LES EXPOSITIONS D’ARCHIVES AU MÉMORIAL DE LA SHOAH
Les mémoriaux de la Shoah et leurs archives
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’horreur du meurtre de masse planifié par les nazis à l’encontre de populations considérées comme inférieures fut peu à peu mise au jour. La mise à mort systématique, à l’échelle industrielle, de groupes entiers de population raisonna comme un choc. Les preuves écrites du désastre ne manquaient pas, ni la volonté des survivants de raconter. Pourtant, les sociétés civiles n’étaient pas prêtes à entendre des rescapés désireux de partager leur expérience de l’indicible. La mémoire de la Shoah, la « catastrophe » en hébreu, se transmit donc dans un premier temps au sein de groupes fermés, dans un relatif entre-soi.
Avec le temps, des théoriciens se déclarant « révisionnistes » émergèrent sur la scène publique, qui niaient la volonté exterminatrice des nazis envers les Juifs. Une véritable bataille mémorielle s’ensuivit, portée également par les musées-mémoriaux de la Shoah, dédiés à la transmission de la mémoire du génocide et à l’éducation des publics pour éviter la répétition de tels événements. Ces monuments entretiennent une relation particulière aux archives, qu’elles soient privées ou publiques.
En quoi les archives constituent-elles un enjeu mémoriel pour l’histoire de la Shoah ?
Quelles sont les spécificités et les missions des grands musées-mémoriaux, et pourquoi les archives sont-elles si importantes pour eux ?
Dans un premier temps, nous montrerons l’importance des archives dans la transmission de l’histoire de la Shoah, alors que la réalité même du génocide est contestée par certains. Puis, nous étudierons la fondation des trois principaux muséesmémoriaux consacrés à la Shoah, dans des contextes et avec des objectifs pouvant varier. Enfin, nous verrons que, malgré des différences, tous trois placent les archives au cœur de leur mission mémorielle et d’éducation.
L’importance des archives dans la transmission de l’histoire de la Shoah
La Shoah, événement exceptionnel par son ampleur et sa violence, fut largement documentée pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Malgré la présence de ces nombreuses archives, certains contestent toujours la véracité des faits, pour des raisons et dans des buts variés.
Les archives comme preuve de la réalité de la Shoah
L’importance de la mémoire est centrale au sein de la communauté juive. L’injonction à se souvenir, « Zakhor », concerne avant tout le nom de Dieu, et tout ce qui le porte est précieusement conservé. Au début du XXe siècle, cette injonction se déplaça du sacré vers le profane avec la mémoire du prix payé par les Juifs au cours de la Grande Guerre, puis lors des pogroms en Europe de l’Est. Se mit alors en place une « littérature de Destruction », qui incluait désormais de nombreux témoignages. La démarche d’Emmanuel Ringelblum dans le ghetto de Varsovie pour documenter la Shoah s’inscrivait pleinement dans cette tradition1 .
En septembre 1939, Emmanuel Ringelblum, professeur, historien et travailleur social polonais, débuta la tenue d’un journal. Interné dans le ghetto de Varsovie, il commença à en constituer les archives clandestines, sous le nom de code d’Oneg Shabbat (« la joie du Shabbat »). Emmanuel Ringelblum s’entoura d’un groupe composé de personnes issues de tout le spectre idéologique, politique et religieux du ghetto, et ils se réunissaient le samedi après-midi. Leur objectif était de documenter la vie juive en Pologne avant et pendant la guerre. Ils voulaient également réunir de la documentation concernant la vie et l’organisation de la société juive dans le ghetto. Afin d’en obtenir un tableau le plus précis et divers possible, ils collectèrent des rapports et des témoignages de nombreux Juifs de tous les milieux, de Varsovie et d’ailleurs. Même les enfants du ghetto furent encouragés à participer, en livrant leurs dessins et leurs témoignages. Puis, Oneg Shabbat commença aussi à collecter des documents émis par les institutions du ghetto, les ordres et décrets publiés par les autorités d’occupation, mais également des journaux du ghetto, officiels ou non, de nombreuses photographies et des œuvres d’art.
Après que les premières informations sur l’extermination des Juifs furent parvenues au ghetto, les membres d’Oneg Shabbat concentrèrent leurs efforts sur la collecte de documents relatifs à la déportation et l’extermination, pour en informer les habitants du ghetto et le monde extérieur. Malgré les difficultés de la vie quotidienne et la déportation de milliers d’habitants du ghetto – dont certains membres d’Oneg Shabbat – vers Treblinka à l’été 1942, leur activité continua.
En 1943, les conditions de vie se durcirent, et une insurrection éclata la veille de la Pâque juive. Il devint évident que ceux qui restaient dans le ghetto ne survivraient pas.
Alors que tout semblait perdu, avant de s’échapper, entre janvier et avril, Emmanuel Ringelblum parvint à enterrer trois bidons de lait – dont deux seulement furent retrouvés après la guerre – et dix boîtes métalliques contenant des milliers de documents d’archives dans les caves de maisons du ghetto.
Au péril de leur vie, les membres d’Oneg Shabbat tentèrent donc de documenter la vie des Juifs de Pologne et leur destruction, afin d’en laisser une trace pour les générations futures et à l’usage des historiens.
Ailleurs en Pologne, des actions similaires, souvent plus spontanées et moins organisées qu’à Varsovie, furent mises en œuvre. Le facteur du ghetto de Łódź, Nachman Zonabend, permit de sauver une importante collection de documents d’archives documentant l’organisation et la vie dans le ghetto. Alors que presque tous les habitants du ghetto avaient été déportés, Nachman Zonabend faisait partie des derniers prisonniers laissés là par les nazis avec pour mission de récupérer les objets abandonnés par les déportés. Il prit le risque de cacher alors de nombreux documents, et notamment les archives du Judenrat2 , des fiches statistiques, des rapports et des textes de l’équipe des archives du ghetto, des journaux et des annonces faites aux habitants. A la fin de la guerre, Nachman Zonabend vint récupérer ces archives dans le ghetto infesté de pillards, et les versa ensuite à Yad Vashem3 .
En France, la même dynamique de collecte de documents – mais dans un contexte et avec des objectifs différents – fut incarnée par la création du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC). Les membres du CDJC, menés par Isaac Schneersohn, avaient la volonté de collecter des archives afin de garder une trace de l’action des nazis envers les Juifs pour que ceux-ci, à terme, puissent faire valoir leurs droits et prétendre à des indemnisations. La victoire des Alliés semblait en effet alors envisageable, tandis que, dans les ghettos, il s’agissait de dépeindre la survie au jour le jour et les conditions de vie imposées par l’occupant. La collecte des archives des nazis en France et des organisations collaborationnistes devait servir de preuve des persécutions et des
spoliations commises envers les Juifs, avec comme objectif leur réintégration dans la société française.
Les archives en tant que preuve de la déportation et du génocide furent parfois aussi collectées par les SS eux-mêmes. En témoigne l’album d’Auschwitz. Sur le site internet de Yad Vashem, l’album numérisé est présenté comme « la seule preuve visuelle restante du processus qui conduisait au massacre de masse à Auschwitz-Birkenau »
L’album
compte 56 pages et 193 photos et montre toutes les étapes de l’arrivée, de la sélection et de l’attente des Juifs avant leur mise à mort. Les photos furent prises par un SS, Ernst Hofmann ou par Bernhard Walter, qui étaient tous deux chargés de prendre les photographies d’identité et les empreintes digitales des Juifs qui n’étaient pas immédiatement envoyés vers les chambres à gaz. Le 26 mai 1944, ils photographièrent l’arrivée d’un convoi de déportés et leur sélection. A cette époque, la déportation des Juifs de Hongrie était à son point culminant, et les déportés photographiés provenaient de Ruthénie subcarpatique, et notamment du ghetto de Berehove.
Les photographies montrent le débarquement des déportés sur la rampe à l’intérieur du camp, qui devaient laisser là les affaires qu’ils avaient apportées avec eux, puis la sélection entre ceux jugés aptes au travail et les autres, envoyés dans les chambres à gaz où ils étaient presque immédiatement tués. Le tri des biens des Juifs par les prisonniers est montré, ainsi que leur déplacement vers un autre espace du camp nommé « Kanada », le pays d’Amérique du Nord étant associé par les détenus à un lieu d’abondance. L’attente des déportés n’ayant pas été retenus pour le travail forcé et s’apprêtant à être gazés, patientant dans un petit bosquet près des chambres à gaz, fut aussi saisie par les photographes. Tout est finalement montré dans cet album, à
l’exception du meurtre lui-même.
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Table des matières
INTRODUCTION
LES MÉMORIAUX DE LA SHOAH ET LEURS ARCHIVES
1. L’importance des archives dans la transmission de l’histoire de la Shoah
1.1 Les archives comme preuve de la réalité de la Shoah
1.2 Les livres du souvenir
1.3 Le négationnisme, une menace pour la mémoire de la Shoah
2. La création des principaux mémoriaux dédiés à la Shoah
2.1 Le Centre de Documentation Juive Contemporaine
2.2 Yad Vashem
2.3 Le United States Holocaust Memorial Museum
3. La relation de ces mémoriaux aux archives
3.1 Les politiques de collecte des archives
3.2 La mise à disposition des archives
3.3 Les expositions d’archives de ces mémoriaux
BIBLIOGRAPHIE
ÉTAT DES SOURCES
LES EXPOSITIONS D’ARCHIVES AU MÉMORIAL DE LA SHOAH
1. Le Mémorial de la Shoah
1.1 Histoire de sa naissance
1.2 Ses objectifs
1.3 Une fréquentation importante et diversifiée, signe de l’intérêt des publics
2. Les expositions sur place
2.1 L’exposition permanente
2.2 Les expositions temporaires
2.3 Le « fichier juif », des archives à part
3. Etude de deux expositions temporaires en ligne : « Regards sur les ghettos » et « Juger Eichmann, Jérusalem 1961 »
3.1 Le numérique
3.2 Typologie des documents et éditorialisation de ces deux expositions
3.3 L’importance des partenariats dans ces expositions
CONCLUSION
ANNEXES
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