Les experts de l’insertion.Sociologie des fédérations de l’insertion par l’activité économique

« Je vais prendre un exemple de gars, 56 ans, il est libanais, il ne parle pas bien français, ça fait quatre ans qu’il travaille chez nous. Il ponce à l’atelier menuiserie. À la fin du contrat on demande un renouvellement d’agrément, et Pôle emploi nous dit « non celui-là on arrête ». Du coup, il retourne tous les jours à Pôle emploi. Au bout de deux mois, le conseiller n’en peut plus et dit « vous ne voulez pas le reprendre?». Je dis « attendez, vous l’avez arrêté parce qu’il n’était pas dans les clous ». (Pôle emploi répond) « Prenez-le on va vous redonner un agrément ». (…) On met des règles administratives, des barrières là où on n’en a pas besoin. On nous fait chier avec des dossiers à faire, et des bagarres et pendant ce temps-là on ne fait pas d’insertion, on fait du papier, ça sert à rien. (…) J’ai eu un arrêté du Préfet de région qui dit dans les chantiers d’insertion on prend maintenant des gens plus en difficulté, 24 à 36 mois de chômage. J’ai quelqu’un qui a 12 mois (de chômage) qu’est-ce que je fais ? Pôle emploi dit : « non, je n’agrée pas ». J’écris au Préfet de région, je hurle, et Pôle emploi me dit : « effectivement on s’est trompé ». Ils ne se rendent pas compte que c’est grave pour la personne. Pour eux, c’est administratif. Il y en a qui ont perdu la possibilité de se former, ils étaient en parcours d’insertion, on les a flingués en vol. Arrêtons. (…) On prend des gens loin de l’emploi, on sait faire, on fait un diagnostic d’origine, qu’est-ce qu’il y a à faire, mettre en situation de travail, constater des difficultés, les résoudre avec un accompagnement adapté à leur problématique, des outils de pré qualification. Et la problématique elle est multiple, les problèmes de santé, de logement, d’endettement, de parentalité. C’est l’accompagnement global d’une personne dans une situation donnée. On sait faire. (…) Les gens n’ont pas vocation à rester chez nous, donc on a des relations avec les employeurs pour les faire sortir, on met en œuvre de la formation. (…) On est sur une activité économique qu’on développe sur un territoire. On produit. (…) Mais pour ça il faut laisser vivre la structure or aujourd’hui on ne peut pas vivre. Et qu’on nous donne les moyens. » (François, président d’une association gestionnaires d’ACI, entretien réalisé le 17 octobre 2012.) .

Ces propos sont prononcés par François. Ce retraité d’une soixantaine d’années est président bénévole d’une association gestionnaire d’ateliers et de chantiers d’insertion (ACI). Les ACI sont des structures du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE). Gérées par des associations, les ACI proposent un emploi salarié et temporaire à des chômeurs de longue durée ainsi qu’un encadrement sur leur poste de travail et un accompagnement social et administratif. L’homme interrogé est également président d’une antenne régionale et administrateur national de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS).

Dans l’extrait d’entretien, l’enquêté évoque la situation d’un homme salarié pendant 24 mois dans l’ACI qu’il dirige. À l’issue de cette période, l’enquêté adresse une demande de renouvellement d’agrément à Pôle emploi afin que cet homme reste employé par l’ACI . Pour le président du chantier, ses chances de retrouver un emploi sont minimes, en raison de son âge avancé (56 ans) et de ses difficultés d’expression en français. De plus, il s’est bien intégré au sein du collectif de travail, « il rigole, il est sympa, il crée du lien social dans l’équipe, il est stabilisateur ». Autant de raisons qui justifient le fait que l’homme voit sa présence au sein de la structure prolongée et bénéficie d’un nouveau contrat de travail. Mais le Service public de l’emploi refuse de renouveler l’agrément. La norme administrative prévoit en effet un passage de 24 mois maximum en structure d’insertion au terme desquels les individus réintègrent le marché du travail. Deux mois plus tard, le chômeur n’est pas parvenu à retrouver un emploi. Les fonctionnaires se rangent alors à l’avis du président de l’ACI et renouvellent l’agrément du chômeur qui finit par réintégrer la structure. Entre-temps, plusieurs mois ont passé au cours desquels les acteurs de l’insertion ont « perdu du temps » à faire « du papier » plutôt que « de l’insertion ». La deuxième situation abordée dans l’extrait d’entretien porte sur la restriction des critères d’accès aux ACI. Une instruction du Préfet de région limite la délivrance de l’agrément aux chômeurs sans emploi depuis plus de 24 mois. Pour le président de l’ACI, cette norme administrative évince des chômeurs pour lesquels le passage dans la structure serait utile. L’enquêté contacte l’administration pour demander une application plus souple des consignes et finit par obtenir gain de cause. Comme dans l’exemple précédent, l’administration commence par ignorer les demandes associatives puis finit par les satisfaire.

Les structures de l’IAE sont des associations ou des entreprises conventionnées par les services déconcentrés du ministère du Travail – les DIRECCTE . En contrepartie de financements publics, elles ont pour mission de « faciliter l’insertion professionnelle » des « personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières » . Autrement dit, la finalité de l’IAE est d’organiser la transition professionnelle de catégories spécifiques de chômeurs vers les emplois «ordinaires ». L’IAE a donc une « fonction sociale spécifique, celle de « sas » » (Balzini, 2003 : 64). Le passage en structure est défini comme une situation intermédiaire et transitoire, dont l’objectif est l’accès ultérieur au marché de l’emploi. Pour remplir cet objectif, les structures emploient des salariés dits « permanents » qui assurent l’encadrement sur le poste de travail et l’accompagnement social et professionnel des chômeurs rebaptisés « salariés en insertion ».

En 2012, il existe 3 813 structures conventionnées (DARES , 2014) au titre de l’IAE. Ces structures se scindent en quatre catégories : les ateliers et chantiers d’insertion (ACI), les entreprises d’insertion (EI), les associations intermédiaires (AI) et les entreprises de travail temporaires d’insertion (ETTI). Chaque catégorie de structure d’insertion dispose de financements particuliers et met en œuvre des modalités d’accompagnement et de mise au travail spécifique .

Les ACI embauchent les chômeurs « les plus éloignés de l’emploi » , qui « cumulent des difficultés sociales et professionnelles ». Ils constituent la « première étape » de leur « parcours d’insertion». Les salariés en insertion y effectuent des activités d’« utilité sociale » dans un cadre protégé des exigences de production et de rentabilité de l’économie lucrative. 38 % des salariés en insertion des ACI sont affectés à l’entretien d’espaces verts ou d’espaces naturels, ou à la production agricole, 13 % à des tâches de nettoyage et de propreté et près de 10 % réalisent des travaux de second œuvre en bâtiment. (DARES, 2014) Autre étape du « parcours d’insertion », les EI embauchent des chômeurs plus « proches de l’emploi », qui connaissent des difficultés sociales et/ou professionnelles qui ne leur permettent pas d’accéder immédiatement à un emploi au sein d’une entreprise classique. Les EI inscrivent leurs activités dans le secteur marchand concurrentiel et doivent adapter leurs modes de production et d’organisation aux contraintes du marché. Les AI et les ETTI ont pour objet la mise à disposition de chômeurs auprès de structures clientes. Les AI embauchent des chômeurs pour les mettre à disposition de particuliers, d’associations, ou de collectivités locales, ce qui suppose que le salarié en insertion soit autonome pour effectuer seul son travail. La moitié des salariés embauchés en AI exerce des activités de service, principalement dans l’aide à la vie quotidienne de la personne. Les entreprises de travail temporaire d’insertion s’adressent à des salariés « en fin de parcours d’insertion » dont les difficultés résultent de l’absence ou de la faiblesse de leurs qualifications. Placés dans des conditions de travail similaires à celles des travailleurs du secteur intérimaire classique, les salariés en insertion peuvent ainsi « côtoyer directement la vie en entreprise » et espérer une insertion rapide sur le marché de l’emploi.

Les conditions de travail dans les structures de l’IAE sont hétérogènes : réalisation de missions de courte durée auprès de particuliers, de collectivités locales ou d’entreprises dans les AI et les ETTI ; embauche sur des contrats à durée déterminée à temps plein dans les EI, à temps partiel dans les ACI. En 2012, les 128000 salariés en insertion se répartissent de la manière suivante : près d’un tiers travaille dans un ACI, 11 % dans une EI, près de la moitié est mis à disposition par une AI et 9 % par une ETTI.

Au-delà de cette hétérogénéité, les structures d’insertion ont pour point commun un recours massif à des emplois éloignés du modèle du salariat à contrat indéterminé à temps plein et des protections sociales auquel ce dernier donne droit. Ainsi, si on recense près de 130 000 salariés en insertion travaillant dans une structure d’insertion à la fin de l’année 2014, ce chiffre ne représente que 64 600 emplois à temps plein (DARES, 2016) . De même, les salariés en insertion ne sont pas comptabilisés dans le calcul des effectifs des salariés des structures d’insertion. Ils ne bénéficient pas de l’indemnité de précarité et, bien souvent, ne disposent pas d’une convention collective. Plusieurs auteurs ont ainsi assimilé l’IAE à une « zone intermédiaire entre le salariat et le non-travail », à un espace de relégation où s’expérimentent un ensemble de « statuts intermédiaires qui ont un lien faible avec la protection sociale et qui situent en fait les personnes concernées en marge du salariat » (Autès & Bresson, 2000).

L’espace de l’IAE regroupe des structures aux statuts juridiques différents. Près de 90 % des ACI sont gérés par des associations, les 10 % restants par des collectivités locales. Les AI obéissent aux dispositions de la loi de 1901. Les EI et les ETTI adoptent un statut associatif (48 % des EI sont des associations en 2012, 33 % des ETTI) ou d’entreprise commerciale (SARL, SCOP, etc.). Les structures d’IAE régies par la loi de 1901 appartiennent à la catégorie des « entreprises associatives » (Alix & Castro, 1990 ; Hély 2009 ; Marchal, 1992). Elles se  caractérisent par l’hybridité des régimes juridiques qui régissent leur fonctionnement : les dispositions de loi de 1901 (l’élection d’administrateurs qui dirigent l’association à titre bénévole), et celles du code du travail qui s’appliquent à l’ensemble des structures privées employeuses.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 La genèse de l’insertion par l’économique
Chapitre 2 La structuration de l’espace de l’insertion par l’activité économique :
segmentation, oppositions et stratégies d’alliance
Chapitre 3 La « professionnalisation » des structures d’insertion par l’économique : des processus composites, incertains et concurrents
Chapitre 4 Mesurer la performance des structures d’insertion : le rôle des fédérations associatives dans l’élaboration des réformes managériales
Chapitre 5 Les experts de l’insertion : chargés de mission et administrateurs à la FNARS
Conclusion générale

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