Les exceptions environnementales et sanitaires dans la jurisprudence de l’omc

L’environnement et la santé, ou la suspicion du protectionnisme. Quel est le point commun entre l’essence, la pêche aux crevettes et les tortues ? Pourquoi parler dans le même temps de cigarettes aux clous de girofle et d’amiante ? Quel dénominateur commun ces produits connaissent-ils avec les produits agricoles, les pommes, la viande aux hormones, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les volailles, les saumons, les sardines, les thons et les dauphins ? Tous ces produits, en tant que marchandises, objets du commerce international, ont fait l’objet de litiges devant les organes de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La caractéristique principale de ces litiges réside dans la tentative de l’État défendeur de justifier une mesure restrictive pour le commerce, le plus souvent de produits agro-alimentaires, au nom de la protection de la santé ou de l’environnement. Protectionnisme ou préservation de l’intérêt général ? Hormis les affaires Amiante et Crevettes, les juges de l’OMC ont estimé que la santé et l’environnement ne servaient que d’alibi à des mesures protectionnistes biaisant le jeu de la concurrence loyale entre les États membres. Le constat interroge l’observateur qui en vient à se demander si les exceptions environnementales et sanitaires présentes dans les accords de l’OMC ont effectivement une quelconque consistance. Seraientelles inscrites dans les textes uniquement pour rassurer le profane sur l’éthique des activités commerciales des États ? L’Union européenne était-elle de si mauvaise foi lorsqu’elle interdit l’importation sur son territoire de produits biotechnologiques pour risque sanitaire ? Interroger le sort de ces exceptions devant les organes de règlement des différends permet de révéler les équilibres et déséquilibres d’un système commercial prédominant dans le paysage juridique international, traduisant autant d’arbitrages entre valeurs et intérêts divergents de la société contemporaine.

C’est ainsi que, tout en saluant le saisissement par le droit économique de valeurs non commerciales, telles que la santé et l’environnement, Laurence BOY a néanmoins pu mettre en garde contre le cynisme, ou la naïveté, des espoirs placés dans leur « marchandisation contrôlée ». D’après elle, ces valeurs devraient être l’objet d’une « régulation réelle » . Concernant l’OMC, les valeurs portées par la réglementation commerciale multilatérale s’expliquent notamment par l’évolution historique de l’Organisation. Initialement vouée à être chapeautée par l’ONU, c’est en tant qu’organisation commerciale autonome qu’elle a connu son apogée.

L’échec de l’Organisation Internationale du Commerce. La création de l’OMC résulte d’une large dynamique institutionnelle advenue sur le plan international au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’optique de la mise en place d’une véritable interdépendance des différents États du monde, assimilée à une pacification des rapports interétatiques, les grandes puissances alliées signent d’importants accords mettant en place autant d’institutions spécifiques . C’est dans cette dynamique que se forme le projet visant à la mise en place de l’Organisation internationale du commerce (OIC). Ce projet se déroule sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU ). Il aboutit, en mars 1948 lors de la Conférence de La Havane, à l’adoption de la « Charte instituant une organisation internationale du commerce » . Cette Charte vient compléter les objectifs de paix et de sécurité déjà consacrés par l’ONU en régissant les questions économiques et sociales. Le premier article de la Charte dispose ainsi qu’elle vise à « atteindre les objectifs fixés par la Charte des Nations unies, particulièrement le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et les conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social ». L’OIC présentait ainsi deux particularités, qui ne se retrouvent pas dans l’actuelle OMC : premièrement, elle s’inscrivait dans le système onusien, et avait vocation à n’être qu’un volet spécifique d’un ensemble de politiques coordonnées;deuxièmement, elle ne se contentait pas de régler les questions commerciales, mais également les questions d’emploi et de développement économique. L’OIC avait ainsi vocation à endosser une fonction régulatrice des questions économiques, tout en étant chapeautée par une organisation également compétente en matière de droit de l’homme . Ce projet ambitieux est pourtant resté dans l’impasse, la Charte de la Havane n’ayant finalement jamais été ratifiée par les États-Unis, suite à des tensions politiques internes, soldant ainsi le projet par un échec . Seul le volet commercial de l’OIC subsistera, servant de base à un accord de libre-échange des marchandises, finalement signé en marge de l’ONU.

Le GATT de 1947. Sur les cendres de l’OIC, un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce est négocié et signé par vingt-trois États le 30 octobre 1947 à Genève : le GATT de 1947  . Le GATT (ou Accord général) est un accord indépendant des Nations Unies, et exclusivement recentré sur les questions commerciales : il poursuit le double objectif de mettre en place des principes permettant une concurrence loyale entre ses contractants et d’assurer un processus continu de libéralisation du commerce international . Le GATT de 1947 régit pendant une cinquantaine d’années les rapports interétatiques commerciaux, jusqu’à l’issue de l’Uruguay Round, qui marque un tournant dans l’histoire du droit du commerce international en organisant la transition du GATT vers l’OMC. Malgré des positionnements politiques différents , les négociations aboutissent le 15 décembre 1993. Avec le cycle de l’Uruguay, les parties contractantes d’un Accord visant à libéraliser le commerce des marchandises deviennent les États membres d’une véritable organisation internationale.

La naissance de l’OMC. L’« Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay » est signé le 15 avril 1994 à Marrakech. L’« Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce » (dit «Accord sur l’OMC »), auquel est annexé l’ensemble des accords négociés, fait partie intégrante de cet Acte final. L’Accord sur l’OMC comporte ainsi quatre annexes principales : le premier corps d’annexes comprend les accords multilatéraux sur le commerce des marchandises , l’Accord sur le commerce des services (AGCS) , ainsi que les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ; la seconde annexe est constituée par le Mémorandum d’Accord sur le règlement des différends ; la troisième régit le Mécanisme d’examen des politiques commerciales ; la quatrième et dernière annexe comporte les différents accords commerciaux plurilatéraux .

L’OMC est ainsi née le 1er janvier 1995, suite à la signature de ces accords de Marrakech le 15 avril 1994 . Son champ d’application s’est à ce point élargi que l’organisation régit désormais le commerce international des marchandises, des services et de la propriété intellectuelle. L’Organisation s’est également vue dotée d’un mécanisme de règlement des différends, véritable fer de lance de l’Organisation, qui lui confère une puissance inégalée.

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Table des matières

Introduction générale
PREMIÈRE PARTIE. L’APPARENTE EFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
TITRE I L’effectivité formelle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC
CHAPITRE 1. Une application limitée des exceptions environnementales et sanitaires sur le fondement de l’article XX du GATT
CHAPITRE 2. Une consécration formelle de droits environnementaux et sanitaires sur le fondement des Accords SPS et OTC
TITRE II L’ineffectivité substantielle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC
CHAPITRE 1. Une ineffectivité fondée sur les faits des espèces des différends
CHAPITRE 2. Une ineffectivité fondée sur les Accords SPS et OTC
DEUXIÈME PARTIE. LES CAUSES DE L’INEFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
TITRE I La neutralisation des exceptions par l’interprétation prétorienne des règles probatoires
CHAPITRE 1. Une neutralisation au regard de la répartition de la charge probatoire
CHAPITRE 2. Une neutralisation au regard de la répartition des compétences en matière d’appréciation des éléments de preuve
TITRE II La neutralisation des exceptions par la reconnaissance sélective des normes externes au droit de l’OMC
CHAPITRE 1. La reconnaissance des standards techniques internationaux
CHAPITRE 2. Le refus de reconnaissance des règles internationales externes au droit de l’OMC
Conclusion générale

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