Les études sur la question de genre dans la petite enfance

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Psychologie, enfance et genre

Après la découverte du sentiment de l’enfance, les champs de la petite enfance et de l’enfance ont été au XXe siècle largement laissés aux psychologues, psychanalystes, cognitivistes, qui ont normalisé les pratiques sociales à l’égard des enfants. Ces pratiques sociales s’appuient sur le concept d’identité, qui a été en quelque sorte démultiplié : sont alors distinguées l’identité de sexe, l’identité de genre, l’identité sexuelle. Pour les psychologues, l’identité est un « sentiment de stabilité et de cohérence du moi à travers le temps et les vicissitudes de l’histoire singulière » (Molinier, p.33).
Cette identité est, selon eux, très tôt, très fortement sexuée. Ceci, bien avant l’acquisition du langage. Selon certains, il n’y aurait pas d’identité primaire asexuée. Ce « détriplement » de l’identité permet de reconnaître l’empreinte du social dans le concept global de l’identité, mais aussi de sauvegarder l’idée d’une différence des sexes irrémédiablement accordée à l’inné.
Dans ce contexte, les études de psychologie ont dévoilé les systèmes de relations parent/enfant et la mise en place, très tôt, de traitements différenciés en fonction des sexes du parent et de l’enfant, que ce soit en matière d’interprétation des pleurs d’un bébé, de la manipulation de l’enfant, des jouets et jeux proposés ou des interactions verbales (Bergonnier-Dupuy, in Lemel 1999)1. Les parents, selon leur sexe, et plus largement selon le réseau familial comme la nourrice, les grands-parents, les tantes et autres participent de manière active à la différenciation des caractères sexués.
Il ne s’agit pas ici de retracer les principaux acquis de la psychologie de l’enfance, centrons nous sur la prise en compte du genre dans la petite enfance. Marie Claude Hurtig, dans un article fondateur (1982) soulignait déjà l’extrême rareté de la littérature concernant la différenciation des sexes en psychologie de l’enfant, en particulier en France.
Toujours selon Hurtig (1982), les difficultés particulières de ce genre de recherches sont explicitées de la façon suivante.
 D’une part, la connaissance du sexe (biologique) de l’enfant surdétermine la perception que nous en avons, et cette labellisation est réalisée de façon tellement peu consciente que la perception se vit sur un registre infra-social (c’est-à-dire « naturel » ou spontané). Les stéréotypes sont alors renforcés de façon circulaire.
« Très tôt l’enfant étiqueté garçon ou fille est affublé, par l’intermédiaire de cet étiquetage, de caractéristiques censées être personnelles, puisque « perçues » par l’entourage, et au premier chef les parents, alors qu’elles sont en fait celles du « standard » masculin ou féminin. Rubin et al (1974) ont montré que les parents, et surtout les pères, qualifient leur nouveau-nés très différemment selon qu’il est garçon ou fille : les filles sont belles, mignonnes, gentilles, douces, elles ont les traits fins ; les garçons sont solides, grand, éveillés, costauds, ils ont les traits marqués. Condry et Condry (1976) présentent une même photo de bébé à des étudiants qui la décrivent comme celle d’un bébé en colère si elle est censée être celle d’un garçon, comme celle d’un bébé qui a peur si elle est censée être celle d’une fille. » [Hurtig, 1982].

Genre et prise en charge des tout-petits

Ce point renvoie à une série de constats désormais bien connus : l’essentiel de la prise en charge de la petite enfance est assurée par les femmes, que ce soit dans la famille ou hors d’elle : par les mères, les aides domestiques ou encore les éducatrices de jeunes enfants. La participation des hommes à ces prises en charge reste modeste. Ainsi, la charge quotidienne de l’éducation d’un enfant est assignée aux femmes1.
Des normes éducatives et sanitaires toujours plus explicites et plus exigeantes du point de vue qualité (volonté de créer un attachement de qualité, accent mis sur la « bien traitance » et l’éveil précoce …) contribuent à rendre plus visible et plus légitime une demande d’accueil qui ne soit plus seulement une « garde » d’enfants mais une « machine » à fabriquer des petits génies. Ces nouvelles normes contribuent par ailleurs à une demande de compétence accrue des institutions de garde de la part des parents. Or, les rapports sociaux des sexes pourraient, en cas de socialisation différentielle, contribuer à conforter les petits enfants dans la reproduction des stéréotypes qu’ils auraient « ingurgité ».

Comment approcher les pratiques quotidiennes de la crèche

Les structures d’accueil de la petite enfance, et leurs professionnels, sont un domaine d’expression, d’apprentissage et, probablement, de renforcement des rapports entre les sexes qui traversent l’ensemble de la société et des groupes humains. Il s’agit donc de se donner les moyens de repérer ces rapports sociaux de sexe aussi bien entre enfants, entre adultes mais aussi dans les interactions adultes/enfants. Ces rapports ne sont pas seulement immatériels. S’ils sont visibles au niveau symbolique, ils devraient l’être également au niveau matériel, aussi bien dans l’environnement immédiat des enfants que plus généralement dans l’ensemble des productions matérielles destinées à ce groupe d’âge ou aux adultes qui le prennent en charge.

Qui et où observer ?

Nous avons choisi d’appréhender les pratiques quotidiennes de la crèche dans des conditions de forte proximité, privilégiant alors la présence « active » pendant une période assez longue. Les observations se sont faites par étapes et se sont étalées tout au long du premier trimestre 2007. Quelques semaines, avant les observations proprement dites, ont été nécessaires pour nous familiariser avec la vie quotidienne dans un lieu d’accueil de la petite enfance, puisque c’était notre toute première expérience dans ce genre d’institution. Nous avons pris le temps de nous imprégner du climat de la crèche, d’établir un contact avec le personnel, de nous faire accepter des enfants eux-mêmes ainsi que de trouver notre place en nous sentant moins étrangère dans ce système très particulier.
C’est dans ces conditions que nous avons tenté d’observer à la lumière du paradigme de l’égalité entre les sexes les situations mises en œuvre dans la crèche étudiée. Les premières semaines ont été consacrées à des observations exploratoires afin de constituer avec plus de précision les protocoles d’enquête.
Notre étude s’est attachée à rechercher les différences de socialisation liées aux comportements des enfants observés. Malgré la petite taille de l’échantillon, une tendance générale semble se dégager des comportements les plus fréquemment observés.
Située dans un quartier calme du troisième arrondissement de la capitale, cette crèche accueille une soixantaine d’enfants à la journée, issus le plus souvent des classes moyennes et aisées. L’équipe est exclusivement féminine. Elle se compose de treize éducatrices de jeunes enfants, d’une cuisinière, d’un gardien, d’un jardinier. Ils se trouvent tous sous l’autorité de la directrice. Dans cette crèche, qui accueille en permanence soixante quatre enfants, il y a deux services, le service des bébés et celui des grands. Ces deux services sont délimités par deux étages différents : les petits, qui sont au nombre de vingt, évoluent au premier étage tandis que les grands, au nombre de quarante quatre, occupent le rez-de-chaussée. A partir du moment où les bébés savent marcher, ils peuvent intégrer le groupe des grands. Le travail d’observation a été principalement effectué sur le service des grands où les enfants étaient plus nombreux et plus interactifs. Les observations se sont déroulées sur deux mois.
La crèche comprend plusieurs groupes. Chaque éducatrice s’occupe d’un groupe de quatre à six enfants selon les affinités que les enfants peuvent avoir à son égard.

Quoi et comment observer ?

Le choix des méthodes appropriées pour collecter les données découle de la réponse à la question de connaître préalablement les types d’informations à recueillir. Ainsi, avons-nous décidé :
 de privilégier l’observation la plus participante possible .
 de suivre les enfants et leurs éducatrices à travers leurs habitudes quotidiennes et de les questionner dès qu’un échange était permis .
 de faire un inventaire en l’absence des enfants (et du personnel) portant sur le matériel (jeux, jouets, décoration) .
Concrètement, nous avons été tour à tour en retrait, prenant des notes de façon discrète, et plus active en participant à l’accompagnement des petits enfants lors des activités (pendant les repas, les activités ludiques, les jeux à l’extérieur, les bains…).
Les lieux et séances d’observation ont été, par ce fait, diversifiés autant que possible. Au moyen de grilles construites à partir des activités, nous nous sommes attachées à observer afin d’appréhender les comportements ainsi que les interactions. En l’occurrence, nous avons essayé d’écouter les échanges verbaux entre les enfants.
Nous avons donc étudié les comportements des enfants à l’intérieur et à l’extérieur à partir de l’utilisation des cartographies de la répartition des pièces et de la cour. A partir de cela, nous avons vu que selon les sexes, des endroits sont plus fréquentés que d’autres.
Par ailleurs, il est à signaler que pour une optimisation des résultats nous avons décidé de ne pas compter le nombre des interactions durant les activités afin d’éviter d’isoler les comportements des contextes dans lesquels ils ont pu être observés. En effet, un comptage systématique dans ce cas précis aurait fait perdre une part importante des informations à recueillir car l’essentiel pour nous était d’appréhender les motivations des comportements et non pas seulement de dénombrer leur fréquence. Il s’agit alors d’un recueil à forte inférence1.
Dans cette étude, nous avons contourné la dichotomie qualitatif/quantitatif de deux manières :
 en multipliant nos angles d’observations. Plusieurs méthodes ont été alors employées afin de recueillir un maximum d’informations sur la nature des interactions entre filles et garçons avec ou sans présence des adultes .
 en utilisant, pour relever la fréquence de certaines pratiques observées, des quantificateurs tels que « le plus souvent », « presque toujours », « quelquefois ».

Description de la population étudiée

L’observation a été faite auprès d’une crèche1 se situant dans un quartier calme du troisième arrondissement de la Capitale. La crèche accueille normalement les enfants de 2 mois à 3 ans. Cependant, durant les vacances scolaires et les jours où il n’y a pas classe, des anciens pensionnaires y sont gardés à temps plein. Par ailleurs, une nounou vient chercher ces enfants chaque midi et après les cours à 16 heures. Les parents les reprennent à la crèche après leur travail. C’est un arrangement qui arrange ces parents habitués à être libre de leurs horaires tout en assurant un environnement serein à leurs enfants. Ces pensionnaires « par intermittence » ne font pas partie de l’effectif annoncé dans la présente étude. Ici, nous ne parlerons que des enfants qui y vivent régulièrement.
Les pensionnaires à temps plein sont au nombre de 50 enfants. Et, 20 d’entre eux ne marchent pas encore et font partie des bébés. Leurs groupes sont installés à l’étage tandis que les plus grands, au nombre de 44, occupent les pièces sises au rez-de-chaussée.
Le présent travail étudiera particulièrement les groupes des « grands », autrement dit, ceux des enfants qui marchent déjà. Ceci, même lorsque tous les enfants sont groupés dans une même aire comme durant les jours de beau temps où tous viennent prendre l’air dans la cour.
Il est à noter que toutes les activités se font toujours en présence des éducatrices responsables des différents groupes qu’elles se passent à l’intérieur ou dans la cour. Les mots d’ordre dans cette crèche sont : amour, sécurité et bien-être des enfants. Tout se fait dans cette optique.

Limites de l’étude

Une grille d’observation simple a été élaborée afin de relever sur un temps d’activité donné les principales interactions entre la nounou et chacun des enfants. Il s’agissait alors d’appréhender la nature des interactions entre la nounou et les enfants en repérant en particulier les différentes appréciations pouvant se référer au sexe de l’enfant.
Or, dans quelle mesure peut-on attribuer les différences observées au sexe de l’enfant ? Comment les interpréter ?
Ces questionnements qui nous sont revenus très souvent tout au long de notre recherche nous ont confrontés aux limites de celle-ci. Ce travail reste ainsi un témoignage à parfaire de diverses manières notamment en multipliant les angles d’analyse des faits recueillis1.
Prolonger ce temps d’observation par un temps d’entretien avec les enfants aurait été utile. Cela aurait pu se faire par une utilisation d’un canevas conçu sous forme de jeux. Cela n’a pas pu se faire faute de moyens disponibles.
Par ailleurs, des entretiens avec des parents d’enfants pensionnaires auraient été très enrichissant pour l’étude. Les données ainsi collectées nous auraient permis de dresser des séries de variables en y apportant des éclaircissements plus pointus sur la part de la socialisation des tout-petits en collectivité dans la transmission des rôles sexués.

La crèche : un monde principalement féminin

Le personnel de la crèche est fortement marqué par le genre féminin. En effet, les deux personnes de sexe masculin qui y travaillent ne s’occupent des enfants en aucune manière. Elles restent à l’extérieur. Le gardien se tient devant le portail tandis que le jardinier s’occupe du jardin quand les enfants sont à l’intérieur pour la sécurité de ces derniers.
La décision de la directrice de n’employer que des femmes pour éduquer les enfants n’a rien à voir avec la capacité d’empathie ou non qu’un homme pourrait avoir envers les enfants. D’après ses expériences, elle en a déjà engagé quelques-uns pendant une période de quelques mois pour certains, les nounous de sexe masculin n’ont pas trop le sens de l’esthétique, de la propreté voire même de l’hygiène. L’exemple qu’elle a évoqué est que « le » nounou est capable de ne pas remarquer des habits ou bavoirs tâchés sur un enfant et de le laisser avec toute une demi-journée et ceci malgré une forte sensibilisation et à répétition de sa part.
En tous les cas, des hommes sont intéressés par ce métier d’éducatrices de jeunes enfants. Leurs grandes difficultés d’après nous résideraient dans le fait que ce métier, compte tenu de l’inexistence d’institution formant des nounous diplômées, s’apprend sur le tas à Madagascar. On peut aussi avancer que la prise en charge et l’encadrement des jeunes enfants en crèche resteront encore l’apanage du sexe féminin tant que la formation y afférente ne sera pas dispensée dans les normes ou dans une institution sérieuse. Or, cette féminisation du métier n’est pas sans incidence sur la perception du rôle de la crèche et sa contribution à la différenciation entre filles et garçons.

La crèche : un monde en vase clos

Il faut dire qu’à part le pédiatre et le kinésithérapeute qui viennent de façon sporadique, les enfants sont confinés dans ce milieu conçu pour eux mais toujours avec les mêmes personnes qui leur sont familières.
Or les nounous, auxquelles aucun diplôme précis n’est exigé au recrutement, viennent de plusieurs mondes différents, de par leur cursus scolaire ou encore de leur vécu personnel. Premièrement elles doivent apprendre à vivre entre elles, mais en plus elles doivent s’adapter aux règles érigées par l’optique de la « maison ». Eduquer de très jeunes enfants pendant près de 66 heures par semaine, avec une formation sur le tas, les oblige forcément à se référer à leurs éducations ou à leur histoire propres et à reproduire des stéréotypes pouvant avoir une influence sur le façonnement de l’identité future des enfants.
Or, nous pouvons ajouter que leurs vécu et expériences ne les auraient jamais confrontées à s’interroger sur leur rôle dans la construction des rapports sociaux de sexe. Et pourtant, cela n’est pas sans effet sur le devenir des enfants1.
Il est à noter que la crèche dans son ensemble se dit ne faire aucune distinction entre l’éducation des filles et des garçons. Et pourtant, des stéréotypes hérités de l’éducation familiale de ces derniers transparaissent souvent surtout dans la façon d’appréhender les jeux.

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Table des matières

PARTIE I : THEORISATION ET METHODOLOGIE
Chapitre 1. Education des filles et des garçons
Section I – Problématique de la socialisation et des différences de sexes
1. Emergence récente de la Sociologie de l’enfance
2. Les études sur la question de genre dans la petite enfance
3. « On ne naît pas femme : on le devient »
Section II – Petite enfance et différentes théories
1. Psychologie, enfance et genre
2. Les rapports sociaux de sexes
3. Genre et prise en charge des tout-petits
Chapitre 2. Méthodologie
Section I – Comment approcher les pratiques quotidiennes de la crèche
1. Qui et où observer ?
2. Quoi et comment observer ?
3. Les méthodes employées pour l’observation
A. Le plan panoramique
B. L’observation ciblée
C. Les entretiens
4. Les difficultés rencontrées
Section II – Description de la population étudiée
1. Description de la population étudiée
2. Limites de l’étude
PARTIE II : LES FILLES ET GARÇONS A LA CRECHE
Chapitre 3. Crèche et organisations
Section I – Professionnelles de l’éducation de la petite enfance et cursus
1. La direction
2. Le personnel éducateur et la transmission du savoir
3. Le traitement des enfants par le personnel éducateur
Section II – Aménagement des pièces et dispatching des groupes d’enfants
1. Dispatching des pièces
A. Le sous-sol
B. Le rez-de-chaussée
C. Le premier étage
D. La cour
2. Partage des petits groupes
3. Inventaire des supports
Section III – Organisation pour le bien-être des tout-petits
1. Crèche, hygiène et santé
2. La crèche comme milieu séparé du monde extérieur
3. La crèche : un monde principalement féminin
4. La crèche : un monde en vase clos
Chapitre 4. Les filles et garçons face aux activités
Section I – Les activités à l’intérieur
1. Langage et interactions : existence de sexisme ?
2. Echanges et punitions
3. Au coeur de l’activité : la réussite de tous ?
4. Retour sur les contenus des activités
Section II – Activités à l’extérieur
1. Les enfants dans la cour
2. Les petits garçons dans la cour
3. Les filles à l’extérieur
4. Les interactions entre enfants de sexes opposés
PARTIE III : ANALYSE ET DISCUSSIONS
Chapitre 5. Crèche : institution de la petite enfance
Section I – Filles et garçons dans la crèche
1. Interactions adultes-enfants
2. Activités et jeux
Section II – Implications pour les filles et les garçons
Section III – Socialisation différenciée et éducatrices
Chapitre 6. Discussions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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