Plantons le décor : les étoiles évoluées
D’où venons-nous ? C’est seulement au cours de la seconde moitié du XXème que nous avons pu avoir la réponse à cette lancinante question. Le modèle ΛCDM en vigueur en cosmologie décrit l’évolution de l’Univers. Il indique que dans les premières minutes ayant suivi le Big Bang, l’Univers s’est refroidi permettant aux nucléons (protons et neutrons) de se rassembler pour former les premiers noyaux atomiques : il s’agit de la nucléosynthèse primordiale. En abondance massique, on estime que cette phase a permis de produire ∼ 75% de 1H, ∼ 25% de 4He, ∼ 0,001% de D, 0,001% de 3He et ∼ 10⁻¹⁰ de 7Li (Fields & Olive 2006). Aucun autre élément plus lourd du tableau périodique n’a été produit lors de cette nucléosynthèse.
On constate immédiatement qu’un grand nombre d’éléments communs sont absents : l’oxygène que nous respirons, le calcium de nos os, le fer de notre sang, les métaux précieux, le silicium devenu si essentiel à notre technologie… Ce fut une des connaissances majeure acquise au XXème siècle : la quasi-totalité des éléments ont été produits par les étoiles (Cameron 1957; Burbidge et al. 1957). Au cours de leur vie, les étoiles produisent en leur sein des éléments jusqu’au fer (pour les plus massives) par fusion thermonucléaire : c’est la nucléosynthèse stellaire. Les étoiles suffisamment massives (≥ 10 masses solaires ou M⊙) pour exploser en supernova (SN) produisent la majorité des éléments plus lourds que le fer : lorsque l’onde de choc de la SN se propage dans les couches externes de l’étoile et dans son enveloppe (processus r et p). Une partie des éléments lourds (jusqu’au plomb) peut être obtenu dans des étoiles de faible masse grâce au « processus-s » .
Les étoiles de type solaire (naines)
Car c’est en effet la masse des étoiles qui conditionne leur destin. Dès leur naissance, selon la masse de gaz qu’elles auront réussi à accréter à partir de leur nébuleuse « pouponnière », leur vie est réglée, minutée. En-dessous d’environ 10 M⊙, elles vivront une vie de naine, fusionnant de l’hydrogène en hélium durant plusieurs centaines de millions d’années voire plusieurs milliards d’années pour des étoiles comme le Soleil. À court d’hydrogène dans leur noyau elles se contracteront jusqu’à ce que les conditions de température et pression leur permettent de fusionner l’hydrogène en dehors de leur noyau. Elles sont alors devenues des géantes rouges (RGB, Red Giant Branch). La pression et la température augmentant, l’hélium dans leur noyau va à son tour fusionner pour former du béryllium, du carbone et de l’oxygène. Ce sera enfin la fusion de l’hélium dans leurs couches supérieures qui les amènera sur la branche asymptotique des géantes (AGB, Asymptotic Giant Branch). Le vent de l’étoile est alors particulièrement massif et lui fait expulser ses couches externes. Le noyau de carbone et oxygène est alors révélé lorsque la combustion de l’hydrogène et de l’hélium s’achève : une nébuleuse planétaire s’est formée, entourant une naine blanche. Il s’agit du cœur de l’étoile maintenu par la pression de dégénérescence des électrons. Celui-ci va prendre alors des dizaines de milliards d’années pour se refroidir et sans doute devenir une naine noire. Sans doute car l’Univers est encore trop jeune pour que ce type d’objet ait pu se former.
Les étoiles massives
Pour les étoiles plus massives (plus de 10 M⊙), la phase de fusion de l’hydrogène ne dure que quelques dizaines ou centaines de millions d’années. Passée la fusion de l’hélium à la fin de leur vie, elles fusionnent le carbone en néon et magnésium, l’oxygène pour former du silicium et ainsi de suite, jusqu’à former du fer. L’étoile est alors une supergéante rouge (RSG, Red Super Giant). Alors que la photosphère d’une RGB s’insère dans l’orbite de la Terre, une RSG peut atteindre l’orbite de Jupiter. Le fer est un élément particulier : la fusion des éléments plus légers est toujours exothermique, la fusion du fer est endothermique, elle consomme de l’énergie. La formation de cet élément stable marque donc la fin de la nucléosynthèse stellaire. Lorsque le cœur de fer atteint la masse de Chandrasekhar il s’effondre en une fraction de seconde pour former un objet compact. Ce processus est plus rapide que le temps de réponse de l’enveloppe qui ne s’effondre par gravité qu’après la formation de l’objet compact. Elle rebondit alors sur cet objet : c’est la supernova. Le processus est extrêmement complexe et ne peut faire l’objet d’une description détaillée ici. Mes quelques connaissances à ce sujet viennent principalement du cours FL9 Objets compacts de Frédéric Daigne au M2 AAIS. Pour approfondir ce vaste sujet, le lecteur pourra également consulter Arnett (1996). Il en résulte la propagation d’une onde de choc déclenchant la nucléosynthèse explosive dans l’enveloppe de l’étoile « morte »ainsi que la formation d’une étoile à neutrons ou d’un trou noir si l’étoile est suffisamment massive.
Le rôle des étoiles évoluées
Qu’il s’agisse d’étoiles naines ou massives, on constate donc que c’est durant la fin de leur vie que les étoiles produisent des éléments lourds. Ces phases de fusion thermonucléaire d’éléments plus lourds que l’hydrogène sont accompagnées d’un vent stellaire important : certaines étoiles peuvent perdre jusqu’à quelques masses solaires durant leurs derniers stades d’évolution. Ces matériaux expulsés par les étoiles AGB et RSG, ainsi que lors de la formation des nébuleuses planétaires ou des supernovæ vont enrichir le milieu interstellaire (MIS). Au fil des générations d’étoiles, ce sont ces matériaux qui ont permis la constitution de planètes telluriques (rocheuses) constituées essentiellement de silicates (Si…) et dans le cas de la Terre, entourée d’une atmosphère de diazote (N2) et de dioxygène (O2), baignée d’océans d’eau salée (eau H2O et sel NaCl), sur laquelle vivent des êtres vivants constitués de carbone (C), de calcium (Ca) pour les vertébrés, … C’est la célèbre expression popularisée par Hubert Reeves pour le monde francophone : «Nous sommes faits de poussières d’étoiles ». Les étoiles en général et les étoiles évoluées en particulier jouent donc un rôle capital dans l’évolution de notre Univers.
Les mécanismes par lesquels les étoiles évoluées (AGB et RSG) dispersent leurs éléments lourds dans le MIS recèlent encore plusieurs mystères. Ce processus permet de transporter une partie des éléments lourds produits dans le noyau vers l’enveloppe, enveloppe elle-même expulsée partiellement à chaque expansion de l’étoile. C’est ce qui conduit à la formation des nébuleuses planétaires : le coeur de l’étoile est mis à nu et forme une naine blanche entourée de matière rayonnante car excitée par la lumière à courte longueur d’onde de la naine blanche. Cependant, si ce processus explique assez bien la formation des nébuleuses planétaires relativement sphériques, il n’en est rien des structures rompant cette symétrie telles que les nébuleuses bipolaires. Les éléments de réponse sont très certainement dissimulés au plus proche de l’étoile. Cette zone de l’environnement stellaire ne peut être dévoilée que grâce à des techniques de haute résolution angulaire qui permettent de sonder l’enveloppe circumstellaire à l’échelle de la milliseconde d’arc.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Les étoiles évoluées
1.1.1 Les étoiles de type solaire (naines)
1.1.2 Les étoiles massives
1.1.3 Le rôle des étoiles évoluées
1.2 La haute résolution angulaire
1.2.1 Résolution d’un télescope classique au sol
1.2.2 L’optique adaptative
1.2.3 L’interférométrie en astronomie
1.3 L’apport de cette thèse
2 La surface et l’environnement proche des supergéantes rouges
2.1 Généralités
2.2 Bételgeuse en bande K avec l’instrument AMBER au VLTI
2.2.1 Données VLTI/AMBER : obtention et réduction
2.2.2 Interprétation des données en bande K réduites, étalonnées et débiaisées
2.2.3 Les résultats en continuum : diamètre et structures
2.2.4 La MOLsphère dans les raies d’absorption de la bande K
2.2.5 A propos des données VLTI/AMBER en bande H
2.2.6 Publications
2.3 Bételgeuse en bande H avec VLTI/PIONIER
2.3.1 PIONIER : un instrument visiteur au VLTI
2.3.2 Les observations VLTI/PIONIER
2.3.3 Analyse des observations
2.4 Antarès avec VLTI/PIONIER
2.4.1 Antarès : la supergéante rouge de l’été boréal
2.4.2 Analyse préliminaire des observations
2.5 Bilan et perspectives
3 La chromosphère et l’enveloppe moléculaire étendues des supergéantes rouges
3.1 Contexte
3.2 Observations HST/STIS en ultraviolet
3.2.1 Programme d’observation HST/STIS : différentes échelles temporelles
3.2.2 Réduction et étalonnage des données
3.2.3 Analyse des données STIS
3.3 Observations avec VLT/NACO en proche infrarouge
3.3.1 Suivi de l’environnement de Bételgeuse en proche infrarouge
3.3.2 Réduction des données
3.3.3 Déconvolution
3.3.4 Étalonnage photométrique
3.3.5 Comparaison des observations HST/STIS et VLT/NACO
4 Vers le milieu interstellaire
4.1 Résultats précédents
4.1.1 La formation de la poussière
4.1.2 L’enveloppe gazeuse
4.2 Futures observations
4.2.1 Observations ALMA
4.2.2 Observations avec l’interféromètre du Plateau de Bures
5 Etude de l’environnement circumstellaire d’une étoile AGB : L2 Puppis
6 Conclusion