualifier de protectionnistes
3. Quelques propositions complémentaires
– La création d’un stock stratégique de médicaments indispensables à une échelle nationale permettrait de faire face à des tensions d’approvisionnement sans créer des situations de « sur-stockage »
– Pourquoi ne pas valoriser la diversification des sources d’approvisionnement et des sites de production ?
C. L’HARMONISATION INTERNATIONALE OU LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉPONSE INTERNATIONALE ET COORDONNÉE ?
D. 14 PROPOSITIONS ONT ÉTÉ FORMULÉES POUR ACCOMPAGNER LA RÉSOLUTION DES RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT
E. TOUTES CES MESURES PEUVENT S’APPLIQUER S’IL Y A UNE PRISE DE CONSCIENCE DE TOUTES LES PARTIES PRENANTES
IX. LA RÉSOLUTION DES RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT CORRESPOND DONC À UNE URGENCE DE SANTÉ PUBLIQUE
X. LISTE DES ABRÉVIATIONS
XI. LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
XII.PRINCIPAUX ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
XIII. ANNEXES

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *